Conseil Conc., 11 mai 2004, n° 04-D-17
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Saisine et demande de mesures conservatoires présentées par les sociétés AOL France SNC et AOL Europe SA
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de M. Lescop, par M. Jenny, vice-président, M. Nasse, vice-président, Mmes Aubert, Perrot, ainsi que MM. Charrière-Bournazel, Piot, Robin, membres.
Le Conseil de la concurrence (section III B),
Vu la lettre enregistrée le 12 janvier 2004, sous les numéros 04-0002F et 04-0003M, par laquelle AOL France SNC et AOL Europe Services SARL ont saisi le Conseil de la concurrence des pratiques de la société Wanadoo sur le marché résidentiel du haut débit en France et ont demandé que des mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu la lettre enregistrée le 24 février 2004 par laquelle AOL France SNC et AOL Europe Services SARL ont transmis au Conseil de la concurrence un complément à la saisine visée ci-dessus ; Vu le traité instituant la Communauté européenne et notamment son article 82 ; Vu le livre IV du Code de commerce, relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions de son application ; Vu les décisions en date du 27 janvier 2004 et du 9 mars 2004, par lesquelles la Présidente du Conseil a fait application de l'article L. 463-4 du Code de commerce ; Vu les avis n° 04-197 et 04-257 rendus le 24 février 2004 et le 9 mars 2004 par l'Autorité de régulations des télécommunications, en application de l'article 35 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par les sociétés AOL France SNC et AOL Europe Services SARL, Wanadoo SA et le commissaire du Gouvernement ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés AOL et Wanadoo entendus lors de la séance du 6 avril 2004 ; Les représentants des sociétés Tiscali et LDCOM entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 alinéa 2 du Code de commerce ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LA SAISINE
1. AOL France SNC et AOL Europe Services SARL (ci-après AOL) ont saisi le Conseil de la concurrence des pratiques tarifaires mises en œuvre par la société Wanadoo SA (ci-après Wanadoo) sur le marché résidentiel du haut débit en France. AOL affirme que, depuis le 12 décembre 2003, les offres tarifaires de Wanadoo ont un caractère prédateur et contreviennent aux dispositions des articles 82 du traité de Rome et L. 420-2 du Code de commerce.
2. Selon un modèle de coût développé dans sa saisine et basé en partie sur l'analyse développée par la Commission européenne dans sa décision Wanadoo Interactive du 16 juillet 2003, AOL prétend que les baisses tarifaires successives intervenues le 12 décembre 2003, les 6 janvier 2004 et 3 février 2004 ne permettent pas à Wanadoo de couvrir ses coûts de revient, "même sur la base d'hypothèse conservatrice". En ce sens, les tarifs pratiqués seraient des prix prédateurs "visant à évincer la concurrence des autres fournisseurs d'accès Internet à haut débit pour la clientèle résidentielle".
3. Par ailleurs, AOL postule que ces prix prédateurs sur le marché de détail du haut débit conduisent mécaniquement à un effet de ciseau tarifaire avec les prix pratiqués en amont par France Télécom risquant "de compromettre la pérennité des acteurs autres que Wanadoo".
4. Enfin, AOL estime que "la politique tarifaire de prix de Wanadoo a pour conséquence de rendre difficile, voire impossible, la pénétration sur le marché des services d'accès Internet à haut débit pour la clientèle résidentielle. Dans ces conditions, les fournisseurs d'accès Internet implantés dans d'autres Etats membres peuvent difficilement entreprendre une activité d'accès à Internet à haut débit en France. Les échanges entre Etats membres sont ainsi susceptibles d'en être affectés, rendant applicable l'article 82 CE en sus de l'article L. 420-2 du Code de commerce".
5. Accessoirement à sa saisine au fond, AOL sollicite, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce, l'octroi de mesures conservatoires.
B. LE SECTEUR
6. Le secteur concerné par les pratiques alléguées est celui de l'accès à Internet en France. Il existe trois technologies d'accès principales dans ce secteur : le réseau téléphonique commuté, appelé "Internet bas débit", l'ADSL et le câble. D'autres technologies, comme l'UMTS, les courants porteurs ou le WiFi, sont apparues depuis peu mais ne présentent pas à l'heure actuelle un taux de pénétration significatif.
7. Le nombre d'abonnés ADSL des FAI a plus que doublé en 2003 et s'établit à 3 162 229 au 31 décembre 2003 selon les chiffres fournis par France Télécom. Pour 2004, les analystes prévoient un taux de croissance du nombre d'abonnés supérieur à 70 %.
8. Pour offrir des services d'accès à Internet par la technologie ADSL, les fournisseurs d'accès Internet (ci-après FAI) ont recours aux offres de gros proposées par France Télécom ou par les opérateurs alternatifs. Ces offres comprennent : l'accès (boucle locale), de la prise téléphonique du client final jusqu'au répartiteur ; la collecte régionale, du répartiteur au premier brasseur ; la collecte nationale (transport), du premier brasseur au point de livraison (ou de présence) du FAI. Pour assurer sa connexion à l'ensemble du réseau Internet et l'accès à tous les sites mondiaux à ses clients, le FAI doit enfin acheter une prestation de connectivité Internet (ou IP) à un opérateur de télécommunications sur le marché international. Cette prestation n'entre pas dans le champ du marché de gros du haut débit ADSL.
9. Le marché de gros de l'accès haut débit ADSL s'articule autour des différentes options vendues par France Télécom (options 1, 3 et 5). Elles permettent aux opérateurs et fournisseurs d'accès Internet de proposer des offres sur le marché de gros et sur le marché de détail du haut débit ADSL.
10. L'option 1 s'adresse exclusivement aux opérateurs de télécommunications. C'est l'offre techniquement la plus proche du consommateur final puisqu'elle consiste à dégrouper la boucle locale filaire. L'opérateur alternatif contrôle l'ensemble de la chaîne technique de l'ADSL et peut alors fournir des offres concurrentes aux options 3 et 5 de France Télécom sur le marché de gros ou intervenir directement sur le marché de détail. En février 2004, 9,7 % des accès ADSL étaient commercialisés sur la base du dégroupage.
