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Décisions

Ministre de l’Économie, 11 décembre 2002, n° ECOC0400163Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseils de la société Danone

Ministre de l’Économie n° ECOC0400163Y

11 décembre 2002

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maîtres,

Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 6 novembre 2002, vous avez notifié le projet d'acquisition de la société Chateaud'eau international par la société Compagnie Gervais Danone. Ce projet a été formalisé par un contrat de cession d'actions signé entre les parties le 9 octobre 2002.

I. - Les parties et l'opération

Chateaud'eau International (ci-après " CEI "), entité cible, est une société de droit français active dans le secteur de la mise à disposition de fontaines à eau destinées aux espaces de bureaux et lieux ouverts au public. La totalité des actions de CEI est actuellement propriété d'Ondéo, filiale du groupe Suez. CEI est présente en France, mais également, via ses filiales et participations, en Grande-Bretagne, en Italie, en Allemagne et en Espagne.

Sur l'exercice 2001, elle a réalisé un chiffre d'affaires de 35,7 millions d'euros, dont 24,5 millions d'euros en France.

Compagnie Gervais Danone (ci-après " Danone "), acquéreur, est une filiale du groupe Danone. Le groupe Danone est un acteur mondial de l'industrie agroalimentaire. Il est notamment leader mondial des produits laitiers frais, des biscuits et snacks céréaliers. Il est également actif sur les marchés des boissons, et parmi ceux-ci, numéro 2 mondial sur le marché des eaux embouteillées (numéro 1 en volume). Au travers des sociétés affiliées à son " pôle eau Europe ", Danone exploite notamment les eaux de Volvic et d'Evian. Le groupe est également actif dans le secteur de la mise à disposition de fontaines à eau au travers de ses filiales, en Amérique et en Asie principalement.

Danone a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires mondial de 14 470 millions d'euros. Au niveau communautaire, le groupe affiche un chiffre d'affaires de 8 190 millions d'euros, 3 371 millions d'euros étant réalisés en France.

En vertu du contrat de cession d'actions précité, Danone doit acquérir le contrôle exclusif de CEI. L'opération constitue donc une concentration économique au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Au regard des chiffres d'affaires des entreprises concernées, il apparaît que les seuils communautaires ne sont pas franchis, mais qu'en revanche les seuils de chiffres d'affaires tels qu'énoncés à l'article L. 430-2 du Code de commerce sont quant à eux franchis. L'opération projetée entre donc dans le champ d'application des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce. Il convient d'ajouter que le projet d'acquisition de CEI par Danone fait l'objet d'une notification aux autorités de concurrence de Grande-Bretagne, d'Allemagne et d'Italie.

II. - La définition des marchés

A. - Les marchés de services

CEI met à la disposition d'entreprises, d'administrations, de salons... des fontaines à eau réfrigérantes. Ces fontaines peuvent être, pour certaines raccordées directement au réseau d'eau (ci-après " fontaines réseau "), pour d'autres alimentées en bonbonnes d'eau (ci-après " fontaines bonbonne "). Les fontaines sont ensuite utilisées gratuitement dans les locaux de la collectivité par les consommateurs finaux (personnels, clients...). Il convient cependant de souligner que CEI ne distribue que de façon marginale les fontaines réseau.

Selon les parties, CEI est actif sur le marché de la mise à disposition de fontaines à eau sur les lieux de travail et les lieux publics. Or, cette définition laisse entendre que les activités de mise à disposition de fontaines réseau et de mise à disposition de fontaines bonbonne font partie d'un même marché. Pourtant, la prestation offerte n'est pas la même. Les fontaines réseau, une fois installées, ne nécessitent qu'un entretien régulier, quand les fontaines à bonbonnes d'eau exigent collecte, reconditionnement et livraison des bonbonnes.

De plus, les clients ne sont pas les mêmes ; les fontaines réseau ne sont proposées que lorsque le volume d'eau fraîche et la fréquence de sa distribution sont au-delà de la capacité technique de la fontaine bonbonne à réfrigérer l'eau sans discontinuité de service et surtout au-delà de sa capacité en volume (18,9 litres).

Il apparaît de surcroît que les opérateurs proposant la mise à disposition de fontaines bonbonne ne sont que marginalement actifs sur la commercialisation des fontaines réseau. A contrario, les sociétés qui commercialisent les fontaines réseau, notamment en direction de la restauration collective, sont spécialisées dans cette activité.

