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Décisions

Ministre de l’Économie, 7 novembre 2003, n° ECOC0400182Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseil de la société Cargill

Ministre de l’Économie n° ECOC0400182Y

7 novembre 2003

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maître,

Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 7 octobre 2003, vous avez notifié l'acquisition de la société OCG Cacao SA (ci-après " OCG ") par la société Cargill France SAS.

1. Présentation des parties et de l'opération

Cargill France SAS est détenue par Cargill Inc. (ci-après " Cargill "). Cargill est une multinationale spécialisée dans la commercialisation, le traitement et la distribution de produits et services des secteurs agricole, alimentaire, financier et industriel. Dans le secteur du chocolat, Cargill intervient dans le processus de transformation du cacao aux Etats-Unis, au Brésil, en Côte d'Ivoire et aux Pays-Bas. En Europe, il produit et commercialise de la masse de cacao, du beurre de cacao et de la poudre de cacao. Aux Etats-Unis, Cargill produit et commercialise de la masse de cacao et du chocolat de couverture. Cargill a réalisé en 2002 un chiffre d'affaires consolidé de 57,2 milliards d'euros, dont [...] milliards dans l'Union européenne et [>15 millions] en France.

OCG intervient principalement dans la production et la commercialisation de chocolat de couverture. OCG a réalisé en 2002 un chiffre d'affaires consolidé de 140 millions d'euros, dont [...] millions dans l'Union européenne et [>15 millions] en France.

L'opération constitue une concentration au sens des dispositions de l'article L. 430-1 du Code de commerce, dans la mesure où il s'agit d'une prise de contrôle exclusif d'OCG par Cargill. Les seuils exprimés en chiffres d'affaires mentionnés à l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis, et l'opération n'est pas de dimension communautaire. Cette concentration relève ainsi du contrôle national des concentrations. Elle a été notifiée en Belgique et en Allemagne et a fait l'objet d'une autorisation par les autorités allemandes de concurrence le 15 octobre dernier.

2. Marchés concernés par l'opération

Les parties à l'opération sont présentes à différents stades de la filière de fabrication du chocolat. En effet, tandis que Cargill est fortement présent sur les activités de transformation en amont du cacao pour élaborer des produits semi-finis (masse de cacao, beurre de cacao et poudre de cacao), OCG est surtout présent plus en aval de la filière dans la transformation des produits semi-finis pour fabriquer du chocolat de couverture.

a) Marchés de produits

Les premières transformations du cacao aboutissent à la masse de cacao. Celle-ci peut être ensuite soumise à un procédé de pressage qui sépare la matière grasse et les composants solides de la masse. La matière grasse, c'est-à-dire le beurre de cacao, demeure en général à l'état liquide et est acheminé par camion-citerne au client. La partie solide, le tourteau de cacao, est constituée de morceaux cassés. Après blutage, le tourteau donne la poudre de cacao.

Le chocolat est fabriqué à partir de masse de cacao, de beurre de cacao et de sucre (1) (et, dans le cas du chocolat au lait, de lait ou de lait en poudre) dans des proportions variables. Après différents traitements on obtient le chocolat industriel ou chocolat de couverture, vendu à l'industrie agroalimentaire pour pouvoir être incorporé à des produits finis.

Les produits transformés à base de cacao sont commercialisés en tant que tels comme produits semi-finis. La masse de cacao est vendue comme ingrédient pour la production de chocolat ; elle est parfois vendue pour être ultérieurement transformée en beurre de cacao ou en poudre de cacao. Le beurre de cacao est également vendu comme ingrédient pour la production de chocolat. La poudre de cacao est vendue principalement comme ingrédient pour les produits aromatisés au chocolat ainsi que pour la cuisine.

Le ministre et le Conseil de la concurrence ont eu l'occasion d'étudier le secteur du chocolat notamment dans le cadre de la concentration Barry/Callebaut (2). En effet, le ministre a considéré " qu'à chaque stade les produits résultant de la transformation du cacao font l'objet d'une offre et d'une demande ; qu'en conséquence il convient de retenir un marché de la masse de cacao, produit issu du broyage des fèves de cacao, et un marché pour chacun des produits fabriqués à partir de cette masse de cacao : le beurre de cacao, la poudre de cacao [...] et le chocolat de couverture, fabriqué à partir de la masse de cacao à laquelle on ajoute du beurre de cacao, du sucre et éventuellement du lait et d'autres ingrédients et qui se présente sous une forme liquide ou des formes solides ainsi que des compositions différentes ". Les conditions de fonctionnement du marché n'ayant pas été substantiellement modifiées, et comme cela a été confirmé par le test de marché, il sera retenu, pour les besoins de la présente analyse, les quatre marchés de produits suivants :

(i) la production et la commercialisation de masse de cacao ;

(ii) la production et la commercialisation du beurre de cacao ;

(iii) la production et la commercialisation de poudre de cacao ; et

(iv) la production et la commercialisation de chocolat de couverture.

