CA Agen, ch. corr., 4 novembre 1996, n° 96-00190
AGEN
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
INAO, Administration de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lebreuil
Substitut :
général: M. Kubiec
Conseillers :
MM. Louiset, Bastier
Avocats :
Mes Lachaud, Cavalié.
Rappel de la procédure:
Le jugement:
Le tribunal, par jugement du Tribunal de grande instance de Cahors en date du 14 décembre 1995 a déclaré
C Joachim
Coupable de falsification de denrées alimentaires, boissons ou substances médicamenteuses nuisibles à la santé, le 7 octobre 1991, à Floressas (46), infraction prévue par les articles L. 213-3 al. 1 1°, L. 213-3 al. 2 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 213-3 al. 2 du Code de la consommation
Coupable de détention de denrées, boissons ou produits agricoles falsifiés ou corrompus et nuisibles à la santé, le 22 janvier 1993, à Floressas (46), infraction prévue par l'article L. 213-4 al. 1 2 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 213-4 al. 2 du Code de la consommation
Coupable de tentative de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, le 22 janvier 1993, à Floressas (46), infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1 du Code de la consommation, art. 121-5 du nouveau Code pénal
D Marc Marcel
Coupable de falsification de denrées alimentaires, boissons ou substances médicamenteuses nuisibles à la santé, le 7 octobre 1991, à Floressas (46), infraction prévue par les articles L. 213-3 al. 1 1°, L. 213-3 al. 2 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 213-3 al. 2 du Code de la consommation
Coupable de détention de denrées, boissons ou produits agricoles falsifiés ou corrompus et nuisibles à la santé, le 22 janvier 1993, à Floressas (46), infraction prévue par l'article L. 213-4 al. 1 2 du Code de la consommation et réprimée par l'article L. 213-4 al. 2 du Code de la consommation
Coupable de tentative de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, le 22 janvier 1993, à Floressas (46), infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1 Code de la consommation, art. 121-5 du nouveau Code pénal et par application de ces articles, a condamné C à une amende de 5 000 F ordonné l'interdiction de commercialisation du vin saisi - et condamné D Marc Marcel à une amende de 20 000 F et ordonné l'interdiction de commercialisation du vin saisi
Les appels:
Appel a été interjeté par Monsieur D Marc Marcel, le 22 décembre 1995,
Monsieur le procureur de la République, le 22 décembre 1995 contre Monsieur D Marc Marcel, Monsieur C Joachim
Arrêt
Statuant sur les appels interjetés à l'encontre de la décision susmentionnée par Monsieur D et par le Ministère public;
Attendu que ces appels ont été formalisés par déclarations reçues au greffe du Tribunal de grande instance de Cahors le 22 décembre 1995; qu'ils sont réguliers en la forme et qu'ils ont été interjetés dans le délai de la loi; qu'il convient en conséquence de les déclarer recevables;
Attendu que Monsieur D et Monsieur C ne connaissent pas les faits qui leur sont reprochés et demandent à être renvoyés des fins de la poursuite aux motifs essentiels:
- que le 25 juin 1992 l'INAO leur a délivré un certificat d'agrément pour la récolte 1991 de 1540 hl;
- que suivant ordonnance de restitution rendue le 19 septembre 1994 par le juge d'instruction les scellés ont été levés pour l'ensemble des cuves à l'exception de celle qui porte le numéro 34 et que la prévention ne peut plus concerner que cette cuve;
- que le vin qu'elle contient, provenant des cuves 13 et 15 n'a jamais subi d'enrichissement illégal; que l'analyse à laquelle ils ont fait procéder le 10 avril 1996 par le laboratoire de Montpellier de la DGCCRF a en effet révélé une teneur en sucre de 1,5 degré inférieur au maximum légal et que l'analyse des échantillons SA 07 (cuve 13) et SA 08 (cuve 15) telle qu'elle a été faite contradictoirement par les experts Dubennet et Mathieu désignés par le juge d'instruction (cote D.85) fait elle aussi apparaître un enrichissement moyen inférieur à deux degrés; qu'en toutes hypothèses la méthode utilisée par ces deux experts laisse place à de nombreuses incertitudes et que d'autres experts ont attesté qu'il n'y avait pas de surchaptalisation;
- que subsidiairement, ils demandent à la cour d'ordonner une nouvelle expertise;
Attendu que le Ministère public requiert au contraire une aggravation de la peine prononcée et la publication de la présente décision;
