Livv
Décisions

Conseil Conc., 3 mai 2004, n° 04-D-16

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées sur les marchés d'électrification rurale et d'éclairage public dans le département du Morbihan

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Pierre Avignon, par Frédéric Jenny, vice-président, présidant la séance, Mme Marie-Madeleine Renard-Payen, M. Bruno Flichy, membres.

Conseil Conc. n° 04-D-16

3 mai 2004

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 26 février 1997, sous le numéro F.943, par laquelle le ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées à l'occasion de la passation de marchés d'électrification rurale et d'éclairage public dans le département du Morbihan ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 et le décret n° 2002-689 du 3 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés l'Entreprise Industrielle, ETDE, Saunier Duval Electricité, Garczynski et Traploir, Seco, Sturno, Mainguy et Mahé ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des entreprises, l'Entreprise Industrielle, ETDE, Saunier Duval Electricité et Garczynski et Traploir, Seco, Sturno, Mainguy et Mahé, entendus lors de la séance du 3 février 2004 ; Adopte la décision suivante :

I. - Constatations

A. - Les marchés et les entreprises

1. Caractéristiques des marchés concernés

1. Fin 1993, 32 marchés d'électrification rurale et d'éclairage public ont été passés dans le département du Morbihan, par plusieurs collectivités locales parmi lesquelles 10 syndicats intercommunaux. Celles-ci assurent la maîtrise d'ouvrage sur leurs circonscriptions respectives, la maîtrise d'œuvre étant confiée pour l'ensemble des travaux à la Direction départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF). Regroupant tous les maîtres d'ouvrage, le syndicat départemental d'électricité est chargé d'assurer la mise en place des financements nécessaires et de veiller à l'homogénéité des politiques des divers syndicats au plan économique, financier et environnemental.

2. La procédure suivie est celle des marchés à bons de commande prévue à l'article 273 du Code des marchés publics, les collectivités locales fixant un montant minimum ou maximum de prestations susceptibles d'être commandées au cours de la période en fonction des besoins à satisfaire. Les marchés sont conclus pour une durée d'un an reconductible, dans la limite de cinq années.

3. En matière d'électrification rurale, ces prestations ont trait aux travaux de construction, d'extension, de renforcement ou de remplacement des réseaux existants inscrits dans le programme annuel, mais aussi aux ouvrages réalisés à la demande des particuliers ou des communes. Une grande partie de ces travaux concerne les lignes électriques aériennes, mais la réalisation de travaux souterrains tend à augmenter, dans le cadre d'une politique active d'enfouissement des lignes, notamment dans les zones touristiques du département.

4. Les appels d'offres ont été publiés au bulletin officiel des annonces des marchés publics le 14 décembre 1993, la date limite de réception des offres étant fixée au 11 février 1994. Les offreurs étaient appelés à formuler leurs propositions sous forme d'un rabais ou d'une majoration appliqués aux prestations décrites et évaluées dans le bordereau des prix unitaires élaboré par le maître d'œuvre.

5. Le montant total des travaux à effectuer se situait dans une fourchette allant de 62 MF HT minimum à 128 MF HT maximum par an. Le montant des travaux effectivement réalisés a été de 117,6 MF en 1994 et de 114,6 MF en 1995.

2. Les entreprises

6. Plusieurs entreprises, qui étaient déjà titulaires d'un ou plusieurs marchés dans le cadre des appels d'offre passés en 1989, ont remporté au moins un marché en 1994. Il s'agit de l'Entreprise Industrielle (EI), qui a été absorbée le 10 juillet 2001 par la société GTMH du groupe Suez pour devenir la société Ineo SA, des entreprises Garczynski Traploir (G et T) et Saunier Duval Electricité (SDEL) qui ont été absorbées le 27 juin 2003 par la société Vinci Energie ainsi que des sociétés ETDE, SECO et Sturno.

7. Les attributaires des marchés mis en concurrence, en 1989 et en 1994, figurent dans le tableau ci-dessous :

EMPLACEMENT TABLEAU

B. Les pratiques relevées

1. Le travail en commun sur le bordereau des prix unitaires (BPU)

8. Dans les locaux de l'Entreprise Industrielle ont été saisis les comptes-rendus manuscrits de deux réunions tenues les 4 et 15 octobre 1993, dont l'objet était la révision du bordereau des prix unitaires. Les représentants des entreprises EI, SDEL, GT et ETDE ont, au cours de cette réunion, procédé à la révision des prix des chapitres 1, 2, 3, 4, 5 et 7 du bordereau.

9. L'initiative de cette réunion a été prise par la DDAF du Morbihan, maître d'œuvre. Son responsable a déclaré aux enquêteurs : "En septembre 1993, dans le souci de parvenir à la meilleure cohérence possible du nouveau bordereau de prix unitaires (BPU), j'ai demandé à l'Entreprise Industrielle de me donner son avis sur les évolutions souhaitables du prochain bordereau notamment sur l'introduction de nouvelles prestations liées aux évolutions techniques. Cette démarche a été adressée oralement à M. X..., de manière formelle. J'ai questionné cette entreprise car je la considère comme la plus représentative dans l'électrification rurale dans le département. A la différence de certains de ses concurrents que je n'avais pas interrogés, l'Entreprise Industrielle est présente à la fois dans les travaux souterrains, aériens et d'éclairage public. Dans mon esprit, l'avis que j'avais demandé à l'Entreprise Industrielle ne devait pas entraîner de consultation par cette dernière des autres entreprises présentes dans le département."