11. L'option 3 est proposée par France Télécom aux opérateurs de télécommunications et aux FAI sous la dénomination ADSL Connect ATM. Elle a pour origine une injonction prononcée par le Conseil de la concurrence à l'encontre de France Télécom en février 2000 (décision n° 00-MC-01), mais les souscriptions à cette offre ne se sont réellement développées que fin 2002. Il s'agit d'une offre de revente aux opérateurs alternatifs des accès ADSL (boucle locale) et de collecte du trafic à un niveau intermédiaire du réseau (250 points de collecte environ en France). Elle permet à l'opérateur alternatif de proposer des offres concurrentes à l'option 5 de France Télécom ou d'intervenir directement sur le marché de détail. En février 2004, 7,8 % des accès ADSL étaient bâtis sur l'option 3.
12. L'option 5 se compose de deux éléments : l'accès ("accès IP/ADSL") et la collecte ("collecte IP/ADSL") au niveau national ou régional. Elle s'adresse aux FAI et, dans les zones non dégroupées, aux opérateurs-FAI et leur permet d'intervenir uniquement sur le marché de détail. Wanadoo construit ses offres de façon quasi-exclusive en achetant l'option 5 auprès de France Télécom. Au total, en février 2004, les FAI commercialisent 76 % des accès ADSL en recourant à l'option 5. En ne prenant en compte que les FAI concurrents de Wanadoo, l'option 5 est à la base de 57 % des accès offerts.
13. Répartition du marché de gros de l'ADSL en février 2004 (source : France Télécom et Wanadoo) :
EMPLACEMENT TABLEAU
C. LES ENTREPRISES
14. AOL France SNC et AOL Europe Services SARL sont des filiales du groupe AOL Time Warner, premier groupe mondial de communication. AOL Europe SARL est une société anonyme à responsabilité limitée de droit luxembourgeois qui met en œuvre la production des services de fourniture d'accès Internet en Europe des marques de AOL Time Warner (notamment AOL et CompuServe). Créée en 1996, AOL France SNC gère un ensemble de marques complémentaires : le service abonnés AOL, le portail généraliste "aol.fr", l'outil de messagerie instantanée "AIM", une galerie marchande virtuelle "shopping", le portail grand public "Netscape.fr" et un fournisseur d'accès dédié aux petites et moyennes entreprises, "CompuServe". Par ailleurs, elle promeut et commercialise en France les services de fourniture d'accès Internet produits par AOL Europe SARL. Elle se présente comme le numéro 2 de l'Internet en France.
15. Wanadoo SA est une filiale du groupe France Télécom, qui détenait, au 31 décembre 2003, 71,13 % du capital. Les activités du groupe Wanadoo s'articulent autour de quatre segments : la fourniture d'accès, les portails, le commerce électronique et les annuaires. Un certain nombre d'acquisitions et de prises de position ont permis au groupe de déployer ses activités dans toute l'Europe (Freeserve au Royaume-Uni et EresMas en Espagne). Le groupe Wanadoo se présente, dans ses communiqués, comme "un acteur majeur sur le marché européen de l'Internet et des annuaires, (...), leader de l'Internet en France et au Royaume-Uni et numéro 2 en Espagne et aux Pays-Bas". Depuis la saisine, France Télécom a déposé une offre de rachat des actions détenues par les actionnaires minoritaires de sa filiale Wanadoo en vue de la réintégration complète de la filiale au sein du groupe.
D. LES FAITS
1. SUR LES TARIFS DE WANADOO, LEUR ENVIRONNEMENT ET LEUR POSITIONNEMENT
16. Le 19 novembre 2003, France Télécom dépose auprès du ministre de l'Economie des Finances et de l'Industrie une demande d'homologation des nouveaux tarifs de l'option 5. Conformément à l'article L. 36-7 du Code des postes et télécommunications, l'ART rend le 9 décembre 2003 un avis n° 03-1298, favorable sous réserve du report de l'application des nouveaux tarifs après le 16 février 2004, afin de "permettre aux fournisseurs d'accès Internet alternatifs au groupe France Télécom de disposer d'un délai suffisant pour préparer la commercialisation d'offres fondées sur la nouvelle grille tarifaire et se raccorder aux points de livraison régionaux". Le ministre de l'Economie des Finances et de l'Industrie homologue, le 11 décembre 2003, l'évolution de la tarification avec mise en œuvre au 1er janvier 2004.
17. Dans son avis, l'ART prévoit un effet bénéfique sur le marché de détail. Le coût de production des FAI, et par suite, le prix de détail des offres d'abonnement ADSL, devraient baisser puisque "globalement, pour un fournisseur d'accès Internet qui n'utiliserait que l'option 5 de France Télécom, le coût [de télécommunications] d'un accès à 512 kbit/s passerait de 27 euros en moyenne (...) à 22 euros environ, ce qui représente une baisse moyenne de 18,5 %".
18. Ces effets sur le marché de détail sont en effet rapidement constatés puisque, le 12 décembre 2003, Wanadoo annonce de fortes baisses sur ses forfaits haut débit : "Les forfaits eXtense 512k à partir de 29,90 euros TTC/mois, soit une baisse de près de 25 %.
à partir du 6 janvier 2004 :
- le forfait 512k, nécessitant un engagement sur 12 mois, passe à 34,90 euros TTC/mois au lieu de 45,42 euros TTC/mois,
- le forfait eXtense 512k Fidélité, nécessitant un engagement sur 24 mois, passe à 29,90 euros TTC/mois au lieu de 39,90 euros TTC/mois.
dès maintenant et jusqu'au 5 janvier 2004, pour les nouveaux abonnés :
- le forfait eXtense 512k est en promotion Découverte à 30 euros TTC/mois pendant les 4 premiers mois et passe ensuite à 34,90 euros TTC/mois ;
- le forfait eXtense 512 k Fidélité est en promotion à 30 euros TTC sur son premier mois d'abonnement, et passe à 29,90 euros TTC/mois - au lieu de 39,90 euros TTC/mois - dès le 6 janvier 2004.