Attendu que l'INAO, partie civile, régulièrement représenté par son avocat, Maître Cavalie, sollicite la confirmation de la décision dont appel en ce qu'elle a condamné Monsieur D et Monsieur C à lui payer la somme de 40 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 2 000 F par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; qu'elle demande pour le surplus à la cour, sur le fondement de ce dernier texte, de condamner les prévenus à lui payer la somme supplémentaire de 6 000 F au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel;
Sur quoi,
1) Sur l'action publique
Attendu que les faits de la cause ont été exactement relatés par les premiers juges en des énonciations auxquelles la cour se réfère expressément et qu'il suffit de rappeler:
- qu'en l'état de la réglementation applicable l'augmentation maximum du titre alcoométrique des vins de Cahors pour la récolte 1991 avait été fixée à deux degrés, étant précisé que le titre alcoométrique volumique naturel minimum avant tout enrichissement devait être d'au moins 10,5 degrés et que le titre alcoométrique volumique maximum après enrichissement ne pouvait excéder 13 degrés;
- que M. C, chef de culture au Château Chambert depuis 1974 avait l'habitude, ainsi qu'il l'a reconnu à la cote D 29 du dossier, de déclarer un degré en moins sur une ou plusieurs cuves de façon à pouvoir justifier ses déclarations d'enrichissement et qu'il se constituait de la sorte une réserve de sucre qu'il n'hésitait pas à utiliser en cas de besoin;
- que pour la récolte 1991 il avait commandé 2600 kilos de sucre mais que cette année là il n'avait pas eu besoin de baisser frauduleusement le degré du vin puisqu'il n'atteignait pas les 10,5 degrés minimum; que n'arrivant pas à obtenir un degré de 12 à 12,5 à partir d'une production qui au départ ne titrait pas les 10,5 degrés exigés par la réglementation il avait utilisé en plus des 2 600 kilos acquis la totalité du stock de sucre dont il disposait et dont il ne pouvait pas préciser la quantité;
- que les investigations entreprises n'ont pas permis de déterminer cette quantité mais que selon les calculs opérés par le service de la pression des fraudes, la quantité de sucre nécessaire à la chaptalisation de la récolte 1991 pouvait être évaluée à 7 972 kilos ce qui, déduction faite des 2 600 kilos acquis cette année là faisait apparaître un stock irrégulièrement utilisé d'un poids total de 5 372 kilos;
- que les experts désignés par le juge d'instruction ont déposé un rapport dont les conclusions sont libellées comme suit:
"Les échantillons SA 07 et SA 08 sont les seuls qui présentent des valeurs pouvant être la conséquence d'un taux d'enrichissement supérieur à deux degrés et compris entre deux et trois degrés. Pour les autre vins le taux d'enrichissement est inférieur à la limite légale"
- que c'est au vu de ce rapport que le tribunal a estimé que le contenu des cuves 13 et 15 dont sont issus les prélèvements SA 07 et SA 08, soit 600 hl représentant le tiers de la récolte ne présentait pas le degré naturel minimum de 10,5 degrés et avait été surchaptalisé au dessus des deux degrés autorisés;
Attendu que les critiques faites aux experts par les deux prévenus ne sont pas fondées;
- que les échantillons ont été analysés par deux laboratoires disposant d'un matériel suffisant pour appliquer la méthode dite de résonance magnétique nucléaire du deutérium;
- que les résultats obtenus par ces deux laboratoires sont cohérents et font apparaître pour les échantillons SA 07 et SA 08 un enrichissement compris entre deux et trois degrés;
- que l'application de cette méthode suppose certes que les valeurs trouvées soient comparées à des valeurs standard analysées pour des vins témoins de la même région et du même millésime mais qu'aucun des laboratoires consultés n'a ignoré cette particularité;
- que le premier d'entre eux situé à Bordeaux a utilisé une première valeur de référence d'après lui la plus appropriée puisque les échantillons litigieux ont été produits dans un secteur proche du site de cette référence et que les calculs effectués à partir de cette valeur ont fait apparaître un taux d'enrichissement très important de 3,9 degrés pour l'échantillon SA 07 et de 3,6 degrés pour l'échantillon SA 08;
- qu'il a alors proposé une deuxième série de calculs, plus favorable aux prévenus faisant la moyenne entre cette première référence et une deuxième référence dont le site est beaucoup plus éloigné; que les résultats obtenus en faisant application de cette moyenne font là encore apparaître une surchaptalisation excessive puisqu'égale à 3 degrés pour l'échantillon SA 07 et à 2,6 degrés pour l'échantillon SA 08;
- que le second laboratoire (Eurofins) n'a pas voulu communiquer les valeurs contenues dans sa propre banque de données mais que les résultats qu'il a obtenus sont très voisins de ceux qui ont été obtenus par le laboratoire de Bordeaux;
