Conseil Conc., 28 avril 2004, n° 04-D-15
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques relevées dans le secteur des revêtements synthétiques pour sols sportifs
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de Mme de Mallmann, par Mme Pasturel, vice-présidente, Mmes Mader-Saussaye, Perrot, ainsi que MM. Piot, Ripotot, membres.
Le Conseil de la concurrence (section IV),
Vu la lettre enregistrée le 21 mai 1996, sous le numéro F 873, par laquelle le ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques anticoncurrentielles relevées dans le secteur des revêtements synthétiques pour sols sportifs ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002, fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Colas Ile-de-France Normandie, Eurosyntec, Eurovia, Sportingsols, Tarkett SAS anciennement Tarkett Sommer, Vinci venant aux droits de la société Entreprise Jean Lefebvre et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, les sociétés Colas Ile-de-France Normandie, Eurosyntec, Eurovia, Vinci, Musy, Sportingsols, Laquet et Bauters, entendus lors de la séance du 25 février 2004, la société Tarkett SAS anciennement Tarkett Sommer, et le liquidateur des sociétés En Tout Cas France et Société d'Aménagement d'Espaces et d'Environnement (SAEE) ayant été régulièrement convoqués ; Adopte la décision suivante :
I. - Constatations
A. - Le secteur concerné
1. Les pratiques visées dans la saisine du Conseil concernent le secteur des sols sportifs synthétiques, réparti entre les pistes d'athlétisme, les sols sportifs intérieurs des salles sportives et polyvalentes, et les terrains de grands jeux en gazon synthétique. La plupart des entreprises en cause dans ces pratiques sont des entreprises de pose de revêtements synthétiques, à l'exception de la société Eurosyntec, qui commercialise aussi du gazon synthétique.
B. - Les pratiques
2. Une vaste enquête sur les conditions de la concurrence, lors d'appels d'offres relatifs aux marchés publics passés dans le secteur des sols sportifs synthétiques, a été réalisée par la Direction nationale des enquêtes de concurrence. Cette enquête, au cours de laquelle des visites et saisies ont été effectuées au siège des principales entreprises impliquées, a mis en évidence les pratiques suivantes :
1. En ce qui concerne les accords conclus entre entreprises relatives aux marchés publics de pistes d'athlétisme
a) Les accords généraux passés avant le lancement des appels d'offres
3. Parmi les documents saisis dans les locaux de la société Eurosyntec, les enquêteurs ont constitué un scellé n° 3 (cotes 649 à 652 des annexes du rapport) contenant une liasse de cinq feuillets manuscrits non reliés, dont le premier consiste en une page d'agenda du vendredi 15 février au dimanche 17 février 1991, sur laquelle sont écrites à la main les mentions "le 14/11/91" et "liste pistes probables". Au-dessous de ces mentions sont portées les annotations "X les pistes sûres" et "O Setars pas au courant", suivies d'une liste de noms de communes précédés du numéro de leur département, et dont certains sont accompagnés d'annotations. Le verso de ce feuillet, constitué par une page d'agenda du 18 au 21 février, porte la mention "liste vue avec A. X... le 14/11/91 avant réunion de ce jour avec le trio".
4. Un autre feuillet, non daté, sur lequel figure la mention "accords", est divisé en quatre colonnes, la première contenant le nom de vingt-six communes dont certaines déjà mentionnées dans le premier feuillet (La Courneuve, Nantes, Lormont), les trois autres comportant en tête les noms des sociétés "Sopev", "Setars" et "Balsam".
5. Sur ce dernier document, à côté de la plupart des noms de communes, figure une croix, dans une des trois colonnes réservées aux entreprises. Pour la commune d'Allonne, deux croix ont été tracées, l'une dans la colonne Sopev, l'autre dans la colonne Balsam, avec une flèche partant de la colonne Balsam vers la colonne Sopev au-dessus de laquelle est inscrite la mention "décision 17/06". De même, pour la commune de Mantes la Jolie, figure une flèche dirigée de la colonne Setars vers la colonne Balsam au-dessus de laquelle est portée l'inscription "décision 17/06". A la fin du tableau, dans chaque colonne, sont mentionnés les montants suivants : "5,3 MF" pour Sopev, "10 MF" pour Setars, "5 MF" pour Balsam.
6. L'instruction a permis de relever que les vingt-six communes citées dans le feuillet "Accords" avaient lancé des appels d'offres sur des marchés de pistes d'athlétisme ; onze de ces marchés ont été attribués aux entreprises conformément aux mentions portées sur ce feuillet.
7. Dans le même scellé (cotes 660 à 666), les enquêteurs ont intégré une liasse de feuillets perforés, non reliés et non datés, intitulés "IDF" et "PROVINCE", également saisie dans les locaux de la société Eurosyntec. Ces feuillets sont divisés en plusieurs colonnes, dont une liste de communes dans la première d'entre elles. Les trois autres colonnes portent en titre les mentions "Vu par AS", "Vu par YR", "Vu par Setars".
8. Entendu par les enquêteurs, le 22 août 1995, le directeur de la société Eurosyntec a déclaré :
"A propos des documents en cotes 1 à 5, 11 à 15 du scellé n° 3, ce sont des notes de JP Y... au 14.11.91 qui indiquent les pistes qui vont probablement sortir en 1992.
"Pistes sûres" signifie que JP Y... a pu, d'après ses rencontres avec les personnes responsables techniques des mairies ou des clubs locaux déterminer que ces pistes allaient réellement sortir en 92.
"Setars pas au courant" signifie que JP Y... a pu savoir auprès des responsables locaux que ces derniers n'ont pas reçu la visite de l'entreprise Setars.