Au surplus, si la mise à disposition de fontaines bonbonne fait l'objet d'un contrat de location entre l'opérateur et ses clients, l'installation de fontaines en réseau fait le plus souvent l'objet d'un contrat de vente.

Enfin, si ces deux catégories de fontaine ne sont pas pourvues de monnayeur, et distribuent de fait une eau gratuite pour le consommateur final, la fontaine réseau distribue de l'eau de robinet quand la fontaine bonbonne met à disposition une eau non traitée, provenant de l'exploitation d'une source naturelle.

Pour toutes ces raisons, il peut dès lors être admis que les fontaines réseau et les fontaines bonbonne n'appartiennent pas au même marché de services.

CEI n'étant que marginalement actif dans la mise à disposition de fontaines réseau, il n'est pas nécessaire de déterminer précisément le marché pertinent lié à cette activité, ceci étant sans incidence sur les conclusions de l'analyse concurrentielle.

Pour ce qui est de l'activité de mise à disposition de fontaines bonbonne, il apparaît légitime de s'interroger sur une éventuelle segmentation selon la nature de la prestation.

En effet, si, selon les parties, la prestation de service offerte ne peut être regardée que dans sa globalité, il demeure que, d'un point de vue juridique, la partie inférieure de la fontaine bonbonne, qui contient un système de réfrigération et sur laquelle sont posés les gobelets jetables, est mise à disposition des clients par le biais d'un contrat de location, alors que la partie supérieure, à savoir la bonbonne d'eau, est vendue et livrée à intervalles réguliers en fonction des besoins des clients. Chacune de ces prestations génère donc un chiffre d'affaires (1). De plus, les fabricants de fontaines sont des opérateurs multinationaux obéissant à des normes internationales issues du marché outre-Atlantique, marché qui a notamment défini la contenance en volume de la bonbonne (18,9 litres). Du fait de cette standardisation, il est techniquement possible d'alimenter une fontaine bonbonne mise à disposition par un opérateur en bonbonnes d'eau conditionnées par un autre opérateur.

Néanmoins, selon les parties, la prestation de service de mise à disposition de fontaines à bonbonne d'eau ne peut être regardée que dans sa globalité. Elles considèrent en effet que ces services sont indissociables et ne peuvent être fournis indépendamment les uns des autres. Au surplus, il peut être ajouté que le caractère global de la prestation de service est constant pour l'ensemble des opérateurs. En France, seule une société, tout à fait marginale, propose la mise à disposition d'une fontaine bonbonne, sans assurer la collecte, le remplissage et la livraison de bonbonnes d'eau, dans la mesure où cette fontaine à bonbonne est qualifiée " d'autoremplissable " en " eau du robinet ". Mais surtout, aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 9 avril 1998 (2), " les eaux minérales naturelles, les eaux de source, les eaux gazéifiées et les eaux destinées à l'alimentation humaine (...) ne peuvent être importées, détenues en vue de la vente, mises en vente ou vendues que dans des emballages " dont le volume nominal fixé le plus important est de 8 litres. Ainsi, les bonbonnes d'eau, d'une contenance de 18,9 litres, ne pourraient être l'objet d'un quelconque contrat si on les considérait comme de l'eau embouteillée destinée à la vente. De plus, l'autorisation d'exploitation des fontaines à bonbonne d'eau, par lettre administrative, est basée sur la considération selon laquelle il n'y a pas vente d'eau mais vente d'un service de distribution d'eau ; la collectivité dépositaire d'un appareil paie un service qui lui permet d'offrir gratuitement de l'eau non préemballée à son personnel et/ou à ses clients. Ces derniers ont à leur disposition non une bouteille, si volumineuse soit-elle, mais un gobelet.

Par ailleurs, dans l'hypothèse où il conviendrait de distinguer la mise à disposition et l'entretien des fontaines bonbonne, réduites à leur circuit de distribution réfrigérant, de la commercialisation des bonbonnes d'eau et des gobelets, il serait nécessaire de déterminer si l'eau vendue en grand conditionnement (bonbonnes de 18,9 litres) fait partie du même marché que l'eau de source embouteillée.