- que les experts se sont quant à eux livrés à un calcul complémentaire en prenant comme valeur de référence, non plus les valeurs des banques de données, mais la valeur obtenue pour l'échantillon présentant le rapport isotopique le plus faible c'est-à-dire l'échantillon SA 09; qu'il leur est alors apparu que les échantillons SA 07 et SA 08 avaient reçu un enrichissement supérieur de respectivement 2,15 degrés et 1,8 degrés par rapport à cet échantillon SA 09; qu'il doit en être déduit que si ce dernier échantillon a été lui même enrichi de plus de 0,2 degrés, ce qui en l'état des investigations qui ont été faites n'est pas douteux les deux échantillons litigieux et pas seulement le numéro SA 07 ont reçu un enrichissement supérieur à deux degrés;
Attendu que toutes les analyses auxquelles il a été procédé par les experts ou sous leur contrôle permettent par conséquent de conclure avec certitude à une surchaptalisation; que les expertises ou attestations diverses sur lesquelles les prévenus se fondent pour tenter d'échapper aux poursuites ne sont pas contradictoires et n'ont pas l'autorité qui s'attache aux conclusions des deux experts désignés par le juge d'instruction;
Attendu que les faits sont d'autant plus caractérisés qu'il résulte des propres déclarations de Monsieur C ci dessus rappelées que le vin en 1991 ne titrait pas les 10,5 degrés minimum exigés par la réglementation,ce qui suffit à rendre pénalement répréhensible tout enrichissement;
Attendu enfin que l'obtention en 1992 c'est-à-dire avant contrôle d'un certificat d'agrément ne signifie pas que ladite réglementation avait été respectée;
Attendu que Monsieur D et Monsieur C se sont donc bien rendus coupables des faits qui leur sont reprochés, étant précisé, comme l'a pertinemment relevé le tribunal, que Monsieur D en tant que chef d'exploitation ne pouvait pas ne pas vérifier la régularité des opérations réglementées de chaptalisation auxquelles avait procédé son chef de culture Monsieur C et ne pouvait pas ignorer la quantité de sucre qui se trouvait en stock sur l'exploitation ni l'utilisation qui en avait été faite pour l'année 1991;
Qu'en les retenant dans les liens de la prévention les premiers juges ont fait une exacte application des dispositions de la loi pénale; qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement dont appel sur la qualification des faits et sur la déclaration de culpabilité;
Qu'en revanche s'agissant du prononcé de la peine la sanction prononcée par le tribunal est insuffisante compte tenu de la nature et de la gravité de l'infraction;
Qu'il convient de ce chef de réformer la décision déférée et de condamner:
- Monsieur D à la peine d'un mois d'emprisonnement avec sursis et 100 000 F d'amende
- Monsieur C à la peine de un mois d'emprisonnement avec sursis et 40 000 F d'amende;
Qu'il convient en outre d'ordonner la publication du dispositif du présent arrêt dans trois journaux locaux aux frais avancés des condamnés;
II) Sur l'action civile
Attendu qu'il ne peut pas être sérieusement contesté que les agissements de Monsieur D ont causé à l'INAO un préjudice que les premiers juges ont justement évalué à la somme de 40 000 F; que le jugement de ce chef est donc en voie de confirmation;
Attendu qu'il convient en outre en équité et eu égard à la situation économique des auteurs des infractions de les condamner à payer à la partie civile la somme supplémentaire de 4 000 F par application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;
Par ces motifs: LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement par arrêt contradictoire à l'égard de toutes les parties et en dernier ressort, En la forme reçoit les appels jugés réguliers; Et au fond: Sur l'action publique: Confirme le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré Monsieur D et Monsieur C coupables des faits qui leur sont reprochés, Mais le réformant sur le prononcé de la peine condamne: 1°) Monsieur D d'emprisonnement avec sursis et 100 000 F d'amende à la peine de un mois; 2°) Monsieur C à la peine de un mois d'emprisonnement avec sursis et 40 000 F d'amende, Dit que l'avertissement prévu par les dispositions de l'article 131-29 du Code pénal n'a pu être donné par le président aux condamnés en raison de leur absence lors du prononcé de la peine; Ordonne en outre la publication du dispositif du présent arrêt dans les journaux: la Dépêche du Midi (Edition du Lot), le Sud-Ouest, et la Vie Quercynoise. Dit qu'il y sera procédé aux frais avancés des condamnés et fixe le coût maximum de chaque insertion à la somme de 1 500 F; Sur l'action civile: Confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions civiles, Mais y ajoutant, Condamne Monsieur D et Monsieur C à payer à l'INAO la somme supplémentaire de 4 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.