10. L'Entreprise Industrielle a ensuite convié les sociétés Saunier Duval Electricité, ETDE et Garczynski & Traploir à la réunion du 4 octobre 1993. Le chef de son agence de Ploermel a déclaré à ce propos : "En septembre 1993, M. Y... a demandé à l'Entreprise Industrielle de lui faire des propositions en vue d'une homogénéisation du bordereau des prix unitaires (BPU) en électrification rurale. Pour faire suite à cette demande, une première réunion des entreprises locales les plus représentatives a eu lieu le 4 octobre 1993. Outre l'Entreprise Industrielle, les entreprises concernées étaient Saunier Duval Electricité, Etde et Garczynski et Traploir. Cette première réunion avait pour objet d'arrêter les grandes lignes des propositions appelées à être présentées à M. Y... :

- travaux souterrains : intégration partie viabilisée et non viabilisée

- blocage des prix éclairage public

- revalorisation normale (+ 10 points) des travaux aériens.

Cette réunion a donné lieu aux notes personnelles figurant aux pages 33 et 34 du scellé n°1 réalisé le 9 mars 1995...

"Cette réunion du 4/10/93 a été suivie d'une seconde réunion, le 15/10/93, uniquement entre l'Entreprise Industrielle et Saunier Duval Electricité. De mémoire, Saunier Duval Electricité était représentée par M. Z.... J'ai présenté notre proposition le 18 octobre 1993 à M. Y... sous forme d'un bordereau annoté. Je n'ai pas conservé de copie de cette proposition."

11. Ces propos ont été confirmés par le responsable de l'agence ETDE de Caudan : "Nous avons été contactés par M. X... de l'Entreprise Industrielle pour adapter le Bordereau des Prix Unitaires (BPU) en ER aux nouvelles structures de travaux. A ma connaissance, cette initiative de l'Entreprise Industrielle fait suite à une démarche de la DDA. Cette étude d'un nouveau bordereau a fait en particulier l'objet d'une réunion de travail dans les locaux de l'Entreprise Industrielle avec les représentants d'autres entreprises en octobre 1993. Cette réunion avait pour objet d'établir une proposition de nouveau bordereau à la DDA, intégrant les nombreux articles hors bordereau et articles nouveaux figurant à titre transitoire dans le bordereau 1989. Je n'ai pas participé à la présentation de cette proposition à la DDA."

12. Le résultat de ces travaux a été remis au maître d'œuvre le 18 octobre, comme le confirme le représentant de la DDA : "Le chef d'agence m'a remis ses propositions sur un ancien bordereau qu'il avait annoté. Je n'ai pas conservé ce document. J'ai toutefois procédé à mes propres études qui font l'objet de deux documents que je vous ferais parvenir sous quinzaine. Les propositions de l'Entreprise Industrielle ont été reprises en grande partie dans le bordereau définitif après avoir procédé à une comparaison également avec les bordereaux des départements voisins."

2. La politique de soumission des entreprises

13. Les résultats des appels d'offres font apparaître une grande stabilité des attributaires des différents marchés, puisque hormis pour les zones de Guer, de La Gacilly, de Rochefort-Allaire et de Ploemeur, les entreprises qui avaient obtenu des marchés en 1989 restent titulaires de marchés en 1994.

14. L'ensemble des soumissions des entreprises titulaires est synthétisé dans le tableau ci-après :

EMPLACEMENT TABLEAU

15. L'analyse de ce tableau fait apparaître quatre types de situations :

- les entreprises EI, Etde, Sdel, GT et Sturno obtiennent 17 marchés, sur les 25 dont elles sont titulaires, avec des coefficients de rabais de 8 et 9 ; pour les marchés sur lesquels elles font des propositions supérieures, on observe qu'une cinquième entreprise, la société Cégelec, fait des propositions de rabais qui ne sont jamais inférieures à 10 ; les offres des entreprises GT, Sdel, EI, Seco, Etde, Sturno et Mahé sur les marchés dont elles n'ont pas été attributaires, se situent entre 4 et 5 pour l'Entreprise Industrielle, à 2 pour la société Mahé et ne sont jamais supérieures à 7 pour les autres entreprises ;

- pour trois des marchés qui changent d'attributaires, les titulaires sortants, l'Entreprise Industrielle et GT, ont présenté des rabais de 9, et les nouveaux attributaires, les sociétés Vigilec, Sader et Cegelec ont proposé des rabais de 18, 20 et 13.

16. S'agissant des appels d'offres lancés par les syndicats de Baud, Ploemeur, Hennebont et Quiberon, les entreprises Mahé et Mainguy ont présenté séparément des offres alors qu'elles ont entre elles des liens capitalistiques et de gestion étroits. La société Mahé est détenue à 90 % par la société Préfatlantique dont le gérant et actionnaire majoritaire est M. Gilbert A... qui est par ailleurs, au moment des faits, secrétaire général de la société Mahé, dont il deviendra président directeur général en 1996. La SARL Préfatlantique dont l'objet est la fabrication de produits en béton a son siège en Loire Atlantique à Vertou à la même adresse que la société Mainguy dont M. Gilbert A... est directeur général et actionnaire principal. Dans la déclaration signée le 1er septembre 1994 pour le syndicat de Rochefort-Allaire, M. B..., directeur de la SA Mahé, cite M. Gilbert A... parmi les personnes ayant qualité pour engager la société Mahé "en tant que président directeur général du groupe".

