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Décisions

CA Versailles, ch. com., 10 février 2004, n° 02-00982

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dyson (SA)

Défendeur :

Electrolux filter AB (Sté), Electrolux LDA (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gaboriau

Conseillers :

Mmes Boucly-Girerd, Valantin, MM. Fedou, Coupin

Avoués :

SCP Debray-Chemin, SCP Keime & Guttin

Avocats :

Mes Bouretz, Foirien.

T. com. Paris, 15e ch., du 23 oct. 1998

23 octobre 1998

Faits, procédure et moyens des parties

La société de droit suédois Electrolux Filter AB qui fabrique des sacs à poussière pour les aspirateurs de cette marque et la société Electrolux LDA qui les distribue en France ont saisi le Tribunal de commerce de Paris pour réclamer l'arrêt d'une campagne de publicité engagée par la société Dyson relative à des aspirateurs d'une technologie nouvelle ne faisant pas usage de tels sacs. Elles réclamaient en outre des réparations pécuniaires et la publication de la décision.

Par un jugement rendu le 13 octobre 1998, cette juridiction a dit la campagne publicitaire de la société Dyson constitutive de concurrence déloyale, en a ordonné la cessation immédiate sous astreinte de 50 000 F (7 622,45 euro) par jour, a ordonné la publication de la décision dans cinq journaux et a condamné la société Dyson à payer à chacune des sociétés Electrolux Filter et Electrolux LDA 20 000 F (3 048,98 euro) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Cour d'appel de Paris, par arrêt du 12 février 1999, a réformé le jugement en limitant les actes de concurrence déloyale aux messages publicitaires parus dans la presse écrite et aux brochures publicitaires distribuées dans les lieux de vente et d'exposition. Elle a condamné la société Dyson à payer à chacune des sociétés Electrolux Filter et Electrolux LDA la somme de 100 000 F (15 244,90 euro) ainsi que 50 000 F (7 622,45 euro) par infraction. Elle a enfin ordonné la publication du dispositif de sa décision dans cinq journaux.

Par arrêt rendu le 19 juin 2001, la Chambre commerciale et financière et économique de la Cour de cassation a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel en retenant d'une part qu'en se déterminant par des motifs impropres à établir que la publicité considérée comme dénigrante permettait l'identification par les consommateurs des sociétés Electrolux et d'autre part sans rechercher si, pour la clientèle, la publicité critiquée visait effectivement les sociétés Electrolux, la cour n'avait pas donné de base légale à sa décision.

Devant la présente cour de renvoi, la société Dyson expose la nouveauté technologique de son aspirateur et fait état de son implantation commerciale en Europe et des moyens publicitaires qu'elle a déployés en France, en 1997 et 1998, dans les magazines et à la télévision.

Elle oppose aux demandes des sociétés Electrolux Filter et Electrolux LDA une exception d'irrecevabilité de l'action sur le prétendu dénigrement, faute de désignation nominale ou d'identification possible d'Electrolux dans les messages publicitaires. Elle précise que les annonces litigieuses à destination des consommateurs ne font référence qu'aux aspirateurs à sac par opposition à ceux qui en sont dépourvus sans désigner jamais, explicitement ou implicitement Electrolux.

Elle fait valoir à cet égard que le critère de la notoriété n'est pas en soi un moyen d'identification, qu'aucune des marques exploitées par Electrolux n'est devenue un terme générique pouvant désigner les sacs eux-mêmes, et que n'est pas rapportée la preuve que la référence à "trois marques leaders" était nécessairement associée, dans l'esprit du public, à Electrolux.

Elle ajoute que, sur le salon professionnel Confortec de janvier 1998, les sacs à poussière Electrolux n'étaient pas les seuls de cette marque à être exposés et qu'aucun appareil aspirateur n'était visible. Elle fait ainsi grief aux premiers juges d'avoir retenu que les publicités grand public, aussi bien antérieures que postérieures à ce salon visaient nommément Electrolux.

