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Décisions

CA Rouen, ch. corr., 9 septembre 1996, n° 96-00025

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Poulain

Défendeur :

Administration des fraudes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tardif

Substitut :

général: M. Chaux

Conseillers :

MM. Gallais, Solle-Tourette

Avocats :

Mes Moiraux, Verdier.

TGI Evreux, ch. corr., du 29 juin 1995

29 juin 1995

Pierre L a été à la requête du Ministère public cité directement par exploit délivré le 24 mars 1995 à personne devant le Tribunal correctionnel d'Evreux.

Il était prévenu d'avoir à Val-de-Reuil les 21 juillet, 13 mai et 16 juillet 1993, trompé Jean-Louis Poulain sur la composition d'un aliment appelé "Dynorphos Pintade" puisqu'il contenait deux additifs interdits (le monensin de sodium et salinomycine de sodium)

Infraction prévue et réprimée par l'article L. 213-1 du Code de la consommation.

Le tribunal par jugement contradictoire du 29 juin 1995 a adopté le dispositif suivant:

"Sur l'action publique:

Déclare Pierre L coupable des faits qui lui sont reprochés,

Condamne Pierre L à la peine d'amende de 10 000 F,

Sur l'action civile:

Reçoit Jean-Louis Poulain en sa constitution de partie civile,

Condamne Pierre L à payer Jean-Louis Poulain la somme de 47 447,43 F à titre de dommages-intérêts,

Condamne Pierre L à verser Jean-Louis Poulain au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, la somme de 2 000 F."

Par déclaration au greffe du tribunal:

- le prévenu le 7 juillet 1995 sur les dispositions pénales et civiles

- le Ministère public le 7 juillet 1995 sur les dispositions pénales

- et la partie civile le 10 juillet 1995 sur les dispositions civiles

ont interjeté appel de cette décision.

Pierre L a été cité devant la cour par exploit délivré le 15 février 1996 à mairie (AR signé le 19 février 1996). Il est présent et assisté; l'arrêt à intervenir sera rendu contradictoirement à son égard.

La partie civile régulièrement citée devant la cour par exploit délivré le 19 janvier 1996 à personne est présente et assistée. L'arrêt sera rendu contradictoirement à son égard.

L'Administration des fraudes régulièrement mis en cause par exploit délivré le 17 janvier 1996 à personne n'est ni présente ni représentée devant la cour qui par défaut lui déclarera commun l'arrêt à intervenir.

Prétentions des parties

Le prévenu expose qu'il existe deux mélangeurs différents utilisés pour la fabrication des deux produits Dynorphos mais avec une tuyauterie commune, qu'il ne peut expliquer la présence de monensin-sodium alors que toutes les précautions sont prises pour éviter ce genre de chose et que les procédures imposées ont été respectées.

Le prévenu ajoute que les doses relevées sont sans danger pour les animaux et admet qu'il connaît ses obligations légales de contrôle tout en précisant qu'il ne peut contrôler tous les ingrédients des produits de son entreprise.

Il fait plaider que des contrôles sont opérés par sa société selon les usages par pesées successives et exceptionnellement par analyse des produits sans que cela soit une obligation, que le produit livré contenait tout ce qui était indiqué sur l'étiquette, que les quantités de monensin-sodium et de salinomycine de sodium retrouvées étaient tellement insuffisantes qu'elles ne peuvent constituer l'infraction, que la pollution au monensin a été accidentelle et que Pierre L a agi en professionnel consciencieux.

Il est également soutenu pour le prévenu que l'élément matériel de l'infraction n'est pas établi, non plus que la volonté délibérée de tromper en ce qui concerne le monensin. Pour la salinomycine il est demandé la confirmation de la décision entreprise.

Le prévenu fait encore soutenir que le lien de causalité entre la présence de monensin et la mort des pintades n'est pas prouvé, non plus que l'effet cumulatif invoqué par la partie civile qui n'émet qu'une hypothèse. Le prévenu considère que le préjudice allégué par la victime n'est pas démontré et sollicite subsidiairement une expertise.

Il fait conclure que:

Plaise à la cour

Monsieur Pierre L, ès qualités de président de la SA X, est appelant d'un jugement rendu le 29 juin 1995 en matière correctionnelle par le Tribunal de grande instance d'Evreux.

Le tribunal a jugé:

"1°) Sur l'action publique

"Déclare Monsieur L Pierre coupable des faits qui lui sont reprochés;

"Condamne L Pierre à la peine d'amende de 10 000 F;

"2°) Sur l'action civile

"Reçoit Monsieur Poulain Jean-Louis en sa constitution de partie civile;

"Condamne L Pierre à payer à Monsieur Poulain Jean-Louis la somme de "47 447,43 F à titre de dommages-intérêts;

"Condamne L Pierre à verser à Monsieur Poulain Jean-Louis, au titre de "l'article 475-1 du Code de procédure pénale, la somme de 2 000 F;"

Il est demandé à la cour d'infirmer ce jugement, tant en ce qui concerne l'action publique que l'action civile.

I. Rappel des faits et de la procédure:

1.1 - La SA X (X) a été constituée le 1er juillet 1991, dans le cadre de la filialisation d'une division de la société X France et du rachat de certains actifs de l'ancienne société X SA (devenue Y SA).

X conçoit, fabrique et commercialise des produits destinés à l'alimentation des animaux d'élevage.

Au total, la gamme de X comporte plus de 150 produits différents (ce qui nécessite la manipulation de plusieurs centaines d'ingrédients).

Compte tenu de ce qui précède, X applique dans son entreprise des procédures de fabrication et de contrôle extrêmement strictes (utilisation en alternance de deux mélangeuses distinctes pour éviter les pollutions; contrôle par pesées successives en cours et en fin de fabrication; contrôle mensuel des stocks; analyses des matières premières; etc.).

Par ailleurs, les additifs sont achetés à des fournisseurs qui garantissent la qualité de leurs fournitures (ces produits font l'objet d'analyses à la diligence du fournisseur, dans le cadre de l'assurance qualité).