b) Délimitation géographique des marchés

Les parties à l'opération considèrent que, en ce qui concerne la masse de cacao, le beurre de cacao et la poudre de cacao, les marchés sont de dimension mondiale. D'après les parties, à l'intérieur de l'Europe, les intervenants de première transformation sont sujets à la concurrence des produits semi-finis transformés et importés des pays producteurs de fèves de cacao où les coûts de main-d'œuvre sont sensiblement moins élevés qu'en Europe. Les importations proviennent d'Amérique du Sud, d'Afrique et d'Extrême Orient. Les coûts de transport sont relativement faibles et une grande partie de la demande émane de gros clients (firmes multinationales négociant à un niveau supranational). Finalement, les différences de prix des produits semi-finis à base de cacao sont relativement faibles au niveau mondial.

Concernant le chocolat de couverture, les parties considèrent que la concurrence a lieu au plus au niveau européen. En effet, le chocolat de couverture est fourni au-delà des frontières nationales et peut être transporté soit sous forme liquide, soit sous forme solide en bloc ou en pépites. Cependant, les coûts de transport longue distance étant plus élevés pour ce produit, il peut être intéressant de localiser les installations industrielles de transformation du chocolat plus près de la demande du client.

Cette délimitation géographique des marchés a été partiellement confirmée par le test de marché. En effet, si certains acteurs considèrent que la concurrence entre les produits semi-finis à base de cacao a lieu au niveau mondial, d'autres considèrent qu'elle est restreinte au marché européen. En effet, il existe un grand flux d'importations et exportations, les coûts de transports ne sont pas très élevés et les acheteurs font souvent partie de groupes implantés en Europe ou mondialement.

Dans l'affaire Barry/Callebaut précitée, ni le Conseil de la concurrence ni le ministre n'avaient délimité la définition géographique exacte des marchés concernés, tout en examinant les conditions de concurrence aussi bien au niveau national qu'européen. Au cas d'espèce, la question de la définition exacte des marchés géographiques peut rester ouverte car, quels que soient les marchés retenus, les conclusions de l'analyse demeurent inchangées.

3. Analyse concurrentielle

Les tableaux suivants indiquent le poids (3) des parties à l'opération et de leurs principaux concurrents sur les différents marchés (4), tels qu'estimés par les parties (5) :

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D'un point de vue horizontal, si l'on se place au niveau européen ou mondial, l'opération ne donne lieu qu'à des chevauchements d'activité entre Cargill et OCG insignifiants ou nuls selon les produits.En effet, les parties sont présentes à des stades différents de la transformation du cacao. Ainsi, tandis que Cargill est principalement actif sur les marchés amont de la production et commercialisation des produits semi-finis (masse de cacao, beurre de cacao et poudre de cacao), OCG est surtout présent sur le marché du chocolat de couverture.

Concernant la commercialisation de la poudre de cacao en France, la concentration amène la nouvelle entité en deuxième position avec [20-30] % de parts de marché (Cargill [10-20] % et OCG [10-20] %). Cependant, il convient de considérer que même dans l'hypothèse peu probable où l'on retiendrait une telle dimension géographique du marché, la nouvelle entité serait confrontée à de forts concurrents tels que Barry Callebaut ([30-40] %) et ADM ([10-20] %).

D'un point de vue vertical ou congloméral, la présente opération a pour conséquence d'élargir le champ d'activité de Cargill et lui permet de pénétrer sur le marché du chocolat de couverture, qui se situe en aval de ses activités actuelles. Or trois gros opérateurs, intégrés verticalement, coexistent dans le secteur de la transformation du cacao en produits semi-finis : Barry Callebaut, ADM et Cargill.Les tableaux précédents montrent qu'actuellement Cargill et ADM sont principalement présents sur les marchés de la masse de cacao, du beurre de cacao et de la poudre de cacao alors que Barry Callebaut est présent sur les marchés de la masse de cacao, du beurre de cacao, de la poudre de cacao et, de manière beaucoup plus importante, sur le marché du chocolat de couverture. Ainsi, cette opération vient renforcer l'intégration verticale de Cargill, qui dorénavant sera à même d'offrir toute la gamme de produits semi-finis à base de cacao. La nouvelle entité fera face, en plus des deux autres groupes aussi intégrés verticalement, à quelques concurrents de taille moins importante mais présents aussi à plusieurs stades de la transformation du cacao.Ainsi, au niveau mondial, bien qu'avec des parts de marché inférieures, Hosta et Blommer sont présents sur la masse, le beurre et la poudre de cacao ; au niveau européen, Hosta est présent à tous les stades de la transformation du cacao, Schokinag est présent sur le beurre de cacao, la poudre de cacao et le chocolat de couverture et Unicom et Natra le sont sur le beurre et la poudre de cacao. Ainsi, la majorité des opérateurs est intégrée verticalement et est à même de proposer une gamme de produits semi-finis à base de cacao.Il convient en outre de souligner qu'OCG s'approvisionne en masse et en beurre de cacao [...] auprès de Cargill.