"Liste vue avec A. X... le 14.11.91 avant réunion ce jour du trio" : le "trio" signifie la réunion de JP Y..., M. G... et moi-même.
"Accords" - avec liste d'opérations et les noms de Sopev, Setars, Balsam : "accords" signifie que le gérant, M. Y... et moi-même étions en accord sur les objectifs à fixer pour notre entreprise.
"Décision 17/07" signifie qu'il est prévu qu'il y ait à nouveau réunion entre M. JP Y... et moi-même pour affirmer les objectifs commerciaux et faire le point des affaires.
"Marché libre" signifie que d'après les commerciaux, aucune des entreprises Balsam, Setars ou Eurosyntec n'a de prépondérance sur ces marchés (Nice et Draguignan) et que chacune des trois entreprises est à égalité de chance.
"Les montants indiqués en fin de colonne signifient qu'il y a eu un total des montants des affaires pour chaque entreprise et qu'il a été estimé que Sopev pouvait réaliser en 1992 : 5,3 MF, Setars 10 MF et Balsam 5 MF.
"Je précise que cette estimation n'a pas été réellement confirmée.
"A propos des cotes 11 à 15 du scellé n° 3, il s'agit de documents appartenant à M. Y... et qu'il a emmené de l'entreprise dans laquelle il travaillait avant le 1.12.90, c'est-à-dire Balsam. M. Y... est arrivé dans l'entreprise Eurosyntec à cette date.
"Les initiales indiquées en haut des colonnes sont sans doute pour "AS" : Alain Z...,
"YR" : Yves A.... Les estimations qui figurent dans les colonnes sont le résultat des recoupements d'informations recueillies auprès des responsables locaux et des fournisseurs de M. Y......." (Cotes 671, 672 et 673).
9. La société En Tout Cas Médiasport (Balsam), qui a pris le nom de En Tout Cas France, a fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire, le 22 décembre 1997. La Société d'Etudes et d'Application de Revêtements Spéciaux (SETARS) a été radiée du registre du commerce, en raison de la transmission universelle de son patrimoine, réalisée le 3 janvier 2000 au profit de la société Eurovia, son associée unique.
b) Les accords passés par les entreprises ayant soumissionné aux marchés
Le marché de la rénovation de la piste d'athlétisme du stade Léo Lagrange à Lille
10. Le 19 avril 1993, la ville de Lille a lancé une procédure de marché négocié avec mise en concurrence pour la réfection de la piste d'athlétisme en revêtement synthétique du stade Léo Lagrange. Les travaux devaient être réalisés en une seule tranche sur une surface totale de 633 m2, la réfection étant prévue à l'identique, pendant la période du 19 juillet au 7 août 1993. La date limite de réception des offres était fixée au 17 mai 1993 à 12 heures.
11. Les entreprises Balsam France, Musy, Colas, Nordgreen, La Sept, Dedrye et Envirosport ont demandé à participer à la consultation :
12. Ont finalement présenté une offre les entreprises suivantes :
Colas 254 904,61 F,
Bauters 306 066,28 F,
SETARS 306 066,28 F,
Musy 316 952,57 F,
Envirosport 337 772,80 F,
Sept 370 922,09 F,
Balsam 468 353,77 F,
Dedrye 526 588,74 F.
L'entreprise SETARS, qui avait construit la piste en 1981, a été déclarée attributaire du marché.
13. Les sociétés SETARS et Bauters, qui n'avaient pas demandé à participer à la consultation pour ce marché, ont présenté des offres identiques dans leur montant et le détail des prestations proposées.
14. Le directeur de la SETARS à Evry (91023), entendu par les services d'enquête le 28 juin 1994, a déclaré : "Un chantier a bien été ouvert au stade Léo Lagrange à Lille en 1993... "Il s'agit d'un marché négocié de travaux pour la réfection d'une partie de la piste d'athlétisme. Il n'y a pas d'étude qui a été faite pour ce marché. En réalité, nous ne faisons pas d'étude précise de prix pour ce type de marché. J'ai des fourchettes de prix pour une surface équivalente, que je ne peux vous définir à brûle-pourpoint, disons aux alentours de 190 francs le m2. Dans cet appel d'offres, il s'agissait de faire la réfection d'une partie de la piste en résisport. Je n'ai reçu aucune demande de la part d'autres entreprises répondant à cet appel d'offres, demande consistant à leur fournir du résisport ou à en faire l'application alors qu'elles étaient retenues par le maître d'œuvre. Pour la piste d'athlétisme du stade L. Lagrange à Lille, je n'ai réalisé aucun devis pour quelque entreprise que ce soit..." (cotes 836 et 837).
15. Entendu le 20 juillet 1993, le président du conseil d'administration de la société Bauters, s'est expliqué en ces termes : "... Nous n'avons pas demandé de dossier à la mairie de Lille compte tenu du fait qu'il n'y avait pas de travaux de notre spécialité sur lesquels une étude technique aurait pu être faite par notre entreprise. "Répondant systématiquement aux appels d'offres de la ville de Lille, nous nous sommes alors rapprochés de la société Setars qui est un de nos sous-traitants habituels pour ce type de revêtement. La demande de réponse a pu être faite par Setars compte tenu de son implantation géographique éloignée du lieu des travaux.
"Habituellement, en matière de sous-traitance, nous appliquons un coefficient commercial de l'ordre de 2 à 6 % .
"Dans le cas du stade Léo Lagrange nous avons soumissionné au prix remis ce qui implique probablement une remise arrière négociée par M. B... avec Setars en cas d'attribution du marché.
"A partir du détail quantitatif transmis par M. C... pour un montant de 258 066 F. HT, mon secrétariat a repris sur devis à en-tête Bauters le prix des différents postes chiffrés par Setars pour un montant de 258 066,00 F. HT (...)" (cotes 754 et 755).