La clientèle de X est exclusivement composée de professionnels de l'élevage (fabricants d'aliments et éleveurs industriels) qui fabriquent eux-mêmes l'aliment complet final destiné aux animaux, en incorporant aux matières premières (mais, soja, etc.) les produits qu'ils achètent à X.

1.2 - Le 12 mai 1993, X a fabriqué 975 kg d'un produit dénommé "Dynorphos Pintade".

Il s'agit d'un concentré minéral vitaminisé et supplémenté destiné à être incorporé à 3 % dans l'aliment complet final des pintades; en d'autres termes, l'éleveur utilise 3 kg de ce produit pour fabriquer 100 kg d'aliment complet final.

Chaque fabrication est échantillonnée, L'échantillon est conservé pendant la durée de validité des vitamines et des supplémentations, soit 4 mois.

Le produit "Dynorphos Pintade" contient divers additifs autorisés pour prévenir certaines affections pouvant atteindre les animaux: il s'agit du meticlorpindol (ou clopidol), de la flavomycine 40 et du dimetridazole.

Le meticlorpindol, autorisé pour les pintades, est un anti-coccidien; Il empêche le développement des coccidies, qui sont des parasites intestinaux pouvant entraîner la perforation des intestins et devenir pathogènes chez les animaux.

Il existe d'autres anti-coccidiens, tels que le monensin, mais celui-ci n'est pas autorisé pour les pintades, le producteur n'ayant pas déposé de demande d'homologation; en revanche, à titre d'exemple, il est autorisé et largement utilisé dans les aliments destinés aux poulets de chair.

Ces anti-coccidiens ne doivent pas être confondus avec d'autres produits qui sont rigoureusement interdits, tels que les hormones, ou soumis à la réglementation spéciale de la pharmacie vétérinaire, tels les médicaments.

Correctement utilisés, ils sont inoffensifs pour la santé de l'homme (car ils ne traversent pas la paroi intestinale des animaux).

Mais il est vrai que leur usage est réglementé, ainsi que cela est judicieusement rappelé dans le procès verbal établi par la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de l'Eure en date du 15 novembre 1993 (pages 5 et 6). La réglementation de ces anti-coccidiens est d'origine communautaire.

Les professionnels de l'aliment comme X, régulièrement informés par leur syndicat le SNIA, sont attachés à l'application de cette réglementation.

1.3 - Le produit "Dynorphos Pintades, fabriqué le 12 mai 1993, a été livré par X à:

- Monsieur Poulain Jean-Louis 27520 Voiscreville: 400 kg Fact 109 571 - 12105-93

- SCEA Demaegdt 27370 La Haye du Theil: 200 kg Fact 109610- 21-05-93

- Monsieur Artus Nicolas 27110 Ecquetot: 250 kg Fact 109 937 - 25-05-93

- Mme Artus Danielle 61170 Le Mêle/Sarthe: 25 kg Fact 109 727- 09-06-93

- SCEA Demaegdt 27370 Le Haye du Theil: 100 kg Fact 109 874 - 17106-93

L'étiquette accompagnant les sacs de "Dynorphos Pintade" précisait les ingrédients composant le concentré et les additifs autorisés.

L'anti-coccidien meticlorpindol (clopidol) entre dans la composition du produit à concurrence de 4,166 ppm (soit 4,166 mg/kg de produit).

Monsieur Jean-Louis Poulain a reçu 400 kg de ce produit, avec divers autres produits.

Rappel: l'infraction poursuivie ne concerne que cette seule et unique livraison du 13 mai 1993.

Vers la mi-juin 1993, Monsieur Jean-Louis Poulain a informé X qu'il constatait un phénomène de mortalité anormale et brutale dans son élevage de pintades.

X a fait effectuer des analyses par le laboratoire de l'UFAC, tant sur l'échantillon d'aliment complet final que lui avait apporté Monsieur Jean-Louis Poulain que sur l'échantillon de concentré minéral qu'elle avait conservé dans son usine.

Ayant recherché toutes les causes possibles, l'UFAC a constaté que l'aliment comportait bien la teneur attendue en clapidol, mais également mis en évidence des traces de monensin dans le composé minéral (environ 40 ppm) et, à un taux de concentration évidemment beaucoup plus faible (de l'ordre de 3,75 ppm), dans l'aliment complet final.

L'UFAC a toutefois observé: "les traces de monensin trouvées dans l'aliment ne peuvent entraîner de risque en élevage pour l'espèce concernée".

X, au vu de ce résultat, a conclu à une pollution accidentelle au stade de la fabrication, mais a exclu toute erreur de fabrication proprement dite; dans ce dernier cas, il y aurait eu, en effet, substitution pure et simple d'un anti-coccidien à un autre; en d'autres termes, il y aurait eu substitution du monensin au clopidol dans le concentré minéral, dans des proportions équivalentes (soit 4,166 ppm au lieu de 40 ppm).

1.4 - En parallèle, Monsieur Jean-Louis Poulain a fait effectuer des analyses par l'Institut européen de l'environnement de Bordeaux et saisi les services déconcentrés de la DGCCRF, qui ont eux-mêmes fait effectuer des prélèvements, puis des analyses, par le laboratoire inter-régional de la Répression des Fraudes de Rennes.

Ces analyses ont concerné tant l'aliment complet final que le concentré minéral.

Elles ont confirmé la présence de traces de monensin dans le concentré minéral et dans l'aliment complet final, mais dans des proportions encore plus faible (2,5 ppm pour Rennes et 2 ppm pour Bordeaux, en ce qui concerne l'aliment complet final).

Poursuivant son enquête, la DGCCRF a rapidement acquis la conviction que les traces de monensin découvertes dans le concentré minéral et a fortiori dans l'aliment complet final n'atteignaient pas -et de loin- la dose toxique pour des pintades.

D'où la décision de mainlevée de consignation du produit prise en date du 16 août 1993 par le Procureur de la République.

1.5 - Nonobstant l'absence avérée de lien de causalité entre la pollution accidentelle du produit et la mortalité des pintades, la DGCCRF a estimé qu'il convenait d'engager des poursuites à l'encontre de X sur le fondement de l'infraction de tromperie.