Rappelant le caractère pénal des dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, et soulignant que les sociétés Electrolux ne sont pas identifiables en l'espèce, elle oppose une irrecevabilité de l'action fondée sur la prétendue publicité mensongère.

Subsidiairement, elle rappelle que l'identification est un élément constitutif du dénigrement et critique la motivation du jugement de première instance dans ses références au caractère habituel du registre dans lequel les messages publicitaires se situent. Elle se prévaut du principe de la liberté critique qui n'a, selon elle, pas d'autres limites que celle de l'identification du concurrent.

Elle réfute toute intention de nuire en observant que la référence aux sacs à poussière est indispensable pour illustrer le caractère innovant de son aspirateur et en rappelant qu'aucun des concurrents n'est identifié ou identifiable.

Faisant grief aux premiers juges d'avoir retenu le caractère mensonger de la publicité litigieuse, elle se prévaut de documents scientifiques qui démontrent, selon elle, la similitude, granulométrique notamment, entre les matériaux litigieux employés pour établir des courbes de graphiques comparatifs et la poussière domestique. Elle soutient que le modèle Electrolux choisi pour les tests est représentatif d'un appareil "haut de gamme" de cette marque.

Plus subsidiairement encore, elle observe que le tribunal a sanctionné par des peines d'astreinte des publicités pour l'essentiel déjà terminées, en violation des articles 5 et 7 du nouveau Code de procédure civile.

Elle conclut ainsi à la réformation du jugement en ce qu'il a dit la campagne publicitaire constitutive de concurrence déloyale, ordonné la cessation immédiate de la publicité, interdit sous astreinte sa poursuite et ordonné la publication de la décision. Elle demande à la cour de déclarer les sociétés Electrolux Filter et Electrolux LDA irrecevables pour défaut d'intérêt à agir, subsidiairement de les débouter de leurs demandes et réclame 100 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les sociétés Electrolux Filter et Electrolux LDA répondent ensemble en exposant le détail des messages publicitaires utilisés par la société Dyson et qu'elles qualifient de dénigrants et de mensongers.

Elle considère que leur action est recevable au regard de ces publicités car les sociétés de leur groupe y étaient parfaitement identifiables par les consommateurs tant le nom d'Electrolux est, selon elles, incontestablement associé, depuis 70 ans, dans l'esprit du public aux aspirateurs et à leurs sacs. Elles affirment qu'Electrolux est le principal concurrent et de toute évidence le premier visé par la campagne de dénigrement de la société Dyson.

Elles ajoutent que leur action est recevable car les sociétés du groupe Electrolux étaient directement identifiables par les professionnels visitant le salon Confortec où la société Dyson avait mis en place sur son stand un ensemble de dispositifs publicitaires visant explicitement les produits Electrolux.

Elles exposent en détail les éléments contenus dans les messages publicitaires et qui caractérisent, selon elles, les actes de concurrence déloyale de la société Dyson dont le mode opératoire ne constitue nullement à exposer les mérites de l'invention technique mais au contraire par comparaison dénigrante, agressive, mensongère et exprimée sur un ton malveillant.

Elles soutiennent que l'utilisation graphique des tests que la société Dyson a fait pratiquer est de nature à tromper ou à induire en erreur le consommateur d'attention moyenne car les matériaux utilisés ne sont pas comparables à de la poussière domestique, en ajoutant que les tests n'ont pas été effectués sur des modèles d'aspirateurs de capacités comparables.

Elles considèrent que le procédé de présentation employé au salon Confortec révèle une évidente intention de nuire de la société Dyson qui avait pour objectif de jeter le discrédit sur les aspirateurs à sac.

Elles soutiennent que de tels agissements leur ont causé un préjudice considérable par l'incidence sur leur image de marque entraînant une perte de leurs parts de marché au profit de la société Dyson.

Elles demandent en conséquence à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il les a déclarées recevables , d'y ajouter en condamnant la société Dyson à payer à chacune d'elles 840 000 euro à titre de dommages et intérêts avec intérêts de droit à compter du 6 avril 1998 ainsi que 15 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et, très subsidiairement, de débouter la société Dyson de toutes ses demandes.