16. En outre, l'intéressé a communiqué une télécopie de l'entreprise SETARS émise par M. C..., le 17 mai 1993 à 8 H 54, à l'attention de la société Bauters, et qui était accompagnée du message suivant : "ci-joint les éléments à transmettre à la mairie de Lille avant ce soir...(CCTP+ détail estimatif)..." (cote 853).
17. La société Bauters a, depuis lors, fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte le 16 mars 1998 par le Tribunal de commerce de Lille.
Le marché relatif à la construction d'une salle de sports (lot n° 10 sols sportifs) à Guines (62)
18. Un appel à la concurrence a été lancé par la ville de Guines pour les travaux de construction d'une salle de sports. La date limite de réception des offres était fixée au 11 décembre 1992. Pour le lot 10, relatif aux sols sportifs du marché, les offres des entreprises ont été les suivantes :
Batisol 247 556,00 F HT,
Envirosport 248 436,00 F HT,
SETARS 248 979,00 F HT,
SAEE 249 739,00 F HT,
SCORES 249 739,00 F HT,
Screg Nord 262 668,00 F HT,
P.V.R 263 110,00 F HT.
19. Le 11 janvier 1993, la commission d'ouverture des plis a retenu l'entreprise SCORES dont l'offre était conforme aux références de sols sportifs requises par les usagers de la commune.
20. L'offre de la Société Aménagement Espaces Environnement (SAEE) est identique à celle de la société SCORES. Le double du devis de la SAEE en date du 12 décembre 1992 a été saisi dans les locaux de cette entreprise. De plus, a été saisi un courrier en date du 11 décembre 1992, adressé par SCORES à SAEE, indiquant : "En confirmation de notre télécopie de ce jour, 9 h 44, nous vous prions de bien vouloir trouver, ci-joint, l'original de notre devis quantitatif estimatif...". Cette lettre est accompagnée du devis quantitatif estimatif de la société SCORES dont le montant des prestations est identique à celui de l'offre déposée par SAEE à la mairie de Guines.
21. Entendus par les enquêteurs le 18 septembre 1995, le directeur général, et le président directeur général de la société SCORES ont déclaré : "...A propos du marché de Guines salle polyvalente nous connaissions M. D... depuis longtemps ; ce dernier a voulu faire des salles de sports et a été confronté aux problèmes de qualification pour obtenir des marchés. Sur sa demande, nous lui avons envoyé notre devis, ne sachant pas quelle offre SAEE allait faire ;... pour récupérer notre chèque de caution déposé auparavant, nous avons été obligé de faire une offre pour ce marché. SAEE a reçu notre devis, qui correspondait à l'étude de prix réalisée pour ce marché. Nous avons déposé une offre sur la même base de prix ; si SAEE avait obtenu le marché, nous aurions effectué les travaux de revêtement de sol pour cette entreprise. SAEE voulait une référence en revêtement de sol, il est étonnant qu'il n'ait pas majoré les prix de son offre" (cote 1113).
22. Le directeur de la SAEE a indiqué, dans un procès-verbal du 6 juillet 1995 : "A propos du marché de la ville de Guines et de l'appel d'offres lancé pour la réalisation du sol sportif de la salle de sport, SAEE a remis une offre identique à celle de Scores ; je précise que j'ignorais que Scores répondait également à cet appel d'offres, que d'autre part SAEE devait bénéficier d'une remise de 5 % sur les revêtements, remise indiquée sur le devis transmis par Scores. Enfin SAEE envisageait de réaliser elle-même les postes 10.3.1. et 10.3.2. "SAEE souhaitait obtenir ce marché afin d'obtenir une référence en sol sportif de salle car notre problème aujourd'hui est le suivant, les collectivités demandent aux entreprises une qualification OPQRSL-CNIH et des références, il faut déjà avoir réalisé ces travaux. Notre but dans le marché de Guines était d'être adjudicataire et de pouvoir ensuite utiliser cette référence" (cotes 1132 et 1133).
23. La société SCORES a, depuis lors, été radiée du registre du commerce, le 29 mai 1996, à la suite de sa fusion absorption par la société En Tout Cas Médiasport, devenue En Tout Cas France et actuellement en liquidation judiciaire. Quant à la société SAEE, elle a également fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire en vertu d'un jugement du Tribunal de commerce de Créteil en date du 30 novembre 1995.
Le marché relatif à l'aménagement de la piste d'athlétisme du stade Camille Fournier à Evian (74)
24. Le 26 octobre 1993, la ville d'Evian-les-Bains a lancé un appel d'offres ouvert pour la réfection de la piste d'athlétisme du stade Camille Fournier, moyennant un budget estimé à trois millions de francs TTC. La date limite de remise des offres était fixée au 20 janvier 1994 à 11 h 30. Les sociétés ci-après ont déposé une offre :
Balsam-Lefebvre 2 604 957 F TTC,
Lefebvre-EMC-Balsam 2 601 332 F TTC,
Laquet 2 758 209 F TTC,
Berlioz-Colas-SIS 2 836 520 F TTC,
Eurosyntec (Eurosyntec/SCREG) 2 920 940 F TTC,
Colas Rhône-Alpes (Colas-Rhône-Alpes/Colas SIS) 2 953 150 F TTC,
SETARS 2 958 997 F TTC,
Berlioz-SETARS 3 116 416 F TTC,
SCREG (SCREG/Eurosyntec) 3 242 680 F TTC.
25. La commission d'ouverture des plis, réunie le 20 janvier 1994, a retenu l'offre de la société Balsam avec la sous-traitance de l'entreprise Lefebvre pour les travaux d'infrastructure.