Le raisonnement qu'elle a développé dans son procès-verbal de délit du 15 novembre 1993 est le suivant:

- l'incorporation de monensin n'est pas autorisée pour les aliments destinés aux pintades; la présence de monensin dans l'aliment "Dynorphos Pintade" constitue en conséquence l'élément matériel de l'infraction de tromperie (sur la composition);

- il n'est certes pas reproché à X d'avoir sciemment et volontairement incorporé du monensin dans le produit, mais:

- X n'a pas été en mesure de fournir de résultats d'analyse concernant le produit "Dynorphos Pintade" qu'elle fabrique; X ne contrôle donc pas la composition garantie par l'étiquette, composition qui constitue pourtant une condition substantielle et déterminante du contrat pour l'acquéreur du produit;

- X, en sa qualité de professionnel, ne peut ignorer les risques de toxicité du monensin pour les pintades; en fabriquant successivement, dans son usine, du "Dynorphos Poulet" (qui comporte du monensin dans sa composition) et du "Dynorphos Pintade" (pour lequel le monensin n'est pas autorisé), elle a pris le risque non quantifié de retrouver des traces de monensin dans le deuxième produit.

- Dès lors, SNFJT a fait preuve d'une "négligence coupable", au sens des dispositions de l'article L. 212-1 du Code de la consommation; cette "négligence coupable" constitue l'élément intentionnel de l'infraction de tromperie.

D'où la présente procédure, dans le cadre de laquelle Monsieur Pierre L est prévenu "... d'avoir à Val-de-Reuil, les 21 juillet, 13 mai et 16 juillet 1993, trompé Monsieur Poulain Jean-Louis sur la composition d'un aliment appelé "Dynorphos Pintade" puisqu'il contenait deux additifs interdits (le monensin de sodium et salinomycine de sodium), infraction prévue et réprimée par l'article L. 213-1 du Code de la consommation".

L'article L. 213-1 du Code de la consommation sanctionne:

"... quiconque, qu'il soit ou non partie au contrat, aura trompé au tenté de tromper le "contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l'intermédiaire "d'un tiers:

"1- soit sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises..."

Nota bene: Contrairement à ce que pourrait laisser supposer, à tort, le texte de la citation, l'infraction ne concerne qu'une seule et même livraison, en date du 13 mai 1993.

Devant le tribunal correctionnel, Monsieur Jean-Louis Poulain s'est constitué partie civile et a sollicité, par voie de conclusions, l'indemnisation de son prétendu préjudice au titre des pertes de pintadeaux, des pertes de chiffre d'affaires et de frais divers, préjudice unilatéralement évalué à la somme totale de 255 037,43 F.

II. La procédure devant le tribunal

Après avoir montré l'absence de lien de causalité entre les faits reprochés et le décès des animaux (les traces de monensin découvertes dans le concentré minéral et a fortiori dans l'aliment complet final n'atteignaient pas -et de loin- la dose toxique pour des pintades), Monsieur Pierre L a contesté l'existence de l'infraction en faisant valoir l'argumentation suivante:

2.1- Sur l'élément matériel:

- Il est démontré que le produit comportait bien tous les ingrédients et additifs garantis par l'étiquette, dans les proportions annoncées;

- il est prouvé que le concentré minéral fabriqué par X ne contenait pas de salinomycine;

- certes, le produit comportait des traces de monensin, mais dans des proportions totalement insignifiantes et, a fortiori, ainsi que cela est bien admis par la DGCCRF et le Ministère public, à une dose non toxique.

Cette seule circonstance ne suffit pas à établir l'élément matériel de l'infraction.

Dans le cas contraire, il faudrait considérer que tout défaut minime d'un produit fabriqué industriellement constitue l'infraction de tromperie; à titre d'exemple, un constructeur automobile qui rappelle ses véhicules pour modifier une pièce de série défectueuse devrait, suivant ce raisonnement, être systématiquement poursuivi.

2.2- Sur l'élément intentionnel:

Il est démontré que X n'a commis aucune "négligence coupable":

- elle a agi comme tout professionnel de l'aliment de bétail en mettant en place, dans son entreprise, des mesures préventives, des procédures de fabrication strictes et des contrôles par pesées successives;

- elle a bien appliqué ces mesures, procédures et contrôles;

- elle n'a manqué à aucune obligation réglementaire ou professionnelle en ce qui concerne ces mesures, procédures et contrôles.

- c'est par un amalgame éminemment condamnable que la DGCCRF a cru pouvoir retenir dans ses observations versées au dossier le fait que X aurait d'ores et déjà fait l'objet de poursuites et d'une condamnation pour falsification de denrées servant à l'alimentation animale et détention en la personne de Monsieur Legoy (n° parquet 91.003460 181; Tribunal correctionnel d'Evreux, 12-11-92).

Monsieur Legoy n'a jamais été le représentant légal de X, mais celui de la société X SA, avec laquelle X n'a jamais entretenu le moindre lien de personne ou de capital, s'étant bornée à lui racheter certains actifs lors de sa constitution en 1991 (cf. § 1.1 ci dessus).

2.3- Sur l'action civile:

Pour contredire les pièces, du dossier pénal et l'argumentation de Monsieur Pierre L, qui établissaient que les traces insignifiantes de monensin trouvées dans le concentré minéral et l'aliment complet final ne pouvaient être à l'origine du décès des animaux, étant donné la faible concentration de cet anticocciden eu égard à la dose létale connue pour les pintades, Monsieur Jean-Louis Poulain a fait état, à l'audience, d'une prétendue "propriété cumulative" du monensin (qui se serait peu à peu accumulé dans l'organisme des animaux jusqu'à provoquer leur décès) et versé à l'appui de son argumentation un avis émanant d'un vétérinaire, pièce dont la copie n'a jamais été communiquée au conseil de Monsieur Pierre L malgré ses demandes répétées.

Cette prétendue propriété cumulative du monensin a été dûment contestée, pièces à l'appui, par Monsieur Pierre L, par une note en délibéré du 27 juin 1995.

C'est en l'état de ces diverses argumentations que le tribunal a rendu la décision attaquée.

III. Discussion sur l'action publique:

Selon la citation à comparaître, le produit "Dynorphos Pintade" aurait contenu deux additifs interdits: le monensin et la salinomycine sodium.

