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Décisions

CA Nîmes, ch. corr., 18 juin 1998, n° 661-98

NÎMES

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Goedert

Substitut :

général: Mme Monteil

Conseillers :

Mme Jean, M. Nicolai

Avocats :

Me Lachaud, Bonnenfant, Albertini, SCP Fortunet.

TGI Avignon, ch. corr., du 17 juin 1997

17 juin 1997

Vu le jugement rendu par le Tribunal correctionnel d'Avignon le 17.06.1997, qui statuant contradictoirement, déclare les prévenues coupables d'avoir:

- à Avignon (84), le 4 avril 1996, trompé les consommateurs sur les qualités substantielles des prestations de soins en l'espèce par l'utilisation de dispositifs médicaux à usage unique ayant été restérilisés après leur emploi,

- à Avignon (84), le 4 avril 1996, tenté de tromper les consommateurs sur les qualités substantielles des prestations de soins en l'espèce par l'utilisation de dispositifs médicaux à usage unique ayant été restérilisés après leur emploi,

fait prévus par les articles:

art. L. 213-1 du Code de la consommation

art. L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation

Relaxe Q Jean-Michel, D Jean-Louis et F Josette des fins de la poursuite sans peine ni dépens.

Sur l'action civile:

Déclare les constitutions des parties civiles de l'UFC et de la CPAM de Vaucluse irrecevables.

Laisse à leur charge les dépens de leur intervention.

Vu les appels interjetés par le Ministère public le 25 juin 1997 et la CPAM de Vaucluse le 1er juillet 1997;

Vu les citations données aux parties les 20, 21, 22 et 30.01.1998 à la requête de M. le Procureur général près la cour de céans, à l'effet de comparaître à l'audience du 19.03.1998 pour voir statuer sur lesdits appels;

Sur ce:

En la forme:

Attendu que les appels interjetés dans les forme et délai légaux sont réguliers et recevables;

Au fond:

Dans le cadre d'une enquête de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes diligentée le 4 avril 1996, au sein de la clinique X, à Avignon, un procès-verbal de délit était dressé à l'encontre des docteurs D et Q, respectivement urologue et cardiologue, ainsi qu'à l'encontre de Mme F épouse B, prise en sa qualité de gérante de fait de ladite clinique.

Poursuivis pour avoir réutilisé ou tenté de réutiliser du matériel médicale restérilisé bien que spécifié à usage unique en 1985 par le fabricant, les prévenus ont été, aux termes du jugement susvisé, relaxés du chef de la poursuite pour tromperie des consommateurs;

Le Ministère public a relevé appel du jugement ainsi que la CPAM de Vaucluse, partie civile.

Cette dernière sollicite de voir déclarer recevable en sa constitution de partie civile et demande que les prévenus soient condamnés solidairement à lui payer les sommes de:

- 10 000 F en réparation de son préjudice financier et moral,

- 10 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

En réplique, le docteur Jean-Louis D, urologue, prévenu intimé, conclut à la confirmation de la décision de relaxe en l'absence de preuve rapportée à son encontre d'un acte de réutilisation du matériel médical litigieux (aiguilles de biopsie prostatique).

Le docteur Jean-Marie Q, cardiologue, conclut également à la confirmation du jugement entrepris.

Bien qu'admettant avoir réutilisé des sondes d'électrophysiologie restérilisé, il prétend ne pas avoir pour autant trompé ses patients en ne les informant pas de cette réutilisation.

Mme F épouse B sollicite aussi la confirmation de la décision querellée aux motifs qu'elle ignorait que le matériel médical utilisé par les docteurs Q et D, stipulé à usage unique, était réutilisé ou susceptible de l'être après restérilisation.

L'Union fédérale des consommateurs d'Avignon, non appelante, a été citée à tort.