Le dossier a été communiqué au Ministère public le 19 juin 2003.

La procédure a été clôturée par une ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 9 septembre 2003 et l'affaire a été évoquée à l'audience du 28 octobre 2003.

Motifs de la décision

Sur l'exception d'irrecevabilité:

Considérant que la société Dyson soutient, à titre principal, l'irrecevabilité de l'action fondée d'une part sur le prétendu dénigrement au motif de l'absence de désignation d'Electrolux dans ses messages destinés aux consommateurs et d'autre par sur la publicité prétendue mensongère en raison du caractère pénal des dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation;

Considérant qu'en matière de dénigrement, l'action du concurrent prétendument lésé s'il est nommément désigné ou identifiable; que cette identification est une condition de recevabilité de l'action des sociétés Electrolux LDA et Electrolux Filter;

Considérant toutefois que ce moyen tiré de l'identification ne saurait être examiné séparément de la question de fond posée à la cour et relative à la possibilité d'identifier Electrolux comme visées par les publicités litigieuses;

Considérant que les sociétés Electrolux LDA et Electrolux Filter ont fondé leur action sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil; qu'elles peuvent dès lors invoquer tout comportement fautif de la société Dyson pour justifier du bien fondé de leurs prétentions; qu'à cet égard, la circonstance que la publicité mensongère soit érigée en délit par les dispositions des articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation, ne fait pas obstacle à ce que celui qui se prétend victime directe ou indirecte de la publicité incriminée fasse à l'auteur le grief du manquement à cette interdiction;

Qu'il suit de là que l'exception d'irrecevabilité de l'action sur le fondement de la publicité mensongère doit être rejetée;

Sur le grief de dénigrement de la campagne de publicité par la presse écrite:

Considérant qu'il n'est pas discuté que les aspirateurs fabriqués et commercialisés par la société Dyson présentent la caractéristique technique de fonctionner par un système dit de "cyclone" qui sépare les poussière du courant d'air aspiré sans opération de filtrage et de ramassage par un sac à poussière;

Considérant qu'il est établi par les pièces produits aux débats que sont parues, au printemps 1997, dans diverses revues (VSD, Elle, Paris match, Femme actuelle, Le point, Télé 7 jours, Le nouvel observateur, L'express, Arts et décoration) des pages publicitaires présentant

- sous le titre "le sac d'un aspirateur tue l'aspiration. Voilà pourquoi:"

- en dessous neuf en papier kraft, assorti des légendes suivantes: "l'air et la poussière entrent ici. L'air est censé ressorti par les minuscules pores du sac. Mais la poussière bouche les pores du sac. L'air étant bloqué, l'appareil n'aspire plus de façon efficace. La puissance d'aspiration ne peut être réduite de moitié après le nettoyage d'une seule pièce. Cette puissance ne cesse de diminuer à mesure que vous aspirez."

- puis encore en dessous, la photographie d'un aspirateur traîneau Dyson avec, sur le côté, la marque de l'appareil et les mentions: "pas de sac. Pas de perte d'aspiration";

Considérant que la société Dyson a fait paraître, en septembre, octobre, novembre et décembre 1997 une seconde série de publicités dans les magazines Le point, Femme actuelle, VSD, Télé 7 jours, paris match, Madame figaro et Elle, un nouveau message publicitaire comportant, sous le titre "les preuves contre les aspirateurs avec sac ne cessent de s'accumuler", les deux mêmes photographies superposées des deux aspirateurs, celle de l'appareil anonyme étant soulignée d'un premier membre de phrase "parce que les sacs se bouchent, ils réduisent l'aspiration." et accompagnée sur la droite d'une photographie d'un tas d'immondices de couleur brune noire soulignée du deuxième membre de phrase ". et laissent cela chez vous", des légendes désignant, dans le tas de poussière les "pollen, germes, excrément d'acariens, poils d'animaux", la photographie inférieure montrant l'aspirateur Dyson étant soulignée des mots "le Dyson n'a pas de sac. Il est le seul aspirateur au monde à maintenir 100 % d'aspiration, 100 % du temps";

