Conseil Conc., 6 avril 2004, n° 04-D-11
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Saisine de la société Sematec contre les pratiques de la société Newell Window Fashions Germany (GmbH)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Chaulet-Philippe, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, M. Nasse, vice-présidents.
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 16 octobre 2001, sous le numéro F 1352, par laquelle la SARL Sematec a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques imputables à la société Newell Window Fashions Germany; - Vu le livre IV du Code de commerce, relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant ses conditions d'application; - Vu les autres pièces du dossier; - La rapporteure, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et le représentant de la SARL Sematec entendus lors de la séance du 17 février 2004; - Adopte la décision suivante:
I. Constatations
1. La Sematec fabrique et commercialise des articles de décoration, en particulier des accessoires pour rideaux, des stores et du matériel de revêtement de sol. Le 1er avril 1991, le groupe Gardinia, ayant dû mettre fin à son activité en France, a accordé à la Sematec l'exclusivité de la vente de ses produits en France et dans les provinces belges francophones. Conclu pour une durée de trois ans, ce contrat était assorti, pour la période postérieure, d'une clause de tacite reconduction d'année en année.
2. Par lettre du 22 décembre 1995, la société Gardinia notifiait à Sematec sa volonté de mettre fin à cette collaboration. Un accord transactionnel était entériné, le 18 décembre 1997, par le Tribunal de grande instance de Colmar, mettant fin au contrat d'exclusivité initial et prévoyant la poursuite des relations contractuelles sur la base d'un prix garantissant la marge de la Sematec dans la revente des produits Gardinia. En septembre 1998, la société Gardinia devenait la société Newell Window Fashions Germany (ci après Newell).
3. La Sematec fait valoir que la société Newell n'a pas respecté ses engagements contractuels, d'une part, en procédant, dans un premier temps, à des augmentations intempestives de prix, d'autre part, en interrompant ses livraisons, à compter de mai 2000. De manière plus générale, la saisissante invoque l'attitude discriminatoire et abusive de la société Newell qui, depuis la résiliation de l'accord en 1997, ne lui communique pas ses nouveaux tarifs.
4. Antérieurement à la présente saisine, la Sematec avait entrepris une procédure judiciaire qui a conduit à une ordonnance de référé, en date du 31 juillet 2000, par laquelle il a été enjoint à la société Newell d'honorer ses livraisons. Par jugement du 3 mai 2001, le Tribunal de commerce de Colmar a condamné la société Newell, à payer à la Sematec 1 350 000 francs à titre de dommages et intérêts au motif que "la modification unilatérale et subite des usages en vigueur entre les parties est constitutive d'un abus dès lors qu'elle a fait partie d'un comportement général de la part de la société défenderesse visant à déséquilibrer à son profit les rapports habituellement entretenus entre les parties."
5. Les pratiques dénoncées par la Sematec, qui consistent en des augmentations intempestives de prix, des retards de livraison et la non-communication des tarifs, sont, selon elle, constitutives d'un abus de la position dominante que détiendrait Newell sur le marché des accessoires de décoration intérieure.
6. La société saisissante, qui fait valoir que les pratiques dénoncées sont à l'origine pour elle de graves difficultés financières, a été mise en liquidation judiciaire par jugement du TGI de Colmar du 14 mai 2002.
7. Par conclusions complémentaires du 6 octobre 2002, la Sematec précise qu'elle se fournissait de longue date à 70 % au moins de ses besoins auprès de la société Gardinia, devenue Newell, qui était par ailleurs son fournisseur exclusif pour un certain nombre de produits de décoration intérieure comme des tringles à rideaux et invoque en outre l'abus de position dominante et l'état de dépendance économique dans laquelle elle se trouvait par rapport à Newell.
II. Discussion
8. En application de l'article L. 462-8 du Code de commerce, le Conseil de la concurrence peut "rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'il estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'arguments probants".
A. En ce qui concerne l'abus de position dominante
9. La saisissante dénonce des pratiques qui pourraient constituer des manquements de l'entreprise Newell dans l'exécution de ses obligations contractuelles mais ne précise pas le marché sur lequel la société Newell serait en position dominante et ne produit aucun argument d'ordre économique pour démontrer une telle position. Elle fait valoir le fait que Newell aurait été son fournisseur exclusif pour un certain nombre de produits comme les tringles à rideaux et les accessoires et évoque le marché français des fournitures pour décoration intérieure sans en apporter de définition précise. Elle n'apporte donc aucun élément de nature à établir une position dominante de Newell sur un marché clairement identifié. Dès lors, les faits reprochés à cette société ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants permettant de les qualifier de pratiques anticoncurrentielles prohibées par l'article L. 420-2 du Code de commerce.
B. En ce qui concerne l'abus de dépendance économique
10. Pour démontrer l'évolution de la part des produits Newell dans le montant de ses achats, la Sematec communique de simples documents manuscrits et non des pièces comptables, qui font apparaître que plus de 90 % de ses achats sont effectués auprès de Gardinia/Newell en 1997, alors que la Sematec est liée à Newell par un contrat d'exclusivité. Mais, une fois ce contrat dénoncé, les chiffres baissent sensiblement: 37 % en 1998, 42 % en 1999, 49 % en 2000 et 11 % en 2001. ce dernier chiffre est toutefois moins significatif, compte tenu de la baisse d'activité de Sematec.
11. La répartition en valeur des achats de Sematec sur ces années permet de constater que la baisse des achats effectués auprès de Newell a été compensé par des achats effectués auprès d'autres fournisseurs. En effet, ce montant n'était que de 0,1 MF en 1997 alors que s'appliquait le contrat d'exclusivité, mais il s'est élevé à 1,9 MF dès 1998, 1,7 MF en 1999 et atteignait encore 1,2 MF environ en 2000 et 2001. Ces chiffres, s'ils montrent l'importance de la part de marché de Newell dans le chiffre d'affaires de la Sematec au temps du contrat d'exclusivité, n'établissent pas la difficulté pour cette dernière à trouver d'autres fournisseurs de produits équivalents, une fois ce contrat dénoncé. La dépendance économique alléguée par la Sematec à l'égard de Newell, qui suppose notamment que la part des produits en cause dans le chiffre d'affaires de l'entreprise qui invoque la dépendance ne résulte pas d'un choix de politique commerciale, n'est donc pas, elle non plus, appuyée d'éléments suffisamment probants.
12. Il résulte de ce qui précède, qu'il y a lieu en application de l'article L. 462-8 précité, de rejeter la demande pour défaut d'éléments suffisamment probants.
Décision
Article unique - La saisine de la SARL Sematec est rejetée.