Sur l'action publique:

Attendu que l'enquête réalisée par les services de la Répression des Fraudes, au sein de la clinique X, a établi que du matériel médical (notamment aiguilles de biopsie prostatique et des sondes d'électrophysiologie) retrouvé conditionné dans des emballages pelables différents de ceux d'origine dont les testeurs avaient viré sous l'effet de l'oxyde d'éthylène, avait été restérilisé en vue d'être réutilisé;

Que le matériel médical en cause devait, suivant les indications du fabricant apposées sur l'emballage, être à usage unique;

Attendu cependant, comme le font valoir les docteurs D et Q et comme l'a, à juste titre, considéré le tribunal, qu'aucun texte législatif ou réglementaire spécifique ne rend obligatoire l'usage unique dudit matériel;

Que les circulaires du ministère de la Santé des 24 avril 1986 et 29 décembre 1994 portant interdiction de réutiliser des dispositifs médicaux à usage unique, n'ont qu'une valeur incitative;

Attendu en tout cas qu'elles ne s'apparentent pas à des normes de sécurité officiellement établies, d'autant plus que les matériels visés ne sont pas précisément inventoriés;

Qu'en l'état, c'est au regard des dispositions des articles L. 213-1, L. 213-2 et L. 216-1 du Code de la consommation que les faits reprochés sont susceptibles d'être examinés;

Attendu qu'en droit, est puni quiconque, qu'il soit ou non partie au contrat, aura trompé ou tenté de tromper par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises ou prestations de services ou par une fourniture autre que la chose déterminée ayant fait l'objet du contrat;

Sur la culpabilité du docteur D:

Attendu que lors de leur enquête, les services de la Répression des Fraudes ont constaté la présence dans le cabinet du docteur D de deux préemballages renfermant une aiguille à biopsie prostatique ayant été restérilisée ainsi que des préemballages contenant des aiguilles neuves de marque ABS;

Qu'il est prétendu que ce praticien aurait tenté de réaliser des biopsies au moyen d'aiguilles restérilisées telles que celles retrouvées en son cabinet;

Attendu qu'en ce qui concerne ce matériel restérilisé, le docteur D soutient ne jamais l'avoir personnellement utilisé;

Qu'il indique que ce matériel appartient en réalité à son ancien associé, le docteur Levallois, à présent en retraite et n'est détenu, par lui, à titre de dépannage, sans qu'il n'ait jamais servi;

Qu'il précise encore que sa méthode de travail consiste à délivrer au patient une ordonnance afin que ce dernier se procure, avant l'examen médical, une aiguille neuve (aiguille Gallini 20 cms réf. 18 20 EC du laboratoire ABS), laquelle ne correspond pas à celles retrouvées par les enquêteurs et faisant l'objet d'une restérilisation;

Attendu que Mme Joffre, assistante du docteur D, corrobore les dires de l'urologue en indiquant avoir procédé à la restérilisation d'aiguilles pour le compte du docteur Levallois mais ne plus y avoir recours depuis, pour le compte du docteur D;

Attendu que les constatations initiales des enquêteurs ne suffisent pas à établir que ce dernier réutilisait effectivement des aiguilles restérilisées;

Que leurs autres constatations ne le démontrent pas davantage dans la mesure où:

- ils se limitent à comparer le nombre d'actes réalisés au cours du 1er trimestre 1996, tels qu'indiqués par le laboratoire du docteur Emptas qui se charge des analyses à la demande du docteur D, et le nombre d'aiguilles restérilisées découvertes au cours de l'enquête;

- qu'ils admettent ne pas avoir procédé au décompte réel des achats en matériel neuf, faits par les patients eux-mêmes;

Que les enquêteurs n'ont pas pris en compte la spécificité des aiguilles utilisées par le docteur D;

Attendu qu'il n'est dès lors pas établi que le praticien réutilisait des aiguilles restérilisées;

Attendu qu'en ce qui concerne une réutilisation éventuelle à titre de dépannage, la preuve n'est pas davantage rapportée dans la mesure où les enquêteurs ont, eux-mêmes, remarqué la présence d'une réserve d'aiguilles neuves (3 trocards neufs et non restérilisés);

Attendu que la matérialité même de l'infraction n'étant pas démontrée, il convient dès lors de confirmer la décision de relaxe du docteur D;

Sur la culpabilité du docteur Q:

Attendu qu'il est établi et au demeurant non contesté que le docteur Q, cardiologue, a réutilisé des sondes d'électrophysiologie stérilisées après leur premier emploi;

Que l'enquête a démontré que certaines sondes lui appartenant personnellement et provenant de l'hôpital du Val de Grâce où il exerçait antérieurement, ont fait l'objet de multiples restérilisations, 10 à 12 fois selon le médecin lui-même;