Considérant que cette présentation visuelle destinée à accrocher l'attention du lecteur est accompagnée d'un texte, situé en bas de page et rédigé en petits caractères ainsi libellée: "les aspirateurs avec sac sont inefficaces parce qu'ils perdent rapidement de leur puissance d'aspiration à mesure que la poussière bouche les pores du sac. Les performances d'un aspirateur avec sac s'altèrent si rapidement que la puissance d'aspiration peut être réduite de moitié après le nettoyage d'une seule pièce. Et cette puissance ne cesse de diminuer. Ainsi, dans des conditions normales d'utilisation, la plupart d'entre nous utilise un aspirateur qui ne fournit qu'une fraction de sa puissance en utilisant la force centrifuge pour capturer la poussière, les allergènes et les particules aussi petites que 0,1 micron. Les aspirateurs Dyson sont en vente dans tous les magasins d'électroménager. Pour de plus amples informations, vous pouvez contacter Dyson au 01.45.13.13.48";

Considérant que dans les deux publicités incriminées, la simple silhouette d'un aspirateur traîneau classique, de couleur noire, pour large partie caché par un sac à poussière, ne permet aucunement d'identifier un quelconque appareil d'une marque concurrente de la société Dyson;

Considérant que les sociétés Electrolux LDA et Electrolux Filter soutiennent le caractère dénigrant de la seconde de ces publicités et prétendent que la société Dyson "s'est incontestablement livrée à des pratiques dénigrantes, visant les produits de ses concurrents, fabricants et distributeurs et de ce fait, lésant déloyalement leurs intérêts et en particulier ceux du groupe Electrolux, leaders sur le marché en cause"; qu'elles ajoutent que les sociétés de leur groupe sont parfaitement identifiables en l'espèce tant leur nom est, affirment-elles, incontestablement associé, depuis plus de 70 ans, dans l'esprit des consommateurs à ce type de produits;

Mais considérant que, comme l'ont pertinemment retenu les premiers juges, les sociétés Electrolux ne sauraient valablement se contenter d'ériger leur propre notoriété d'identification;que les deux messages litigieux font uniquement référence, et de manière générique, aux aspirateurs à sacs par opposition à la technologie nouvelle de Dyson et ne désignent jamais explicitement ou implicitement, par quelque référence que ce soit, les produits fabriqués par Electrolux;que, comme le fait observer à bon droit la société Dyson, aucune des marques exploitées par les sociétés Electrolux n'est devenue, dans le langage courant, un nom générique pour désigner un aspirateur traîneau à sac;

Considérant que les sociétés Electrolux ne démontrent pas que, dans l'esprit des consommateurs auxquels étaient destinées ces publicités, les produits fabriqués par elles étaient implicitement visés;

Qu'il suit de là que, dépourvus d'intérêt à agir, les deux sociétés Electrolux LDA et Electrolux Filter sont irrecevables à articuler à l'encontre de la société Dyson le grief de dénigrement pour ces publicités parues dans les magazines au printemps et à l'automne 1999;

Sur les brochures publicitaires distribuées:

Considérant que les deux sociétés Electrolux font le même grief de dénigrement à des brochures publicitaires distribuées par la société Dyson sur les lieux de ventes et d'exposition de ses matériels;

Considérant qu'il est établi par un procès-verbal de constat d'huissier dressé le 23 novembre 1998 dans différents points de vente parisiens que la société Dyson accrochait aux modèles exposés dans les rayons deux petites brochures respectivement intitulées "L'histoire de Dual Cyclone de Dyson" et "Adieu, sac inefficace. Bonjour Dual Cyclone"; qu'elle mettait de plus à disposition de sa clientèle un dépliant en quatre parties de format A4;