3.1- La salinomycine sodium:

Sur ce point, le tribunal a admis les explications de Monsieur Pierre L et jugé "qu'il ne résulte pas des éléments de la procédure que la salinomycine de sodium retrouvée à l'état de trace provienne de l'usine du prévenu".

En effet de toutes les analyses effectuées dans le cadre de ce dossier, seule une analyse effectuée par le laboratoire inter-régional de la Répression des Fraudes de Rennes montrait un résultat positif en ce qui concerne la salinomycine.

Ni les analyses effectuées par le laboratoire de l'UFAC à la demande de X, ni les analyses effectuées par l'Institut européen de l'environnement de Bordeaux à la demande de l'éleveur fabricant, n'avaient mis en évidence de traces significatives de salinomycine, que ce soit dans le concentré minéral ou l'aliment complet.

Enfin et surtout, le laboratoire de Rennes n'avait trouvé de la salinomycine que dans l'aliment complet et non dans le concentré minéral (à un taux non significatif de 2,5 mg/kg, inférieur au seuil significatif de 3 mg/kg adopté comme norme par l'Institut européen de l'environnement de Bordeaux).

Ces résultats d'analyse, qui étaient incontestables, tendaient donc à démontrer que l'éventuelle présence de salinomycine dans l'aliment complet relevait en réalité de la responsabilité de l'éleveur fabricant et non de celle de X.

Il était d'ailleurs établi que Monsieur Jean-Louis Poulain possédait chez lui un prémix contenant de la salinomycine (Vitafarm T 343 Poulet Sacox), car il en avait également reçu le 13 mai 1993,

Nota bene: X avait déjà eu l'occasion d'attirer l'attention de Monsieur Jean-Louis Poulain sur le fait que le produit "Vitafarm T 343 Poulet Sacox" devait être exclusivement utilisé pour les poulets de chair (sa lettre du 26 mars 1993).

Tout indiquait en conséquence qu'en ce qui concerne la salinomycine, l'éleveur avait été victime d'une pollution dans son propre atelier de fabrication.

En toute hypothèse, cette pollution ne pouvait expliquer le décès des pintades, étant donné que la salinomycine n'est utilisée par X pour son premix qu'à une dose de 60 mg/kg, qui n'est pas considérée comme toxique pour ces animaux.

Le jugement devra donc être confirmé à cet égard.

3.2- Le monensin

3.2.1- Sur l'élément matériel

Le tribunal a jugé:

"à l'analyse, le produit "Dynorphos Pintade" s'est avéré contenir, suivant les "lots, 40 mg/kg ou 2 mg/kg de monensin-sodium, substance médicamenteuse "coccidiostatique classée au tableau D, autorisée pour les poulets et interdite pour les "pintades...

"en l'espèce, il est constant que le monensin-sodium est réglementairement interdit "dans les produits destinés à l'alimentation des pintades; il est indifférent de savoir si "son taux de concentration était toxique ou non pour caractériser l'élément matériel "du délit de tromperie".

Mais la cour ne saurait approuver cette argumentation.

En effet, les analyses effectuées s'accordent pour montrer que le produit "Dynorphos Pintade" fabriqué par X ne comportait que des traces insignifiantes de monensin, à un taux de concentration de l'ordre de 40 ppm environ, contre 4.116 ppm pour son substitut, le clopidol.

Il s'ensuit que l'aliment complet final fabriqué par Monsieur Jean-Louis Poulain, en utilisant le produit "Dynorphos Pintade" à un taux de concentration de 3 % (3 kg de concentré minéral pour 300 kg d'aliment complet final) ne comportait pas plus de 2 à 3 ppm de monensin, comme cela est également établi par l'ensemble des analyses figurant au dossier, ce qui est infinitésimal.

Ce dernier chiffre est à rapprocher des informations figurant au dossier, qui montrent que le monensin ne provoque aucune mortalité (=DLO) chez la pintade jusqu'à 28 mg/kg de poids vif, tandis que la dose qui provoque 50 % de mortalité (=DL5O) est de 95 mg/kg de poids vif.

En d'autres termes, pour un pintadeau de 10 jours qui consomme 15 g d'aliment par jour:

- la DLO est de 28 x 100 g/1000g = 2,8 mg

contenue dans 15 g d'aliment, soit un taux de concentration de 186.6 ppm

- la DLSO est de 95 x 100 g / 1000 g = 9,5 mg

contenue dans 15 g d'aliment, soit un taux de concentration de 633.3 ppm.

Par comparaison, les taux de concentration de 2 ou 3 ppm mis en évidence par les analyses sont donc, non seulement dépourvus de toxicité, mais surtout totalement insignifiants.

Compte tenu de ce qui précède, Monsieur Pierre L persiste à soutenir que l'élément matériel de l'infraction n'est pas établi.

Le jugement sera donc infirmé à ce titre.

3.2.2- Sur l'élément intentionnel le tribunal a jugé que:

"...s'il est satisfait à la surveillance de la production d'aliments pour animaux par un "simple contrôle a posteriori des poids des ingrédients mélangés comme dit le faire le "prévenu, il y a lieu d'observer que la X ne fabrique pas de simples produits "alimentaires;

"... L apparaît comme un fabricant de produits complexes, non seulement "alimentaires mais aussi médicamenteux, et il doit procéder aux contrôles de "fabrication en usage dans les industries chimiques ou pharmaceutiques même s'ils "sont plus coûteux que ceux habituellement pratiqués lors de la préparation d'aliments "pour le bétail;

"... en se dispensant de tels contrôles, L a délibérément pris le risque qu'une "substance entrant dans la composition d'un produit soit mélangée avec les "ingrédients d'un autre fabriqué dans les mêmes installations;

"... en l'espèce, il s'est soustrait à l'obligation qui lui incombait personnellement de "vérifier que le monensin-sodium employé pour le "Dynorphos-Poulet" ne soit "pas intégré au "Dynorphos-Pintade" préparé dans le même mélangeur;

se trouve caractérisé à sa charge l'élément intentionnel de l'infraction..."