17. Interrogé sur les liens existant entre les deux sociétés, le représentant de la société Mahé a reconnu : "Je vous précise toutefois que l'entreprise Mahé est restée indépendante quant à sa stratégie commerciale pour laquelle elle dispose d'une totale autonomie. Il en va de même de la gestion du personnel et des investissements courants. Il est toutefois évident que pour les investissements importants ainsi que pour les marchés importants engageant l'entreprise sur plusieurs années tels que ceux d'électrification rurale, M. A... est informé des projets et des soumissions ... S'agissant de marchés importants, ces offres ont été communiquées à M. A...."

3. Les déclarations des entreprises

18. Dans le cadre de l'instruction du dossier, les entreprises ont justifié ainsi les niveaux de coefficients proposés :

- la connaissance du terrain, très importante en zone rurale, qui permet de gagner du temps et de prévoir avec précision le volume et la nature des travaux qui vont être commandés ;

- la distance entre les chantiers et leurs centres de travaux qui se répercute sur le coût de la main d'œuvre et des déplacements ;

- la nature des travaux et les contraintes très diverses liées à l'accessibilité des sols et à la qualité des terrains ;

- la difficulté à mobiliser les moyens humains et financiers nécessaires pour faire face aux délais très courts de réalisation imposés par les maîtres d'ouvrage.

Les groupements constitués entre les entreprises

19. Sur le syndicat de La Trinité Porhoët, les sociétés l'Entreprise Industrielle et Sturno ont soumissionné en groupement. Le responsable de la première société mandataire du groupement, à qui sont réservés 80 % des travaux, a déclaré : "Le groupement avec Sturno sur la Trinité Porhoët est un groupement conjoncturel pour éviter une trop forte concurrence prévisible de cette entreprise sur ce lot".

20. Le groupement entre l'Entreprise Industrielle, ETDE et GT sur le syndicat de Pontivy-Cléguérec est justifié comme suit par ETDE : "une nécessité de moyens disponibles, d'optimisation des coûts et il fait suite à un groupement existant précédemment", alors que pour l'Entreprise Industrielle : "Le groupement avec les entreprises Garczynski et Traploir et Etde répond à une reconduction d'une situation précédente".

21. S'agissant des groupements entre l'Entreprise Industrielle et Mahé sur les syndicats de la Roche Bernard et Rochefort Allaire, la société Mahé a indiqué : "ces syndicats étaient précédemment détenus par EI et ma première démarche a été de proposer une alliance avec cette entreprise, entreprise avec laquelle l'entreprise Mahé avait l'habitude de travailler sur le même type de marché en Loire-Atlantique. Je ne vous cache pas que cette demande, bien que finalement acceptée par EI n'a pas été très bien perçue à l'origine par EI".

22. S'agissant du marché de la Roche Bernard dont l'appel d'offres a été annulé, le responsable de la société Mahé a déclaré : "Le marché de la Roche Bernard n'étant pas suffisant pour atteindre le volume de travaux dont j'avais besoin pour maintenir l'agence de Vannes, nous avons décidé de remettre un coefficient inférieur sur le marché de Rochefort-Allaire après l'annulation du marché précédent. Le rabais de 18 % résulte d'une part d'un calcul détaillé prenant en compte le marché déjà obtenu sur La Roche Bernard et d'autre part des coefficients déjà remis par la concurrence sur le marché de Guer dont nous avions eu connaissance par le BOAMP du 11/8/94. L'Entreprise Industrielle a refusé de me suivre sur cette base. Une fois le marché de Rochefort attribué à la SA Mahé, j'ai effectué une nouvelle demande auprès de l'Entreprise Industrielle pour lui proposer une nouvelle collaboration sur les bases communes correspondant à la répartition initiale effectuée pour l'offre précédente et paiement direct aux conditions du marché. J'ai effectué cette démarche car le volume total du marché excédait mes moyens en hommes et matériel à l'époque et en outre, je partageais ainsi le manque à gagner et je revenais ainsi sur un coefficient moyen (- 13 %) acceptable pour mon entreprise."

23. L'entreprise Industrielle a, pour sa part, déclaré : "Le groupement avec Mahé sur le syndicat de Rochefort-Allaire n'a pas été reconduit lors de la seconde consultation car l'Entreprise Industrielle ne voulait pas suivre le niveau de prix proposé par Mahé, le prix de Cegelec étant alors connu. Mahé étant ensuite attributaire du marché, a annoncé qu'il recherchait un sous-traitant. Après réflexion, l'Entreprise Industrielle a préféré accepter la sous-traitance proposée par Mahé plutôt que de laisser prendre la place par une autre entreprise."