26. Les documents saisis dans les locaux de la société Sports Loisirs Equipements (SLE) à Champlan comprennent une télécopie émanant de la société Entreprise Jean Lefebvre (EJL), datée du 18 janvier 1994 à 10 h 17, intitulée "annexe à l'acte d'engagement en cas de sous-traitance, - Demande d'acceptation d'un sous-traitant et d'agrément de conditions de paiement du contrat de sous-traitance", dont l'objet est l'aménagement de la piste du stade Camille Fournier (cote 1236). Les prestations sous-traitées concernent des "travaux préparatoires, assainissement, revêtement en enrobés" dont le montant s'élève à 1 783 784,32 F TTC (solution 6 pistes), et 2 152 701,48 F (solution 8 pistes).
27. Une télécopie de trois pages émanant de SLE, datée du 18 janvier 1994 à 19 h 40, comportant la mention manuscrite "Evian de Jacques Robert", a également été saisie dans les locaux de SLE. Il s'agit du détail des travaux afférents à l'aménagement de la piste du stade Camille Fournier ; les prix, pour la plupart, sont indiqués à la machine, parfois réécrits à la main. Le prix de l'ensemble des prestations est de 593 118,60 TTC. Le cachet de la société Entreprise Jean Lefebvre à Amphion 74500 Evian est porté au bas de la dernière page de la télécopie (cotes 1238 et suivantes).
28. Le directeur d'exploitation de la société SLE et du Département SIS de Colas IDF Normandie, entendu en présence du directeur juridique de Colas IDF Normandie, a déclaré, le 26 septembre 1995 : "A propos du marché d'Evian, je souhaite reprendre le dossier pour vous répondre sur les motifs pour lesquels Colas a soumissionné une première fois seul, une deuxième fois en groupement avec Berlioz. Nous avons demandé des prix à Lefebvre pour l'infrastructure. Je m'engage à vous répondre sur ce point par courrier" (cote 387).
29. Par lettre en date du 3 octobre 1995, l'intéressé a précisé : "Colas Département SIS a été consulté par Colas Rhône-Alpes pour différents revêtements synthétiques Polytan, cette dernière souhaitant remettre une offre à la mairie d'Evian. Colas Département SIS a également répondu pour les revêtements synthétiques Polytan en qualité de sous-traitant de la société Berlioz. Cola Département SIS, au moment de l'étude, a consulté l'entreprise Jean Lefebvre pour évaluer les travaux d'infrastructure. Après analyse, Colas Département SIS a décidé de ne pas répondre seul et de soumissionner avec l'entreprise Berlioz, comme indiqué ci-dessus. Ces démarches ont été faites pour augmenter les chances de réussite de Colas Département SIS pour l'obtention du marché..." (cote 1245).
30. Depuis lors, la société Sports Loisirs Equipements (SLE), qui était une filiale de la société Colas Ile-de-France Normandie, a pris le nom de Colas Activité SIS et est devenue une agence de Colas Ile-de-France Normandie.
31. En ce qui concerne la société Entreprise Jean Lefebvre, elle a fait l'objet d'une radiation au registre du commerce le 6 juin 2002, avec effet rétroactif à compter du 1er janvier 2002, à la suite de sa fusion absorption par la société Vinci.
2. En ce qui concerne l'accord conclu entre Balsam France Mediasport et Eurosyntec sur l'application de gazon synthétique
32. Par acte sous seing privé du 1er décembre 1990, la société Balsam France Médiasport, fabricante d'une moquette de gazon synthétique non sablé de marque Astroturf, a confié à la société Eurosyntec l'exclusivité de la commercialisation et de la vente de ce produit (cote 1263).
33. Le contrat précise en préambule que "la société Balsam distribue sous la marque Astroturf une moquette de gazon synthétique non sablé pour la réalisation d'aires de jeux, terrains de football et de hockey...
"La société Eurosyntec distribue sous la marque Sopev des revêtements de pistes d'athlétisme, d'aires de jeux, de terrains de football et de hockey".
34. Dans la partie I "exclusivité et droit de vente", il est indiqué :
"Le fabricant accorde au Concessionnaire qui accepte l'exclusivité de la commercialisation et de la vente du produit désigné en préambule, qu'il fabrique et pose.
"Le fabricant s'engage pendant la durée du contrat et pour la zone géographique définie ci-après, à ne pas prendre d'autre concessionnaire, ni vendre son produit à toute autre fin à une autre société, à l'exclusion des tapis de golf.
"Dans le cadre du présent contrat et du territoire concédé, le concessionnaire s'engage : A défendre les intérêts du fabricant, A ne pas divulguer les informations reçues par lui-même ou par son personnel".
35. La partie II "sous-concession" mentionne : "Les parties sont d'accord pour que les droits et obligations découlant de ce contrat ne puissent être sous-concédés, ni cédés à un tiers, sans le consentement donné par écrit de l'autre partie. Ne sera pas considérée comme tiers toute société contrôlée à plus de 50 % par l'une des parties".
36. La partie III "zone géographique" prévoit que la concession "... s'applique pour les départements ci-dessous cités :
75 : Paris
59 : Nord
62 : Pas-de-Calais
77 : Seine et Marne
78 : Yvelines
91 : Essonne
92 : Hauts-de-Seine
93 : Seine-Saint-Denis
94 : Val de Marne
95 : Val d'Oise.
"Pour le département de Paris (75), la société "concessionnaire" se réserve, pendant une période d'un an, le droit de commercialiser des produits similaires (gazon "non sablé") de sociétés concurrentes au fabricant.
"Pour l'ensemble des départements cités ci-dessus, la société "Concessionnaire" se réserve le droit de commercialiser des revêtements gazon synthétique "sablé" de sociétés concurrentes au fabricant".
