Ministre de l’Économie, 28 novembre 2003, n° ECOC0400135Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils de la société Crédit foncier de France
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maîtres,
Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 24 octobre 2003, vous avez notifié l'acquisition de 72,15 % du capital de la société Entenial par la société Crédit foncier de France (ci-après "CFF") auprès de la société Banque AGF. Cette opération a été formalisée par un contrat de cession signé le 21 octobre 2003.
I. - Les entreprises concernées et l'opération
CFF est un établissement de crédit présent principalement, directement ou via des filiales, dans les activités (i) de financement de l'immobilier des particuliers et des professionnels et (ii) de services immobiliers (valorisation d'actifs, arbitrages et services de conseils et d'expertise aux entreprises et investisseurs dans l'immobilier, administration et gestion de biens immobiliers). Le capital de CFF est détenu à hauteur de 52,12 % par la Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance, qui appartient au groupe Caisse d'épargne (ci-après "GCE") et à hauteur de 40,63 % par Eulia. Cette dernière est elle-même contrôlée conjointement par GCE et par la Caisse des dépôts et consignations.
Le chiffre d'affaires de CFF, en tant qu'entreprise concernée contrôlée conjointement par GCE et la Caisse des dépôts et consignations, doit être calculé en retenant, d'une part, le chiffre d'affaires de GCE et, d'autre part, le chiffre d'affaires du groupe Caisse des dépôts et consignations (ci-après "CDC") (1). Au cours de l'année 2002, GCE a réalisé un chiffre d'affaires total consolidé de 20,9 milliards d'euros, quasi exclusivement en France. CDC a réalisé, au cours de la même année, un chiffre d'affaires total consolidé de 15 milliards d'euros, dont plus de 85 % en France (2).
Entenial est une banque spécialisée dans le financement immobilier et patrimonial des particuliers ainsi que dans les financements structurés des entreprises. Elle est implantée en France au travers de 45 agences commerciales ainsi que d'une quarantaine de correspondants. Au cours de l'année 2002, Entenial a réalisé un chiffre d'affaires total consolidé de 883 millions d'euros, exclusivement en France.
CFF exercera, à l'issue de l'opération, un contrôle exclusif sur Entenial. Cette opération constitue donc une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
Bien que les seuils de chiffres d'affaires déclenchant le contrôle communautaire de l'opération notifiée soient franchis, ladite opération ne revêt pas une dimension communautaire car les entreprises concernées réalisent chacune plus des deux tiers de leur chiffre d'affaires communautaire en France. En conséquence, l'opération notifiée est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatives à la concentration économique.
II. - Définition des marchés concernés
Entenial, GCE et CDC sont, pour l'essentiel, concomitamment actifs dans les services bancaires, et plus spécifiquement dans le crédit immobilier (3). On peut également noter la présence de ces trois entités dans l'activité de crédit aux collectivités locales. Toutefois, Entenial n'y est présente que très marginalement et s'est en outre retirée de cette activité il y a deux ans, de sorte qu'elle ne gère plus qu'un encours de crédits en amortissement. En conséquence, l'activité de services de crédit aux collectivités locales ne sera pas examinée dans le cadre de la présente décision.
Entenial, GCE et/ou CDC sont par ailleurs concomitamment présents, directement ou indirectement, dans d'autres services liés à l'immobilier: (i) la promotion et la construction immobilières, (ii) l'arbitrage et la valorisation d'actifs et (iii) l'expertise immobilière. S'agissant des activités évoquées aux points (ii) et (iii), Entenial ne les exerce quasi exclusivement que pour son propre compte. En conséquence, les marchés relevant de ces deux activités ne seront pas examinés dans le cadre de la présente décision.
1. Les marchés de services bancaires
A l'instar de la pratique décisionnelle de la Commission européenne (ci-après "la Commission"), le ministre a déjà eu l'occasion de souligner qu'il convenait de distinguer, au sein du secteur bancaire, trois grandes catégories de services (4): (i) les services bancaires de détail à l'attention des particuliers, (ii) les services bancaires aux entreprises et (iii) les opérations de banque d'investissement, ces trois catégories de services pouvant, à leur tour, être subdivisées en de nombreuses différentes prestations spécifiques.
En ce qui concerne les services bancaires de détail, l'opération conduit à un chevauchement d'activité en matière de crédit immobilier. A l'instar de la Commission, le ministre a laissé ouverte la question quant à l'existence d'un marché du crédit immobilier destiné aux particuliers (5).
Au cas présent, la question de la définition exacte des marchés concernés en matière de services bancaires de détail peut être également laissée ouverte car, quelle que soit la définition retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.