Les forfaits eXtense 1024k à partir de 39,90 euros TTC/mois, soit une baisse de près de 45 %.
A partir du 6 janvier 2004, les forfaits eXtense 1024k et eXtense 1024k Fidélité baissent aussi très fortement, aussi bien pour les clients Wanadoo existants que les nouveaux abonnés, partout en France métropolitaine :
- le forfait eXtense 1024k, nécessitant un engagement sur 12 mois, passe à 44,90 euros TTC/mois au lieu de 80 euros TTC/mois ;
- le forfait eXtense 1024k Fidélité, nécessitant un engagement sur 24 mois, passe à 39,90 euros TTC/mois au lieu de 74,90 euros TTC/mois."
19. Par ailleurs, Wanadoo indique également que "ces baisses s'appliquent à l'ensemble des clients Wanadoo en France métropolitaine, qu'il s'agisse de clients existants ou de nouveaux abonnés". Wanadoo précise dans ses observations que "ces offres [lui] permettaient tout juste (...) de ramener ses prix à un niveau cohérent avec ceux offerts par ses concurrents, sans pour autant s'aligner sur les prix les plus bas de l'époque".
20. Les concurrents les plus actifs sur le marché réagissent rapidement à ces offres. Free double le débit de ses abonnés (de 512 à 1024 kbit/s) en zone non dégroupée sans modifier le prix du forfait à 29,99 euros. 9 Télécom réajuste également l'ensemble de sa grille en baissant ses tarifs d'environ 4 euros : le 512 kbit/s à 24,9 euros, le 1024 kbit/s à 29,9 euros, le 2048 kbit/s à 39,9 euros. Pour les autres, des annonces promettent des baisses de tarifs en janvier.
21. Le 6 janvier 2004, l'ensemble des nouveaux tarifs de Wanadoo entre en vigueur. Durant le mois de janvier, les concurrents s'adaptent aux nouvelles conditions de marché. Les offres les plus basses du marché sont celles de 9 Télécom (le 512kb/s à 19,9 euros TTC), Tiscali (le 512kb/s à 20 euros TTC) et Télé 2 (le 128 kb/s à 18,95 euros TTC).
22. Par un communiqué de presse du 29 janvier 2004, Wanadoo lance "le haut débit "à la carte", pour tous" et propose une nouvelle segmentation avec des offres contraintes en durée ou en volume, disponibles à compter du 3 février 2004 :
"eXtense 128k : désormais proposé à la durée (20 heures) à partir de 14,90 euros/ mois. Ce forfait, qui s'adresse aux étudiants comme aux foyers avec enfants qui découvrent peu à peu les avantages de l'Internet Haut Débit, est désormais proposé à la durée (20 heures).
(...)
Par ailleurs, Wanadoo crée également le forfait illimité 128k Fidélité, pour les internautes souhaitant s'engager pour 24 mois sans aucune limite de consommation à 24,90 euros TTC/mois.
eXtense 512k : création d'une offre à la consommation (5 Go) à partir de 24,90 euros / mois.
Destiné aux familles et aux internautes en quête de divertissement, il permet notamment d'accéder depuis wanadoo.fr à de nombreux contenus multimédia : musique, jeux, album photos... Il couvre ainsi plus de 80 % des besoins des internautes Haut Débit 512k, tout en leur permettant de bénéficier d'un tarif encore plus avantageux".
23. Le dépassement de forfait est facturé à la seconde sur la base de 3 euros l'heure pour les forfaits eXtense 128k 20h et l'Octet sur la base de 3 euros le GigaOctet (Go) pour les forfaits eXtense 512k 5Go avec un maximum de 15 euros au-delà duquel les forfaits deviennent illimités.
24. Wanadoo donne aux clients de ces nouvelles offres "la possibilité de changer de forfait gratuitement, 2 fois par an" et l'accès à un compteur mesurant la consommation effective du forfait.
25. Ces offres sont accompagnées de la campagne publicitaire et des promotions habituelles sur packs.
26. Selon Wanadoo, les offres eXtense 128k 20h permettent à l'abonné "la consultation quotidienne de sa messagerie + 10h de surf + 3h de t'chat + 3h d'écoute de radio" sans dépassement et les offres eXtense 512k 5Go couvrent "80 % des besoins des internautes haut débit 512k". A titre d'exemple, elle indique qu'un volume de téléchargement de 5 Go correspond à "100h de surf + 1 film par semaine à regarder chez soi sur Wanadoo Cinéma + 4 albums de musique sur Wanadoo Music Club, et la possibilité de rester connecté en permanence pour recevoir ses e-mails en temps réels".
27. Le tableau suivant récapitule la grille tarifaire de Wanadoo au 3 février 2004 :
EMPLACEMENT TABLEAU
Ces tarifs peuvent être mis en regard de ceux pratiqués par ses principaux concurrents à la même date :
Les tarifs des principaux concurrents de Wanadoo en février 2004
EMPLACEMENT TABLEAU
28. L'offre eXtense 128k 20h Fidélité est au moment de son lancement l'offre la plus basse du marché en valeur absolue.
29. Le premier FAI à réagir est à nouveau 9 Télécom qui baisse ses tarifs le 17 février 2004. Les abonnements à 512 kb/s et à 2048 kb/s sont proposés à des prix de base respectifs de 14,9 euros et de 24,9 euros, auxquels le client doit ajouter 5 euros s'il ne veut pas choisir 9 Télécom comme opérateur de téléphonie fixe et 2 euros pour la location du modem. Ces tarifs sont valables pendant 12 mois et augmenteront de 5 euros au maximum passé ce délai. Le 1er mars, Club-Internet s'aligne sur Wanadoo en proposant le 128 kb/s et le 512 kb/s à 24,9 euros, et le 1024 kb/s à 29,9 euros moyennant un engagement d'un an. Ces offres sont seulement valables dans certains départements. Cegetel lance le 3 mars une offre identique à celle de 9 Télécom : le 512 kb/s à 14,9 euros et le 1024 kb/s à 19,9 auxquels le client doit ajouter 5 euros s'il ne présélectionne pas Cegetel. A partir du 3 mars 2004, Télé 2 propose le 128 kb/s à 13,85 euros TTC, le 512 kb/s et le 1024 kb/s (en dégroupage) à 19,85 euros TTC, FAS compris si le consommateur présélectionne Télé 2 (sinon le prix augmente de 5 euros TTC). Enfin, le 1er avril, Alice ADSL (marque de Télécom Italia) propose une offre 128 kb/s à 10,95 euros TTC en dégroupage total à condition de souscrire l'abonnement et la présélection téléphonique chez Télécom Italia.
