Conseil Conc., 20 avril 2004, n° 04-D-14
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Saisine de M. et Mme X, concernant un refus d'insertion d'annonces publicitaires
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de Mme Bleys, par M. Jenny, vice-président, présidant la séance, Mme Pasturel, M. Nasse, vice-présidents.
Le Conseil de la concurrence (formation permanente),
Vu la lettre enregistrée le 29 février 2000, sous le numéro F 1220-M 260, par laquelle M. et Mme X, directeurs de l'institution d'enseignement privé "Pierre Grise", ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société d'édition "Famille Educatrice" et sa régie, la société Publicat, qu'ils estiment contraires aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce ; Vu le livre IV du Code de commerce, le Décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 et le Décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu la décision n° 00-MC-06 du 18 mai 2000 par laquelle le Conseil a rejeté la demande de mesures conservatoires de M. et Mme X; Vu la lettre en date du 25 novembre 2003, par laquelle la présidente du Conseil de la concurrence a informé les parties que la présente affaire serait examinée sans établissement d'un rapport, en application de l'article L. 463-3 du Code de commerce ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par M. X, directeur de Pierre Grise, la société d'édition "Famille Educatrice" et le commissaire du Gouvernement ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, les représentants de l'Institution de Pierre Grise et de la société d'édition "Famille Educatrice", entendus au cours de la séance du 24 février 2004 ; Adopte la décision suivante :
I - Constatations
A - LE SECTEUR
1. Environ deux millions d'élèves sont scolarisés dans des établissements d'enseignement privé, qu'il s'agisse d'écoles sous contrat d'association avec l'Etat ou d'écoles hors contrat.
2. Les établissements privés hors contrat, beaucoup moins nombreux que les établissements sous contrat d'association avec l'Etat, sont inscrits auprès du ministère de l'Education nationale mais ne subissent aucun contrôle pédagogique et sont libres dans l'organisation des études. Leur création est soumise à une déclaration préalable auprès du maire de la commune d'implantation, du Procureur de la République, du recteur d'académie et enfin du préfet. Les enseignants ne sont pas tenus d'être titulaires des diplômes et concours requis pour enseigner dans l'enseignement public et privé sous contrat. Les frais sont en totalité à la charge des familles (rémunération des professeurs, entretien des locaux et frais de fonctionnement).
1. L'INSTITUTION PIERRE GRISE
3. L'institution Pierre Grise est un établissement privé d'enseignement général, hors contrat, relevant des lois Falloux et Gobelet et entièrement indépendant de la direction diocésaine de l'enseignement catholique du Maine-et-Loire.
4. L'activité de l'établissement (niveau primaire et secondaire) était fluctuante au moment de la saisine, ainsi que l'a indiqué le directeur :
années 1994/1995 : 31 internes,
années 1995/1996 : 3 ou 4 élèves et 1 instituteur,
septembre 1997 : abandon de la scolarité complète
maintien des cours de vacances jusqu'en septembre 1999 ; le nombre d'élèves assistant aux cours de vacances n'a pas été communiqué.
2. LES AUTRES ÉTABLISSEMENTS PRIVÉS DE LA RÉGION : L'INSTITUT DU BOIS ROBERT
5. Cet établissement, également privé hors contrat, d'une capacité d'accueil de 150 élèves maximum, est situé à environ vingt kilomètres de l'institution Pierre Grise. Il assure un enseignement secondaire de la classe de 6e à la terminale, en scolarité complète et en internat.
6. Le nombre d'élèves fréquentant l'établissement pour une scolarité complète a évolué dans une fourchette de 110 élèves en 1996 à environ 140 à partir de l'année 1998.
7. Parallèlement, l'établissement assure, depuis plusieurs années, des cours de soutien pendant toutes les vacances scolaires et des cours par correspondance, auxquels ont participé entre 500 et 600 élèves. Cet établissement est actionnaire de l'école Saint-Thomas, implantée à Rennes.