Selon les parties, la vente de bonbonnes d'eau ne saurait être assimilée à de la vente d'eau minérale en bouteille.Elles se fondent notamment sur la décision Nestlé/Perrier du 22 juillet 1992 (3). Il convient cependant de préciser que, dans la décision précitée, la Commission a défini un " marché de l'eau de source embouteillée ". Dans ce marché, la Commission intègre explicitement les " eaux minérales naturelles " et " eaux de source " telles que labellisées par les autorités nationales, compétentes en la matière. Au regard de cette définition de marché, la question n'est donc pas de savoir si la vente de bonbonnes d'eau peut être assimilée à de la vente d'eau minérale en bouteille, mais d'apprécier l'opportunité d'intégrer la vente de bonbonnes d'eau au marché de l'eau de source embouteillée. Si la Commission s'est interrogée, dans la décision évoquée, sur le point de savoir si les eaux gazeuses devaient être intégrées au marché de référence précité, sans toutefois trancher la question, il est exact de dire qu'elle n'a pas évoqué les bonbonnes d'eau. Il est cependant nécessaire de mettre en lumière le caractère quasi inexistant de l'activité liée aux bonbonnes lors de l'examen de l'opération Nestlé/Perrier.

Les parties avancent également que le produit offert, selon que l'eau est embouteillée ou distribuée depuis une bonbonne, n'est pas le même, l'eau conditionnée en bonbonne ne pouvant être labellisée " eau minérale ". Elles se fondent pour ce faire sur l'arrêté du 9 avril 1998 précité.Il est rappelé que, sur ce seul fondement, aucune eau destinée à l'alimentation humaine, labellisée ou non, ne peut être conditionnée dans un contenant d'un volume supérieur à huit litres. Il est donc utile de mettre en exergue que, aux termes de la directive européenne 80-777-CEE (4) et du décret du 4 décembre 1998 (5), qui énoncent que le transport des eaux labellisées dans les récipients autres que ceux autorisés pour la distribution au consommateur final est interdit, l'eau contenue dans les bonbonnes ne peut être labellisée. Or, dans le cas des fontaines, l'eau distribuée au consommateur final est acheminée de la bonbonne jusqu'au gobelet par l'intermédiaire des tuyauteries (puis généralement au travers d'un système de réfrigération) qui constituent la fontaine. Il est donc retenu que l'eau des bonbonnes, bien que provenant de l'exploitation d'une source naturelle et embouteillée à la source, ne peut donc être étiquetée " eau de source " ou " eau minérale ".

Cela étant, les sociétés qui mettent des fontaines bonbonne à disposition mentionnent très ostensiblement sur l'étiquette de la bonbonne, ou à défaut dans leurs communications, la provenance de l'eau sous la forme " eau de la source de... ". Il n'est donc pas évident que le consommateur établisse une réelle différence en termes de goût et de qualité entre une eau de source et l'" eau de la source de... " délivrée par les fontaines bonbonne. Au surplus, le consommateur considère qu'une eau naturelle, comme pourrait être qualifiée l'eau de bonbonne, est de meilleure qualité qu'une eau traitée (du robinet ou embouteillée).

En outre, les parties énoncent que, du point de vue de l'utilisateur, l'eau des bonbonnes est offerte " on premises ", c'est-à-dire sur le lieu de consommation, alors que l'eau embouteillée est le plus souvent achetée par le consommateur " off premises ", c'est-à-dire dans les magasins d'alimentation. Le principe d'une segmentation du marché selon que le produit est consommé " on " ou " off premises " a en effet été confirmé par le ministre dans l'arrêté du 24 novembre 1999 sur l'affaire TCCC/Orangina.

Enfin, les parties rappellent, dans le souci de distinguer les bonbonnes des distributeurs automatiques de boisson, que l'eau des bonbonnes est mise gratuitement à disposition des consommateurs. Cet argument permet également de distinguer les eaux embouteillées vendues sur le lieu de consommation de l'eau délivrée gratuitement par les fontaines bonbonne.

Au regard des éléments développés et dans l'hypothèse où une segmentation était opérée entre l'activité de mise à disposition des fontaines bonbonne et la vente de bonbonnes d'eau, il apparaît que l'eau vendue en bonbonnes de 18,9 litres destinée aux fontaines réfrigérantes n'appartient pas au marché de l'eau de source embouteillée tel que défini par la jurisprudence.