En d'autres termes, le tribunal a estimé que si les mesures préventives, les procédures de fabrication et les contrôles mis en œuvre par X dans son usine étaient suffisants au regard de la production d'aliments pour animaux, les produits en cause appelaient de par leur nature des contrôles analogues à ceux qui sont effectués dans les industries chimiques ou pharmaceutiques.

Mais cette analyse ne peut être partagée par la cour, car le tribunal a fait un amalgame entre deux catégories d'aliments de natures distinctes qui font l'objet de réglementations différentes: les aliments composés (comme le concentré minéral dont il est question au cas d'espèce) et les aliments médicamenteux.

Tandis que les aliments composés (qui contiennent des céréales, graines, tourteaux, farines, composés minéraux, oligo-éléments, vitamines, acides aminés, éventuellement des additifs facteurs de croissance ou des coccidiestatiques autorisés en annexe I de la liste des additifs autorisés) ne font l'objet d'aucune réglementation spéciale (sous réserve du respect de l'étiquetage, de la conformité du produit aux formules de fabrication, etc.), les aliments médicamenteux donnent lieu à l'application d'une réglementation très rigoureuse: l'aliment ne peut être vendu en revanche, que sur prescription du vétérinaire qui suit l'élevage, la fabrication est contrôlée en usine par un autre vétérinaire, ainsi que les registres d'entrée et de sortie du fabricant, etc.

C'est donc à tort que le tribunal a raisonné comme si l'aliment composé en cause dans la présente procédure constituait un aliment médicamenteux soumis à des contrôles plus rigoureux.

Par ailleurs, c'est par erreur que le tribunal a pu reprocher à Monsieur Pierre L d'avoir fait préparer le "Dynorphos Poulet" dans la même mélangeuse que le "Dynorphos Pintade".

En effet, il est démontré par le dossier pénal que le produit "Dynorphos Poulet" (contenant du monensin) a bien été fabriqué sur une mélangeuse différente du produit "Dynorphos Pintade", et ce conformément à la note de service de la direction de X du 4 octobre 1991.

Seule est commune la tuyauterie qui permet l'acheminement des matières premières vers l'une ou l'autre de ces mélangeuses.

Mais comme l'a relevé la DGCCRF dans son procès-verbal de délit du 15 novembre 1993 (page 4), "l'usage est de "rincer", en fin de fabrication de chaque formulation, la tuyauterie commune, par l'envoi de matière première inerte, tel que le carbonate de calcium ou le phosphate bi-calcique".

Il n'est donc pas possible de reprocher à Monsieur Pierre L une quelconque négligence à cet égard.

En conclusion, il apparaît que:

- il n'est pas allégué que le prévenu ait jamais eu la volonté délibérée de tromper sa clientèle;

- il n'est pas non plus allégué une erreur de fabrication (substitution du monensin au clopidol dans des proportions équivalentes, soit 4,166 ppm);

- il n'est démontré aucune "négligence coupable" puisque, d'une part, le prévenu a bien effectué tous les contrôles qui s'imposaient eu égard à la nature du produit fabriqué et que d'autre part, la pollution accidentelle constatée à l'analyse est totalement insignifiante.

Dans ces conditions, la cour dira que l'élément intentionnel de l'infraction n'est pas établi.

IV. Discussion sur l'action civile

Le tribunal a jugé que:

"L doit évidemment être tenu pour responsable des conséquences "dommageables à Poulain du délit de tromperie

"Même si le lien de causalité est contesté au motif qu'aucune dose létale n'a été "retrouvée, ... le manensin-sodium, produit interdit, ingéré successivement par les "jeunes volailles a évidemment concouru à leur mortalité constatée..."

Partant de là, le tribunal a condamné Monsieur Pierre L à indemniser Monsieur Jean-Louis Poulain de son préjudice, qu'il a cependant ramené de la somme alléguée de 255 037,43 F à celle de 47 447,43 F.

Cette décision devra être infirmée, car les pièces du dossier pénal établissent d'elles-mêmes l'absence de tout lien de causalité entre les faits reprochés et le décès des animaux.

De fait, les traces de monensin trouvées dans l'aliment complet final (2 et 3 ppm, selon les résultats d'analyse) sont sans commune mesure avec la dose toxique (DL5O = 633,3 ppm selon le calcul effectué au paragraphe 3.2.1. ci-dessus).

C'est d'ailleurs l'absence manifeste de toxicité du produit qui a amené le Ministère public à ordonner le 16 août 1993 la mainlevée de la mesure de consignation et à s'abstenir de poursuivre sur le fondement des dispositions de l'article 213-2 du Code de la consommation (qui prévoient une aggravation des peines si le délit de tromperie a eu pour conséquence de rendre l'utilisation de la marchandise dangereuse pour la santé de l'homme ou de l'animal).

En toute hypothèse, le produit "Dynorphos Pintade" fabriqué par X le 12 mai 1993 a également été livré en quantités importantes à deux autres clients (300 kg pour la SCEA Demaegdt; 275 kg pour Monsieur et Madame Artus); il va de soi que si ce produit avait été toxique, les mêmes causes auraient produit les mêmes effets dans les élevages de ces deux clients, qui n'ont élevé strictement aucune réclamation à l'encontre de X.

Il n'est même pas possible de considérer que les traces insignifiantes de monensin trouvées dans le produit ont pu constituer une cause prédisposante du décès des animaux car, dans ce cas, seule une partie du cheptel (et non la totalité) aurait été touchée.

En réalité, d'autres causes, parfaitement étrangères à X, ont pu provoquer cette mortalité.

Tout d'abord, il convient de rappeler que Monsieur Jean-Louis Poulain fabriquait lui-même l'aliment complet final en incorporant le concentré minéral livré par X à des matières premières.

Or, les résultats d'analyse du laboratoire de l'UFAC ont mis en évidence, dans l'aliment complet, d'importantes quantités d"aspergillus flavus" et d"aspergillus glaucus", qui produisent des toxines foudroyantes.

En outre, Monsieur Jean-Louis Poulain a lui-même évoqué à plusieurs reprises au cours de ses auditions l'existence d'une pollution de sa propre matière première par des "morceaux de débris noir-verdâtre" (moisissures).