3. LA SARL FAMILLE EDUCATRICE ET LA REVUE "FAMILLE ET EDUCATION"
8. La SARL Famille Educatrice est une société d'édition dont la principale activité est l'édition de la revue Famille et Education.
9. Cette revue est un bimestriel, diffusé à 795 000 exemplaires, qui se qualifie lui-même de "magazine des parents d'élèves de l'enseignement libre" ou de "magazine de la famille nombreuse", publié sous l'égide de l'Union nationale des parents d'élèves de l'enseignement libre (UNAPEL) et dirigé par le secrétaire général de l'UNAPEL.
10. Aux termes d'un contrat de régie publicitaire signé le 1er juillet 1998 entre la société Famille Educatrice et la société Publicat, cette dernière société s'est vu concéder, en exclusivité, la recherche des annonceurs et la négociation des contrats d'insertions publicitaires dans la revue Famille et Education.
B - LES PRATIQUES RELEVEES
1. LE REFUS D'INSERTION D'ANNONCES
11. En juin 1999, la parution des annonces de Pierre Grise dans la revue Famille et Education a été brusquement suspendue, alors que la société Publicat venait de consentir à l'institution d'une réduction exceptionnelle de 40 % pour la diffusion d'annonces dans le numéro du mois de mai 1999, et lui avait communiqué ses nouveaux tarifs pour l'année 2000.
12. Interrogés par les directeurs de Pierre Grise sur les motifs de cet arrêt impromptu de publication, les responsables de la revue ont successivement avancé quatre motifs :
La SARL Famille Educatrice a d'abord justifié son refus de publication par la crainte que l'institution Pierre Grise ne connaisse des problèmes de sécurité, crainte étayée par la lecture du journal "Ouest France", qui avait annoncé la fermeture de l'établissement pour des raisons de sécurité. Les directeurs de Pierre Grise ont indiqué à leur interlocuteur que ces coupures de journaux se rapportaient à l'établissement précédent et que l'arrêté municipal de fermeture de l'école, pris en 1995, avait été ultérieurement annulé par la Cour administrative d'appel de Nantes. Une copie de l'avis de la Commission de sécurité de l'arrondissement de Segré, dont dépend l'institution Pierre Grise, donnant un avis favorable au fonctionnement de l'établissement situé à Andigné, délivré le 12 février 1999, a également été communiqué au directeur éditorial de Famille et Education.
La société d'édition s'est alors référée à sa liberté éditoriale, pour justifier le maintien de son refus d'insertion, l'article 6 du contrat passé avec sa régie publicitaire disposant à cet égard : "l'éditeur se réserve le droit de refuser les publicités qu'il estimerait contraires à ses intérêts matériels ou moraux".
La mauvaise qualité des prestations fournies par les établissements d'enseignement privés hors contrat, aux dires des parents d'élèves, a ensuite été avancée comme justification. Le directeur et le gérant de la société d'édition ont déclaré, dans un procès-verbal du 27 mai 2003 : "Sur la base d'appréciations négatives et plus particulièrement du mécontentement de parents concernant Pierre Grise et un autre établissement Les Lutins dans l'Yonne qui nous ont été transmises par les services régionaux d'information des familles et compte tenu de l'impossibilité de s'assurer de la qualité des prestations fournies du fait de leur statut hors contrat, il a été décidé de suspendre les publicités de ces deux établissements". Pour éviter d'être mis en cause pour des publicités de nature à tromper les lecteurs de la revue, le directeur éditorial a informé le directeur général de Publicat, le 24 février 2000, qu'il avait décidé d'exclure des annonceurs de Famille et Education, les établissements privés hors contrat proposant des scolarités complètes à l'année dans le premier et second degré, les insertions publicitaires pour les cours de vacances étant, quant à elles, toujours pratiquées.
