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Conseil Conc., 18 mai 2000, n° 00-MC-06

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Demande de mesures conservatoires présentée par M. et Mme de Keguelin

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport de Mme Bleys, par Mme Hagelsteen, présidente, M. Cortesse, vice-président, , M. Robin, membre.

Conseil Conc. n° 00-MC-06

18 mai 2000

Le Conseil de la concurrence (Commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 29 février 2000 sous les numéros F 1220 et M 260, par laquelle M. et Mme de Kéguelin ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la SARL Famille Educatrice, société d'édition, et de sa régie, la société Publicat, qu'ils estiment anticoncurrentielles et ont sollicité le prononcé de mesures conservatoires ; Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à la liberté des prix et de la concurrence et le Décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour son application ; Vu les observations présentées par la société d'édition SARL Famille Educatrice ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement, les représentants de M. et Mme de Kéguelin et de la SARL Famille Educatrice entendus au cours de la séance du 2 mai 2000 ; Après en avoir délibéré hors la présence du rapporteur et du rapporteur général ;

Sur la procédure :

Considérant qu'en cours de séance, M. et Mme de Kéguelin ont souhaité déposer un dossier complémentaire ; que ce dépôt a été refusé par le représentant de la partie adverse ; que le dossier dont il s'agit n'ayant pas été soumis au contradictoire, il ne fait pas partie de la procédure ;

Considérant, en ce qui concerne la régie Publicat, que celle-ci a pour mission d'exécuter les ordres de son client, la SARL Famille Educatrice et n'est, de ce fait, pas concernée par ce dossier ;

Sur la saisine au fond :

Considérant que M. et Mme de Kéguelin, qui exploitent à Andigné (49), sous le nom d'institution de Pierre Grise, un centre de soutien scolaire et un centre de vacances pour jeunes exposent que, depuis 26 ans, ils font paraître régulièrement des insertions publicitaires dans la revue " Famille et Education ", publiée par la société Famille Educatrice, laquelle est contrôlée par l'Union nationale des associations de parents d'élèves de l'enseignement libre (UNAPEL) ; qu'ils précisent avoir réservé leur publicité à cette revue en raison de sa cible, ladite revue se voulant " le magazine des parents d'élèves de l'enseignement libre " ; qu'alors que la société Publicat, chargée de la régie publicitaire de la revue, venait de leur consentir une réduction exceptionnelle de 40 % pour la diffusion faite dans le numéro du mois de mai 1999 et leur avait communiqué ses tarifs pour l'année 2000, la parution des annonces relatives à l'institution de Pierre Grise a été brusquement suspendue en juin 1999 ; qu'interrogé sur les causes de cette décision, le responsable éditorial de la revue a indiqué que son refus de publication était justifié par la crainte que l'institution ne connaisse des problèmes de sécurité, cette crainte s'appuyant sur quatre coupures de presse extraites du journal " Ouest France " qui annonçaient la fermeture de l'établissement pour des raisons de sécurité ; que le motif, ainsi évoqué, a été contesté par M. et Mme de Kéguelin, qui ont fait savoir à leur interlocuteur que ces coupures de journaux se rapportaient à un ancien établissement et que l'arrêté municipal de " menace " de fermeture de l'école pris en 1995 avait été ultérieurement annulé par la Cour administrative d'appel de Nantes ; que l'institution de Pierre Grise a adressé au directeur éditorial une copie de l'avis de la Commission de sécurité de l'arrondissement de Segré donnant un avis favorable au fonctionnement de l'établissement à Andigné, délivré le 12 février 1999 ;

Considérant qu'à la suite d'une lettre en date du 11 janvier 2000 de M. et Mme de Kéguelin, le directeur éditorial, dans un courrier en date du 7 février 2000, a indiqué que son refus était fondé non " sur le fait que les bâtiments de l'institution de Pierre Grise ne seraient pas conformes aux normes de sécurité ", mais " sur le fait que le directeur d'une publication est libre de refuser l'insertion d'une annonce sans avoir, au demeurant, à justifier son refus " ;