En ce qui concerne les services bancaires aux entreprises, l'opération conduit à un chevauchement d'activité également en matière de crédit immobilier. Au sein de cette catégorie de crédit, CFF propose d'identifier: (i) les concours à court terme, d'une durée inférieure ou égale à trois ans et principalement destinés au financement de la promotion immobilière; (ii) les concours à long terme, d'une durée supérieure à trois ans; (iii) le crédit-bail immobilier.
S'agissant du crédit immobilier destiné aux entreprises, la question de la définition exacte des marchés peut être laissée ouverte car, quelle que soit la définition retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.
2. Les marchés de la promotion et de la construction immobilières
Tout en laissant ouverte la question de la définition exacte des marchés relevant des activités de services immobiliers, le ministre a eu l'occasion de noter, à l'instar de la Commission, qu'il convenait de distinguer les services destinés, d'une part, aux particuliers et, d'autre part, aux entreprises (6). S'agissant de la gestion d'actifs immobiliers destinés aux entreprises, le ministre a également indiqué que la question pouvait être posée quant à une distinction, conformément à la pratique usuelle des opérateurs, entre (i) les bureaux, (ii) les locaux commerciaux et (iii) les autres locaux d'activité (7).
Toutefois, au cas d'espèce, il n'est pas besoin de définir précisément les marchés relevant de la promotion et de la construction immobilières car, quelle que soit la définition retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.
3. Marchés géographiques
La dimension géographique des marchés de services bancaires concernés par l'opération notifiée est essentiellement nationale.
En effet, à l'instar de la Commission, le ministre a récemment considéré que les services de banque au détail étaient encore à ce jour, et malgré une certaine harmonisation communautaire, de dimension nationale (8).
De même, s'agissant des services bancaires aux entreprises, la Commission considère que certains services comportent toujours une dimension géographique nationale, dans la mesure où les prestations sont souvent offertes au niveau des agences nationales à des clients locaux. Les marchés des services bancaires aux entreprises sont généralement considérés comme étant plutôt de dimension nationale pour les petites et moyennes entreprises, et mondiale pour les grandes entreprises.
Par ailleurs, s'agissant d'une activité de réseau, l'approche nationale doit être complétée par une approche locale. La proximité d'une agence constitue un critère de choix important pour les particuliers et les petites entreprises. Ce critère est moins sensible pour les entreprises moyennes et ne rentre pas en ligne de compte pour les grandes entreprises.
A l'occasion de la décision autorisant BRED Banque populaire à acquérir plusieurs établissements de crédit situés dans les départements d'outre-mer (DOM) (9), le ministre a cependant été amené à préciser que "l'important éloignement géographique des DOM par rapport à la métropole, l'insularité de trois d'entre eux concernés par la présente opération (Martinique, Guadeloupe, Réunion) et l'existence d'un coût du crédit significativement plus élevé dans les DOM qu'en métropole (10) sont des éléments permettant de considérer que chaque DOM constitue un marché géographique pertinent, et ce pour chaque marché de services bancaires concerné par la présente opération". En conséquence, il convient de considérer que, pour les services bancaires évoqués supra, chaque DOM constitue un marché géographique distinct de la métropole.
Enfin, s'agissant de la promotion et de la construction immobilières CFF estime qu'elles revêtent une dimension nationale. Au cas d'espèce, la question de la dimension géographique exacte des marchés concernés par ces activités peut être laissée ouverte car, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.
III. - Analyse concurrentielle
1. Le Crédit immobilier
Sur la base des informations fournies par CFF (11), les positions des entreprises concernées et de leurs principaux concurrents en termes de production de crédit immobilier au cours de l'année 2002 sont les suivantes en France:
[object Object]
Nota. - ND signifie "non disponible"; les données relatives à GCE/Eulia comprennent celles concernant Banque Sanpaolo SA, dont l'acquisition par GCE a été autorisée par le ministre en date du 23 octobre 2003.
Tant en matière de crédit immobilier aux particuliers que de crédit immobilier aux entreprises, la nouvelle entité sera, à l'issue de l'opération, face à d'autres opérateurs significatifs, avec pour plusieurs d'entre eux des parts de marché comparables ou supérieures.
Par ailleurs, au plan local, l'effet de réseau produit par l'opération est de faible ampleur, dans la mesure où Entenial ne dispose que de 45 agences commerciales ainsi que d'une quarantaine de correspondants, répartis sur l'ensemble du territoire métropolitain, alors que GCE, troisième réseau bancaire national, possède un peu plus de 4 600 agences en France sur un total de plus de 44 500 agences (12).