30. Après ces alignements, les tarifs des principaux concurrents de Wanadoo sont les suivants :
Les tarifs des principaux concurrents de Wanadoo mars/avril 2004
EMPLACEMENT TABLEAU
2. SUR LES PROMOTIONS DE WANADOO
31. Wanadoo offre à ses clients des packs, comprenant modem et frais d'accès au service, à partir de 1 euros s'il s'agit d'un modem USB. Ce type d'offre s'est généralisé en 2003 sur le segment de l'accès Internet par ADSL. Il s'accompagne, en général, d'un engagement de 12 mois minimum ou de frais de résiliation d'un montant de 90 euros. Parmi les acteurs majeurs de l'ADSL, certains comme Télé 2 et Tiscali facturent une partie des frais d'accès au service à leurs clients (entre 18,95 et 49 euros).
32. Par ailleurs, Wanadoo ajoute à ses offres divers services gratuits pendant les premiers mois d'abonnement ainsi que des cadeaux à 1 euro provenant de sa filiale Marcopoly comme des souris sans fil, des appareils photo numériques, des DVD. Il s'agit d'une pratique relativement répandue sur le marché surtout en ce qui concerne les services gratuits pendant les premiers mois d'abonnement. Le but de ces offres promotionnelles est de faire connaître aux clients les services payants, sources de revenus supplémentaires pour les FAI (anti-virus, anti-virus mail, contrôle parental, etc.).
33. Enfin, Wanadoo propose, de manière périodique, à ses nouveaux clients des réductions de prix pour les premiers mois d'abonnement.
II. Discussion
34. L'article 42 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce énonce que "La demande de mesures conservatoires mentionnées à l'article L. 464-1 du Code de commerce ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond du Conseil de la concurrence. Elle peut être présentée à tout moment de la procédure et doit être motivée". Une demande de mesures conservatoires ne peut donc être examinée que pour autant que la saisine au fond est recevable et ne soit pas rejetée faute d'éléments suffisamment probants, en application de l'alinéa 2 de l'article L. 462-8 du Code de commerce.
A. SUR LES PRATIQUES DÉNONCÉES
1. SUR LA COMPÉTENCE DU CONSEIL DE LA CONCURRENCE
35. Wanadoo conteste la compétence du Conseil pour connaître des pratiques alléguées par AOL à son encontre. Dans ses observations, elle rappelle que la décision du 16 juillet 2003 de la Commission comporte deux aspects, "d'une part, elle constate à l'encontre de Wanadoo une violation de l'article 82 pour la pratique de prix prédateurs, d'autre part, elle instaure, par ses articles 2 et 3, une procédure continue de prévention et de contrôle d'infraction à l'égard des tarifs de Wanadoo en enjoignant à Wanadoo de mettre définitivement un terme à l'infraction et de s'abstenir dans le cadre de ses services ADSL de tout comportement qui pourrait avoir un objet ou un effet identique ou similaire à celui de l'infraction et en engageant pour une durée de 5 ans une procédure d'enquête et de contrôle reposant sur la transmission à la Commission du "compte d'exploitation [des] différents services ADSL, faisant apparaître les revenus comptables, les coûts d'exploitation et les coûts d'acquisitions de la clientèle" et que "par application de l'article 9, paragraphe 3, du règlement 17, texte d'effet direct qui s'impose à toute autorité et juridiction nationales, le Conseil se déclarera incompétent". A cet égard, Wanadoo produit un ensemble de courriers montrant que la Commission lui a fait parvenir une demande de renseignements concernant ses nouveaux tarifs.
36. Cependant, les documents transmis par Wanadoo ne constituent pas l'ouverture d'une procédure formelle puisque la Commission ne fait que rappeler à Wanadoo ses obligations issues des articles 2 et 3 de la décision du 16 juillet 2003. En effet, dans un courrier électronique en date du 26 janvier 2004, la Commission affirme que "si à cette date [29 janvier 2004] aucun courrier ne nous parvenait, nous serions dans l'obligation de vous envoyer une demande de renseignement formelle". Wanadoo ayant répondu par lettre du 30 janvier 2004, aucune demande formelle n'a été envoyée. Ainsi, la Commission ne peut être regardée comme ayant engagé une procédure formelle concernant les pratiques de Wanadoo en janvier et février 2004. Le moyen doit, en conséquence, être rejeté.
2. SUR LE MARCHÉ PERTINENT
37. L'accès à Internet par ADSL et l'accès par le câble présentent de nombreuses caractéristiques communes : une plus grande rapidité en termes de débit (jusqu'à 35 fois plus rapide), la possibilité d'utiliser la ligne téléphonique durant la connexion Internet, la possibilité d'une connexion illimitée et permanente, des offres adaptables au profil et au budget des consommateurs (par les possibilités de limitation des durées de connexion ou des volumes de téléchargement), le multiservices (vidéo à la demande, bouquet de chaînes). Par leur qualité de services, leur prix et leur gamme de produits et services satisfaisant un éventail plus large d'usages, ils se distinguent donc nettement de l'accès par réseau téléphonique commuté, dit "bas débit", pour le consommateur.
38. De plus, le câble est une technologie concurrente de l'ADSL sur une partie non négligeable du territoire. Selon l'AFORM, le câble dispose d'un potentiel de 6,5 millions de prises pour l'Internet contre 37 millions pour l'ADSL.