37. Des notes saisies dans les locaux de la société Eurosyntec établissent qu'une réunion s'est tenue chez Balsam France, le 1er mars 1994, entre les responsables et agents commerciaux de Balsam France Médiasport et d'Eurosyntec (cotes 1269 et suivantes).
38. Il semble que les agents commerciaux de chacune de ces entreprises aient, à cette occasion, évoqué les souhaits des maîtres d'ouvrage de voir leurs travaux exécutés en gazon Astroturf ou en gazon Poligras, ainsi qu'il résulte des passages suivants des notes saisies :
"- Blériot-Plage
"JPC : Poligras 50 %
"PM : Astroturf 50 %
"- MONACO
"- JPC : 50 %
"- JP CH : 50 %....,
"- Paris (lycée P. Valéry)
"OK on peut répondre en Poligras (100 % EURO ou en Astrograss PV 165 F cousu et pas de caniveau...
-"Ridiesheim
"Par lot (tx 1996)
"intéresse Balsam pour un non sablé en préfinancement faire une démarche non sablé
Poligras...
"- THIAIS
"Serpev
"Eurosyntec"
(mot impossible à déchiffrer)
"- Astroturf
"- Poligrass pour favoriser l'Astro
"- ISSY
"Astro 100 %
"-VERSAILLES
"-Terrain en semi/stabilise (info Messier) ...
"démarche Astro à faire
"Balsam n'y va pas du fait que" (nom propre indéchiffrable) lui a demandé
"- RCF
"faire démarche Astro/Poligras....Poligras 100 %...
"- BORDEAUX
"Poligras"
"- BEIGLES
"...démarche en douceur Poligras attendre feu vert de JP CH".
39. Le directeur commercial de la société En Tout Cas Médiasport a expliqué, le 24 août 1995, dans quel contexte ce contrat avait été signé et appliqué : "...Nous avons signé avec Sopev-Eurosyntec un contrat d'exclusivité pour la région parisienne pour Astroturf. Il était question alors de trouver des accords sur la distribution de Poligrass par les agences locales Screg. Balsam AG ne souhaitait pas que les deux produits concurrents Astroturf et Poligrass soient appliqués par la même entreprise en France (comme dans chaque autre pays). Médiasport était applicateur et proposait pour les marchés des gazons synthétiques Poligrass en région Parisienne, et Astroturf sur le reste du territoire français. Ces accords avec Eurosyntec-Sopev sont en suspens actuellement du fait des problèmes de Balsam AG... Les réunions entre Médiasport et Sopev-Eurosyntec avaient pour objectif la démarche commerciale qui devait être adoptée pour chacune de nos deux sociétés pour les produits Astroturf et Poligrass" (cote 376).
40. Dans un courrier du 10 octobre 1995, l'intéressé a précisé qu'il n'existait plus aucun accord de distribution en France entre En Tout Cas Médiasport et une autre société. Ces déclarations ont été confirmées par le directeur de la société Eurosyntec, qui a indiqué, le 22 août 1995, que le contrat pour la distribution d'Astroturf n'avait pas été renouvelé depuis plus d'un an et enfin, par le gérant de la société Eurosyntec, qui a affirmé, le 11 décembre 1998, que ce contrat ne fonctionnait déjà plus "aux environs de 1994" (cote 1275).
3. En ce qui concerne le partenariat stade 1
41. Une convention de partenariat a été mise en œuvre en octobre 1992 entre la société Stade 1 et les sociétés Musy, Sportingsols et Laquet, aux termes de laquelle Stade 1 concédait l'exploitation de ses brevets et droits d'exploitation de marques de revêtements de sol à ses licenciés, distributeurs exclusifs des produits sur leur zone de chalandise. Le contrat était conclu pour une durée de deux années, renouvelable de plein droit par tacite reconduction (cote 1443).
42. Une carte de France non datée, portant en titre la mention "répartition théorique" et en légende "zone 1- Musy, zone 2 - Sportingsols, zone 3 - Laquet", a été saisie dans les locaux de la société Laquet (cote 1441). Cette carte partage le territoire français en trois zones respectivement attribuées aux sociétés Musy, Sportingsols et Laquet. Le président du conseil d'administration de la SA Musy a communiqué cette carte lors de son audition du 15 septembre 1994 et a déclaré qu'elle avait été dessinée à la suite d'une réunion entre les partenaires de Stade 1, afin que ceux-ci se répartissent les marchés de piste d'athlétisme à venir. Selon l'intéressé, cette répartition serait le résultat d'un accord intervenu en mai 1992 (cote 1029). Il a encore indiqué qu'un courrier avait été adressé à chaque entreprise "à ce sujet", mais qu'il n'avait pas réussi à retrouver cet accord.