Considérant que l'examen de ces documents montre qu'ils visent, pour l'essentiel, à présenter le produit Dyson et sa technologie nouvelle dispensant de l'usage d'un sac à poussière; qu'ils comportent des considérations comparatives avec "les aspirateurs classiques" faisant valoir la baisse de puissance de ceux-ci eu fur et à mesure que se remplit le sac à poussière; qu'ils indiquent que "les aspirateurs avec sac laissent derrière eux de la poussière nocive et des allergènes que le Dyson élimine facilement";

Considérant qu'aucun des éléments figurant sur ces trois documents, qui ne comportent pas de photographies autres que celles des produits Dyson, ne permet d'identifier, directement ou indirectement, même implicitement, les produits Electrolux; que la seule référence à "trois marques leaders d'aspirateurs à sac" est insuffisante pour établir l'identification des produits Electrolux, aux yeux des destinataires de ces brochures mises à disposition sur les lieux de ventes; que l'huissier a fait état, lors de ces constatations, de la présence, dans les rayons électroménagers visités, des produits Dyson et des brochures, parmi les autres marques, sans préciser lesquelles; qu'il en existe de nombreuses et que l'ignorance de celles présentées dans chacun des points de vente visités, ne permet pas de considérer que le consommateur, destinataire de l'information publicitaire, pouvait associer le vocable "trois marques leaders" à telle ou telle;

Considérant que, comme pour les publicités "magazines", les sociétés Electrolux ne sont pas fondées à se prévaloir de la notoriété et de l'ancienneté de leur présence sur le marché mondial des aspirateurs pour en inférer, comme elles le font, que toute critique de la technologie des aspirateurs à sac à poussière les viserait implicitement et nécessairement;

Qu'il suit de là que, dépourvue d'intérêt à agir, elles sont irrecevables à faire à la société Dyson le grief d'un dénigrement résultant du contenu des trois brochures publicitaires;

Sur le salon Confortec:

Considérant qu'a été dressé un constat d'huissier le 26 janvier 1998 à l'occasion du salon Confortec qui se déroulait dans le parc des expositions de Paris nord Villepinte et notamment sur le stand que la société Dyson présentait aux visiteurs;

Considérant que cet officier ministériel, qui a annexé à son procès-verbal des photographies explicites, a constaté que, dans un présentoir en pan coupé de forme arrondie étaient accrochés à la cloison verticale différents sacs d'aspirateurs dont certain, en plusieurs exemplaires portaient les noms de marques Hoover, Miele, AEG, Electrolux, Hitachi, Vax/Arlett, Panasonic, Glider et Rowenta Fiter;

Qu'il suit de là que les sociétés Electrolux dont les produits parfaitement identifiables étaient utilisés dans cette présentation publicitaire, disposent dès lors d'un intérêt à agir sur le fondement d'un grief de dénigrement et sont ainsi recevables en cette action à l'encontre de la société Dyson pour son attitude anticoncurrentielle lors de ce salon;

Considérant que les précisions de l'huissier et les photographies révèlent que la cloison sur laquelle étaient accrochés les 289 sacs des marques concurrentes servait de fond à un présentoir horizontal sur lequel douze demi-globes translucides, marqué des douze mois de l'année et renfermant chacun des amalgames divers de poussières, de détritus, de mégots et de poils; que sous les sacs et derrière les demi-globes était portée l'inscription "parce que les sacs se bouchent, les aspirateurs avec sacs perdent leur puissance d'aspiration et laissent cela chez vous";

Considérant au surplus que l'huissier a relevé qu'un opérateur exécutait une manipulation aspirant au travers d'un sac à poussière de la poudre blanche genre "plâtre, talc ou farine" et matérialisait, au moyen d'une fumée, la diminution du flux d'air aspiré, avant et après ramassage de cette poudre, l'opérateur concluant "comme vous avez pu le constater, les sacs tuent l'aspiration";

Considérant que l'huissier a relevé qu'aucune démonstration analogue n'était présentée pour l'appareil Dyson;

Considérant que l'emploi, pour promouvoir la technologie du cyclone, de sacs à poussière fabriqués par des concurrents et l'association de cette présentation avec des poussières, poils et autres détritus habituellement ramassés dans les habitations, par les aspirateurs est, à l'évidence dénigrante, pour les fabricants et distributeurs d'aspirateurs à sac;