13. Afin d'appliquer cette disposition, l'éditeur a demandé à Publicat de faire signer par l'annonceur, à compter de 1999, des ordres d'insertion au coup par coup, alors qu'auparavant, un ordre de publicité global était passé pour l'année entière. Le courrier en date du 1er juin 1999, intitulé "Historique du client - Institution Pierre grise", adressé par la régie Publicat au directeur de la revue Famille et Education, confirme ce changement : "Concernant les parutions publicitaires de l'année 1999 contrairement aux années précédentes, les ordres de publicité ont été signés au "coup par coup" avant chaque parution, il n'y a donc pas eu d'ordre global sur l'année et donc pas de rupture de contrat. Le client a simplement été prévenu par moi, par téléphone que l'éditeur ne souhaitait plus le voir passer de la publicité dans Famille et Education jusqu'à nouvel ordre."
14. Pour clarifier la position de la société d'édition, le président de l'UNAPEL a fait paraître un nota bene dans l'éditorial du numéro d'avril/mai 2000, expliquant les nouvelles règles désormais applicables pour les insertions d'annonces publicitaires dans la revue de la société Famille Educatrice : "Nous veillerons à l'avenir à ce que la règle que nous avions fixée de ne pas publier d'annonces pour les scolarités complètes dans le premier et second degré assurées par des établissements hors contrat avec l'Etat soit rigoureusement appliquée par la régie publicitaire de Famille et Education. Les ordres de réservation passés au premier trimestre par les établissements concernés seront honorés mais il n'en sera pas pris de nouveau".
Le représentant de la société Famille Educatrice, a, enfin, au cours de la séance d'examen de la demande de mesures conservatoires du Conseil de la concurrence, le 2 mai 2000, indiqué que le "refus de publier les annonces litigieuses provenait d'une erreur qui était d'ailleurs en cours de rectification et qui aurait pu provenir de ce que les annonces de l'institution de Pierre Grise n'indiquaient pas assez clairement que cet établissement ne proposait pas de scolarité complète". Il convient d'ajouter qu'au cours de la séance du Conseil du 24 février 2004, le conseil de la SARL Famille Educatrice a motivé le refus d'insertion par la décision de ne plus exécuter les ordres d'insertion des établissements privés hors contrat dispensant des cours à l'année.
2. L'ENGAGEMENT PRIS PAR LA SARL FAMILLE EDUCATRICE
15. Par lettre en date du 18 avril 2000, M. X avait demandé la parution, dans la revue Famille et Education, d'une publicité concernant le centre et les cours de vacances organisés au Château de Saint-Hénis, résidence de l'institution.
16. Au cours de la séance d'examen de la demande de mesures conservatoires devant le Conseil, la SARL Famille Educatrice s'était engagée, pour l'avenir, à reprendre les publications des annonces de Pierre Grise, dès lors qu'il était clair que cette institution ne proposait plus de scolarité complète à l'année.
17. En l'absence de réponse à son courrier du 18 avril 2000, M. X a contacté la société Famille Educative le 11 mai 2000 "Le 18 avril, j'ai envisagé d'insérer dans le prochain numéro de Famille et Education deux publicités, dont l'une sur le cours de vacances. Vous deviez me tenir informé de la décision du directeur éditorial. A ce jour, je n'ai toujours pas reçu de réponse pour le cours de vacances. Je conclus que la revue refuse toujours ce type d'annonce. Or, les deux publicités sont un tout, la plus importante étant celle du cours de vacances. Sans celle-ci, l'autre n'a pas d'impact. En conséquence, je renonce à faire paraître une publicité sur le centre dans le prochain numéro".
18. Par courrier du 24 mai 2000, la régie publicitaire a précisé que Famille et Education donnait un avis favorable à la publication des annonces concernant l'institution de Pierre Grise et a demandé à Pierre Grise confirmation de sa commande.