En l'espèce, la question de l'éventuelle segmentation de l'activité de mise à disposition de fontaines bonbonne sur les lieux de travail et les lieux publics, en distinguant la mise à disposition de la fontaine bonbonne, le traitement du cycle logistique de la fourniture d'eau en bonbonne et les prestations de services annexes, peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées. En tout état de cause, si la vente de bonbonnes d'eau devait être considérée comme un marché pertinent, ce dernier serait distinct du marché des eaux de source embouteillées.

B. - Le marché géographique

L'activité de mise à disposition de fontaines bonbonne s'appuie sur un cycle logistique qui peut être décrit comme suit :

- après épuisement de leur contenu, les bonbonnes vides sont collectées sur le lieu de consommation et transportées par camion. Elles sont ensuite nettoyées et désinfectées, puis remplies à la source sur un site d'embouteillage ;

- les bonbonnes pleines sont ensuite transportées par camions jusqu'à un entrepôt à partir duquel elles sont acheminées vers les locaux des entreprises clientes ;

- l'eau contenue dans les bonbonnes est ensuite consommée par les utilisateurs avant la reprise d'un nouveau cycle.

D'une manière générale, à partir d'une source et d'une ligne d'embouteillage donnée, la zone de chalandise est réduite à un rayon maximum de 300 kilomètres en raison des coûts de transport qui y sont afférents. Eu égard à ces contraintes, il est légitime de s'interroger sur l'éventuelle dimension locale des marchés de services définis précédemment.

Toutefois, ainsi que le soulignent les parties, l'examen de la structure du marché au niveau national montre que la majorité des acteurs significatifs (6) sont présents sur l'ensemble du territoire. De plus, la stratégie commerciale et les prix sont déterminés au niveau national, même si les agences locales bénéficient d'une certaine flexibilité pour s'adapter aux conditions spécifiques d'une zone géographique donnée. Par ailleurs, il apparaît qu'il n'existe que très peu d'échanges entre Etats membres de la Communauté, principalement en raison du coût de transport des bonbonnes d'eau qui interdit de procéder à des livraisons transfrontalières à des conditions compétitives. De surcroît, les habitudes de consommation et le développement de la demande varient considérablement d'un Etat à l'autre : le marché est relativement mature en Grande-Bretagne alors que la demande croît extrêmement rapidement sur les marchés plus " jeunes " de l'Europe du Sud.

Pour toutes ces raisons, il apparaît que les marchés de services concernés par la présente opération sont au plus nationaux.

En l'espèce, il n'est pas nécessaire de déterminer précisément l'étendue exacte du marché géographique dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées.

III. - L'analyse concurrentielle

CEI est leader en France dans la mise à disposition de fontaines bonbonne sur les lieux de travail et les lieux publics, et, de façon marginale, dans la vente de fontaines réseau. Son chiffre d'affaires représente [20-30] % du chiffre d'affaires global généré en France par l'activité de mise à disposition de fontaines bonbonne. Il dispose de [20-30] % du parc total de fontaines bonbonne installées et distribue [20-30] % du volume total d'eau en bonbonne consommée.

Danone réalise en France des activités connexes à celles de CEI : Danone est, d'une part, le deuxième opérateur (7) sur le marché français des eaux de source embouteillées, et, d'autre part, actif, de façon marginale, dans la vente de bornes fraîcheurs d'eau minérale, alimentées au moyen de bouteilles d'eau minérale (Volvic) d'une contenance de 5 litres (8). Danone est également actif dans le secteur de la mise à disposition de fontaines bonbonne sur les lieux de travail et les lieux publics mais uniquement dans des zones géographiques situées hors d'Europe (Asie et Amérique essentiellement).

Par conséquent, l'opération ne donne lieu à aucun chevauchement d'activités entre les parties en France.

Il convient toutefois d'analyser si, à la suite de l'opération, Danone ne sera pas à même de profiter de sa position forte sur le marché des eaux embouteillées pour en tirer un avantage concurrentiel dans l'activité liée aux fontaines bonbonne et réciproquement.

En effet, par l'acquisition de CEI, Danone pourrait s'appuyer sur l'implantation des fontaines bonbonne pour mettre en place une stratégie " d'effet de vitrine " en développant une marque d'eau qui serait apposée à la fois sur les bonbonnes et sur les eaux de source commercialisées au détail. Si la réglementation interdit qu'une eau provenant d'une même source soit distribuée sous des marques différentes, il est admis que des eaux provenant de sources différentes soient distribuées sous la même désignation commerciale. Ainsi, l'eau de source de la marque Cristalline (groupe Castel) obéit à une logique de production multisites ; commercialisée partout en France sous cette même marque, l'eau provient de sources différentes selon l'endroit où elle est vendue. Or, la production de bonbonnes d'eau obéit aussi à une logique de production multisites. Ainsi, en désignant sous la même marque l'eau des bonbonnes et une eau de source commercialisée au détail, Danone pourrait faire valoir son expertise et son image de marque en matière d'eau embouteillée comme un avantage concurrentiel dans l'activité liée aux fontaines bonbonne.