Considérant que les époux de Kéguelin soutiennent que la revue " Famille et Education ", du fait de son tirage, détiendrait une position dominante sur le marché de la publicité scolaire destinée aux familles de l'enseignement libre ; qu'ils considèrent également que leur entreprise serait dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de cette revue du fait qu'il n'existe pas d'autre " magazine des parents d'élèves de l'enseignement libre " pouvant offrir à une école privée un lectorat fidèle qui corresponde exactement à l'échantillon de parents d'élèves qui lui font confiance et que leur entreprise entretenait avec cette revue une relation exclusive de longue durée ; qu'ils prétendent que, par sa brutalité, son absence de justification objective et son caractère discriminatoire, la rupture des relations commerciales entre les deux entreprises serait constitutive d'un abus de position dominante et d'un abus de situation de dépendance économique ; qu'ils ont également fait valoir, en séance, que cette rupture pourrait avoir eu pour objet ou pour effet de favoriser une institution directement concurrente de la leur, qui entretiendrait des relations particulières avec les organes dirigeants de l'UNAPEL ;

Considérant que, pour démontrer que l'institution de Pierre Grise ne dispose pas de véritable solution alternative, les époux de Kéguelin font état du tirage très important de la revue " Famille et Education ", soit environ 800 000 exemplaires, comparativement aux autres revues mentionnées par la partie adverse dans ses observations, qui, en outre, ne ciblent pas le même lectorat ;

Considérant, en tout état de cause, que, s'il existe d'autres revues qui s'adressent aux parents d'élèves et s'il est envisageable d'atteindre cette cible par d'autres moyens que des revues qui leur sont spécialement consacrées, il résulte des indications fournies par M. et Mme de Kéguelin en séance, et non sérieusement contredites, que le tirage des autres revues destinées aux parents d'élèves est généralement beaucoup plus faible et que leurs tentatives pour utiliser d'autres médias se sont soldées par des échecs ;qu'à ce stade de la procédure, il ne peut donc être exclu qu'existe un marché spécifique de la publicité destinée aux parents d'élèves de l'enseignement privé sur lequel la revue " Famille et Education " détiendrait éventuellement une position dominante, compte tenu de l'adhésion de très nombreux parents aux associations de parents d'élèves elles-mêmes membres de l'UNAPEL, ou encore que les époux de Kéguelin se trouveraient en situation de dépendance économique vis-à-vis de cette revue ;qu'à l'appui de cette dernière hypothèse, les époux de Kéguelin ont, d'ailleurs, fait valoir en séance que le nombre de demandes de dossiers de renseignements pour les cours de rattrapage d'été avait été divisé par dix en un an, c'est-à-dire depuis la suspension de leur annonce ;

Considérant, en ce qui concerne la qualification des pratiques dénoncées, qu'à ce stade de la procédure, la justification du refus de continuer à publier les annonces publicitaires de l'institution de Pierre Grise apparaît peu claire ;qu'en effet, outre le fait que deux explications ont été successivement fournies aux époux de Kéguelin, il convient de mentionner les termes d'un éditorial paru dans le numéro d'avril/mai 2000 de " Famille et Education "et signé par M. Eric de Labarre, président de l'UNAPEL, selon lesquels : " Nous veillerons à l'avenir à ce que la règle que nous avions fixée de ne pas publier d'annonces pour les scolarités complètes dans le premier et second degré assurées par des établissements hors contrat avec l'Etat soit rigoureusement appliquée par la régie publicitaire de Famille et éducation. Les ordres de réservation passés au premier trimestre par les établissements concernés seront honorés mais il n'en sera pas pris de nouveau " ; qu'ainsi, ce serait pour des raisons de principe que les annonces litigieuses n'auraient pas été passées ; qu'il est, cependant, apparu en séance que l'institution de Pierre Grise ne proposait pas de cours complets puisque, depuis 1997, l'établissement ne se livrait qu'aux trois activités suivantes : cours de vacances pour un soutien scolaire, centre de vacances sports et loisirs, activités pédagogiques et créatives (jeux) ; que cette situation semblait devoir éviter à l'institution de Pierre Grise de tomber sous le coup de la règle mentionnée par cet éditorial ; que, par ailleurs, le représentant de la société " Famille Educatrice " a indiqué en séance que le refus de publier les annonces litigieuses provenait d'une erreur qui était d'ailleurs en cours de rectification et qui aurait pu provenir de ce que les annonces de l'institution de Pierre Grise n'indiquaient pas assez clairement que cet établissement ne proposait pas de scolarité complète ;

