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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 12 février 2004, n° 2002-01279

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Exbanor (SA)

Défendeur :

Patrigeon

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Main

Conseillers :

MM. Faucher, Remenieras

Avoués :

SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, Me Ribaut

Avocats :

Mes Cormont, Le Borgne.

T. com. Melun, du 19 nov. 2001

19 novembre 2001

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Exbanor, société anonyme, contre le Jugement rendu le 19 novembre 2001 par le Tribunal de commerce de Melun qui, au visa de l'article L. 134-13-2° du Code de commerce, l'a condamnée à payer à Monsieur Roger Patrigeon la somme de 36 726 F, avec les intérêts au taux légal à compter de l'assignation, ce avec exécution provisoire, ainsi que la somme de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a mis les dépens à sa charge, déboutant les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Monsieur Patrigeon était agent commercial de la société Exbanor depuis 1993. Par courrier recommandé avec demande d'avis de réception daté du 31 mai 1996, invoquant le fait qu'il était âgé de plus de 60 ans, de sorte qu'on ne pouvait plus raisonnablement exiger de lui la poursuite de son activité, il a notifié à sa mandante sa décision de cesser l'exécution de son mandat le 30 septembre 1996. Par acte du 28 août 2000 il a assigné la société Exbanor en paiement de l'indemnité compensatrice prévue par l'article 12 de la loi du 25 juin 1991, devenu l'article L. 134-12 du Code de commerce.

Par le jugement déféré le tribunal a fait droit à sa demande.

Aux termes de ses uniques écritures, signifiées le 26 février 2002, l'appelante soutient pour l'essentiel que Monsieur Patrigeon ne peut prétendre à l'indemnité prévue par le Code de commerce, dès lors qu'il a pris l'initiative de la rupture, qu'il ne justifie pas de ce qu'il ne pouvait plus raisonnablement être exigé de lui, en raison de son âge ou d'une maladie, la poursuite de son activité, la seule circonstance qu'il était âgé de plus de 60 ans étant insuffisante à cet égard, cependant que les certificats médicaux ont été établis après la cessation des relations contractuelles et pour les besoins du procès et ne peuvent donc démontrer a posteriori un état de santé déficient qui n'était pas invoqué dans le courrier de rupture.

La société Exbanor demande donc à la cour, infirmant la décision déférée, de débouter Monsieur Patrigeon de ses demandes en ce qu'il ne justifie pas que la poursuite des relations contractuelles ne pouvait plus raisonnablement être exigée de lui ou, subsidiairement, en ce qu'il ne rapporte la preuve d'aucun préjudice réel, non plus que de l'apport ou du développement d'une clientèle, plus subsidiairement encore de réduire le montant, manifestement excessif, de l'indemnité réclamée par Monsieur Patrigeon et, en toute hypothèse, de condamner celui-ci à lui payer 1 525 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens.

Monsieur Roger Patrigeon, intimé, prie la cour, par ses dernières écritures, signifiées le 3 septembre 2002, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré et de condamner l'appelante à lui payer 2000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens. Par conclusions du 5 février 2002, il avait sollicité la capitalisation, à compter de cette date, des intérêts alloués par la décision déférée mais cette demande n'a pas été reprise dans ses dernières écritures et doit donc être réputée abandonnée en application de l'article 954 du nouveau Code de procédure civile.

Cela étant exposé,

Considérant qu'il résulte de l'article 13 de la loi du 25 juin 1991, devenu l'article L. 134-13 du Code de commerce, que n'a pas droit à l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, prévue par l'article 12 de la loi précitée, devenu l'article L. 134-12 du Code de commerce, en faveur de l'agent commercial en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial dont l'initiative est à l'origine de cette cessation, à moins que celle-ci ne soit "justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie, par suite desquelles la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée";

Considérant que Monsieur Patrigeon soutient qu'ayant atteint l'âge de 60 ans le 15 juin 1993, ainsi qu'il le faisait valoir dans sa lettre du 31 mai 1996 notifiant à sa mandante sa décision de cesser son activité au 30 septembre 1996 et ayant de surcroît une santé fragile, puisqu'il a subi en décembre 1997 une intervention chirurgicale cardiaque (triple pontage aorto-coronaire), sa situation entrait dans les prévisions de l'article L. 134-13-2° précité, ouvrant droit à l'indemnité compensatrice nonobstant la circonstance que l'agent a pris lui-même l'initiative de la rupture;

Mais considérant que, dans la lettre de rupture susvisée, Monsieur Patrigeon s'est borné à invoquer son âge, sans aucune mention d'un état de santé déficient;qu'il était alors âgé de près de 63 ans ;que contrairement à ce qu'énonce la décision critiquée, la seule circonstance que cet âge était supérieur à 60 ans, âge de départ à la retraite de droit commun pour les salariés, ne dispense pas Monsieur Patrigeon de l'obligation de démontrer qu'en l'espèce cet âge ne permettait plus d'exiger raisonnablement de lui la poursuite de son activité et justifiait par là la cessation du contrat;qu'une telle démonstration n'est pas faite, alors que, sauf circonstances particulières, dont la preuve n'est pas rapportée, un agent commercial âgé de 63 ans peut poursuivre son activité;que certes, à cet âge, un état de santé déficient ou fragile aurait pu justifier la cessation de cette activité;mais que Monsieur Patrigeon n'a pas invoqué une telle circonstance lorsqu'il a notifié la rupture ;que la preuve d'un état de santé déficient ou fragile ou d'une maladie à la date de la rupture ne peut résulter des certificats médicaux produits, dès lors que le certificat établi par le docteur Noël est daté du 28 novembre 1996, soit 6 mois après la lettre de rupture et 2 mois après la cessation des relations contractuelles et se borne à énoncer que l'état de santé de Monsieur Patrigeon "a contre-indiqué toute activité professionnelle à partir du 1er octobre 1996", alors que rien ne permet d'affirmer que cette contre-indication, opportunément fixée rétroactivement au lendemain de la cessation du contrat d'agence, était prévisible au jour où la rupture a été notifiée, cependant que le certificat du Docteur Christine Mathieu-Roleau, daté du 5 juin 1998, mentionne que Monsieur Patrigeon "est atteint d'une coronaropathie compliquée en décembre 97 d'un infarctus du myocarde latéral" ayant nécessité une revascularisation au moyen d'un triple pontage, ce dont on ne peut déduire avec certitude que Monsieur Patrigeon était déjà atteint en mai 1996 de l'affection révélée par l'accident survenu un an et demi plus tard et en avait connaissance bien qu'il n'en eût pas fait état, alors que c'est du jour où l'agent prend l'initiative de rompre le mandat ou, au plus tard, à la date d'effet de cette rupture que doivent exister les circonstances d'âge ou de maladie justifiant la cessation du contrat, selon les dispositions de l'article L. 134-13-2° précitées du Code de commerce, étant précisé que, si elles n'existent qu'à la date ou la cessation a pris effet, elles doivent avoir été prévisibles à la date où elle a été notifiée;

Considérant qu'il suit de là que Monsieur Patrigeon ne peut prétendre à l'indemnité compensatrice qu'il réclame ; qu'il sera en conséquence débouté de ses demandes et condamné à supporter les dépens ainsi qu'à payer à l'appelante, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la somme de 750 euros;

Par ces motifs: Infirme le jugement attaqué et, statuant à nouveau, Déboute Monsieur Roger Patrigeon de l'ensemble de ses demandes; Le condamne à payer à la société Exbanor 750 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Le condamne aux dépens de première instance et d'appel et admet la SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, avoué au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.