Toutefois, il convient de souligner que Danone et CEI sont concurrencés par Nestlé Waters, le pôle eau du groupe Nestlé (ci-après " Nestlé "). Nestlé est leader du marché français des eaux embouteillées (9) (avec des marques comme Vittel, Contrex, Perrier...). Il est également présent dans la distribution d'eau en bonbonne, où il réalisait déjà plus de [0-10] % du chiffre d'affaires du parc de fontaines bonbonne et du volume d'eau distribuée avant sa prise de participation à hauteur de 33 % dans Saphir-Opalia, autre acteur majeur représentant [0-10] % des activités évoquées. De plus, Nestlé a annoncé l'introduction de sa marque d'eau de source distribuée en GMS (Aquarel) dans l'activité des fontaines bonbonne. Aussi, la présence de Nestlé sur ces mêmes marchés relativise-t-elle largement celle de Danone.

De même, en introduisant une marque commune pour l'eau des bonbonnes et une " eau de source ", Danone pourrait en tirer un avantage concurrentiel sur le marché des eaux de source embouteillées. En effet, la mise à disposition d'une eau de marque, distribuée gratuitement via des fontaines bonbonne servant de support de communication, pourrait s'apparenter à une opération promotionnelle visant une hausse des ventes au détail de l'eau de source commercialisée sous la même marque. Danone disposerait alors des [50 000-60 000] fontaines de CEI installées dans les entreprises (10). Or, si le prix de vente des grandes marques d'eaux minérales intègre un budget de communication important, les eaux de source, correspondant au bas de la gamme des eaux embouteillées, et donc vendues à bas prix, ne sont pas objet de publicité. Danone bénéficierait donc d'un support de communication exclusif, support dont l'accès est fermé aux opérateurs non actifs dans la mise à disposition de fontaines bonbonne. Toutefois, là encore la présence de Nestlé permet de pondérer l'avantage concurrentiel dont bénéficierait Danone à la suite de la présente opération.De surcroît, le segment des eaux de source est le segment qui dynamise le marché de l'eau embouteillée, avec un fort environnement concurrentiel, dû notamment à la présence des marques de distributeurs. Sur ce même segment, des GMS entrent également dans une stratégie de marque.Le groupe ITM entreprises (Intermarché et Ecomarché) est présent avec sa filiale La Fiée des lois qui exploite notamment les marques Aix-les-Bains et Luchon ; Leclerc proposera dès 2004 sa " marque repère " en " eau de source " sur l'ensemble du territoire.

En outre, il convient d'examiner si la présente opération n'est pas de nature à créer ou renforcer un risque de position dominante collective de Danone et Nestlé sur les marchés de l'eau. En effet, la présente opération a pour conséquence de faciliter les contacts multi-marchés (multi-market contacts) entre Nestlé et Danone, en les mettant en présence sur les marchés de la mise à disposition de fontaines bonbonne. Ceci aurait pour effet, dans l'hypothèse d'un équilibre collusif, d'augmenter les possibilités de rétorsion entre les membres de l'oligopole sur le marché des eaux de source embouteillées ou sur les marchés de la mise à disposition de fontaines bonbonne.