39. Dans ses observations, Wanadoo fournit une étude du Crédoc de 2001 soulignant l'existence "de nouveaux usages qui ont été développés sur Internet par le pack eXtense et qui sont spécifiques au haut débit" et affirmant que les principaux critères de choix du consommateur en matière d'accès ADSL sont le débit et la rapidité, le forfait illimité sans surcoût, la connexion permanente et la liberté de la ligne téléphonique. Ces mêmes critères sont retenus par une étude de juillet 2002 réalisé par Novatris. Cette étude prouve également que les critères de choix pour les accès par câble ou ADSL sont identiques. Un article de la Tribune du 16 mars 2004 indique que les usages des Internautes se développent grâce au haut débit. Ainsi, il apparaît clairement que le consommateur différencie le "haut débit" du "bas débit".
40. Enfin, concernant les offres présentant un débit de 128 kb/s, le Conseil constate qu'elles présentent les caractéristiques du haut débit décrites au paragraphe ci-dessus et que Wanadoo les présente comme du haut débit dans l'ensemble de sa campagne publicitaire et son site Web.
41. Il n'est donc pas exclu, à ce stade de l'instruction, que le marché pertinent soit le marché des services d'accès à Internet à haut débit (à compter de 128 kb/s) destinés à une clientèle résidentielle par ADSL et par câble sur l'ensemble du territoire français(ci-après marché résidentiel du haut débit).
3. SUR LA POSITION DOMINANTE DE WANADOO
42. Sur ce marché résidentiel du haut débit, Wanadoo détient, au 31 mars 2004, une part de marché de 50 % alors que ses concurrents les plus directs servent, pour Free, 15 % des abonnés, et, pour AOL et Tiscali, 7,5 % chacun. Par ailleurs, Wanadoo est une filiale du groupe France Télécom, opérateur historique de télécommunications, qui est, verticalement, présent sur l'ensemble de la chaîne des services nécessaires à l'accès à Internet et offre aux utilisateurs une gamme étendue de services de communications. De plus, le fait que Wanadoo ait pu conquérir 751 000 clients en 2003 avec des prix plus élevés que ceux de ses concurrents suggère qu'il bénéficie d'un effet de réputation et d'image de nature à contribuer à lui donner la possibilité de s'abstraire de la concurrence des autres opérateurs présents sur ce marché.
43. En revanche, depuis plus d'un an, Wanadoo perd des parts de marché au rythme de 1 point par mois, passant de 62 % en décembre 2002 à 53 % en décembre 2003. Sur le segment de l'accès par ADSL, Wanadoo a perdu près de 15 points en moins d'un an, passant de 66 % en mars 2004 à 53 % en février 2004. La part de conquête de nouveaux abonnés de Wanadoo, 45,8 % en moyenne en 2003 sur le marché du haut débit résidentiel, et, 42 % et 35 % respectivement en janvier et février 2004 sur le segment de l'accès par ADSL, est inférieure à sa part de marché. De plus, le secteur est encore en forte expansion et le développement rapide de nouveaux entrants et de certains concurrents comme 9 Télécom, Alice ADSL (filiale de Télécom Italia), Cegetel et Télé 2 France, laisse penser qu'il n'existe pas de barrières insurmontables à l'entrée sur le marché de l'accès à Internet.
44. En présence d'éléments en sens contraire et sur lesquels seule l'instruction au fond permettra de prendre parti, et le Conseil estime, qu'au stade actuel, il ne peut être exclu que Wanadoo occupe une position dominante sur le marché du haut débit résidentiel.
4. SUR LE CARACTÈRE PRÉDATEUR DES OFFRES DE WANADOO
45. Par un courrier en date du 5 mars 2004, Wanadoo a fourni, à la demande du rapporteur, les modèles économiques de l'ensemble de ses offres conformément à l'analyse de la Commission dans sa décision du 16 juillet 2003 et présentant les marges sur coûts complets (coûts variables et coûts fixes) de chaque offre. Ces modèles reposent sur une série d'hypothèses et de constatations établies par Wanadoo.
a) Sur les hypothèses concernant les coûts de Wanadoo
46. Dans sa décision du 16 juillet 2003, la Commission observe que Wanadoo "distingue schématiquement les coûts suivants pour ses produits ADSL : des coûts de réseau, des coûts d'acquisitions ou de conquête, et d'autres coûts de production".
47. Les coûts de réseau sont des coûts physiques qui correspondent à l'accès, la collecte et la connectivité Internet.
48. S'agissant des coûts d'accès et de collecte, Wanadoo utilise quasi exclusivement l'option 5 de France Télécom.
49. Par ailleurs, tous les coûts de réseau sont variables : le coût d'accès varie en fonction du nombre d'abonnés tandis que les coûts de collecte et de connectivité Internet varient en fonction de l'usage de l'abonné mesuré par son débit moyen au pic.
50. Les coûts d'acquisition ou de conquête représentent "les charges induites par les opérations destinées à attirer le client potentiel vers les services vendus, à lui faire décider l'abonnement au service, ainsi que les coûts liés à la mise en place de l'abonnement et du service".
51. Ces coûts comportent la communication, les actions commerciales et les promotions (par exemple, les offres packs), la rémunération des réseaux de vente et les frais d'accès au service (FAS). Selon la Commission, ils sont variables en fonction des nombres d'abonnés mais non récurrents.
52. Enfin, les autres coûts de production sont, soit variables comme les coûts des services offerts aux abonnés (plate-forme mail, serveur, pages personnelles), du service client et de gestion de la clientèle (facturation et recouvrement), soit fixes comme les coûts techniques de plates-formes (connexion et d'authentification des abonnés), de fidélisation et de structure (personnel et frais généraux).
53. Au vu des éléments du dossier et en l'état de l'instruction, deux des hypothèses avancées par France Télécom ne peuvent être retenues.