C. - Les griefs notifiés
Sur la base des constatations qui précèdent les griefs suivants ont été notifiés :
43. Aux sociétés En Tout Cas France anciennement ETC Médiasport, Eurosyntec, Tarkett Sommer qui a assuré la continuité économique et fonctionnelle de la société SETARS, et enfin à la société Eurovia qui a reçu le patrimoine de la société SETARS à effet du 3 janvier 2000, pour s'être entendues au cours de l'année 1991 sur une répartition préalable des marchés publics de construction et de rénovation des pistes d'athlétisme, pratique ayant eu pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence et qui est prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;
44. A la société Bauters, à la société Tarkett Sommer qui a assuré la continuité économique et fonctionnelle de la société SETARS, et à la société Eurovia qui a reçu le patrimoine de la société SETARS à effet du 3 janvier 2000, pour s'être entendues en échangeant des informations sur l'ensemble des travaux et les prix avant le dépôt des offres, à l'occasion du marché de la rénovation de la piste d'athlétisme du stade Léo Lagrange à Lille, pratique ayant eu pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence et qui est prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;
45. Aux sociétés SAEE et en Tout Cas France anciennement SCORES pour s'être entendues en échangeant des informations sur les prestations et les prix du lot 10 du marché relatif à la construction d'une salle de sports à Guines (62) avant de remettre leurs offres, pratique ayant eu pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence et qui est prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;
46. Aux sociétés Colas Ile-de-France Normandie anciennement Sports Loisirs Equipements (SLE) et Vinci venant aux droits de la société Entreprise Jean Lefebvre, pour s'être entendues en échangeant des informations sur l'ensemble des prestations du marché y compris le montant des travaux à réaliser avant la date limite de remise des offres, à l'occasion du marché relatif à l'aménagement de la piste d'athlétisme du stade Camille Fournier à Evian, pratique ayant eu pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence et qui est prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;
47. Aux sociétés En Tout Cas France anciennement Balsam France Médiasport, et Eurosyntec, pour s'être entendues au cours d'une réunion qui a eu lieu le 1er mars 1994 chez Balsam France pour adopter des politiques commerciales complémentaires aboutissant à une répartition préalable des marchés à venir, pratique ayant eu pour objet et pu avoir pour effet de tromper les maîtres d'ouvrage et de fausser le jeu de la concurrence, et qui est prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;
48. Enfin, aux sociétés Musy, Sportingsols et Laquet, pour s'être entendues avant l'organisation effective du réseau Stade 1 en octobre 1992 afin de se répartir les marchés à venir, chacune sur une zone déterminée, pratique ayant eu pour objet et ayant pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence et qui est prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
II. - Discussion
A. - Sur la procédure
En ce qui concerne la prescription
49. La société Eurosyntec fait valoir que le procès-verbal de déclaration et de communication de documents de M. E..., président de la société Bauters, en date du 20 juillet 1993, ne comporte aucune indication prouvant que l'intéressé a été informé, préalablement à son audition, de l'objet de l'enquête, qu'il doit donc être écarté des débats, et que, dès lors, il n'a pas pu, interrompre le délai de la prescription triennale. La société Eurosyntec soutient encore que le procès-verbal de déclaration et de communication de documents de M. F..., responsable du service des marchés de la ville de Lille, en date du 20 juillet 1993, affecté de la même irrégularité, n'a pas davantage interrompu la prescription.
50. La chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 20 novembre 2001 (Bec Frères), que "la mention pré-imprimée sur le procès-verbal selon laquelle l'objet de l'enquête a été porté à la connaissance de la personne entendue suffit à justifier, jusqu'à preuve contraire, de l'indication de cet objet".
51. Dans un arrêt du 14 janvier 2003 Société Socae Atlantique, la Haute juridiction a approuvé la Cour d'appel de Paris d'avoir considéré, qu'en l'absence d'une telle mention pré-imprimée, il appartenait à l'administration de démontrer qu'elle avait néanmoins rempli l'obligation d'informer la personne entendue de l'objet de l'enquête, cette preuve pouvant "seulement se déduire du contenu de l'acte ou d'un acte qui serait antérieur à l'audition".
52. Enfin, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 1er juin 1999 Normandie Béton, que le défaut d'indication de l'objet de l'enquête ne constitue pas un moyen de nullité des procès-verbaux d'audition de témoins, dès lors que ceux-ci ne sont pas accusés d'une infraction.
53. En l'espèce, les enquêteurs ont recueilli les déclarations de M. E... dans un procès-verbal du 20 juillet 1993, qui ne comporte aucune mention pré-imprimée indiquant que l'objet de l'enquête aurait été porté à la connaissance de la personne entendue, et dont le contenu ne permet pas de déduire que cette personne était néanmoins informée de l'objet de son audition. Si, dans un procès-verbal du 13 juin 1995, qui comporte la mention pré-imprimée requise, M. E... a indiqué : "A propos de l'affaire du stade Léo Lagrange, pour la réfection de la piste d'athlétisme, je confirme la déclaration que j'ai faite le 20 juillet 1993(...)", il ne résulte pas des termes employés dans ces déclarations, au surplus recueillies à une date postérieure à l'audition du 20 juillet 1993, que l'intéressé ait reconnu avoir été, préalablement à l'audition en cause, informé de l'objet de l'enquête. Le procès-verbal du 20 juillet 1993 doit donc être écarté des débats, de même que les pièces dont la remise a été constatée dans ce même document.
54. S'agissant, en revanche, du procès-verbal d'audition de M. F..., responsable du service des marchés de la ville de Lille, dont la validité est également contestée, il est constant que celui-ci a été entendu, le 20 juillet 1993, en qualité de témoin. Dès lors, le procès-verbal dressé par les enquêteurs à cette occasion, même s'il ne fait pas mention de l'objet de l'enquête, n'est pas entaché d'irrégularité et a, en conséquence, valablement interrompu la prescription à l'égard de toutes les parties.
B. - Sur le fond
55. Sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur les autres moyens de procédure présentés par les sociétés Eurosyntec, Colas Ile-de-France Normandie, Eurovia et Entreprise Jean Lefebvre devenue société Vinci.
1. Sur le grief d'entente relatif à une répartition préalable des marchés publics de construction et de rénovation des pistes d'athlétisme au cours de l'année 1991
56. Le grief est fondé sur les deux ensembles de feuillets non reliés entre eux, saisis dans les locaux de la société Eurosyntec, décrits aux paragraphes 2 à 6 de la présente décision. A l'examen, il apparaît que seul le premier feuillet de la première liasse comporte la date manuscrite, raturée, du 14/11/91. Les autres feuillets, et notamment ceux comportant les mentions "accords", ou "destination de l'affaire", ou encore des tableaux susceptibles d'évoquer des tableaux de répartition de marchés, ne sont pas datés.