24. Sur ces groupements, le responsable du service de l'électrification au sein de la direction départementale de l'agriculture du Morbihan a déclaré : "A mon avis le groupement EI/ETDE/GT sur le syndicat de Pontivy ne me semble pas répondre à une nécessité technique de regroupement des moyens de ces trois entreprises ; il me semble surtout répondre à un historique de groupement sur ce syndicat. S'agissant du groupement EI/Sturno, j'observe que jusqu'en 1995, Sturno a effectué la majorité des travaux, cette situation semble toutefois évoluer au profit d'EI qui a essayé vraisemblablement de compenser ses pertes d'activités sur d'autres syndicats du département. S'agissant des syndicats de Rochefort en Terre et la Roche Bernard, j'ai observé également depuis fin 1995, un rééquilibrage entre EI et Mahé, mais cette fois au profit de cette dernière entreprise. Pour certaines opérations, la répartition géographique des communes n'est plus respectée au profit d'un rééquilibrage financier au profit de Mahé. Dans la première période du marché, EI a effectué en effet la majorité des travaux en raison des pré-études qu'elle avait réalisé dans le cadre du précédent marché."

4. Le document saisi dans l'entreprise ETDE (cotes 279-301)

25. Ce document manuscrit, rédigé en 1991, dans le cadre de l'appel d'offre précédent lancé en 1989 pour la période allant jusqu'en 1994 et ayant pour titre : "marché ER - Synthèse Attraits/Atouts. ER Sud Bretagne", présente, à partir d'une analyse des besoins recensés dans le secteur de l'électrification rurale et des atouts de l'entreprise, les différentes hypothèses d'évolution des parts de marché de la société jusqu'en 1996. En conclusion de la partie consacrée à l'analyse de la situation, on peut lire : "marché bien positionné, une valeur sûre et de bonne durée. Cependant, avec un volume faible et peu évolutif si le marché reste protégé. Dans l'éventualité d'un appel d'offres ouvert non maîtrisé, nos coûts élevés de production peuvent être préjudiciables. Toutefois, c'est le segment phare de l'agence grâce à son niveau de marge d'une part et le potentiel qu'il peut nous apporter en effet de sillage." Dans la partie ayant pour titre "objectif stratégie offensive évolution favorable", le document évoque en ces termes les deux possibilités qui s'offrent à l'entreprise dans la perspective de l'appel d'offres de 1994 :

"1er cas de figure :

* en 1994 : le marché s'œuvre à la concurrence. Positionnement possible sur les sites ciblés (actions commerciales ci-dessus) prise de marché suppl. et chute de la marge.

2ème cas de figure :

* en 1994 : le marché reste fermé à la concurrence (les barrières à l'entrée fonctionnent bien). Nous demandons un pool et à passer de 7 à 10 % sur le 56 (56 5,9 MF HT + 29 0,96 MF HT = 6,86 MF HT). Marge stable."

Suit un tableau d'évolution du montant des marchés qui, pour le Morbihan, est ainsi présenté :

EMPLACEMENT TABLEAU

26. Le montant des marchés obtenus en 1994 par la société ETDE a été, en définitive, de 5,6 MF HT auquel il convient d'ajouter 33 % du montant partagé de l'important marché de Pontivy obtenu en groupement avec l'Entreprise Industrielle et GT, ce qui représente un peu plus de 10 % du volume minimum des travaux prévus en 1994 dans le Morbihan.

5. le document saisi dans l'Entreprise Industrielle (cote 209 - 1 À 4)

27. Ce document, adressé le 22 décembre 1994, par le siège de la société à Vannes à son agence de Ploërmel présente, pour 1989 et 1994, la liste des marchés, l'entreprise attributaire et leur montant minimum et maximum. A la fin du document figure un tableau dans lequel sont récapitulées les parts de marché des titulaires historiques, les noms des entreprises Vigilec, Sader et Cegelec, nouvelles venues sur les marchés de 1994, n'y figurant pas.

28. A propos de ce document, le responsable de l'agence locale EI à Ploërmel a déclaré : "le fax qui m'a été adressé par l'agence EI de Vannes avait pour objet de me fournir un argumentaire face à Garczynski & Traploir et ETDE afin de maintenir la part de chacun à 33 % sur le marché de Pontivy-Cléguérec".

6. Le document saisi dans l'entreprise SECO (cotes 380-382)

29. L'Entreprise Industrielle a transmis en télécopie à l'entreprise Seco, le 27 février 1995, la copie de deux lettres envoyées par elle à la direction départementale de l'agriculture et contenant des propositions de prix présentées au maître d'œuvre pour la réalisation de prestations non prévues dans le bordereau des prix. Ces travaux de génie civil téléphonique ont été demandés, le 18 octobre 1994, à toutes les entreprises soumissionnaires en complément du marché initial. Le fax a été reçu par Seco la veille du jour où elle a répondu à cette nouvelle demande.

C. Les griefs notifiés

30. Sur la base des éléments présentés ci-dessus, les griefs suivants ont été notifiés :

- à la SA L'Entreprise Industrielle, à la SA Garczynski & Traploir (GT), à la SA Saunier Duval Electricité (SDEL) et à la SA ETDE pour avoir participé, avant la remise des offres, à une concertation en vue de réviser, à l'insu du maître d'œuvre, le bordereau unitaire des prix servant de base aux propositions des entreprises, qui, en raison des informations échangées, a eu pour objet et a pu avoir pour effet d'une part de réduire l'indépendance de leurs offres et d'autre part de tromper le maître d'œuvre sur les conditions réelles de la révision du bordereau des prix unitaire en vue du lancement de l'appel d'offres de 1994 pour les marchés d'électrification rurale et d'éclairage public du Morbihan.

