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Décisions

CA Bordeaux, 3e ch. corr., 10 février 1998, n° 97000224

BORDEAUX

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Leotin

Avocat général :

M. Defos du Rau

Conseillers :

Mmes Robert, Gounot

Avocat :

Me Biais.

TGI Bordeaux, du 25 nov. 1996

25 novembre 1996

Faits

Par acte en date du 2 décembre 1996 reçu au secrétariat-greffe du Tribunal de grande instance de Bordeaux le Ministère public a relevé appel d'un jugement contradictoire rendu par ledit tribunal le 25 novembre 1996 à l'encontre de C Jean-Claude poursuivi comme prévenu:

- d'avoir sur le territoire national entre le 1er janvier 1992 et le 30 juin 1993, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur l'origine du vin vendu en indiquant qu'il s'agit d'un produit de France alors que sur 127 985 hectolitres de vins mousseux, seulement un volume de 26 164 hectolitres s'avérait constitué de vins français.

Faits prévus par art. L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimés par art. L. 121-6, L. 213-1 du Code de la consommation, art. L. 121-4 du Code de la consommation.

- d'avoir sur le territoire national entre le 1er janvier 1992 et le 30 juin 1993, sciemment apposé sur des emballages caisses... de produits détenus en vue de la vente, une indication de nature à faire croire que le produit est d'origine française, en l'espèce apposé la mention "Produit de France" sur des caisses de vins mousseux alors qu'il s'agit en majeure partie de vins espagnols et italiens.

Loi du 26 mars 1930.

Faits prévus par art. L. 217-6 du Code de la consommation et réprimés par art. L. 213-1, L. 217-6 du Code de la consommation.

LE TRIBUNAL:

Sur quoi,

Madame le Président a informé les parties présentes que l'affaire était mise en délibéré à l'audience publique du 10 février 1998,

Et, à l'audience de ce jour, Madame le Président a donné lecture de la décision suivante:

Attendu que l'appel interjeté le 02.12.1996 par le Ministère public à l'encontre du jugement rendu le 25 novembre 1996 par le Tribunal de grande instance de Bordeaux qui a relaxé Jean-Claude C des fins de la poursuite, est recevable pour avoir été déclaré dans les forme et délai légaux.

Attendu que le Ministère public a requis la réformation du jugement et le prononcé d'une peine d'amende de 50 000 F outre la publication de la décision, en faisant valoir que la mention "Produit de France" portée sur les étiquettes de vins mousseux et sur les emballages était de nature à induire en erreur le consommateur, dans la mesure où les vins mis en œuvre en France provenaient pour plus de 80 % d'Espagne et d'Italie.

Attendu que Monsieur C, assisté de son conseil, a demandé de confirmer le jugement déféré qui l'a relaxé des fins de la poursuite, en faisant observer:

- qu'aucune infraction ne peut être relevée pour la période antérieure au 30 août 1992, le règlement 3309-85 étant inapplicable en raison de ses imprécisions, et ayant été abrogé par le règlement 2333-92 du 13 juillet 1992,

- que le règlement du 13 juillet 1992 interdit seulement l'association du nom d'un Etat membre avec la dénomination de vente, lorsque le pays d'élaboration est différent de celui où les raisins ont été récoltés et vinifiés,

- que la théorie de l'ouvraison substantielle permet d'utiliser la mention "Produit de France" pour les vins mousseux élaborés en France à partir de vins étrangers, le produit étant transformé selon un savoir-faire français,

- que les termes "Produit de France" sont synonymes des termes "Produit en France" et "Elaboré en France" préconisés par la Fédération Syndicale pour l'étiquetage.

- que les termes "Produit-France" autorisés par la DGCCRF sur les emballages ne sont pas différents de ceux qui étaient utilisés : "Produit de France",

- que la mention "Produit de France" est exigée pour l'exportation, afin de désigner le pays d'origine,

- que les deux infractions poursuivies recouvrent en réalité une seule et même infraction, s'agissant de la même mention,

- que les emballages n'étant pas destinés aux consommateurs, ceux-ci ne peuvent avoir été induits en erreur par les mentions y figurant.

Motivation

Attendu qu'à la suite d'investigations réalisées à la Sorevi à Merignac, par la DGCCRF, révélant que des vins mousseux, étaient offerts à la vente sous un étiquetage et dans des emballages portant la mention "Produit de France", alors que le vin mis en œuvre en France, provenait à plus de 80 % d'Espagne et d'Italie, un procès-verbal a été dressé à l'encontre de Monsieur C le 20 avril 1994 ;

Qu'il lui est reproché un non-respect de la réglementation européenne, dont la violation est constitutive du délit de publicité de nature à induire en erreur sur l'origine des vins et du délit de tromperie sur l'origine des produits offerts à la vente.