Considérant, au surplus, l'argumentaire publicitaire selon lequel la technologie "cyclone" évite le colmatage et donc le ralentissement du flux d'air comme de la puissance de l'appareil ne permettait pas, à la société Dyson, d'affirmer qu'une prétendue baisse de rendement de ces appareils laisse nécessairement, dans les intérieurs, des saletés; que quelque soit la pertinence de l'argument, il est en effet évident qu'une insuffisance peut être palliée par un passage plus fréquent ou prolongé de l'appareil, comme par le remplacement du sac de poussière; que c'est avec la volonté délibérée de nuire à ses concurrents que la société Dyson a retenu ce raisonnement biaisé et l'a traduit par l'exposition de matériaux et résidus particulièrement désagréables associés aux sacs en papier de ses concurrents;

Considérant que la société Dyson ne saurait discuter valablement le caractère dénigrant de cette publicité en se bornant à faire valoir que le salon Confortec n'a duré que quatre jours, qu'il est réservé aux professionnels et que le public n'a jamais vu le panneau litigieux;

Sur la publicité mensongère:

Considérant que l'article L. 121-1 du Code de la consommation définit la publicité mensongère comme, notamment, les allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsqu'elles portent sur les qualités substantielles et propriétés, conditions d'utilisation, résultats qui peuvent être attendus des biens qui en font l'objet;

Considérant que, comme l'ont pertinemment retenu les premiers juges, la présentation du stand au salon Confortec et le contenu des brochures publicitaires distribuées aux consommateurs révèlent que la stratégie et le style de communication sur les inconvénients adoptés par la société Dyson insistent essentiellement sur les inconvénients prêtés aux sacs à poussière afin de convaincre le consommateur de se débarrasser d'un système qui détruirait d'aspiration et laisserait, dans les habitations, des dépôts nauséabonds et nocifs;

Considérant qu'à l'appui de cet argumentaire publicitaire, la société Dyson a présenté des courbes de graphiques comparatifs dont elle a modifié l'inclinaison pour en accentuer les effets, a fait état de tests comparatifs et a procédé à des démonstrations publiques en utilisant non précisément de la poussière domestique, mais des matériaux pulvérulents, tels que farine, plâtre ou kaolin, de nature à diminuer les performances des appareils traditionnels et à causer un doute sur leur efficacité; qu'au surplus les tests d'aspiration de poussière ont été réalisés par la société Dyson avec des appareils dont les capacités n'étaient pas comparables;

Considérant que la communication de la société Dyson s'est ainsi révélée trompeuse pour un consommateur d'attention moyenne et de nature à induire ce dernier en erreur sur les qualités substantielles de la nouvelle technologie "cyclone" au regard des résultats enregistrés avec les aspirateurs conventionnels;

Sur le préjudice:

Considérant que les sociétés Electrolux LDA et Electrolux Filter expliquent que la société Dyson, en vue de s'implanter sur le marché français a mené une campagne publicitaire d'une grande ampleur, particulièrement agressive et en utilisant des moyens qui constituent des actes de concurrence déloyale;

Considérant que cette affirmation est recevable et fondée en ce qui concerne la présentation du stand Dyson au salon Confortec et le contenu, pseudo scientifique, des brochures publicitaires;

Considérant que les sociétés Electrolux ajoutent en évoquant la totalité des moyens publicitaires mis en œuvre, que "de tels agissements ont évidemment causé durablement un préjudice considérable aux sociétés intimées tant il est vrai que les messages véhiculés (...) ont porté une atteinte grave au concept même et à l'image des aspirateurs à sacs et des sacs à aspirateurs, produits dont elles sont les leaders sur le marché français";qu'elles en déduisent qu'elles sont bien fondées à réclamer chacune la somme de 840 000 euro à titre de dommages et intérêts;