Attendu qu'il convient cependant de déterminer si les prestations de soins ainsi réalisées par le docteur Q au moyen de sondes restérilisées relevaient des qualités substantielles que les patients sont en droit d'attendre;

Attendu qu'il convient d'abord de relever que la procédure de décontamination de sondes d'électrophysiologie pleines par un traitement à l'oxyde d'éthylène est une pratique répandue tant en France qu'à l'étranger;

Qu'elle est communément admise comme efficace dès lors que réalisée dans des conditions optimales de sécurité;

Qu'en l'espèce, la procédure suivie au sein de la clinique X n'a fait l'objet d'aucune observation de la part des services de la Répression des Fraudes;

Qu'ainsi sont exclus les risques liés à une décontamination inefficace;

Attendu qu'en ce qui concerne les risques encourus par la réutilisation de sondes pleines régulièrement restérilisées (risques mécaniques, infections toxicologiques et chimiques) - s'ils sont envisagés par le fabricant, la société Bard qui, unilatéralement, a posé le principe d'un usage unique du matériel médical - n'ont à ce jour été démontrés par aucune étude scientifique et sont même exclus par diverses autorités médicales, parmi lesquelles l'Agence nationale pour le développement et l'évaluation médicale, qui, dans un rapport de janvier 1996, indiquait qu'aucune étude ne permettait de conclure à une différence de sécurité et d'efficacité clinique entre le groupe "usage unique respecté" et le groupe "usage unique réutilisé";

Attendu qu'aucune donnée médicale ou scientifique actuellement disponible, aucune étude soumise à l'examen de la cour n'étaye une raison de suspicion d'un risque précisément identifié ou d'effets indésirables attribuables à la pratique incriminée;

Attendu qu'en l'état, en l'absence d'élément de preuve contraire, la réutilisation par le docteur Q de sondes pleines régulièrement décontaminées, n'emportait pas mise en danger de ses patients;

Qu'il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir envisagé avec ses patients, le recours à des sondes d'électrophysiologie pleines stérilisées dès lors que leur dangerosité n'est pas établie, que la prestation de soins n'en est pas alternée et que les exigences essentielles de santé et de sécurité ont été respectées;

Attendu qu'en l'état des connaissances et des pratiques communément admises, l'exigence d'une recherche inlassable et souhaitable pour parvenir au risque nul, lequel peut effectivement correspondre à l'état d'esprit et aux attentes des patients, ne saurait pour autant à elle seule aboutir - dans le prolongement d'une décision subite et unilatérale mais non désintéressée d'un industriel fabricant - à faire considérer le silence du médecin comme pouvant s'analyser juridiquement en une tromperie sur les précautions à prendre dans l'accomplissement de la prestation médicale en cause;

Attendu, dès lors, que ledit silence ne caractérise pas au cas d'espèce un manquement à la délivrance d'une information loyale ni davantage une intention délictueuse;

Qu'en définitive, en l'absence de preuve de ce que le docteur Q avait conscience de tromper ses patients en réutilisant lesdites sondes décontaminées, il échet de confirmer la décision de relaxe, les éléments constitutifs de l'infraction n'étant pas réunis;

Sur la culpabilité de Mme F épouse B

Attendu que les faits reprochés à cette dernière, à les supposer établis, devraient être requalifiés en complicité;

Que les infractions n'étant pas constituées à l'encontre des présumés auteurs principaux, il échet d'entrer également en voie de relaxe à son égard;

Sur l'action civile:

Attendu que la CPAM de Vaucluse s'est constituée partie civile;

Que celle-ci est recevable en la forme;

Attendu, cependant, que la CPAM sera déboutée de ses demandes, eu égard à la décision confirmée de relaxe;

Par ces motifs LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, En la forme: reçoit les appels; Au fond: Sur l'action publique: Confirme la décision entreprise. Sur l'action civile: Emende le jugement en tant que déféré en ce qu'il a déclaré la CPAM de Vaucluse irrecevable en sa constitution de partie civile. Déclare celle-ci recevable en la forme. Au fond: Déboute la CPAM de Vaucluse en ses demandes.