19. Cette demande de confirmation a été renouvelée, le 29 mai 2000, par télécopie : "Pour faire suite au courrier de M. Y... du 24 mai 2000, vous est-il possible de me confirmer ou de m'infirmer votre participation dans le numéro de Famille et Education de juin/juillet/août pour 1 page + 1/8ème de page ?".
20. Sans réponse de l'institution Pierre Grise, la société Publicat a informé le directeur de cet établissement, par télécopie, qu'elle prenait acte de sa décision de ne pas donner suite à sa demande d'insertion publicitaire dans le numéro de juin/juillet/août 2000.
21. Le directeur de Pierre Grise conteste ce schéma explicatif ; il verse aux débats une série de courriers s'étalant du 12 mai 2000 au 28 juillet 2000, adressés par télécopies à Publicat ou à la SARL Famille Educatrice, faisant état de son souhait de voir ses annonces publiées et ne semblant attendre que l'autorisation de Famille Educatrice.
22. Il est dès lors impossible de déterminer, au vu des pièces du dossier, si la non-exécution, par la société Famille Educatrice, de son engagement pris devant le Conseil de la concurrence de reprendre la publication des annonces de Pierre Grise, est imputable au désintérêt de Pierre Grise, ainsi qu'il est allégué par Famille Educatrice, ou à la mauvaise volonté de Famille Educatrice.
3. LES PRATIQUES DISCRIMINATOIRES
23. Lors de son audition du 19 mai 2000, le directeur de l'institution de Pierre Grise a déclaré : "Le refus d'insertion de nos publicités dans la revue Famille et Education à partir de juin 1999 a été probablement suscité par notre concurrent direct Bois Robert soucieux d'éliminer un concurrent dont la publicité en couleur plus plaisante rencontrait un très grand succès auprès des parents, situation qui le chagrinait... 20 ans auparavant il avait tenté et réussi cette interdiction dans cette revue au moment où l'on installait l'école dans une nouvelle demeure à Noyant". Il tire sa conviction du fait que plusieurs annonces publicitaires au profit de l'institut Bois Robert et d'autres établissements privés hors contrat, sont parues postérieurement au refus qui lui avait été opposé par la SARL Famille Educatrice et à la parution de l'éditorial du Président de l'UNAPEL, alors que ces établissements dispensaient des cours à l'année :
N° 426 juin/juillet 2000 : "Scolarité à l'année en internat 6ème à Terminale. Stages pendant les vacances" ;
N° 440 nov/déc 2002 : "Soutien scolaire", "Internat à l'année", "Votre enfant est encadré selon les besoins, de façon ponctuelle ou pendant toute l'année, à distance ou sur notre site" ;
N° 442 fév/mars 2003 : le nom de l'établissement "Institut Bois Robert" est suivi de la mention "internat à l'année". Se trouve également dans ce numéro, une insertion de "Ternac - Internat mixte permanent de la 6ème aux Terminales".
24. La société Famille Educatrice explique que la décision de ne pas insérer d'annonces pour des scolarités complètes dispensées dans des établissements d'enseignement privé hors contrat n'a pas été appliquée immédiatement pour les autres annonceurs, du fait que "des ordres de réservation étaient déjà passés pour la période avril/mai et juin/juillet/août 2000 pour Bois Robert, Tersac et le Perreux", comme cela est mentionné dans le courrier du 8 juin 2000 adressé par la régie Publicat à la société d'édition.
25. Ces indications n'expliquent pas pourquoi les insertions publicitaires pour l'institution Bois Robert "internat à l'année" ont continué en 2001, 2002 et 2003. L'argument des dirigeants de la société d'édition, selon lequel "la mention internat permanent ou internat permanent à l'année relevée par M. Xest tolérée dans la mesure où elle reste très discrète et ne constitue pas l'essentiel du message publicitaire", est peu convaincant.
C - LES GRIEFS NOTIFIES
26. Sur la base des constatations qui précèdent, a été notifié à la SARL Famille Educatrice le grief "d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché de la presse distribuée aux parents d'élèves, pour mettre en œuvre des pratiques discriminatoires anticoncurrentielles au détriment de l'Institution Pierre Grise".