57. M. Y..., auteur de ces notes et qui, à l'époque des investigations, était directeur commercial de la société Eurosyntec, n'a pas été entendu par les enquêteurs et n'a donc pas pu fournir d'explications sur les documents saisis. Par ailleurs, les auditions du directeur de la société En Tout Cas Médiasport (Balsam), du chef d'agence de SETARS et du chef d'agence et directeur d'Eurosyntec successeur de M. Y..., qui sont postérieures de plusieurs années aux faits, n'ont apporté aucun élément exploitable. Le premier a déclaré qu'il ignorait l'existence des documents en cause. Le deuxième a indiqué que, simple conducteur de travaux à l'époque des faits, il n'avait "pas pu être au courant de ce type d'accords". Pour sa part, le directeur d'Eurosyntec, dans ses déclarations rapportées au paragraphe 7, a fourni, en ce qui concerne les mentions figurant sur les documents saisis, sa propre interprétation sans toutefois l'appuyer de preuves concrètes.
58. Au surplus, s'il résulte de l'instruction que, sur les marchés lancés par les vingt-six communes citées dans le feuillet "accords", onze ont été attribués conformément aux indications des documents saisis, les éléments présents au dossier ne permettent pas de savoir quels ont été, en dehors des entreprises attributaires, SETARS, SOPEV Eurosyntec et Balsam, les soumissionnaires aux marchés en cause, de sorte qu'en l'absence de cette indication, le grief de répartition préalable des marchés publics de construction et de rénovation des pistes d'athlétisme cités dans les feuillets litigieux et dont l'exécution s'est échelonnée de 1991 à 1994, selon le tableau figurant à la page 13 du rapport d'enquête de la DGCCRF, n'est pas établi.
2. Sur le grief d'entente concernant le marché de la rénovation de la piste d'athlétisme du stade Léo Lagrange à Lille
59. Ce grief est fondé sur des documents relatifs aux marchés passés par la ville de Lille, qui ont été communiqués par M. E... lors de son audition du 20 juillet 1993 et qui doivent être écartés des débats, ainsi qu'il est dit au paragraphe 54. Les éléments subsistant au dossier, après retrait de ces pièces, n'apportent pas la preuve d'un échange d'informations entre les entreprises soumissionnaires au marché, antérieurement au dépôt des offres. Il n'est, dès lors, pas établi que la société Bauters et la société SETARS, se soient entendues en échangeant des informations sur le marché en cause préalablement au dépôt de leurs soumissions.
3. Sur le grief d'entente concernant le marché (lot n°10 sols sportifs) relatif à la construction d'une salle de sports à Guines (62)
60. Les sociétés SCORES et SAEE, ont présenté des offres identiques pour le lot n°10 du marché de Guines. La société SCORES a été attributaire de ce lot.
61. Au vu des éléments relevés aux paragraphes 17 à 21 ci-dessus, il est établi que la société SAEE et la société En Tout Cas France, venant aux droits de la société SCORES, se sont entendues en échangeant des informations sur les prestations et les prix du lot 10 du marché relatif à la construction d'une salle de sports à Guines, avant le dépôt de leurs offres, pratique prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
4. sur le grief d'entente concernant le marché relatif à l'aménagement de la piste d'athlétisme du stade Camille Fournier à Evian
62. Il ressort des pièces et déclarations versées au dossier et dont le contenu est rapporté aux paragraphes 25 à 29, que l'entreprise SLE avait contacté l'entreprise EJL pour sous-traiter à cette dernière une partie des travaux afférents au marché d'Evian. En réponse, EJL a adressé une télécopie à SLE, lui indiquant ses prix de sous-traitance.
63. Il n'est pas démontré que la télécopie de SLE, émise à 19 heures 40 le 18 janvier 1994, portant la mention manuscrite "Evian de Jacques Robert", trouvée dans les locaux de SLE, et reprenant les propositions de EJL dans le cadre d'une offre complète, ait été adressée ou communiquée à la société EJL. La société Colas Ile-de-France Normandie, qui vient aux droits de la société Sports Loisirs Equipements (SLE), soutient que cette dernière télécopie n'était pas destinée à l'entreprise Jean Lefebvre, mais au siège de Colas Ile-de-France Normandie Département SIS à Champlan, en vue de la préparation d'un projet d'offre. Il s'agirait donc d'un envoi interne à l'entreprise.
64. Aucun échange d'informations entre les sociétés SLE et EJL avant le dépôt des offres n'a été mis en évidence par le dossier. Par ailleurs, la société SLE n'a pas soumissionné au marché en cause, ainsi qu'il résulte du tableau figurant à la page 36 du rapport d'enquête de la DGCCRF, et il n'y a pas non plus d'éléments laissant présumer que cette société se serait, de concert avec la société Entreprise Jean Lefebvre, attributaire du marché en groupement avec Balsam, volontairement abstenue de soumissionner pour permettre à Jean Lefebvre de l'emporter.
65. En conséquence, il n'est pas établi que les sociétés Colas Ile-de-France Normandie anciennement Sports Loisirs Equipements (SLE) et Vinci venant aux droits de la société Entreprise Jean Lefebvre (EJL) se soient entendues en échangeant des informations sur le marché avant la date limite de remise des offres.
5. sur le grief d'entente relatif à une réunion qui a eu lieu chez Balsam France le 1er mars 1994 pour adopter des politiques commerciales complémentaires aboutissant à une répartition préalable des marchés à venir
66. Il résulte des documents saisis dans les locaux de la société Eurosyntec que, le 1er mars 1994, a eu lieu "chez Balsam France" une réunion entre les responsables et agents commerciaux de Balsam France Médiasport et Eurosyntec (paragraphes 37 et 38 cidessus).