Finalement, il ressort du test de marché qu'une grande partie des clients de Cargill et OCG (tels Nestlé, Kraft Foods, Masterfoods, Barry Callebaut, Cadbury, United Biscuits...) de par leur taille disposent d'une importante puissance d'achat. Ils s'approvisionnent, pour chaque type de produit, au moins auprès de deux fournisseurs, généralement parmi les trois gros opérateurs (Barry Callebaut, ADM et Cargill) dès lors que les quantités requises sont importantes. Il convient toutefois de souligner que l'intégration verticale et le complément de gamme de Cargill qui résultent de la présente opération ne sont pas de nature à lui conférer un avantage concurrentiel par rapport aux autres opérateurs du secteur ou à accroître significativement son pouvoir de négociation à l'égard de ses clients. Plusieurs clients, interrogés dans le cadre de l'instruction de cette opération, ont d'ailleurs souligné que cette opération permettrait de créer un opérateur plus fort à même de concurrencer Barry Callebaut sur le marché du chocolat de couverture, où celui-ci est particulièrement présent.

Enfin, compte tenu des caractéristiques des marchés de la masse, du beurre et de la poudre de cacao (homogénéité des produits, transparence des prix, faible valeur ajoutée) et de la structure concentrée de l'offre dans le secteur des produits semi-finis à base de cacao, il convient de s'interroger sur la possibilité de voir s'établir un équilibre collusif à la suite de la présente opération sur les différents marchés concernés. En effet, cette opération a pour conséquence de faciliter les contacts multi-marchés (multi-market contacts) entre Cargill et Barry Callebaut, en les mettant en présence sur le marché du chocolat de couverture alors que ces deux opérateurs sont déjà simultanément présents sur les marchés plus amont de la masse, du beurre et de la poudre de cacao.

Comme cela a déjà été souligné, Barry Callebaut et Cargill ne sont pas présents de la même façon à chaque stade de la transformation du cacao. En effet, si Cargill a des parts de marché relativement importantes (de l'ordre de [10-20] à [20-30] % selon la dimension géographique) sur les marchés de la masse, la poudre et le beurre de cacao, il était jusqu'alors absent du marché du chocolat de couverture, l'opération lui permettant d'y pénétrer (avec une part de marché comprise entre [0-10] et [10-20] % selon que l'on se place au niveau national ou européen). Barry Callebaut, bien qu'actif à tous les stades de la transformation du cacao, est surtout présent sur le marché de la poudre de cacao et de façon beaucoup plus importante sur le marché du chocolat de couverture (part de marché de l'ordre de 60 % tant au niveau européen que national).

Toutefois, les conditions nécessaires pour qu'un risque de création ou renforcement d'une position dominante collective sur les marchés concernés existe ne semblent pas remplies en l'espèce. En effet, d'une part, le chocolat de couverture est un produit souvent spécifique à des exigences particulières des clients avec des innovations et une valeur ajoutée importantes. Il n'y a donc pas transparence de prix sur ce marché. D'autre part, même si les trois autres marchés, c'est-à-dire la masse, le beurre et la poudre de cacao, présentent des caractéristiques plus propices à la création ou au renforcement d'une position dominante collective, ce risque peut être écarté. Les produits sont certes homogènes et à faible valeur ajoutée, les barrières à l'entrée sont importantes et les prix, très corrélés à ceux du cacao, sont relativement transparents. Cependant, ADM, bien que déjà présent comme Cargill sur les trois marchés précités avec des parts de marché analogues à ce dernier, est absent du marché européen du chocolat de couverture et constitue un entrant potentiel sur ce marché, ce qui rendrait instable et difficilement soutenable un équilibre collusif sur ces trois marchés. En outre, il convient de souligner la présence d'une concurrence émanant d'opérateurs de plus petite taille, tels que Hosta, Unicom..., à même d'exercer une certaine pression concurrentielle sur les trois gros opérateurs. Pour finir, et comme cela a déjà été mentionné, la demande sur l'ensemble de ces marchés émane en grande partie d'opérateurs puissants (industries agroalimentaires) disposant d'un pouvoir de négociation à même de contrebalancer la concentration de l'offre.

En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.

Veuillez agréer, Maître, l'expression de ma considération distinguée.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.

Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.

(1) Le sucre représente environ 50 % des ingrédients nécessaires à la fabrication du chocolat.

(2) Arrêté du ministre du 5 février 1997 relatif à une concentration dans le secteur du chocolat et avis n° 97-A-01 du Conseil de la concurrence en date du 7 janvier 1997 relatif à la prise de contrôle du groupe Barry par la société Callebaut, BOCCRF n° 10 du 17 mai 1997.

(3) Les parts de marchés sont indiquées en volume.

(4) Les productions vendues en interne ne sont pas comptabilisées.

(5) Et confirmées de façon générale par le test de marché.

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