Enfin, les spécialistes de l'aviculture ont identifié depuis plusieurs années un enterovirus responsable de l'"entérite foudroyante de la pintade" dont les symptômes (mortalité rapide, en 24 h, de 60 à 100 % des animaux; arrêt de la consommation d'aliment) sont identiques à ceux constatés dans l'élevage de Monsieur Jean-Louis Poulain.

En l'occurrence, l'éleveur fabricant n'a semble-t-il procédé à aucune recherche de pathologies qui aurait pu mettre en évidence des causes de mortalité d'origine sanitaire (entérites, maladies virales ou microbiennes, etc.), ce qui constitue une faute grave compte tenu de son niveau de responsabilité professionnelle.

En tout cas, aucun compte-rendu d'analyse de ce type ne figure au dossier pénal ou dans la communication de pièces de la partie civile (les factures produites ne sont pas accompagnées de résultats d'analyse, si bien que l'on ne sait pas ce que l'éleveur aurait recherché; certaines factures sont de surcroît largement postérieures à la période juin-juillet 1993).

Quant à l' "effet cumulatif" invoqué à l'audience par Monsieur Jean-Louis Poulain, il n'a jamais été démontré, bien au contraire.

Non seulement cet effet n'est pas reconnu par le fabricant du monensin et n'a fait l'objet d'aucune publication connue à ce jour, mais encore la chronologie des faits retire à cette hypothèse la moindre vraisemblance: il s'est écoulé 10 jours seulement entre la première ingestion de l'aliment et la mortalité pour la 1re bande; pour la 2e bande, la mortalité est de 100 % au bout de 5 jours seulement!

Compte tenu de ce qui précède, la cour dira qu'il n'existe aucun lien de causalité entre les faits reprochés et le décès des animaux dont, en conséquence, Monsieur Pierre L ne doit pas porter la responsabilité.

En toute hypothèse, le préjudice allégué par Monsieur Jean-Louis Poulain n'est pas contradictoirement établi:

- dans ses conclusions, Monsieur Jean-Louis Poulain a fait état d'un nombre d'animaux décédés (8 700) qui ne correspond pas aux chiffres du dossier pénal (6 000) ni à ce qui résulte des bons d'équarrissage (6 200);

- Monsieur Jean-Louis Poulain confond son chiffre d'affaires et son manque à gagner;

- il affirme sans le démontrer l'existence d'un lien de causalité entre la mortalité des pintades et ses mauvais résultats au titre de l'exercice 93-94;

- etc.

Monsieur Jean-Louis Poulain devra donc être débouté de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de Monsieur Pierre L.

V. En conclusion

La cour infirmera le jugement.

Sur l'action publique: la cour dira que l'élément matériel et l'élément intentionnel de l'infraction ne sont pas établis,

Sur l'action civile: la cour dira que Monsieur Jean-Louis Poulain ne rapporte pas la preuve du lien de causalité entre le préjudice qu'il invoque et les faits reprochés; pas plus d'ailleurs qu'il ne prouve le quantum de son préjudice.

Par ces motifs:

Recevoir Monsieur Pierre L en son appel;

Infirmer le jugement attaqué; Relaxer Monsieur Pierre L;

Débouter la partie civile de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de Monsieur Pierre L;

Subsidiairement, désigner tel expert qu'il plaira à la cour aux fins de réunir toutes informations techniques de nature à éclairer la cour:

- sur le taux de concentration du monensin trouvé dans le concentré minéral livré par X à la partie civile;

- ses effets possibles sur la pintade; le lien de causalité allégué par la partie civile entre le concentré minéral livré par X à Monsieur Jean-Louis Poulain et le décès des animaux.

Le Ministère public requiert tout d'abord qu'il soit constaté que la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes apparaît à tort dans la procédure comme une partie intervenante.

Sur l'infraction, le Ministère public relève que:

- le monensin a été interdit pour les pintades puisqu'il peut entraîner la mort de certains animaux selon les concentrations, que dès lors sa présence dans les produits livrés au plaignant constitue l'élément matériel de l'infraction

- l'article L. 212-1 du Code de la consommation dispose que le responsable de la première mise en circulation du produit est tenu de le contrôler, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce, d'où négligence coupable constituant l'élément intentionnel du délit de tromperie, Le Ministère public requiert la confirmation du jugement entrepris.

La partie civile fait valoir que l'élément matériel de l'infraction est bien constitué puisque les aliments achetés aux établissements X contenaient effectivement du monensin-sodium interdit pour les pintades et que l'élément intentionnel l'est tout autant puisque les procédures de contrôle qui devaient être mises en œuvres ne l'ont pas été.

La partie civile considère que les doses relevées pouvaient s'avérer mortelles pour les animaux compte tenu de l'effet cumulatif et demande réparation de la perte des pintadeaux et de chiffre d'affaires.

La partie civile fait conclure que:

Plaise à la cour

Le Tribunal correctionnel d'Evreux a condamné le 29 juin 1995 M. Pierre L à une amende de 10 000 F, accordé à M. Jean-Louis Poulain 47 447,43 F de dommages et intérêts et 2 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

M. L, M. Poulain et le Ministère public ont interjeté appel de cette décision.

Devant la cour, M. Poulain entend reprendre ses demandes initiales.

M. L est poursuivi pour tromperie au préjudice de M. Poulain sur la composition d'un aliment appelé dynorphos pintade dans le courant de l'année 1993, aliment acheté à la SA X sise au Val-de-Reuil (27) par celui-ci, société dont M. L est le responsable pénalement, ce qui, dans le principe, n'est pas contesté: M. L n'a jamais allégué l'existence d'une quelconque délégation.

Le texte qui sert de fondement aux poursuites est l'article L. 223-1 du Code de la consommation.

I. Les faits

M. Poulain est éleveur de volailles selon la technique des "volailles démarrées".

Il se fournissait régulièrement aux Etablissements X du Val-de-Reuil (27) spécialisés dans la fabrication des aliments pour animaux.

Courant 1993, 3 séries de 2 900 pintades vont crever.

Divers laboratoires et l'Administration des fraudes vont être contactés qui établiront, indiscutablement, la responsabilité directe et exclusive du dynorphos pintade dans la réalisation du préjudice de M. Poulain.

