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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 17 janvier 1996, n° 95-00715

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Petit

Avocat général :

M. Blanc

Conseillers :

M. Guilbaud, Mme Penichon

Avocats :

Mes Bettan, Benchetrit.

TGI Paris, 31e ch., du 15 déc. 1994

15 décembre 1994

Rappel de la procédure:

La prévention:

R Maurice était poursuivi des chefs:

- de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise,

faits commis courant 1991, à Paris,

infraction prévue et réprimée par l'article L. 213-1 Code de la consommation

- de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur,

faits commis courant 1991, à Paris,

infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 213-1 Code de la consommation

R Maurice a été renvoyé devant le Tribunal de grande instance de Paris, par ordonnance de l'un des juges d'instruction de ce siège en date du 28 octobre 1994, du seul chef de tromperie sur les qualités substantielles de cinq bijoux concernant leur poids en or,

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire, a:

déclaré R Maurice coupable:

pour les faits qualifiés de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise,

faits commis courant 1991, à Paris et sur le territoire national,

infraction prévue et réprimée par l'article L. 213-1 Code de la consommation

et, en application de cet article, l'a condamné à 20 000 F d'amende, statuant sur l'action civile"

reçu LA SARL Big Bijoux en sa constitution de partie civile,

condamné R Maurice à lui payer la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 4000 F sur le fondement de l'article 475-l du Code de procédure pénale;

Les appels:

Appel a été interjeté par:

Monsieur R Maurice, le 26 décembre 1994;

M. le Procureur de la République, le 26 décembre 1994 contre Monsieur R Maurice;

Big Bijoux (SARL), le 30 décembre 1994 contre Monsieur R Maurice;

Monsieur Ichai Marcel, le 30 décembre 1994 contre Monsieur R Maurice;

Décision:

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels relevés par le prévenu et le Ministère public, la SARL Big Bijoux et Marcel Ichai, à l'encontre du jugement précité auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits et de la prévention;

Par voie de conclusions Maurice R sollicite de la cour, par infirmation, son renvoi des fins de la poursuite;

Il fait essentiellement valoir qu'aucun élément intentionnel de tromperie ne peut être retenu en l'espèce à son encontre;

Il expose à cet égard que les représentants de la société X présentent les collections sur des bons de commande qui ne mentionnent nullement le poids en or des bijoux;

Qu'en effet le poids d'or ne représente pas un élément déterminant pour le choix du commerçant qui fait l'acquisition d'un ensemble;

Qu'il appartenait d'autre part à M. Ichai, lui-même professionnel, de vérifier si la marchandise livrée correspondait à celle qui avait été commandée;

Il soutient enfin que les dispositions du Code de la consommation invoquées sont inapplicables en l'espèce puisque selon l'article L. 132-1 du Code de la consommation, celles-ci ne sont applicables que dans les relations entre professionnels et consommateurs et non entre 2 professionnels;

Oralement devant la cour, Maurice R, assisté de son conseil, sollicite, à titre subsidiaire, l'indulgence et la non-inscription de la condamnation à intervenir au bulletin n° 2 de son casier judiciaire;

Monsieur l'Avocat général s'en rapporte à l'appréciation de la cour;

Il estime pour sa part que la mauvaise foi du prévenu n'est pas indubitablement établie en l'espèce compte tenu du peu d'importance des erreurs constatées par rapport au volume global des transactions entre les parties;

Par voie de conclusions conjointes, régulièrement visées et déposées au dossier et aux motivations desquelles la cour se réfère expressément, la SARL Big Bijoux et Marcel Ichai demandent la condamnation du prévenu à verser la somme de 200 000 F à Marcel Ichai à titre de dommages-intérêts en réparation des différents chefs de préjudices subis ainsi que celle de 10 000 F à Marcel Ichai et à la SARL Big Bijoux pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel, en sus de l'indemnité de 4 000 F allouée par les premiers Juges sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

Sur l'action publique:

Considérant que dans le courant de l'année 1991 la SARL Big Bijoux dont Martel Ichai est le gérant, acquérait des articles en or et pierres précieuses de la société X dont Maurice R est le PDG;

Qu'à l'occasion d'une vente par la SARL Big Bijoux à un de ses clients il s'avérait qu'une bague que les références de la société X mentionnaient comme pesant 2,70 grammes d'or ne pesait en réalité que 2,03 grammes;

Que par la suite un huissier de justice requis par Marcel Ichai constatait que 3 autres bagues et 1 collier étaient déficitaires en poids d'or par rapport aux normes annoncées par le grossiste X, à savoir:

- bague référencée JR 1 P 104 S - 14780 poids annoncé : 4,30 G poids réel ; 3,95 G

- bague référencée JR I P 110 S - 6831 poids annoncé : 4,00 G poids réel : 3,52 G

- bague référencée JR I E 0511 - 8048 poids annoncé : 5,10 G poids réel: 4,32 G

- collier référencé JR 51 0814 - 12645 poids annoncé: 11,50 G poids réel : 10,79 G

Que le 29 mars 1993 la SARL Big Bijoux représentée par son gérant Martel Ichai déposait plainte contre X avec constitution de partie civile des chefs de tromperie et de publicité mensongère;

Que Maurice R était renvoyé devant le Tribunal de grande instance de Paris, par ordonnance de l'un des juges d'instruction de ce siège en date du 28.10.1994, du seul chef de tromperie;