II - Discussion
A. SUR LA DÉFINITION DU MARCHÉ PERTINENT ET LA POSITION DOMINANTE DE LA REVUE "FAMILLE ET EDUCATION"
27. La société "Famille Educatrice" ne conteste pas que les pratiques en cause se soient déroulées sur le marché confrontant la demande d'insertions publicitaires émanant des établissements d'enseignement privés et l'offre de supports publicitaires des magasines destinés aux parents d'élèves.
28. Sur ce marché, la société Famille Educatrice considère les revues suivantes comme aptes à fournir les mêmes services aux annonceurs qu'elle-même :
La revue des Parents, magazine bimestriel, diffusée à environ 300 000 exemplaires,
Parents et enfants, le supplément du journal La Croix,
Le Monde de l'Education, mensuel diffusé à environ 60 000 exemplaires,
La Lettre des Parents, mensuel distribué aux parents d'élèves du public et du privé,
La voix des parents, bimestriel diffusé à environ 80 000 exemplaires,
L'étudiant et le Guide des écoles privées,
L'école des Parents : 10 numéros par an diffusés à 14 200 exemplaires,
Top Famille : mensuel diffusé à environ 140 000 exemplaires,
Famille Chrétienne : hebdomadaire diffusé à 70 000 exemplaires,
Le Monde de l'Education,
Le Pèlerin.
29. La revue Famille et Education, avec 795 000 exemplaires, bénéficie d'un tirage beaucoup plus élevé que celui des revues concurrentes et, en conséquence, se trouve en position de force sur le marché pertinent, d'autant plus que certains de ses concurrents sont distribués localement, ce qui réduit leur impact potentiel sur le lectorat.
30. La revue bénéficie du "label UNAPEL", qui figure de façon très visible sur sa couverture et qui lui offre un avantage concurrentiel certain par rapport aux autres revues. Elle revendique l'appellation de "magazine des parents de l'enseignement libre". Les observations présentées en défense par la SARL Famille Educatrice utilisent le terme de "revue de l'UNAPEL" pour la qualifier. L'instruction a, par ailleurs, montré que cette revue est automatiquement proposée aux parents dont les enfants sont inscrits en institution catholique.
31. Le Conseil a déjà constaté, dans sa décision n° 00-MC-06 du 18 mai 2000, "que le tirage des autres revues destinées aux parents d'élèves est généralement beaucoup plus faible et que leur tentatives (celle des directeurs d'institutions privées hors contrat) pour utiliser d'autres médias se sont soldées par des échecs".
32. L'importance de la revue Famille et Education a été confirmée par le directeur général de l'Institut Bois Robert, dans son audition du 29 janvier 2003 : "Les moyens utilisés pour faire connaître notre établissement sont le bouche à oreille, les réseaux divers : chefs d'établissement, centre d'orientation et de documentation, anciens élèves, parents. Il existe aussi des supports plus traditionnels : les mailings, l'affichage, la publicité classique (presse, radios). Pour la presse spécialisée, les supports sont très peu nombreux et "Famille et Education" est en situation quasi-monopolistique du fait de sa diffusion, du fait de l'attachement de son lectorat (abonnement proposé aux familles dont les enfants sont scolarisés dans l'enseignement catholique primaire et secondaire).Il y a eu d'autres tentatives de supports qui ont échoué très rapidement. Il existe deux autres supports spécialisés : un diffusé sur Paris (La Lettre des Parents), l'autre attaché à l'enseignement public (La voix des parents)". Le directeur de l'établissement de Tersac reconnaît, dans un courrier daté du 13 juin 2001, qu'il s'agit du "support publicitaire le plus important" et qu'une insertion publicitaire dans cette revue ou un refus d'insertion a un impact considérable sur les demandes de renseignements de parents adressées à l'établissement scolaire.Le directeur de l'école Saint-Thomas de Rennes, dans un courrier adressé le 26 mars 2001 au directeur de "Famille et Education" en réponse à un refus d'insertion de ses publicités dans les colonnes de la revue, demandait à ce dernier de revenir sur sa décision en ces termes : "Vous savez que vous êtes notre seul support publicitaire national et la fermeture définitive de vos colonnes à nos publicités, en même temps qu'elle priverait les familles d'une information souvent salvatrice, équivaudrait à la mort lente de nos institutions qui restent le dernier recours d'enfants en détresse".