67. Toutefois, les notes manuscrites, prises par M. Y... lors de la réunion du 1er mars 1994 sont insuffisantes à démontrer que les sociétés en cause se seraient réparties les marchés à venir au cours de cette réunion. Il n'existe, en effet, pas de corrélation entre les réponses qui ont été faites par la société Eurosyntec aux appels d'offres en 1994 et 1995 (cotes 1289 et 1290), et les mentions figurant dans les notes en cause.
68. Celles-ci mentionnent plusieurs fois le gazon synthétique "Astroturf". Or, cette société n'a proposé ce produit qu'à l'occasion du marché lancé par la ville de Courbevoie, dans le cadre de la proposition de sous-traitance faite à la société Sicra, ville qui n'apparaît pas dans les notes susvisées.
69. Par ailleurs, si ces dernières contiennent, sous le nom "Strasbourg", la mention "faire démarche Poligrass", il résulte des précisions complémentaires fournies par le directeur de la société Eurosyntec, dans une lettre du 20 octobre 1995 adressée à la Direction nationale des enquêtes de concurrence (cote 1291), que cette société a proposé, lors de l'appel d'offres relatif au marché de construction d'un terrain de football pour la ville de Strasbourg, un gazon synthétique de type "Sportilan", dont le fournisseur était la société Desso.
70. En conséquence, et à défaut d'autres éléments probants dans le dossier, il n'est pas établi que les sociétés En Tout Cas France, anciennement Balsam France Médiasport, et Eurosyntec, se soient entendues lors de la réunion du 1er mars 1994, en vue de l'adoption de politiques commerciales complémentaires aboutissant à une répartition préalable des marchés à venir.
6. Sur le grief d'entente en vue d'une répartition des marchés à venir, réalisée avant l'organisation effective du réseau stade 1 en octobre 1992
71. Le grief se fonde sur une carte de France, non datée, décrite au paragraphe 42.
72. Le responsable de la société Musy, revenant, dans ses observations écrites, sur les déclarations qu'il avait faites aux enquêteurs, a exposé qu'à la date de la réunion au cours de laquelle la carte litigieuse avait été dressée, les sociétés Musy, Sportingsols et Laquet étaient déjà partenaires du réseau Foot Green Sport, qui a précédé le réseau Stade I et que c'est dans le cadre du fonctionnement de Foot Green Sport qu'a eu lieu la rencontre sur laquelle s'appuie le grief.
73. Il ressort des pièces du dossier que la société Foot Green Sport, qui regroupait déjà les trois sociétés précitées, n'a déclaré son état de cessation des paiements que le 28 septembre 1992, soit à une date postérieure à la rencontre litigieuse, ce qui rend plausibles les indications fournies par les sociétés Musy, Sportingsols et Laquet en ce qui concerne le cadre de la réunion de mai 1992 au cours de laquelle a été dessinée la carte de "répartition théorique" du marché national. Dès lors, cette réunion, organisée du temps du réseau Foot Green Sport, ne peut, en l'absence d'autres éléments, être considérée comme un indice de partage anticipé du marché.
74. En conséquence, il n'est pas établi que les sociétés Musy, Sportingsols et Laquet se soient entendues avant l'organisation effective du réseau Stade 1 en octobre 1992, afin de se répartir les marchés à venir.
C. - Sur les suites à donner
75. En cas de jugement ordonnant la liquidation judiciaire, l'article 1844-7-7° du Code civil dispose que la société "prend fin". L'article 1844-8 alinéa 1er du même Code indique que "la dissolution de la société entraîne sa liquidation (...). Toutefois l'alinéa 3 du même article prévoit que la personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de sa liquidation jusqu'à la publication de la clôture de celle-ci. Jusqu'à cette date, c'est donc à elle que doivent être imputées les pratiques qui peuvent être relevées à son encontre.
76. Au cas particulier, la société SCORES a été radiée du registre du commerce à la suite d'un apport-fusion par la société En Tout Cas Médiasport, qui a pris le nom de En Tout Cas France. Cette dernière société est elle-même en liquidation, à la suite d'un jugement de liquidation judiciaire du 22 décembre 1997, mais subsiste pour les besoins de sa liquidation sociale, ce qui justifie la poursuite de la procédure à son encontre. Cependant, le prononcé d'une sanction pécuniaire n'apparaît pas opportun, en ce qui la concerne, eu égard à la procédure collective dont elle a fait l'objet.
77. La société d'Aménagement d'Espace et d'Environnement (SAEE) a, elle aussi, été placée en liquidation judiciaire, par un jugement en date du 30 novembre 1995. Dans le cadre de cette procédure, une cession de fonds de commerce accompagnée de la reprise de onze salariés est intervenue au profit de la Société nouvelle SAEE. La société SAEE, auteur des faits, subsiste pour les besoins de sa liquidation, ce qui justifie la poursuite de la procédure à son encontre. Mais le prononcé d'une sanction pécuniaire à son égard n'apparaît pas opportun, en ce qui la concerne, eu égard à la procédure collective à laquelle elle est soumise.
DECISION
Article 1 : Il est établi que la société SAEE et la société SCORES qui a fusionné avec la société En Tout Cas France ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 2 : Il n'est pas établi que les sociétés En Tout Cas Médiasport devenue En Tout Cas France, Eurosyntec, SETARS, radiée du registre du commerce à la suite de la réunion de l'ensemble de ses parts sociales entre les mains de la société Eurovia, Bauters, Colas Ile-de-France Normandie, venant aux droits de Sports Loisirs Equipements (SLE), Vinci venant aux droits de la société Entreprise Jean Lefebvre (EJL), Musy, Sportingsols et Laquet ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.