Considérant que la cour ne saurait suivre le prévenu en son argumentation;

Considérant en effet qu'il est constant que la SA X qui importe bijoux et objets précieux finis d'Orient et d'Israël, portant la marque City or, a vendu à la SARL Big Bijoux des articles qui présentaient un déficit en or de 8 %, 10 %, 16 % et 25 % par rapport au poids annoncé sur les étiquettes et les factures;

Considérant qu'il appartenait à Maurice R, en sa qualité d'importateur et de revendeur, de vérifier les indications fournies par les fabricants et de contrôler les mentions portées sur les factures et le catalogue de référence;

Considérant que la négligence avérée dont a fait preuve le prévenu, professionnel dans le domaine de la bijouterie, caractérise l'élément intentionnel, quelque soit l'importance du volume global des transactions effectuées entre les parties et étant observé au demeurant que les vérifications opérées par la société Big Bijoux, ne l'ont été que sur une petite quantité de marchandise disponible au moment de l'incident;

Considérant que vainement Maurice R soutient que le délit de tromperie ne peut être constitué en l'espèce s'agissant de relations entre deux professionnels;

Considérant en effet que l'article L. 213-1 du Code de la consommation, visé à la prévention, s'applique, sans distinction, à "quiconque" aura trompé ou tenté de tromper le contractant;

Considérant que la cour observe par ailleurs que l'article L. 132-1 du Code de la consommation, mentionné par le prévenu dans ses écritures, s'il distingue les contrats conclus entre professionnels et non professionnels, porte exclusivement sur la protection des consommateurs contre les clauses abusives et que ses dispositions sont sans incidence aucune sur les faits de tromperie poursuivis;

Que d'autre part Marcel Ichai, simple revendeur détaillant, n'avait - du moins dans ses rapports avec la société importatrice X - aucune obligation de procéder au contrôle d'une marchandise déjà étiquetée qui n'était pas le fait de sa fabrication;

Considérant qu'il convient, par ces motifs et ceux pertinents des premiers juges que la cour fait siens, de confirmer le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité

Considérant en revanche qu'il échet d'infirmer la décision entreprise sur la peine, ainsi que précisé au dispositif, afin de mieux tenir compte de la relative gravité des agissements commis et de la personnalité du prévenu délinquant primaire;

Considérant enfin que la cour estime devoir ordonner la non-inscription de la condamnation à intervenir au bulletin n° 2 du casier judiciaire du prévenu;

Sur l'action civile:

Considérant que la cour constate que dans le jugement dont appel le tribunal a, dans son exposé des motifs, accueilli la constitution de partie civile de M. Ichai mais n'a alloué aucune somme à celui-ci à titre de dommages-intérêts dans son dispositif, ne répondant pas ainsi aux conclusions déposées;

Qu'il y a lieu, dans ces conditions, d'annuler ledit jugement sur les intérêts civils, d'évoquer et de statuer sur le fond;

Considérant que devant la cour le conseil des parties civiles a déposé des conclusions tendant à la condamnation du prévenu à verser à Marcel Ichai la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation des différents chefs de préjudices subis ainsi que celle de 10 000 F à Marcel Ichai et à la SARL Big Bijoux pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel;

Qu'il est fait état dans les écritures précitées d'un incident survenu le 4.2.1992 entre Martel Ichai, qui se serait fait traiter en public "d'escroc" et de "voleur", et un client à l'occasion de la vente d'une bague que les références de la société X mentionnaient comme pesant 2,70 grammes d'or alors qu'elle ne pesait en réalité que 2,03 grammes;

Considérant que le dommage souffert par Marcel Ichai du fait de cet incident ne découle pas directement - au sens de l'article 2 du Code de procédure pénale -du délit de tromperie visé à la prévention;

Considérant que la cour observe que Marcel Ichai n'a personnellement subi aucun préjudice distinct de celui causé à la société dont il est le gérant;

Que par voie de conséquence la cour déclarera irrecevable la constitution de partie civile présentée par M. Ichai en son nom personnel;

Qu'il y a lieu en revanche de recevoir la société Big Bijoux, représentée par son gérant Marcel Ichai, en sa constitution de partie civile;

Considérant que la cour qui dispose des éléments nécessaires et suffisants pour apprécier le préjudice certain subi par la société Big Bijoux et résultant directement des faits visés à la prévention condamnera Maurice R à lui verser la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts, toutes causes confondues;

Que la cour par ailleurs condamnera le prévenu à verser à la société Big Bijoux, représentée par son gérant Martel Ichai, la somme de 6 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Sur l'action publique: Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité; L'infirme sur la peine; Vu l'article 132-29 du Code pénal, Condamne Maurice R à 50 000 F d'amende avec sursis, Vu l'article 775-1 du Code de procédure pénale; Ordonne la non-inscription de la présente condamnation au bulletin n°2 du casier judiciaire du prévenu; Sur l'action civile: Vu l'article 520 du Code de procédure pénale; Annule le jugement dont appel sur les intérêts civils; Evoque; Statuant à nouveau, Déclare irrecevable la Constitution de partie civile présentée en son nom personnel par Marcel Ichai; Déboute M. Ichai des demandes formulées en son nom personnel; Reçoit la constitution de partie civile de la SARL Big Bijoux représentée par son gérant Marcel Ichai; Condamne Maurice R à verser à la SARL Big Bijoux la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de 6 000 F pour frais irrépétibles; Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné.