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Décisions

CA Rouen, ch. corr., 12 novembre 1998, n° 911-00388

ROUEN

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Catenoix

Substitut :

général: M. Lecue

Conseillers :

Mme Jourdan, M. Cardon

Avocat :

SCP August.

TGI Le Havre, ch. corr., du 1er déc. 199…

1 décembre 1997

Rappel de la procédure:

Georges H a été, à la requête du Ministère public, cité directement par exploit délivré le 30 septembre 1997 à sa personne devant le Tribunal correctionnel du Havre.

Prévention:

Il était prévenu d'avoir au Havre et sur le territoire national, courant 1995, trompé la société Coffea, contractant, sur les qualités substantielles, en l'espèce en vendant sous l'appellation de "truffe" des produits contenant une matière grasse végétale.

Infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation.

Jugement:

Le tribunal par jugement contradictoire du 1er décembre 1997 a relaxé Georges H.

Appel:

Par déclaration au greffe du tribunal en date du 11 décembre 1997, le Ministère public a interjeté appel de cette décision.

Décision:

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

En la forme:

- Au vu des énonciations qui précèdent et des pièces de la procédure, l'appel interjeté par le Ministère public dans les formes et délais des articles 498 et suivants du Code de procédure pénale est régulier; il est donc recevable.

- Georges H a été cité devant la cour par exploit d'huissier délivré à sa personne le 22 avril 1998.

Il est présent et assisté. Il sera donc statué par arrêt contradictoire à son égard.

Au fond:

- Georges H est poursuivi, en sa qualité de président de la société X, du délit de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise, infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation pour avoir au Havre et sur le territoire national courant 1995 trompé la société Coffea en lui vendant sous l'appellation de "truffes cacao" des produits contenant une matière grasse végétale.

- Le 27 décembre 1995, les services de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) du Val d'Oise se présentaient au magasin Coffea situé 28-30 avenue de Paris à Soisy sous Montmorency. Ils procédaient à un prélèvement officiel, en trois échantillons, d'un produit mis en vente sous la dénomination de "truffes cacao" non préemballées et revendues par ce magasin au prix de 150 F le kilogramme.

- Ces truffes étaient conditionnées, pour partie, dans une boîte en carton portant les mentions d'étiquetage suivantes: "truffes cacao-ingrédients; sucre, beurre de cacao, pâte de cacao, glucose, arôme naturel, émulsifiant: lécithine, vanilline, cacao minimum 33 %".

- Ces truffes avaient été livrées et facturées au magasin Coffea, pour une quantité de 6 kilogrammes, par la société X sise <adresse>au Havre et dont Georges H était le président (facture du 13 décembre 1995) et la société X avait acheté ce produit à base de chocolat pour une quantité de 20 kilogrammes auprès de la société Arosa sis à Aartselaar en Belgique (facture du 6 décembre 1995).

- Il est à noter que postérieurement aux faits, les deux sociétés X et Coffea ont fusionné au profit de Coffea, Serge Hauguel en étant devenu le président du conseil d'administration.

- L'analyse du prélèvement réalisée le 23 avril 1996 par le laboratoire interrégional de Paris-Massy mettait en évidence la non-conformité de ce produit avec le décret modifié n° 76-692 du 13 juillet 1976 pris en application d'une directive européenne en date du 24 juillet 1973 concernant les produits de cacao et de chocolat destinés à l'alimentation humaine et prévoyant l'interdiction d'ajouter aux produits de chocolat des matières grasses autres que celles provenant exclusivement du lait. La composition en acide gras de la matière grasse démontrait en effet la présence d'une matière grasse végétale hydrogénée additionnée de matière grasse butyrique et la présence d'acide gras révélant l'utilisation d'arachide.

- Georges H déclarait n'avoir fait procéder à aucun contrôle par analyse de ces produits de chocolat pour vérifier leur composition et avoir, comme d'habitude, fait confiance à son fournisseur belge.

- Dans les conclusions déposées par son avocat et à l'audience devant la cour Georges H ne conteste pas que les truffes achetées par la société X auprès de la société Arosa et vendues sous la dénomination "truffes cacao" contenaient de la matière grasse végétale, mais il sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il l'a relaxé au motif que l'infraction n'est pas constituée.

Georges H soutient et fait plaider:

- qu'aucun texte juridique, français ou européen, ne définit ni même ne mentionne la "truffe cacao";

- qu'il résulte des dispositions de l'article L. 214-1 du Code de la consommation que l'article L. 213-1 du même code relatif au délit de tromperie ne peut recevoir application que pour des produits faisant l'objet d'une protection édictée par voie réglementaire, cette réglementation devant viser spécifiquement le produit;

- qu'aucun décret en droit français ne réglemente la définition, la composition et la dénomination de la "truffe cacao";

- qu'il n'existe aucun usage commercial général et constant selon lequel ce type de produit doit être exempt de matières grasses végétales et selon lequel l'appellation "truffes" ne pourrait s'appliquer qu'à un "bonbon de chocolat" dans lequel les matières grasses proviennent exclusivement du cacao et du lait, la preuve de cet usage ne pouvant résulter de la seule lettre de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes adressée par ses services le 30 décembre 1982 au président de la chambre syndicale des chocolatiers de France et qui est contredite par un courrier de la Fédération professionnelle royale des maîtres chocolatiers et confiseurs de la région flamande, attestant que l'appellation "truffes" renvoie à des produits de chocolat pouvant indifféremment contenir ou non des matières grasses végétales.

- que dès lors en raison de l'interprétation stricte de la loi pénale et de l'absence de texte réglementaire protégeant la "truffe" ce produit ne saurait être assimilé aux "bonbons de chocolat" au sens du décret du 13 juillet 1976.

- que les poursuites engagées à son encontre ne sont donc pas fondées;

- que de surcroît, il n'était pas obligé de vérifier la conformité de ce produit, ne s'agissant pas de la matière première mise sur le marché français de ce produit que la société Arosa exporte en France depuis 1990 et cette obligation faite à l'importateur par l'article L. 212-1 du Code de la consommation étant illégale au regard du droit communautaire dès lors qu'il existe une directive communautaire en date du 24 juillet 1973 réglementant les produits chocolatiers, que la commission par une directive de 1989 a mis à la charge de l'exportateur une obligation de contrôle du produit avant son exportation et que cette obligation mise à la charge de l'importateur n'a pour effet en réalité que de l'inciter à préférer des produits nationaux.

Subsidiairement, en cas de condamnation, il sollicite l'indulgence de la cour au motif qu'il s'agit d'un produit non protégé, déjà commercialisé en France depuis de nombreuses années, que le droit communautaire a institué une obligation de contrôle à la charge de l'exportateur et qu'il avait confiance en la société Arosa et il demande que la condamnation ne figure pas au bulletin n° 2 de son casier judiciaire.

Ceci étant exposé

- Le décret modifié n° 76-692 du 13 juillet 1976, pris en application de la directive européenne du 24 juillet 1973, en son article 4 interdit l'addition aux différents produits de chocolat de matières grasses végétales autres que le beurre de cacao. Dans l'annexe du décret précité figurent au titre 1er, conformément à l'article L. 214-1-3e du Code de la consommation, la définition, la composition et la dénomination d'un certain nombre de produits de chocolat entrant dans le champ d'application de ce décret et en particulier au paragraphe 1-28 est indiqué la définition et la composition du "bonbon de chocolat", aux termes duquel il faut entendre sous cette appellation tout produit de la taille d'une bouchée constitué soit de chocolat fourré, soit d'une juxtaposition de parties de chocolat, soit d'un mélange de chocolat pour autant que les produits de chocolat représentent 25 pour 100 au moins du poids total du produit.

Si à la différence de la dénomination "praline" indiquée comme pouvant être utilisée pour désigner le bonbon de chocolat aucune indication n'est donnée au sujet de la truffe dans cette annexe, il n'en demeure pas moins que la truffe de cacao, s'agissant d'un produit de chocolat de la taille d'une bouchée, constitue un bonbon de chocolat tel que défini au paragraphe 1-28 de l'annexe du décret précité et que dans ces conditions l'appellation de "truffes cacao" ne peut s'appliquer qu'à un produit dans la composition duquel sont expressément exclues les matières grasses végétales autres que le beurre de cacao.

- Georges H, en sa qualité de président de la société X, a donc vendu au magasin Coffea sous l'appellation de "truffes cacao" des produits à base de chocolat qui ne pouvaient admettre cette dénomination en raison de la présence de matières grasses végétales autres que le beurre de cacao dans leur composition.

- Par l'emploi non autorisé de cette dénomination valorisante et en omettant d'indiquer sur l'emballage la totalité des ingrédients composant les produits, Georges H a donc trompé son contractant et finalement les consommateurs sur les qualités substantielles de ces produits.

- Georges H n'est pas fondé à invoquer sa bonne foi. En effet, en application de l'article L. 212-1 du Code de la consommation, il avait obligation de vérifier par une analyse du produit la conformité avec la réglementation française des produits qu'il introduisait sur le marché français et en s'abstenant de le faire, il a commis une négligence ne lui permettant pas d'exciper de sa bonne foi. Le fait que la directive européenne du 24 juillet 1973 ait été également transcrite dans le droit belge par un arrêté royal du 28 mai 1975 et qu'obligation soit faite au terme d'une directive européenne de 1989 à l'exportateur de vérifier la conformité du produit avant son exportation ne peut avoir pour effet de supprimer l'obligation mise en droit français à la charge de l'importateur de vérifier la conformité du produit importé avec les prescriptions en vigueur et Georges H ne pouvait se contenter de faire confiance à son fournisseur belge.

Par ailleurs, cette obligation édictée par l'article L. 212-1 du Code de la consommation ne constitue pas en l'espèce une atteinte aux dispositions du traité de Rome prohibant les entraves aux importations entre les Etats membres de la Communauté, dès lors que cette obligation, également mise à la charge de l'exportateur par la circulaire européenne de 1989, a pour effet de garantir aux consommateurs en France le respect des directives européennes énoncées dans la circulaire du 24 juillet 1973 et intégrées dans la législation des Etats belge et français.

En conséquence, la cour, infirmant le jugement déféré, déclarera Georges H coupable du délit de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue dans les termes visés à la prévention.

Compte tenu de l'ensemble des éléments soumis à l'appréciation de la cour, il y a lieu de faire à Georges H une application très modérée de la loi pénale en le condamnant au paiement d'une amende de 3 000 F et en excluant la mention de cette condamnation au bulletin n° 2 de son casier judiciaire.

Par ces motifs LA COUR Statuant publiquement et contradictoirement, En la forme Déclare l'appel du Ministère public recevable. Au fond - Infirme le jugement déféré. - Déclare Georges H coupable du délit de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue commis au Havre et sur le territoire national courant 1995. - Le condamne à une amende de 3 000 F. - Exclut la mention de la présente condamnation du bulletin n° 2 de son casier judiciaire. - Dit qu'il ne pourra être recouru à la contrainte par corps en raison de l'âge de la personne condamnée. La présente procédure est assujettie à un droit fixe de huit cents francs (800 F) dont est redevable Georges H.