- aux sociétés SA l'Entreprise Industrielle, SA Garczynski & Traploir (GT), SA Saunier Duval Electricité (SDEL), SA ETDE, SA Seco et SA Sturno d'avoir mis en œuvre, préalablement au dépôt de leurs propositions, une concertation qui a eu pour objet et pour effet de coordonner leurs offres en vue de maintenir le partage de trente de ces marchés au bénéfice des titulaires antérieurs et d'empêcher l'émergence d'offres compétitives susceptibles de mettre en cause la répartition générale des marchés ainsi obtenue.

- aux sociétés SA Mahé et Mainguy pour avoir, préalablement à la remise de leurs offres sur quatre marchés, organisé une concertation qui a eu pour objet un échange d'informations sur les conditions et les montants de leurs offres et pour effet de tromper le maître d'œuvre sur la réalité de la concurrence existant entre ces deux entreprises liées par des liens capitalistiques et sociaux étroits.

II. Discussion

A. Sur la procédure

1. En ce qui concerne la recevabilité de la saisine

31. La société l'Entreprise Industrielle soutient que la saisine du Conseil, en date du 25 février 1997, est irrecevable du fait que le décret n° 95-1248 du 28 novembre 1995 relatif aux attributions du ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur n'a pu valablement lui déléguer le pouvoir de saisir le Conseil de la concurrence dès lors, qu'en vertu de l'article L. 462-5 du Code de commerce, ce pouvoir a été attribué de manière restrictive par la loi au ministre chargé de l'Economie et qu'en conséquence seule une loi, en particulier dans une matière à caractère pénal, peut en autoriser la délégation. S'appuyant sur des décisions du Conseil d'Etat (CE au 20 juin 1961. Proc. Gén. Cour des comptes ; CE sect. 28 fév. 1904, Fed. Educ. Nat. et Fed. nat. des syndicats d'enseignement libre catholique ; CE sect. 29 mars 2000, Ludiaqueno) et sur la décision 98-D-18 du 10 mars 1998 du Conseil, cette entreprise estime, au surplus, d'une part, que l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, qui autorise le ministre de l'Economie à saisir le Conseil, a un caractère limitatif qui lui interdit de déléguer ce pouvoir et que, d'autre part, le décret du 28 novembre 1995 n'a pas défini de manière suffisamment précise les attributions ainsi déléguées par le ministre de l'Economie.

32. Aux termes de l'article L. 462-5 du Code de commerce : Le Conseil de la concurrence peut être saisi par le ministre chargé de l'Economie de toute pratique mentionnée aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5. Par ailleurs, le décret n° 95-1248 du 28 novembre 1995 relatif aux attributions du ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur prévoit que : "Article 1 : M. Yves C..., ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur, exerce les attributions qui lui sont confiées par le ministre chargé de l'Economie et des Finances, relatives à la consommation, à la concurrence, aux marchés publics et au commerce extérieur (...). Article 3 : Le ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur reçoit délégation du ministre de l'Economie et des Finances pour signer, en son nom, tous actes, arrêtés et décisions dans la limite de ses attributions, sous réserve des dispositions de l'article 4 ci-après. Il contresigne conjointement avec le ministre de l'Economie et des Finances les décrets relevant de ses attributions. Article 4 : les décisions relatives au personnel, à l'organisation et au fonctionnement de l'administration centrale et des services déconcentrés des directions et services énumérés à l'article 2 (...) sont prises conjointement par le ministre de l'Economie et des Finances et le ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur".

33. Il résulte en premier lieu de l'article 21 de la Constitution que le Premier ministre peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres et du décret n° 47-233 du 23 janvier 1947 modifié que les ministres peuvent donner délégation à l'effet de signer tous actes individuels ou réglementaires à l'exception des décrets. Dès lors, le décret du 28 novembre 1995 pris par le Président de la République, contresigné par le Premier ministre et par le ministre de l'Economie et des Finances, a légalement pu prévoir que M. Yves C..., ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur, reçoit délégation du ministre de l'Economie et des Finances à l'effet de signer en son nom tous actes et décisions dans la limite des attributions qui lui sont confiées par le ministre des Finances, au nombre desquelles figure la concurrence. Ainsi, la circonstance que certaines attributions particulières aient été confiées au ministre par la loi ne fait pas obstacle à ce que ces attributions puissent, par décret, faire l'objet d'une délégation au ministre délégué. Dans un arrêt n° 129 du 11 janvier 2000, la Cour de cassation, alors qu'était soulevé devant elle le moyen tiré de ce que, la loi ayant confié en propre au ministre chargé de l'Economie la faculté de déclencher une enquête, un simple décret, tel celui du 28 novembre 1995, ne pouvait légalement attribuer ce pouvoir à une autre autorité, a jugé "qu'il n'est pas interdit au ministre de déléguer ses attributions conformément aux lois et règlements". De même, le Conseil d'État a considéré que le ministre délégué était compétent, sur le fondement du décret du 28 novembre 1995, pour prendre un arrêté dans une matière où la loi attribue compétence au ministre (CE n° 184557 du 27 avril 1998, M. Cornette de Saint-Cyr).

