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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 24 février 2004, n° ECOC0400163X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Desœuvre, Ministre chargé de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lacabarats

Substitut général :

M. Woirhaye

Conseillers :

M. Le Dauphin, Mme Penichon

CA Paris n° ECOC0400163X

24 février 2004

Me Desœuvre, avocat inscrit au barreau du Val-d'Oise, a saisi le Conseil de la concurrence par lettre enregistrée le 5 octobre 2000 pour des pratiques anticoncurrentielles imputées à l'ordre des avocats de ce barreau et a sollicité ultérieurement le prononcé de mesures conservatoires.

Le requérant incrimine le fait qu'ait été installée à proximité immédiate de son cabinet d'avocat à Cergy Saint-Christophe une maison de justice et de droit (MJD), où sont proposées au public à raison de deux ou trois fois par semaine des consultations juridiques gratuites, assurées par des avocats du même barreau.

Par décision n° 03-D-27 du 4 juin 2003, le Conseil de la concurrence a déclaré irrecevable la saisine au fond présentée par Me Desœuvre et rejeté sa demande de mesures conservatoires, en retenant que les pratiques en cause ont directement été mises en œuvre pour l'exécution d'un acte de puissance publique relatif à l'organisation du service public de l'accès au droit et ne relèvent donc pas de la compétence du Conseil.

Le 11 juillet 2003, Me Desœuvre a formé un recours devant la Cour d'appel de Paris contre la décision du Conseil de la concurrence.

Le requérant demande à la cour d'infirmer la décision déférée et d'ordonner qu'il soit mis fin aux pratiques de consultations juridiques gratuites " tout public " pratiquées dans le cadre des activités de la MJD.

Le 24 novembre 2003, le ministre chargé de l'Economie a déposé des observations écrites tendant au rejet du recours.

Le 16 janvier 2004, Me Desœuvre a déposé un mémoire soulevant l'irrecevabilité des observations du ministre de l'Economie et réitérant ses prétentions initiales.

A l'issue de l'audience du 27 janvier 2004 au cours de laquelle les parties ont été entendues, l'affaire a été mise en délibéré au 24 février 2004.

Sur la recevabilité des observations du ministre chargé de l'Economie :

Considérant que, contrairement à ce que soutient Me Desœuvre, le rédacteur des observations déposées au nom du ministre de l'Economie dispose, en vertu d'un décret du 20 février 2003 publié au Journal officiel du 23 février 2003, page 3286, d'une délégation l'autorisant à signer un tel document pour le compte du ministre ; que ces observations sont dès lors recevables ;

Sur le bien-fondé du recours :

Considérant qu'au soutien de ses demandes Me Desœuvre fait valoir :

- que la tenue à la MJD de consultations effectuées gratuitement par d'autres avocats, avec la publicité organisée tant par l'Ordre que par la MJD et la commune, crée à son préjudice une situation de concurrence déloyale ;

- qu'elle constitue une infraction aux articles L. 420-1 et L. 420-5 du Code de commerce dans la mesure où elle a pour effet de limiter ou d'empêcher l'accès de son cabinet à la clientèle du quartier de Cergy - Saint-Christophe, où il est installé, et de faire obstacle à la fixation du prix de la consultation juridique par le jeu du marché ;

- que la pratique en cause est également contraire aux dispositions du traité instituant la Communauté européenne, et plus particulièrement aux articles 81, 82 et 133 du traité de l'Union ;

- que, contrairement à ce qu'il a retenu, le Conseil de la concurrence est compétent pour examiner une activité détachable des missions de service public assurées dans le cadre de la MJD et l'avait d'ailleurs admis dans une précédente décision du 6 novembre 2001 ;

Considérant qu'à cet égard, si dans la mesure où elles effectuent des activités de production, de distribution ou de services, les personnes publiques peuvent être sanctionnées par le Conseil de la concurrence agissant sous le contrôle de l'autorité judiciaire, les décisions par lesquelles ces personnes assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique relèvent de la compétence de la juridiction administrative pour en apprécier la légalité et, le cas échéant, pour statuer sur la mise en jeu de la responsabilité encourue par ces personnes publiques ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient le requérant, la consultation en matière juridique est définie à l'article 53 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 comme l'une des composantes de l'accès au droit que le Conseil départemental de l'aide à l'accès au droit (CDAD) du Val-d'Oise doit mettre en œuvre dans ce département, que l'institution auprès de la MJD et Cergy - Saint-Christophe de consultations juridiques à destination de tout public résulte de la convention constitutive de la MJD, signée par le préfet du Val-d'Oise, le Président du tribunal de grande instance, le Procureur de la République, le Président du Conseil général, le Commissaire central de Police et le bâtonnier de l'Ordre des avocats ; qu'en tant qu'établissement destiné à assurer une présence judiciaire de proximité, la MJD est investie d'une mission de service public, les consultations juridiques incriminées étant l'un des moyens choisis par les autorités publiques en charge de cette mission pour réaliser l'objectif poursuivi et participer directement à sa réalisation ; que la contestation mettant en cause l'organisation et le fonctionnement même du service public de consultation juridique et non des activités susceptibles d'en être détachées, le Conseil de la concurrence a estimé à juste titre que la demande ne relevait pas de ses attributions, y compris pour un éventuel contrôle des pratiques au regard des articles 81 et 82 du traité de Rome, alors qu'aucun élément du dossier n'établit que ces pratiques peuvent affecter le commerce entre Etats membres, qu'il importe peu qu'une précédente décision rendue dans ce litige par le Conseil de la concurrence le 6 novembre 2001 ait renvoyé l'affaire à l'instruction, cette décision ne privant nullement le Conseil du pouvoir de déterminer, après examen des données du litige, si les pratiques mises en cause relèvent ou non de ses attributions ; que le recours doit en conséquence être rejeté.

Par ces motifs : LA COUR, Déboute Me Desœuvre (Patrick) de ses demandes ; Rejette le recours ; Condamne Me Desœuvre (Patrick) aux dépens de cette instance.