Le dynorphos pintade est un concentré minéral vitaminisé et supplémenté destiné à être incorporé à raison de 3 % dans l'aliment complet final des pintades.

Ce produit contient différents additifs autorisés pour prévenir certaines affections pouvant atteindre les animaux et notamment les coccidies qui sont des parasites intestinaux pouvant entraîner la perforation des intestins et donc la mort des oiseaux.

Il existe divers anti-coccidiens adaptés aux différentes volailles.

L'anti-coccidien valable pour le poulet ne l'est pas pour la pintade: ainsi une erreur au niveau du choix de l'anti-coccidien peut-elle être funeste pour l'animal qui l'absorbe.

Pour le poulet dit de chair le bon anti-coccidien est le monensin et pour la pintade le méticlorpindol: la monensin est, pour elle, toxique.

Dans le procès-verbal de la direction des fraudes il est rappelé que l'usage des anti-coccidiens est strictement réglementé et que le monensin est une substance médicamenteuse classée au tableau D.

II. La discussion

Les différentes pièces techniques versées aux débats confirment la toxicité du monensin pour les pintades et établissent que dans le dynorphos pintade livré courant 1993 à M. Poulain se trouvait du monensin.

M. L devant le 1er juge et sans doute devant la cour, contestera l'existence en la cause des éléments intentionnels et matériels requis par la loi et contestera le lien de causalité entre la livraison du dynorphos pintade et le préjudice subi par M. Poulain.

A°) Sur l'élément intentionnel:

La distinction entre manipulation accidentelle et erreur de fabrication est sans intérêt.

M. L a expliqué que les cadences de fabrication dans son entreprise étaient très élevées compte tenu du nombre d'ingrédients utilisés et de la variété des produits fabriqués mais cela ne saurait évidemment constituer un élément valable de défense.

Il appartient à M. L d'organiser la fabrication dans son entreprise de telle façon qu'il ne puisse y avoir d'accident ou d'erreur de fabrication.

Le dynorphos pintade, comme d'ailleurs d'autres produits fabriqués par X, est un produit complexe, non seulement strictement alimentaire mais aussi médicamenteux puisqu'il contient non seulement des matières minérales mais également des vitamines, des oligo-éléments, des substances chimiques et, pour ce qui nous intéresse, du monensin, substance médicamenteuse inscrite en tant que telle, comme il a déjà été rappelé, au tableau D en raison de toxicité.

Dès lors M. L devait mettre en place des contrôles de fabrication équivalents à ceux qui existent dans les industries chimiques ou pharmaceutiques.

En se dispensant de tels contrôles, M. L a délibérément pris le risque qu'une substance entrant dans la composition d'un produit soit mélangé avec les ingrédients d'un autre produit fabriqué dans les mêmes installations, ce qui d'ailleurs a été le cas.

M. L a fait preuve d'une négligence coupable au sens de l'article L. 212-1 du Code de la consommation.

B°) Sur l'élément matériel et le lien de causalité

L'élément matériel du délit de tromperie est établi dès lors que le produit livré n'a pas les qualités substantielles requises et a fortiori lorsqu'il contient une substance prohibée - ce qui est incontestablement le cas.

La question de savoir si le taux de concentration en monensin était ou non en l'occurrence supérieur à 95 ppm est sans intérêt.

Il est évident que même si aucune dose létale, n'a été retrouvée, d'une part il ne peut être sérieusement contesté que les pintades qui ont crevé ont absorbé le dynorphos pintade incriminé et, d'autre part, que même à une dose non létale le moziensin a au moins concouru à la mort des oiseaux, étant précisé que l'administration continue du monensin avec l'alimentation des animaux a pu produire à terme un effet comparable à celui qui est produit par l'administration d'une dose létale.

De plus les effets du monensin, qui concernent tout l'organisme de l'oiseau, sont amplifiés en situation d'élevage puisque tous les paramètres d'élevage sont susceptibles d'en potentialiser les effets.

Il n'a nullement été établi par les différents laboratoires qui ont été consultés que la mort des pintades pourrait être due à d'autres causes telles que les toxines foudroyantes ou encore à diverses pathologies.

La cour considèrera donc, comme le tribunal, que c'est bien en raison de ce que l'entreprise de M. L a livré à M. Poulain du dynorphos pintade comportant du monensin que 3 séries de pintades de 2 900 unités ont péri, étant rappelé que le délit de tromperie est établi dès lors que le produit livré n'a pas les qualités substantielles requises a fortiori lorsqu'il contient une substance prohibée.

C°) Sur le préjudice

Le tribunal a considéré, à tort, que le préjudice de M. Poulain devait être déterminé sur la base du prix d'achat des pintades et non sur la base du chiffre d'affaires espéré.

De même, le tribunal n'a pas, à tort, tenu compte du préjudice économique réel de M. Poulain.

Compte tenu des pièces versées au dossier il est demandé:

1°) En réparation de la perte des pintadeaux: 28 146,40 F

2°) En réparation de la perte du chiffre d'affaires qui pouvait en être légitimement espéré: 140 737 F

3°) En réparation du préjudice économique 100 000 F

4°) En remboursement des frais d'analyses: 4 956,76 F

5°) En remboursement des frais vétérinaires: 4 343,67 F

6°) En remboursement des frais divers (déplacements, démarches etc.): 5 000 F,

7°) Sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale: 7 000 F.

.../...

Par ces motifs:

Il est demandé à la cour de débouter M. L de toutes ses demandes, fins et conclusions; De confirmer le jugement entrepris en ce qui concerne la déclaration de culpabilité de M. L Pierre;

Condamner Et Pierre L à telle peine qu'il appartiendra;

Sur le plan civil de condamner M. L à payer à M. Poulain:

1°) 28 147,40 F en réparation de la perte des pintadeaux,

2°) 140 737 F en réparation de la perte du chiffre d'affaires qui pouvait en être légitimement espéré,

3°) 100 000 F en réparation du préjudice économique,

4°) 4 956,76 F en remboursement des frais d'analyses,

5°) 4 343,67 F en remboursement des frais vétérinaires,

6°) 5 000 F en remboursement des frais divers,

7°) 7 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Sur ce

Sur la culpabilité:

Les faits visés à la prévention demeurent tels qu'ils ont été exposés, analysés et qualifiés par les Magistrats du premier degré en des motifs pertinents que la cour adopte.