34. Si, en second lieu, dans sa décision n° 98-D-18 du 10 mars 1998, le Conseil de la concurrence a retenu qu'il ne pouvait être saisi que par les autorités ou organismes énumérés par les dispositions combinées du 1er alinéa de l'article 11 et du 2e alinéa de l'article 5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et que cette liste présentait un caractère limitatif, cette décision ne s'est pas prononcée sur la possibilité pour le ministre chargé de l'Economie de déléguer sa signature au ministre délégué chargé des Finances à l'effet de saisir le Conseil de la concurrence. Par ailleurs, la solution de l'arrêt précité du 30 juin 1961, par lequel le Conseil d'Etat a considéré que l'énumération limitative faite par la loi des autorités habilitées à saisir la cour de discipline budgétaire excluait toute possibilité de délégation de ce pouvoir de saisine, ne peut être transposée au cas d'espèce, car cette décision a été rendue au vu de dispositions législatives particulières relatives à la saisine de cette cour, prévoyant expressément qu'"ont seuls qualité pour saisir la cour, par l'organe du Ministère public, le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Conseil de la République, ... le ministre des Finances", les dispositions précitées devant "être regardées, compte tenu du caractère de particulière gravité que présentent les poursuites devant cette haute juridiction, comme ayant entendu exclure, pour les autorités dont s'agit, la possibilité de déléguer leur signature pour décider la saisine de ladite cour".

35. En troisième lieu, il ressort des dispositions combinées de l'article 1 et de l'article 3 du décret du 28 novembre 1995 que M. Yves C... a reçu compétence à l'effet de signer, au nom du ministre, toutes décisions dans la limite des attributions qui lui sont confiées, au nombre desquelles figure la concurrence. Or, la saisine du Conseil de la concurrence constitue une décision relative à la concurrence si bien que, ainsi que la Cour d'appel de Paris en a décidé dans une autre espèce : "M. Yves C... était donc habilité par l'effet de ce seul texte à saisir le Conseil de la concurrence" (Sté Masterfood, 7 mai 2002). Dès lors, la société Entreprise Industrielle n'est pas fondée à soutenir que la délégation consentie à M. C... n'est pas suffisamment précise pour l'habiliter à saisir le Conseil.

2. En ce qui concerne la prescription

36. Les sociétés Mahé et Mainguy observent qu'aucun acte interruptif de prescription n'est intervenu entre la saisine du Conseil en février 1997 et la notification de griefs en mars 2002 et qu'en conséquence, le Conseil n'est pas fondé à poursuivre la procédure à leur encontre.

37. Cependant, une lettre a été adressée, le 8 décembre 1999, par le rapporteur à toutes les entreprises attributaires d'au moins un marché d'électrification dans le Morbihan, lors des appels d'offres lancé en décembre 1993, afin de recueillir des informations complémentaires sur les conditions de soumission à ces appels d'offres. Cette demande de renseignements, comme l'a déjà jugé le Conseil dans des décisions précédentes (cf. notamment la décision 02-D-48), constitue bien un acte tendant à la recherche et à la constatation des faits et a donc valablement interrompu la prescription. L'entreprise Mahé a répondu à ce courrier, le 17 février 2000. L'entreprise Mainguy, qui n'était pas attributaire d'un des marchés concernés, n'était pas destinataire de ce courrier, mais ainsi qu'il a été jugé par la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 2 mars 1999, l'interruption de la prescription produit effet à l'égard de toutes les parties en cause.

B. Sur le fond et sans qu'il soit besoin de statuer sur le moyen tiré de la durée de la procédure.

1. En ce qui concerne le grief de concertation sur le bordereau des prix unitaires

38. Un grief a été notifié aux sociétés l'Entreprise Industrielle, Saunier Duval Electricité, ETDE et Garczinski et Traploir pour s'être concertées sur la révision de la quasi-totalité des rubriques du bordereau unitaire des prix, à l'insu du maître d'ouvrage qui n'avait consulté que l'Entreprise Industrielle.

39. Cependant, la Cour d'appel de Paris, dans une affaire où des entreprises étaient poursuivies pour s'être entendues avec d'autres entreprises ainsi qu'avec le syndicat professionnel local, à l'occasion de la définition du bordereau de prix unitaires (BPU) utilisé pour les marchés en cause par le maître d'œuvre, a considéré, dans un arrêt du 9 janvier 2001 Sociétés SEE, Alsthom et autres, "qu'outre celle du maître d'œuvre, l'indépendance ou l'autonomie de décision des entreprises a également été préservée, aucune pièce du dossier ne démontrant d'une manière concrète l'existence entre ces entreprises d'un échange d'informations et d'une concertation illicite sur les rabais ou majorations de prix susceptibles d'être ultérieurement proposés, lors de la divulgation des éléments du nouveau BPU avec les appels d'offres. Considérant en définitive que, dès lors que la seule concertation incriminée, relative à la fixation des prix du nouveau bordereau, a eu pour origine une demande du maître d'œuvre de l'opération d'actualisation et ne procède pas d'une initiative ou de l'action délibérée des entreprises concernées, il n'y a pas lieu à sanction ;

40. En l'espèce, s'il est exact que le maître d'œuvre s'était adressé à l'Entreprise Industrielle, il ne ressort pas des éléments du dossier qu'il avait spécifié à cette dernière qu'elle ne pouvait pas associer d'autres professionnels à ses travaux, ou que l'Entreprise Industrielle lui ait dissimulé qu'il s'agissait d'une étude collective. Dès lors, la solution de l'arrêt du 9 janvier 2001 est transposable au cas d'espèce.