54. La première concerne la fourchette de débit moyen au pic de l'offre eXtense 512k 5Go. Wanadoo propose un débit allant de 4 kb/s à 8,4 kb/s. La valeur basse de l'intervalle est déterminée par un expert à la demande de Wanadoo. Cet expert n'a pas fourni les données sur lesquelles il fonde son constat. L'ART estime que "la limite de téléchargement à 5 Go est peu contraignante et que fonctionnellement, l'offre est très proche des offres 512k classiques". Wanadoo indique également, dans un communiqué, que ce forfait couvre "plus de 80 % des besoins des internautes Haut Débit 512k" et précise qu'il permet "100h de surf, le téléchargement d'1 film par semaine et de 4 albums de musique, et la possibilité de rester connecté en permanence pour recevoir ses e-mails en temps réel". Par ailleurs, certains éléments du dossier, comme la durée mensuelle de connexion, montrent que l'usage moyen des abonnés eXtense 512k 5Go est comparable à celui des abonnés eXtense 128k qui présentent un débit moyen d'environ 8 kb/s. La fourchette basse de Wanadoo paraît donc peu plausible. Certains concurrents interrogés évaluent ce débit à 14,5 kb/s pour Tiscali et 10 kb/s pour AOL.
55. La seconde est relative aux coûts fixes. Pour Wanadoo, ces coûts seraient compris entre 0,2 euros HT et 0,4 euros HT par mois et par abonné. Ces chiffres paraissent faibles au regard des 650 millions d'euros de frais commerciaux, administratifs et recherche et développement annoncés par Wanadoo dans le compte d'exploitation de ses activités "Accès, Portails et e-Merchant" en 2003. Ces 650 millions comprennent des charges variables comme la rémunération du réseau de distribution, la communication et le service client qu'il faut déduire pour obtenir les frais fixes. La rémunération du réseau de distribution s'élève à environ 30 euros HT au maximum pour un abonné de Wanadoo. Or, elle compte près de 2 millions en février 2004. Au maximum, les frais commerciaux liés à la rémunération du réseau de vente sont donc de 60 millions d'euros (2 millions fois 30 euros). Par ailleurs, Wanadoo estime que la communication sur le haut débit lui coûte 10 euros par mois et par abonné, soit au plus 100 millions d'euros sur l'année 2003. Enfin, le service client représente au maximum 1,3 euros HT par mois et par abonné selon Wanadoo, soit au plus 156 millions d'euros pour l'année 2003. Il reste donc 334 millions d'euros de frais fixes, soit 2,7 euros par mois par abonné, estimation largement supérieure à l'estimation de Wanadoo.
56. Etant donné l'ensemble de ces éléments, le Conseil retient, à ce stade de l'instruction et sous réserve de l'instruction au fond, pour l'offre eXtense 512k 5 Go un débit moyen au pic par abonné compris entre 8,4 kb/s et 14,5 kb/s, soit 40 à 70 % du débit moyen au pic d'un abonné classique à 512 kb/s de Wanadoo et des frais fixes à hauteur de 2,7 euros HT par mois et par abonné.
57. Le tableau suivant synthétise le niveau des coûts retenus par le Conseil, au stade actuel et sous réserve de l'instruction au fond, pour les différentes offres de Wanadoo :
EMPLACEMENT TABLEAU
b) Sur les hypothèses concernant les revenus de Wanadoo
58. Dans ses observations, Wanadoo estime que ses recettes totales par abonné comprennent l'abonnement, les revenus additionnels liés aux recettes publicitaires, aux options et aux services payants souscrits par les abonnés, ainsi que les revenus complémentaires provenant des dépassements des forfaits contraints en durée et en volume.
59. Au vu des éléments du dossier et en l'état de l'instruction, trois des hypothèses avancées par Wanadoo sur le niveau de ces recettes apparaissent peu vraisemblables.
60. Premièrement, Wanadoo a évalué ses revenus supplémentaires à 1,42 euros HT par mois et par abonné en incluant les recettes des services payants liés à l'accès, comme les anti-virus, les recettes des services achetés sur son portail, et les recettes publicitaires. L'introduction des services payants comme les anti-virus dans les recettes issues des abonnés apparaît logique puisque ces services sont directement liés à l'usage de l'accès Internet. Les autres services, horoscope, météo, téléchargement de logos ou de sonneries peuvent être achetés en ligne sur le portail Wanadoo.fr et sont accessibles à tous les internautes. De même, les recettes publicitaires de Wanadoo sont liées non pas à son nombre d'abonnés mais à la fréquentation de son portail. Ces deux dernières sources de recettes proviennent donc de l'activité portail de Wanadoo. Or, cette activité portail a un coût que Wanadoo a déduit partiellement des services payants mais pas de la publicité. En outre, les portails constituent un marché à part entière dans le secteur de l'Internet, composé d'acteurs provenant d'horizons divers (FAI, banques, commerces, moteurs de recherches, etc.) et connexe à celui du marché du haut débit résidentiel. Il convient alors d'écarter les revenus additionnels issus du portail pour analyser la situation sur le marché résidentiel du haut débit. Cependant, les chiffres fournis par Wanadoo ne permettent d'isoler que la valeur des recettes publicitaires, soit 0,6 euros HT par mois et par abonné.