Mais considérant qu'à l'appui de ces affirmations elles ne produisent aucun élément de nature à démontrer la réalité et le quantum du préjudice qu'elles allèguent et dont, au demeurant, elles ne précisent pas même les modalités de calcul et de chiffrage; que le caractère déloyal retenu de la publicité mise en place sur le salon Confortec ne peut avoir eu un impact que sur les seuls professionnels, à l'exclusion du grand public qui n'y était pas admis; que les sociétés Electrolux ne communiquent aucun élément chiffré sur le montant de leurs ventes et sur l'éventuelle modification constatée du chiffre d'affaires à la suite de ce salon; qu'elles ne précisent même pas le nombre des sacs à poussière et des aspirateurs qu'elles ont commercialisés sur la période 1997, 1998, 1999;

Considérant qu'elles ne démontrent aucunement le quantum du préjudice allégué qui demeure ainsi indéterminable;

Considérant que les sociétés Electrolux LDA et Electrolux Filter se sont attachées à démontrer le caractère mensonger de la publicité déployée par la société Dyson pour vanter ses produits, mais n'établissent ni le quantum du préjudice invoqué ni surtout, le lien de connexité éventuel entre l'un et l'autre;

Considérant, en effet, que les principales victimes d'une publicité mensongère sont les consommateurs eux-mêmes; que les concurrents sont recevables à faire valoir un préjudice indirect ou distinct; qu'il leur appartient, toutefois, de démontrer que la cause de leur préjudice résulte bien du caractère mensonger de la publicité; qu'en l'espèce les sociétés Electrolux LDA et Electrolux Filter, qui ne sont pas identifiables et les brochures, se bornent à invoquer le caractère dénigrant de l'ensemble de la campagne publicitaire comparative sans définir en quoi le caractère mensonger a pu leur causer un préjudice indirect spécifique;

Qu'il résulte de ce qui précède que l'indemnisation du préjudice de chacune des sociétés Electrolux LDA et Electrolux Filter doit être limitée à la somme symbolique d'un euro;

Sur les mesures accessoires d'interdiction et de publication:

Considérant que la société Dyson conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il a ordonné des mesures de cessation des publicités, d'interdiction de les reprendre et ordonné la publication du jugement;

Considérant que les sociétés Electrolux LDA et Electrolux Filter limitent, pour leur part, leurs demandes à la recevabilité de leur action en concurrence déloyale et à l'indemnisation de leur préjudice et frais irrépétibles;

Considérant qu'il n'est pas allégué que les publicités incriminées aient été prolongées ou renouvelées; que leur interdiction est devenue sans objet;

Considérant qu'une mesure de publication, qui n'est plus sollicitée, se révèlerait sans utilité eu égard à l'évolution du litige et au contenu de la décision; qu'il ne convient pas de l'ordonner;

Sur les autres demandes:

Considérant que l'appelante qui succombe doit être condamnée aux dépens;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser aux sociétés Electrolux LDA et Electrolux Filter la charge des frais qu'elles ont été contraintes d'engager en cause d'appel; que la société Dyson sera condamnée à payer à chacune d'elles une indemnité complémentaire de 1 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, dans les limites de la saisine de la cour,

Infirme le jugement en ses chefs déférés,

Rejette l'exception d'irrecevabilité de l'action des sociétés Electrolux LDA et Electrolux Filter sur le fondement de la publicité mensongère,

Déclare les sociétés Electrolux LDA et Electrolux Filter dépourvues d'intérêt à agir, irrecevables à articuler à l'encontre de la société Dyson le grief de dénigrement pour les publicités parues dans les magazines au printemps et à l'automne 1999 et pour celles mentionnées dans les brochures publicitaires mises à la disposition du public,

Statuant de nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Dyson à payer, à chacune des sociétés Electrolux LDA et Electrolux Filter, la somme d'un euro à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une somme complémentaire de 1 000 euro, à chacune, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

La condamne en tous les dépens d'appel en ce compris les dépens de l'arrêt cassé. Dit que les dépens exposés devant cette cour pourront être recouvrés directement par la SCP Keime & Guttin, société titulaire d'un office d'avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.