41. En second lieu, il n'existe pas au dossier d'indices permettant de présumer que les entreprises auraient outrepassé la tâche dont elles s'étaient chargées, en procédant à des échanges portant sur leurs propres coûts ou sur les rabais ou majorations qu'elles envisageaient de proposer dans le cadre de l'appel d'offres qui était imminent. L'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 12 février 2002, société Entreprise Industrielle, rappelle qu'un BPU contient, en général, au regard de chacun des articles qu'il énumère, l'indication d'un prix censé correspondre au prix moyen du marché déterminé par le maître d'œuvre à partir de données générales connues des professionnels concernés, sans prise en considération de situations individuelles, qu'il s'agisse des coûts de fournitures, du temps de travail ou des salaires horaires moyens dans la profession. Il n'apparaît pas des éléments recueillis en l'espèce que, sous couvert de révision du BPU, les sociétés en cause dans la présente procédure se seraient mutuellement communiquées des informations propres à chacune d'elles et susceptibles d'être utilisées à l'occasion du futur marché.

42. En conséquence, le grief est écarté, à défaut d'éléments propres à en établir le bien-fondé.

2. En ce qui concerne le grief de répartition des marchés de l'électrification rurale et de l'éclairage public du département du Morbihan pour 1994

43. Les sociétés l'Entreprise Industrielle, ETDE, Saunier Duval Electricité, Garczynski & Traploir, Seco et Sturno, estiment que la comparaison des rabais qu'elles ont proposée entre les différents marchés concernés ne révèle aucune convergence suspecte qui pourrait constituer l'indice d'une entente générale de répartition entre l'ensemble des soumissionnaires. Elles justifient la constitution de groupements par les contraintes liées à l'éloignement de certaines de leurs agences du lieu des travaux à effectuer et à la nécessité de répondre sans délais aux demandes des maîtres d'ouvrage, quels que soient les travaux engagés par ailleurs. Sur le document saisi chez ETDE, elles font valoir qu'il s'agit du brouillon d'une note d'analyse de l'évolution possible des marchés rédigée plus de trois ans avant la date de l'appel d'offres et qui ne contient aucun élément démontrant une concertation illicite entre les entreprises.

44. Par ailleurs, les sociétés Seco et l'Entreprise Industrielle soutiennent que le document saisi dans les locaux de l'entreprise Seco et attestant de la transmission par l'Entreprise Industrielle de propositions de prix, ne peut constituer l'indice d'une concertation sur les appels d'offres lancés en décembre 1993 dans la mesure où il est postérieur à la remise de ses propres offres sur les lots où elle a déposé des soumissions.

45. L'examen des rabais proposés par les six entreprises en cause sur les 32 marchés concernés montrent qu'elles proposent les rabais les plus importants sur les marchés sur lesquels elles sont confrontées à la concurrence d'une septième entreprise et qu'en général, les rabais proposés sur les lots dont elles sont déjà titulaires sont plus élevés que sur les autres lots.

46. Toutefois, ces seuls éléments sont insuffisants pour pouvoir constituer l'indice d'une politique de soumission concertée entre les entreprises mises en cause, d'autant plus que le nombre total de soumissionnaires étant toujours égal ou supérieur à 9, une telle politique aurait impliqué la connaissance, préalable aux dépôts des offres, des intentions des entreprises non mises en cause dans la présente procédure. De plus, la reconduction des titulaires des marchés n'est pas systématique, plusieurs marchés ayant été remportés par des entreprises non précédemment titulaires. Enfin, la circonstance que les entreprises proposent des rabais plus importants pour les marchés dont elles sont déjà titulaires ne constitue pas, en soi, l'indice d'une répartition des marchés, la connaissance des marchés concernés par ces entreprises étant de nature à leur conférer un avantage compétitif par rapport à leurs concurrents.

47. S'agissant du document saisi chez ETDE et décrit au paragraphe 25 ci-dessus, outre le fait qu'il est largement antérieur à la date du lancement des appels d'offres faisant l'objet de la saisine, le brouillon d'une étude sur les perspectives d'évolution du marché ne peut constituer l'indice de l'existence d'une concertation générale de répartition des appels d'offres entre les entreprises mises en cause, au motif qu'il fait état de barrières à l'entrée sur le marché. De même, le tableau récapitulatif des parts de marché des titulaires des marchés attribués, saisi dans les locaux de l'Entreprise Industrielle (cf. paragraphe 27 ci-dessus) ne démontre pas l'existence d'une concertation entre les entreprises concernées dès lors que les éléments qui y figurent concernent des marchés déjà attribués.

48. Le document saisi dans les locaux de l'entreprise Seco et décrit au paragraphe 29 ci-dessus, atteste de la transmission, par télécopie en date du 22 décembre 1994, par la société l'Entreprise Industrielle, des prix qu'elle a elle-même présentés au maître d'œuvre pour la réalisation de travaux non initialement prévus. Toutefois, la transmission de ces éléments est largement postérieure au dépôt des offres pour les marchés faisant l'objet du grief notifié. Au surplus, il ne ressort pas des éléments du dossier que la société Seco ait utilisé les prix transmis.