61. Deuxièmement, pour les offres eXtense 128k 20h à 19,90 euros TTc et eXtense 128k 20h Fidélité à 14,90 euros TTC, Wanadoo estime, sur la base de dépassements constatés sur ses offres bas débit en 2003, "Intégrales 20 heures" à 15 euros TTC et "Intégrales 100 heures" à 25 euros TTC, que la fourchette de dépassement moyen se situe entre 1h24mn et 2h. Wanadoo ajoute que "le plafond de 15 euros de facturation supplémentaire devrait inciter les abonnés à dépasser leur forfait car ils sont assurés que le surcoût pour eux n'excédera pas 15 euros, quel que soit leur nombre d'heures supplémentaires". Or, si le futur client estime que sa consommation conduira à un dépassement de plus de 4h soit 12 euros de plus, et est économiquement rationnel, il s'orientera vers une offre plus avantageuse comprise entre 25 euros et 30 euros sur le marché (par exemple, eXtense 128k illimité ou eXtense 512 5 Go). Ce raisonnement reste valable pour l'abonné constatant plusieurs dépassements d'environ 4h au cours des premiers mois d'abonnement et qui a la possibilité de migrer gratuitement vers une offre plus avantageuse. Ainsi, il convient d'envisager qu'un nombre peu significatif de clients dépassera 4h et que 4h apparaît comme une borne supérieure de dépassement. La durée moyenne de dépassement moyen dépend également de la proportion d'abonnés qui dépassent, qui ressort à 70 % dans les estimations de Wanadoo. Cependant, dans son avis n° 04-257, l'ART retient comme hypothèse basse l'absence de dépassement en rappelant que "Wanadoo mettra à la disposition de ses clients un compteur leur permettant de contrôler leur consommation. En outre, il convient de souligner que l'offre 128k-20h s'adresse essentiellement à une clientèle encline à contrôler son budget Internet". Par ailleurs, le dépassement moyen des abonnés bas débit à "Intégrales 20 heures" de Wanadoo, forfait directement comparable, n'est que de 1h10. Un dépassement moyen limité à 1h paraît donc comme une hypothèse conservatrice.
62. Troisièmement, s'agissant des offres eXtense 512K 5Go et eXtense 512k 5Go Fidélité, les dépassements sont gratuits jusqu'au 30 juin ce qui laisse suffisamment de temps au consommateur pour tester sa consommation et, le cas échéant, évoluer gratuitement vers un autre forfait. De plus, la limite 5 Go de téléchargement paraît peu contraignante au regard des éléments du dossier et en particulier, du panier d'usages signalé par Wanadoo. La probabilité de dépassement du forfait paraît donc négligeable.
63. Etant donné l'ensemble de ces éléments, le Conseil retient, à ce stade de l'instruction et sous réserve de l'instruction au fond, une fourchette de revenus supplémentaires de 0,82 à 1,42 euros HT, des dépassements compris entre 0 et 1h pour les offres eXtense 128k 20h et eXtense 128k 20h Fidélité, soit entre 0 et 3 euros TTC de recettes, et aucun dépassement pour les offres eXtense 512k 5 Go et eXtense 512k 5Go Fidélité, soit 0 euros TTC de recettes.
64. Le tableau suivant synthétise le niveau des revenus retenus par le Conseil, à ce stade et sous réserve de l'instruction au fond, pour les différentes offres de Wanadoo :
EMPLACEMENT TABLEAU
c) Sur les marges de Wanadoo
65. Le tableau suivant présente le niveau de couverture par les recettes mensuelles totales par abonné des coûts variables et des coûts complets pour chacune des offres de Wanadoo en fonction des modèles économiques fournis par elle et corrigés des réserves précédentes :
EMPLACEMENT TABLEAU
d) Sur la prédation
66. S'agissant de la prédation, le Conseil rappelle que la prédation est une pratique tarifaire consistant, pour un opérateur dominant, à vendre en dessous de ses coûts de production dans le but d'éliminer, d'affaiblir ou de discipliner ses concurrents sous réserve de la possibilité de récupérer à terme et sous quelque forme que ce soit les pertes accumulées délibérément. Le constat d'une telle pratique doit donc se faire au travers d'une série d'éléments comme l'analyse des marges (il y a prédation si l'entreprise vend en dessous de ses coûts de production), la possibilité d'éviction (la prédation n'a de sens que si elle permet l'élimination ou l'affaiblissement de certains concurrents), les potentialités de récupération des pertes (la présence de barrières à l'entrée garantit la possibilité de récupération des pertes et l'élimination durable des concurrents), l'effet structurant de la baisse tarifaire sur le marché, ou la présence ou non de marques.
67. Par ailleurs, la Commission rappelle, dans sa décision du 14 juillet 2003, qu' "il incombe (...) à l'entreprise dominante une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun".
68. Au cas d'espèce, le Conseil constate que pour eXtense 128k 20h Fidélité à 14,9 euros et eXtense 512k 5Go Fidélité à 24,9 euros TTC, il semble que Wanadoo vende en dessous de ses coûts variables, ce qui constitue une forte présomption de prédation selon la jurisprudence (CJCE, affaire C-62-86 du 3 juillet 1991, AKZO Chemie BV). Au surplus, sous certaines hypothèses qu'il conviendra de vérifier au fond, il apparaît que les offres eXtense 128k 20h, eXtense 512k 5Go Fidélité, eXtense 512k Fidélité, ne peuvent pas couvrir leurs coûts complets.
69. A l'époque de sa mise sur le marché, en février 2004, l'offre eXtense 128k 20 h Fidélité était la seule offre contrainte en durée disponible sur le marché et il est donc difficile de comparer son prix aux produits proposés par les autres FAI. Le comparatif ci-dessous, fourni par Wanadoo, montre cependant qu'en valeur absolue, cette offre était la plus basse du marché. L'alignement des concurrents de Wanadoo sur ce prix le plus bas, qui a été ensuite constaté, suggère, de plus, que cette offre a eu un effet structurant sur le marché :
EMPLACEMENT TABLEAU
70. L'offre eXtense 512k 5Go Fidélité à 24,9 euros TTC était également la seule offre limitée en débit au moment de sa mise sur le marché. En revanche, elle n'était pas la plus basse en valeur absolue, Tiscali proposant un abonnement à 512k illimité pour 20 euros.
71. En dépit des baisses de tarifs, les parts de marché relatives de Wanadoo ont baissé en février et en mars. De plus, certains concurrents comme 9 Télécom, Télé 2 France, Cegetel, Alice ADSL se sont alignés sur la plus basse des propositions tarifaires de Wanadoo en proposant un service plus élaboré, et ont gagné des parts de marché. Il convient aussi de relever que le secteur est encore en forte expansion et que le développement rapide de nouveaux entrants et de certains concurrents comme 9 Télécom, Alice ADSL (filiale de Télécom Italia), Cegetel et Télé 2 France, suggère qu'il n'existe pas de barrières insurmontables à l'entrée sur le marché de l'accès à Internet, ce qui rendrait problématique la récupération ultérieure de ses pertes par Wanadoo.