Malgré tout il convient d'ajouter les considérations suivantes:

Il ressort de la procédure et des débats que le 16 juillet 1993 les services de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de l'Eure (DCCRF) ont été avertis par Jean-Louis Poulain, exploitant agricole et éleveur de volailles à Voiscreville, de la mort anormale de 2 bandes (2 lots) de pintadeaux de son élevage.

Du contrôle effectué les jours suivants par la DCCRF sur l'exploitation de Jean-Louis Poulain il résultait que:

- deux bandes de pintadeaux achetés les 13 mai et 24 juin 1993 sont mortes en totalité dans les semaines immédiates après leur arrivée à l'élevage Poulain, soit 6018 pintadeaux au total.

- les aliments distribués à ces animaux étaient réalisés par Jean-Louis Poulain lui-même et contenaient environ 37,5 % de blé, 37,5 % de maïs, 22 % de tourteaux de soja, 3 % de Dynorphos Pintade composé minéral vitaminé pour pintades acheté auprès de la société X (X).

- Jean-Louis Poulain, avec l'aide de son vétérinaire, a suspecté le produit Dynorphos qu'il a fait analyser.

- les résultats de cette analyse révélaient la présence de 40 ppm (mg/kg) de monensin-sodium dans la préparation Dynorphos-Pintade et 2 ppm du même produit dans l'aliment complet administré aux animaux de la première bande.

Or il apparaissait que l'incorporation de monensin-sodium, préconisée pour les poulets, n'est pas autorisée pour les aliments destinés aux pintades ainsi qu'il résulte de l'annexe de l'arrêté du 12 février 1992.

Cette interdiction résultant des risques de troubles aigus pouvant aller jusqu'à la mort que l'administration du monensin peut avoir pour les pintades d'élevage,

Entendu par les fonctionnaires de la DCCRF Pierre L, directeur général de la SA de Nutrition X (X) fabricante du Dynorphos-Pintade, reconnaissait la présence de monensin-sodium dans l'aliment vendu à Jean-Louis Poulain. Il l'attribuait à une pollution au stade du processus de fabrication.

Le prévenu expliquait que les produits Dynorphos-Poulet (contenant du monensin) et Dynorphos-Pintade étaient mélangés dans deux cuves distinctes mais que la tuyauterie restait commune, un rinçage entre chaque fabrication devant permettre d'éviter le mélange entre les deux formulations.

Le prévenu excluait une erreur de fabrication mais reconnaissait, notamment devant la cour, la réalité de la présence du monensin dans le Dynorphos-Pintade livré à la partie civile.

Les analyses ordonnées par la DCCRF confirmaient effectivement cette présence.

En conséquence, il convient de constater que la présence d'un additif interdit dans le Dynorphos-Pintade en a bien modifié les qualités substantielles, la composition et la teneur. L'élément matériel de l'infraction est donc bien constitué, les quantités en cause en l'espèce étant sans influence au vu des textes applicables.

Par ailleurs, Pierre L n'ayant pas été en mesure de fournir aux fonctionnaires de la DCCRF de résultats d'analyse des produits Dynorphos-Pintade puisqu'il n'en était pas effectué, force est de constater qu'il n'a pas satisfait aux dispositions de l'article L. 212-1 du Code de la consommation qui lui fait obligation de vérifier que le produit est conforme aux prescriptions en vigueur lors de la première mise sur le marché et de justifier des vérifications et contrôles effectués sur demande des agents habilités. Sa seule explication sera de dire "qu'il ne peut tout vérifier",

En n'opérant pas ces contrôles le prévenu a sciemment pris le risque de mettre sur le marché des produits dont la composition ne correspondait pas à celle annoncée et de tromper ainsi son acheteur. L'élément intentionnel est donc lui aussi constitué.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur la culpabilité y compris en sa mise hors de cause du prévenu pour la salinomycine de sodium visée à la prévention et dont le dossier ne révèle pas qu'elle ait pu provenir de la société X.

Sur la peine:

La peine prononcée par le tribunal est à la mesure des circonstances de la cause et de la personnalité de Pierre L et doit donc être confirmée.

Sur l'action civile:

Il ressort clairement du dossier que la concentration de monensin-sodium trouvée dans les aliments livrés à Jean-Louis Poulain (soit l'équivalent de 3,75 ppm dans l'aliment fini) était nettement inférieure au seuil de tolérance (de 10 à 20 ppm) des pintades à ce produit.

La preuve que l'existence de cet additif interdit soit à l'origine du décès des pintades de la partie civile n'est en aucune manière rapportée, l'effet cumulatif avancé par cette dernière ne demeurant qu'une simple hypothèse parmi d'autres puisque le Dynorphos-Pintade n'entrait que pour 3 % dans l'aliment distribué aux pintades.

Le lien de causalité entre le préjudice de la partie civile né de la mort de ses pintadeaux et la faute pénale commise par le prévenu n'est donc pas établi, d'autant que les raisons du décès des pintades demeurent inconnues.

La partie civile se verra déboutée de toutes ses demandes en réparation.

Le jugement sera infirmé en ce sens et les dépens de l'appel civil, compte tenu du débouté intervenu, resteront à la charge de la partie civile.

Par ailleurs la DCCRF sera mise hors de la cause en tant que partie intervenante, statut que les textes ne lui reconnaissent pas.

Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement pour Pierre L et Jean-Louis Poulain, par défaut pour l'Administration des fraudes; En la forme: Reçoit les appels; Au fond: Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions pénales; Infirme sur les dispositions civiles; Reçoit Jean-Louis Poulain en sa constitution de partie civile; Déboute Jean-Louis Poulain de toutes ses demandes fins et conclusions; Déclare l'Administration des fraudes hors de la cause; La présente procédure est assujettie à un droit fixe de 800 F, dont est redevable L; Fixe la durée de la contrainte par corps conformément à l'article 750 du Code de procédure pénale; Met les dépens de l'action civile à la charge de Jean-Louis Poulain.