49. S'agissant enfin des groupements, s'ils peuvent être justifiés au plan technique par la proximité des centres de travaux des entreprises membres et les délais imposés par les maîtres d'œuvre, les déclarations des entreprises elles-mêmes et du maître d'œuvre montrent cependant qu'ils sont également utilisés par les entreprises pour desserrer la contrainte concurrentielle. Le responsable de l'Entreprise Industrielle, cité au paragraphe 19 ci-dessus, reconnaît ainsi que le groupement sur l'appel d'offres lancé par le syndicat de La Trinité Porhoët est formé "pour éviter une trop forte concurrence prévisible" avec la société Sturno. De même, les responsables de l'Entreprise Industrielle admettent, dans leurs déclarations citées aux paragraphes 21 à 23 ci-dessus, que les groupements répondaient avant tout aux pressions exercées par la société Mahé. Cet indice isolé est néanmoins insuffisant pour établir que les entreprises mises en cause ont mis en œuvre, préalablement au dépôt de leurs propositions, une concertation qui a eu pour objet et pour effet de coordonner leurs offres en vue de maintenir le partage de trente de ces marchés au bénéfice des titulaires antérieurs et d'empêcher l'émergence d'offres compétitives susceptibles de mettre en cause la répartition générale des marchés ainsi obtenue.

3. En ce qui concerne les échanges d'informations entre les sociétés Mainguy et Mahé

50. Aux termes d'une jurisprudence constante, qui a été rappelée dans la décision 03-D-01 relative au comportement des sociétés du groupe "Air Liquide" dans le secteur des gaz médicaux, le Conseil considère qu'il est loisible à des entreprises ayant entre elles des liens juridiques ou financiers, mais disposant d'une autonomie commerciale, de présenter des offres distinctes et concurrentes, à la condition de ne pas se concerter avant le dépôt des offres. Il est également loisible à des entreprises ayant entre elles des liens juridiques ou financiers, mais disposant d'une autonomie commerciale, de renoncer, généralement ou ponctuellement, à cette autonomie commerciale, à l'occasion des mises en concurrence ou d'une mise en concurrence et de se concerter pour décider quelle sera l'entreprise qui déposera une offre ou de se concerter pour établir cette offre, à la condition de ne déposer qu'une seule offre.

51. En revanche, si de telles entreprises déposent plusieurs offres, la pluralité de ces offres manifeste l'autonomie commerciale des entreprises qui les présentent et l'indépendance de ces offres. Mais, si ces offres multiples ont été établies en concertation, ou après que les entreprises ont communiqué entre elles, ces offres ne sont plus indépendantes. Dès lors, les présenter comme telles trompe le responsable du marché sur la nature, la portée, l'étendue ou l'intensité de la concurrence et cette pratique a, en conséquence, un objet ou, potentiellement, un effet anticoncurrentiel. Il est, par ailleurs, sans incidence sur la qualification de cette pratique que le responsable du marché ait connu les liens juridiques unissant les sociétés concernées, dès lors que l'existence de tels liens n'implique pas nécessairement la concertation ou l'échange d'informations.

52. Les sociétés Mainguy et Mahé, qui appartiennent au même groupe dirigé par M. Gilbert A..., ont présenté des offres séparées sur quatre lots du marché d'électrification rurale et d'éclairage public du Morbihan. Le représentant de la société Mahé a reconnu que pour ces marchés importants engageant l'entreprise sur plusieurs années, M. A... était informé des projets de soumission.

53. Les sociétés Mainguy et Mahé soutiennent qu'aucun élément de preuve n'est rapporté d'une élaboration commune de leurs offres dès lors que, dans la seule déclaration retenue à charge, à savoir celle du directeur de la société Mahé, celui-ci a indiqué que sa société disposait d'une totale autonomie commerciale.

54. Les deux entreprises ont chacune déposé des offres sur quatre syndicats d'électrification avec des rabais de 4 % pour la société Mainguy et de 2 % pour la société Mahé. Elles ont pratiqué ces mêmes rabais sur les 15 autres syndicats dans lesquels elles ont alternativement présenté des offres. Ainsi, le fait de présenter des offres séparées sur quatre lots n'a eu aucune incidence sur le niveau des propositions remises par chaque entreprise.

55. De plus, il apparaît que, sur les lots où elles ont été présentes, l'écart important séparant le niveau de leur rabais et qu'elles expliquent par la distance différente existant entre leur siège social respectif et les lieux d'intervention de leurs équipes, ne permet pas de considérer, eu égard, par ailleurs, au nombre important de soumissions d'entreprises concurrentes, que ces offres ont présenté le caractère d'offres de couverture élaborées pour permettre à l'une ou l'autre des entreprises d'obtenir le marché.

56. Dès lors qu'aucun élément tiré de l'analyse de leurs soumissions ne montre que ces entreprises ont coordonné leurs propositions, le fait que le président directeur général du groupe était, de manière générale, informé des soumissions ne constitue pas un indice suffisant de ce que, en l'espèce, ces entreprises ont communiqué entre elles pour préparer ensemble leurs propositions.

57. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il n'est pas établi que les sociétés l'Entreprise Industrielle, Garczynski & Traploir (GT), Saunier Duval Electricité (SDEL), ETDE, Seco, Sturno, Mahé et Mainguy aient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Décision :

Article unique - Il n'est pas établi que les sociétés l'Entreprise Industrielle, Garczynski & Traploir (GT), Saunier Duval Electricité (SDEL), ETDE, Seco, Sturno, Mahé et Mainguy aient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.