33. En conséquence, la SARL Famille Educatrice occupe une position dominante sur le marché des espaces publicitaires pour les établissements d'enseignement privé dans la presse spécialisée.
B. SUR LES PRATIQUES DISCRIMINATOIRES
34. Il est constant que bien que la société d'édition n'accepte désormais de publier les annonces d'écoles privées hors contrat que pour des cours de vacances, elle a continué à diffuser les annonces d'établissements hors contrat dispensant des cours à l'année, en 2000, 2001, 2002 et 2003, au profit de l'institut Bois Robert et de l'école de Ternac, ces annonces comportant, selon le cas les mentions "internat à l'année", "internat permanent", "scolarité à l'année en internat", "pendant toute l'année" (voir paragraphes 23 à 25). Aucune explication plausible n'a été fournie, ni au cours de l'instruction ni au cours de la séance devant le Conseil, de nature à expliquer le traitement discriminatoire appliqué à l'institution Pierre Grise.
35. Par ailleurs, les autres motifs successivement avancés pour justifier la rupture des relations commerciales avec l'institution Pierre Grise (voir paragraphes 12 à 14) sont contradictoires et ne sont nullement étayés par les pièces du dossier.
36. Dès lors, en refusant sans motif valable de publier dans sa revue Famille et Education les annonces de cours de vacances de l'institution Pierre Grise, la SARL Famille Educatrice s'est rendue coupable d'une pratique discriminatoire.
C. SUR LES EFFETS DES PRATIQUES
38. Le marché susceptible d'être affecté par la pratique discriminatoire est le marché national de l'enseignement privé (primaire et secondaire) hors contrat, qui compte environ 200 établissements, inégalement répartis sur le territoire accueillant environ 20 000 étudiants. En effet, il résulte des lettres de parents d'élèves versées aux débats par M. X, que la demande de parents d'élèves s'adressant à l'institution Pierre Grise s'étend au-delà de sa région proche et provient de toute la France (Saint-Germain en Laye, Paris, Les Ulis, Elancourt, Boutigny, Baden).
39. A supposer même que le refus d'insertion des encarts publicitaires de l'institution Pierre Grise ait eu pour but de l'évincer du marché national de l'enseignement privé hors contrat, il n'est pas démontré que cette pratique ait effectivement entraîné la disparition de l'établissement, les conditions dans lesquelles celui-ci a fermé n'étant pas clairement explicitées et paraissant, de prime abord, étrangères aux pratiques en cause.
40. A supposer même un lien de causalité démontré entre la pratique discriminatoire et la fermeture de Pierre Grise, son impact sur le marché national de l'enseignement privé hors contrat serait, en tout état de cause, encore très limité, compte tenu du nombre d'établissements sur le marché national (200) et du petit nombre d'élèves ayant fréquenté l'institution (100 élèves, selon les déclarations du directeur de Pierre Grise, sur 20 000 élèves de l'enseignement privé hors contrat).
41. Pour tous ces motifs, la pratique discriminatoire ne pouvait avoir pour objet ou pour effet de fausser la concurrence sur ce marché. Dès lors, il n'est pas établi que cette pratique soit prohibée par l'article L. 420-2 du Code de commerce.
DECISION
Article unique : Il n'est pas établi que la société "Famille Educatrice" a enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.