En outre, il ressort, d'une part, de l'analyse des implantations d'Entenial, de CGE et de leurs principaux concurrents au niveau local, et, d'autre part, des caractéristiques de l'offre et de la demande en matière de crédit immobilier, que l'opération n'est pas susceptible de conduire à des effets unilatéraux au profit de GCE, de nature à porter atteinte à la concurrence.
Eu égard à ces éléments, il peut donc s'en conclure que les autres opérateurs de crédit immobilier seront à même d'exercer une pression concurrentielle significative sur la nouvelle entité issue de l'opération.
2. La promotion et la construction immobilières
S'agissant de la promotion et de la construction immobilières, Entenial n'y est présente qu'au travers de la Compagnie d'aménagement et de promotion immobilière (CAPRI), dont CDC détient 65 % du capital et Entenial 35 %. Pour les besoins de la présente analyse, il n'est pas nécessaire de trancher la question de savoir si Entenial exerce un contrôle sur CAPRI dans la mesure où les conclusions de l'analyse demeureront inchangées. En effet, dans cette hypothèse, à la suite de l'opération, GCE exercerait indirectement un contrôle conjoint, avec CDC, sur CAPRI. Or, GCE n'a qu'une présence très marginale dans les activités de promotion et de construction immobilières (13). En outre, en matière de crédit immobilier, activité située en amont de la promotion et de la construction immobilières, la nouvelle entité ne disposera pas d'un pouvoir de marché qui lui permettrait d'empêcher les autres opérateurs de promotion et de construction immobilières d'accéder au crédit immobilier dont ils ont besoin. En conséquence, l'opération ne modifierait pas sensiblement la structure concurrentielle des marchés concernés.
Eu égard à ces éléments, il peut s'en conclure que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence. En conséquence, je vous informe que j'autorise cette opération.
Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de ma considération distinguée.
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.
Ces informations relèvent du "secret des affaires", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
(1) Chiffre d'affaires calculé conformément à l'article 5 du règlement du Conseil n° 4064-89 du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, auquel renvoie l'article 2 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce. Voir également la communication de la Commission européenne relative au calcul du chiffre d'affaires (JOCE n° C 66 du 2 mars 1998).
(2) Le chiffre d'affaires d'Eulia, et donc celui de CFF, est intégré selon la méthode proportionnelle dans les chiffres d'affaires consolidés de GCE et de CDC.
(3) CDC n'est présent indirectement dans cette activité qu'au travers de CFF, qu'il contrôle conjointement avec GCE via Eulia.
(4) Voir la lettre du ministre en date du 7 novembre 2003 autorisant l'acquisition de plusieurs établissements de crédit par la BRED Banque populaire (en instance de publication), ainsi que par exemple la décision de la Commission européenne n° IV-M.1096 du 6 février 1998 (Société générale/Hambros Bank).
(5) Lettre du ministre en date du 7 novembre 2003 autorisant l'acquisition de plusieurs établissements de crédit par la BRED Banque populaire (en instance de publication).
(6) Voir la lettre du ministre en date du 8 novembre 2002 autorisant Gecina à acquérir Simco (BOCCRF n° 11 du 30 septembre 2003).
(7) Ibid.
(8) Voir la lettre du ministre en date du 7 novembre 2003, précitée.
(9) Ibid.
(10) Voir par exemple le rapport annuel 2002 de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer ainsi que l'étude de ce dernier intitulée: "Les conditions d'exploitation de l'activité bancaire. - Le coût du crédit aux entreprises dans les DOM en 2002" (septembre 2003). Selon cette étude, en janvier 2003 les taux des concours à moyen et long terme destinés aux entreprises étaient à la Réunion, à la Guadeloupe, à la Martinique et en Guyane respectivement supérieurs de 18 %, 23 %, 25 % et 42 % à ceux constatés en métropole.
(11) Les parts de marché estimées par CFF sont fondées sur une étude de l'observatoire de la production de crédits immobiliers aux ménages pour le crédit immobilier aux particuliers; sur une étude du 11 avril 2002 réalisée par le Boston Consulting Group pour le CFF s'agissant du crédit immobilier aux professionnels à court terme et sur des données Banque de France pour le crédit à long terme.
(12) Y compris le réseau de La Poste, qui compte un peu plus de 16 600 agences.
(13) Via Promo Midi et le groupe Ellul. Concernant ce dernier, CAPRI a acquis la majorité du capital auprès de GCE au cours de 2002.