Attendu que sur la base de ce procès-verbal, Monsieur C est poursuivi pour avoir contrevenu entre le 1er janvier 1992 et le 30 juin 1993, aux articles L. 121-1 et L. 217-6 du Code de la consommation.

Attendu que dans son procès-verbal, le DGCCRF se fonde sur l'article 6-9 du règlement communautaire 2333-92 du Conseil, en date du 13 juillet 1992, pour reprocher à Monsieur C l'utilisation des termes "Produit de France" sur les étiquettes des vins mousseux et sur les emballages des bouteilles.

Attendu que si le règlement du 13 juillet 1992, applicable à compter du 1er septembre 1992, abroge le règlement antérieur n° 3309-85, la déduction du prévenu, selon lequel aucune infraction ne peut lui être imputée pour la période antérieure au 31 août 1992, est erronée dans la mesure où l'article 6-8 du règlement de 1985 contenait une disposition identique à celle de l'article 6-9 du règlement du 13 juillet 1992.

Attendu que les articles 6-8 du règlement de 1985 et 6-9 du règlement de 1992 interdisent la désignation d'un Etat membre ou d'un pays tiers, par l'emploi du nom de cet Etat ou de son adjectif dérivé, combiné avec la dénomination de vente visée à l'article 5-2, sauf si le produit est exclusivement issu des raisins récoltés et vinifiés dans un pays identique à celui de l'élaboration.

Attendu que l'interdiction posée par ces textes concerne exclusivement le cas où la dénomination de vente, visée à l'article 5-2, soit "Vins Mousseux" est associée au nom du pays d'élaboration, c'est-à-dire immédiatement suivie de ce nom, lorsque la totalité des vins, mis en œuvre pour la fabrication des mousseux, ne proviennent pas de ce pays. Que dès lors, si l'utilisation des mentions "Vin mousseux de France" et "Vin mousseux français" suppose, en vertu de la réglementation européenne, une origine française des raisins et de leur vinification, la mention "Produit de France" apposée sur la même étiquette, mais non associée à la dénomination de vente "Vin mousseux" ne constitue pas une transgression des articles 6-8 du règlement de 1985 et 6-9 du règlement de 1992.

Attendu cependant que les poursuites engagées contre Monsieur C le sont non pas sur la base des textes de droit européen même si ceux ci constituent un élément déterminant de l'établissement du procès-verbal, mais en vertu de la réglementation nationale, contenue dans les articles L. 121-1 et L. 217-6 du Code de la consommation, visés dans la citation. Que sa culpabilité doit dès lors être appréciée au regard des éléments constitutifs des infractions visées par ces textes et à la lumière de l'esprit ayant animé les rédacteurs des textes tant nationaux que communautaires.

Attendu que l'élément matériel du délit de publicité mensongère est constitué par l'existence d'une publicité, pouvant être réalisée par l'intermédiaire des étiquettes sur les bouteilles ou des emballages de nature à induire le consommateur en erreur sur l'origine du produit.

Attendu que l'élément matériel du délit de tromperie sur l'origine suppose une indication quelconque sur les produits destinés à la vente, de nature à faire croire à une origine différente de l'origine réelle.

Attendu que les deux délits imputés au prévenu, impliquent dès lors un élément matériel commun consistant en l'existence d'une tromperie sur l'origine des produits. Que les deux délits supposent en outre l'existence d'un élément intentionnel.

- Sur l'élément matériel:

Attendu que l'origine d'un produit peut avoir plusieurs significations : un lieu de production avec des matières premières du cru, un lieu de fabrication avec des matières premières en provenance d'un autre pays, un lieu de transformation, un lieu d'assemblage de matières fabriquées dans un autre pays.

Attendu que la théorie de l'ouvraison substantielle, avancée par le prévenu pour prétendre avoir le droit d'utiliser les termes "Produit de France" pour un mousseux élaboré en France à partir de vins provenant en grande majorité de l'étranger, est une notion utilisée en droit douanier français (Code des douanes et Arrêté du 18 janvier 1968) et en droit douanier européen (règlement CEE 2913-92) destinée à déterminer l'origine d'une marchandise dans la production de laquelle sont intervenus plusieurs pays, celle-ci étant considérée comme originaire du pays dans lequel a eu lieu la dernière transformation substantielle ayant abouti à la fabrication d'un produit nouveau. Que cette notion extensive de l'origine d'un produit est cependant limitée tant en législation qu'en jurisprudence, à la matière de la législation douanière et n'a jamais été étendue au droit de la consommation, dans lequel la notion d'origine est plus restrictive et précise, afin de protéger le consommateur contre les mentions de nature à l'induire en erreur.