Dans l'affaire Nestlé/Perrier précitée, la Commission européenne avait analysé le risque de création d'une position dominante collective entre Nestlé et Danone (BSN à l'époque) sur le marché français des eaux de source embouteillées et avait alors requis certains engagements des parties pour autoriser l'opération. Il apparaît que les conditions de la concurrence sur le marché français des eaux de source embouteillées ont évolué depuis et que le risque de collusion est moins probable.Aujourd'hui, Nestlé et Danone sont toujours les deux seuls acteurs représentatifs sur le segment de l'eau minérale, qui représente, en 2001, 51 % en valeur du marché français de l'eau de source embouteillée. Néanmoins, les ventes d'eau minérale tendent à s'essouffler. Le poids en valeur des quatre premières marques d'eau minérale en France (Evian, Volvic, Vittel et Contrex) sur le marché de l'eau de source embouteillée passe de 64 % en 1991 à 35 % en 2001. Une analyse de la structure de ce marché permet de conclure que sa croissance est tirée par la croissance à deux chiffres du segment de l'eau de source (13 % en valeur en 2001 pour une production accrue de 7,4 %) (11). Si Nestlé et Danone demeurent les leaders du marché considéré, avec des parts de marché en volume respectivement de [20-30] % et [20-30] %, le groupe Castel, actif dans les boissons, s'octroie [10-20] % des volumes d'eau embouteillée vendus en France en 2001. Sa marque d'eau de source Cristalline s'octroie à elle seule [10-20] % du marché en volume, elle est en 2001, pour la première fois, l'eau la plus vendue, devant les eaux minérales Evian, Contrex et Vittel. Au surplus, l'augmentation du nombre de références en MDD, qui représentent en 2001 34,5 % du marché en volume, avive la concurrence et tend à réduire la part de marché des grandes marques. Danone et Nestlé tentent, depuis 2000, de développer leurs marques (12) sur le segment des eaux de source, le plus dynamique du marché, mais leurs parts de des ventes n'y sont pour l'heure que minimes.

Pour ce qui est de l'activité de mise à disposition de fontaines bonbonne en France, les risques de collusion sont faibles dans la mesure où il s'agit d'une activité jeune (alors qu'elle représente 34 % de l'eau consommée aux Etats-Unis, elle n'en représente que 2,2 % en France) et en pleine croissance (la croissance de l'activité est de plus de 25 % en 2001). De plus, l'offre n'est pas encore très concentrée : Danone et Nestlé, après l'opération projetée, distribueraient moins de [40-50] % de l'eau consommée par le biais de fontaines bonbonne. Enfin, il est à noter la présence sur l'activité d'opérateurs de taille équivalente (Culligan avec [10-20] % du volume d'eau distribué en 2001) ou significative (Elis pour [10-20] %), absents des marchés de l'agroalimentaire en général et de celui de l'eau de source embouteillée en particulier. Ces opérateurs pourraient alors perturber un éventuel comportement collusif de Nestlé et Danone sur l'activité.

Il apparaît donc, au regard d'une analyse des marchés de l'eau, que l'opération projetée n'est pas de nature à créer ou renforcer une position dominante collective de Nestlé et Danone.

En conclusion, il apparaît, au regard de l'ensemble des éléments développés, que l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés concernés. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.

Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de mes sentiments distingués.

(1) Pour CEI, la vente d'eau en bonbonnes représente [...] % de son chiffre d'affaires sur l'exercice 2001, la location des fontaines [...] % et la vente de gobelets [...] % , le reste étant réparti entre des prestations diverses.

(2) JO du 14 mai 1998.

(3) Décision M. 190, Nestlé/Perrier, JOCE n° L 356 du 5 décembre 1992.

(4) En son article 4 bis, modifié par la directive 96-70-CE du 28 octobre 1996.

(5) Décret n° 98-1090 du 4 décembre 1998 modifiant le décret n° 89-369 du 6 juin 1989 relatif aux eaux minérales naturelles et aux eaux potables préemballées et le décret n° 89-3 du 3 janvier 1989 modifié relatif aux eaux destinées à la consommation humaine, à l'exclusion des eaux minérales naturelles.

(6) CEI, Culligan, Nestlé et Elis.

(7) Danone, avec ses marques d'eaux minérales (Volvic et Evian) et d'eaux de source, est le deuxième opérateur en France en terme de parts de marché en volume et en valeur sur le marché des eaux embouteillée. Sa part de marché en volume est de [20-30] % ; elle est de [30-40] % en valeur.

(8) Le client peut librement procéder au réapprovisionnement de ce type de borne par ses propres moyens, en se fournissant donc auprès des GMS.

(9) Sa part de marché en volume est de [20-30] %, elle est de [30-40] % en valeur.

(10) Sur un total de 213 700 fontaines installées en France en 2001.

(11) Sources : Union européenne et Groupement international des industries des eaux minérales naturelles et des eaux de sources (UNESEM-GISEMES).

(12) Aquarel pour Nestlé, Taillefine et Danon'activ pour Danone.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché remplacée par une fourchette.

Ces informations relèvent du " secret d'affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.