72. Toutefois, à ce stade de l'instruction, il ne peut être exclu que certaines pratiques tarifaires mises en œuvre par Wanadoo entrent dans le champ d'application des dispositions du livre IV du Code de commerce, plus spécialement de l'article L. 420-2, et de l'article 82 du traité de Rome dès lors qu'elles affecteraient une partie substantielle du territoire national.
B. SUR LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES
73. AOL estime que les pratiques de Wanadoo portent une atteinte grave et immédiate au secteur, aux entreprises du secteur et au consommateur.
74. En effet, elle indique que "sur le marché de détail, et malgré le peu de recul sur les offres lancées en décembre 2003, tous les éléments disponibles indiquent que l'impact de ces offres s'est fait sentir immédiatement et que Wanadoo a, de fait, pu retrouver un taux d'acquisitions de clientèle au moins identique à sa part de marché" et que "même si les offres lancées par Wanadoo en décembre 2003 n'apparaissent pas nécessairement comme les moins chères du marché, compte tenu de l'avantage de notoriété détenu par Wanadoo leur effet prédateur est très important et risque de maintenir durablement en dessous de la profitabilité l'activité des concurrents forçant ainsi certains à disparaître". Elle ajoute que "les pratiques en question risquent d'induire une cristallisation définitive voire un renforcement de la position dominante de Wanadoo" et que "toute pratique anticoncurrentielle de la part de l'acteur dominant entraîne un impact irrémédiable sur le marché, notamment lorsque les consommateurs se retrouvent liés par des offres exagérément longues".
75. Enfin, elle maintient que "la disparition de l'offre sur le marché de détail se répercutera sur le marché de gros et mettra à mal les efforts des opérateurs alternatifs qui tentent, malgré des coûts fixes considérables, de développer leur offre sur la base du dégroupage de la boucle locale".
76. En séance, les représentants de Tiscali France et de 9 Télécom ont affirmé que les tarifs de Wanadoo faisaient référence sur le marché et que les concurrents "ne pouvaient pas vendre plus cher que Wanadoo".
77. Cependant, le fournisseur d'accès Tiscali, a précisé que la conception des offres pour 2004, à savoir le 512 kb/s à 20 euros TTC et le 1024 kb/s à 30 euros TTC, s'était déroulée fin 2003, bien avant la mise en place des offres de Wanadoo en février 2004. Il a également assuré que, pour chacune de ces offres, les projections de recettes et de coûts faisaient ressortir une marge positive.
78. L'opérateur 9 Télécom a annoncé que, au vu des niveaux de prix actuellement constatés sur le marché de détail, ses offres de gros aux FAI ne seraient rentables que sur la base du dégroupage et qu'elle projetait donc de concentrer ses offres sur les zones géographiques desservies par des répartiteurs de plus de 20 000 lignes.
79. Wanadoo ayant recours, majoritairement, à l'option 5 pour bâtir ses offres, un fournisseur d'accès qui, comme lui, ne recourrait qu'à l'achat de l'option 5 auprès de France Télécom et aurait des coûts propres équivalents à ceux de Wanadoo, ne pourrait, sur la base des projections faites à ce stade de l'instruction (cf. tableau ci-dessus au paragraphe 65) pratiquer des prix équivalents à ceux de Wanadoo, pour des offres comparables à 128k 20H Fidélité, eXtense 5Go Fidélité et eXtense 512k Fidélité, sans encourir des pertes.
80. En revanche, le Conseil constate que certains concurrents, qui recourent au dégroupage ou à un mix favorable entre l'option 1 et les autres options de France Télécom, sont dans l'immédiat à même de fournir des offres compétitives sans encourir de pertes à un moment où le marché est en pleine expansion, et ce même si, pour ce faire, ils ont dû mécaniquement abaisser fortement leur taux de marge ou se concentrer sur certaines zones du territoire français.
81. Par ailleurs, sur les trois premiers mois de l'année, période de la mise en place effective de sa nouvelle grille tarifaire, Wanadoo a perdu 1 point de part de marché par mois tandis que ses principaux concurrents ont conservé les leurs ou en ont gagné :
EMPLACEMENT TABLEAU
82. Ainsi, les opérateurs-dégroupeurs, concurrents de France Télécom sur le marché de gros, ont vu leur base de clientèle composée des FAI hors Wanadoo, se renforcer sur le marché aval et leurs débouchés se développer.
83. Le Conseil constate également que la société plaignante n'a pas apporté d'éléments probants indiquant la mise en danger immédiate de son équilibre économique par les pratiques tarifaires de Wanadoo. Au surplus, le commissaire du Gouvernement remarque que "AOL n'est (...) pas substantiellement plus exposée à la concurrence qu'elle ne l'était avant les baisses de prix opérées par Wanadoo".
84. Au regard de ces éléments, il apparaît que ni le secteur ni les entreprises le constituant n'ont subi une atteinte grave et immédiate à la suite des pratiques tarifaires de Wanadoo.
85. La captation ou la fidélisation des clients est une pratique répandue dans le secteur de l'Internet depuis sa création qui revêt diverses formes : contrat de 24 mois, frais de résiliation, offres couplées Internet et téléphonie. Cette fidélisation s'accompagne en général d'avantages compensant les inconvénients de la durée d'engagement : modem gratuit, abonnement à prix réduit, cadeaux, prime à la fidélité. Par ailleurs, les nouvelles offres "à la carte" de Wanadoo, ainsi que celles des concurrents qui ont suivi sa baisse tarifaire, permettent aux petits consommateurs d'accéder à des prix bas aux avantages du haut débit et donc contribuent au développement de l'accès Internet en France. Dans l'immédiat, les pratiques de Wanadoo et leurs répercussions sur le marché ont bénéficié au consommateur au détriment du niveau de profit de certains FAI.
86. Le Conseil constate donc que les pratiques de Wanadoo ne portent pas d'atteinte immédiate au consommateur.
87. Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter la demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 04-0003M.
Décision
Article unique : La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 04-0003M est rejetée.