Considérant qu'entre le mois de mai 1999 et le mois de mai 2000, l'institut Bois Robert, qui, selon les déclarations non contestées des dirigeants de l'institution de Pierre Grise, est situé non loin de cette institution, offre une scolarité complète et des cours de soutien en période de vacances scolaires et qui est un établissement hors contrat avec l'Etat, a obtenu la publication d'annonces publicitaires dans la revue " Famille et Education ", ce qui, ajouté au caractère confus des explications fournies aux époux de Kergelin, introduit un doute sur le caractère objectif de la décision qui les a frappés et sur son objet réel ;

Considérant, par ailleurs, que la chute des inscriptions pour les cours de vacances de l'été 2000 conduit à ne pas exclure que les pratiques dénoncées aient eu un effet anticoncurrentiel ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'à ce stade de l'instruction, il n'est pas exclu que les pratiques dénoncées tombent sous le coup des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance susvisée ;

Sur la demande de mesures conservatoires :

Considérant qu'accessoirement à sa saisine, l'institution de Pierre Grise demande au Conseil de la concurrence, par application de l'article 12 de l'ordonnance précitée, de prononcer les mesures conservatoires suivantes :

- qu'il soit enjoint au directeur de la publication de " Famille et Education " et au directeur de la régie Publicat de suspendre immédiatement leur refus et d'insérer dans le numéro d'avril/mai 2000 de la revue Famille Educatrice la publicité de l'institution de Pierre Grise ;

- qu'il soit enjoint au directeur de ce magazine de cesser la publicité clandestine et de faire modifier le titre du magazine en substituant " magazine des parents d'élèves de l'enseignement catholique " à " magazine des parents d'élèves de l'enseignement libre " ;

Considérant qu'aux termes de l'article 12 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 : " Le Conseil de la concurrence peut, après avoir entendu les parties en cause et le commissaire du Gouvernement, prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées par le ministre chargé de l'Economie, par les personnes mentionnées au 2e alinéa de l'article 5 ou par les entreprises. Ces mesures ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante. Elles peuvent comporter la suspension de la pratique concernée ainsi qu'une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur. Elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence... " ;

Considérant qu'en séance, les époux de Kéguelin ont indiqué n'avoir reçu à ce jour que 50 demandes de documentation pour les cours de vacances de l'été 2000 contre 520 à la même époque en 1999 ; que cette situation serait, selon eux, la conséquence de l'absence de parution de leur annonce publicitaire dans la revue " Famille et Education " depuis le mois de mai 1999 ;

Mais considérant, d'une part, que le conseil de la SARL Famille Educatrice a fait état, au cours de la séance, d'un examen positif de la demande de publication de l'institution de Pierre Grise pour l'avenir dès lors qu'il apparaîtrait clairement qu'elle ne propose pas de scolarité complète ; que, d'autre part, les époux de Kéguelin ont, eux-mêmes, indiqué au Conseil qu'il était, en tout état de cause, trop tard pour redresser la situation en ce qui concerne les cours d'été 2000 ; que, dès lors, les mesures demandées ne sont pas nécessaires pour faire face à la situation que connaît l'entreprise saisissante ; qu'aucun élément du dossier ne permet de penser qu'une atteinte grave et immédiate serait portée aux intérêts du secteur intéressé ou à celui des consommateurs ;que la demande de mesures conservatoires ne peut donc qu'être rejetée,

DECIDE

Article unique : La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro M 260 est rejetée.