Attendu qu'en effet, si le règlement Communautaire du 13 juillet 1992 n'exige la mention du pays de provenance des vins servant à la fabrication du mousseux, que dans l'hypothèse où il s'agit de vins de pays tiers par rapport à la CEE (articles 3-4 et 5-2 e) et non lorsqu'il s'agit de vins de pays de la CEE, il faut cependant remarquer que l'article 4 n'autorise de mentions facultatives qu'à la condition qu'elles ne soient pas susceptibles de créer un risque de confusion. Qu'en outre, le préambule du règlement met l'accent sur le caractère essentiel des facteurs naturels et techniques intervenant dans la culture de la vigne et dans la vinification, la qualité du mousseux n'étant pas liée à sa seule méthode d'élaboration, mais tenant au milieu géographique de culture des raisins (terrain, ensoleillement) ainsi qu'aux règles de culture et vinification.

Attendu que le règlement Communautaire de 1992 rejoint dès lors, dans l'esprit de ses rédacteurs, les exigences traditionnelles du droit interne français en matière viticole, en particulier la précision des exigences sur l'origine des raisins et des vins, afin d'informer complètement le consommateur.

Attendu que la mention "Produit de France" utilisée par le prévenu tant sur les étiquettes de bouteilles que sur les emballages, dont la photocopie est produite au dossier, est de nature à induire le consommateur en erreur et constitue une tromperie sur l'origine du produit à l'égard de l'acheteur même s'il s'agit d'un intermédiaire. Qu'en effet, les termes "Produit de France" impliquent une fabrication en France avec des matières du cru et ne sont pas synonymes des termes "Produit en France" ou "Elaboré en France", préconisés dans le guide de l'étiquetage des mousseux, édité par la Fédération Nationale des Syndicats Régionaux au Négoce des Vins de France, termes impliquant seulement une transformation en France des vins en mousseux. Que la traduction anglaise de ces expressions est d'ailleurs particulièrement significative "Produit de France" étant équivalent de "Produce of France", alors que "Produit en France" est celui de "Made in France".

- Sur l'élément intentionnel:

Attendu que les délits de publicité de nature à induire en erreur et de tromperie sur l'origine supposent, outre l'élément matériel, l'existence d'un élément intentionnel conformément à l'article 121-3 du Code pénal.

Que l'élément intentionnel n'implique cependant pas la preuve d'une volonté de tromper le consommateur, la simple connaissance de l'inexactitude de la mention relative au lieu d'origine du produit étant suffisante. Qu'en l'espèce, Monsieur C en sa qualité de professionnel, connaissait l'origine des vins mis en œuvre par lui, qui provenaient à 80 % d'Espagne et d'Italie.

Attendu qu'en outre, la transformation par le prévenu des termes "Produit en France" préconisés par le syndicat en "Produit de France" est démonstrative de son intention de tromper le consommateur, les termes utilisés étant manifestement destinés à suggérer une origine française complète du produit vendu.

Attendu que les éléments constitutifs des délits poursuivis étant caractérisés, il convient de réformer le jugement déféré et de déclarer la culpabilité du prévenu, tant sur le fondement de l'article L. 121-1 du Code de la consommation que sur celui de l'article L. 217-6 du même Code, l'existence d'un concours d'infractions ne pouvant avoir de conséquence qu'au niveau des pénalités.

Attendu que compte tenu de l'absence d'antécédents judiciaires du prévenu et de l'existence d'un concours d'infractions, il y a lieu de condamner Monsieur C à une peine d'amende de 20 000 F d'amende en application de l'article L. 213-1 du Code de la consommation et d'ordonner la diffusion par extraits de la présente décision en application de l'article L. 121-4 du Code de la consommation, dans les journaux Sud-Ouest (édition Gironde), Le Figaro et dans le mensuel Viti (SA Groupe Liaisons) dans la limite des frais prévus par l'article 131-35 du Code pénal.

Par ces motifs: LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement et contradictoirement, Déclare recevable l'appel interjeté par le Ministère public; Réformant le jugement déféré et statuant à nouveau, Déclare Jean-Claude C coupable des infractions poursuivies; Le condamne à une peine d'amende de 20 000 F; Ordonne la diffusion de la présente décision par extraits dans les journaux Sud-Ouest (édition Gironde), Le Figaro, et dans le mensuel Viti, dans la limite des frais prévus par l'article 131-35 du Code pénal; Dit que la contrainte par corps s'appliquera dans les conditions prévues aux articles 749 et 750 du Code de procédure pénale; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné en application de l'article 1018 A du CGI.