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Décisions

CA Aix-en-Provence, 13e ch. corr., 23 juin 1995, n° 864

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pancrazi

Conseillers :

M. Giacomino, Mme Aubry-Camoin

Avocats :

Mes Campocasso, Mattel, Keramidas, Saubiani, de Romilly, Anglade, Godard, Tronquit, Roig.

TGI Aix-en-Provence, ch. corr., du 4 oct…

4 octobre 1994

Rendue après délibéré conformément à la loi.

Dominique B, Erick L, Eslève F, Alain C, Joseph B, Eric B ont été renvoyés devant le Tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence par ordonnance du juge d'instruction du 27 février 1991 pour avoir à Vitrolles et sur le ressort du Tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence en 1987 et 1988 :

- frauduleusement soustrait divers objet mobiliers en particulier des pièces mécaniques et de carrosserie pour un montant total de 1 425 967 F au préjudice de M. D,

- trompé les clients du garage automobile par quelque moyen que ce soit sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principe utiles de toutes marchandises avec la circonstances aggravante que ces faits ont été commis à l'aide d'indications frauduleuses tendant à faire croire à une opération antérieure et exacte,

Infractions prévues et réprimées par les articles 379, 381 anciens, 311-1, 311-3, 311-14 du Code pénal, 1, 2, 7 et 9 de la loi du 1er août 1905.

Par un jugement contradictoire du 4 octobre 1994, le Tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence :

- a prononcé une disjonction concernant Eric B,

- a déclaré les prévenus coupables des faits qui leur étaient reprochés,

Sur l'action publique, a prononcé les condamnations suivantes :

- Dominique B : 8 mois avec sursis,

- Erick L : 3 mois avec sursis,

- Eslève L : 4 mois avec sursis,

- Alain C : 8 mois avec sursis,

- Joseph B : 8 mois avec sursis.

Avec non inscription sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire pour Joseph B.

Sur l'action civile :

- a reçu la constitution de partie civile de la société V,

- a déclaré les prévenus entièrement responsables du préjudice subi,

- les a condamné conjointement et solidairement à payer à la partie civile la somme de 1 425 967 F en réparation du préjudice matériel et la somme de 3 000 F en vertu des dispositions de l'article 475-1 du CPP,

- a débouté la partie civile de sa demande formée au titre du préjudice moral.

Dominique B a fait appel des dispositions civiles le 13 octobre 1994.

Il n'y a pas d'appel du Ministère public à son encontre.

Erick L, Eslève F, Alain C, Joseph B ont fait appel chacun le 13 octobre 1994 de l'ensemble des dispositions du jugement, le Ministère public a fait appel incident le 14 octobre 1994.

Les appels interjetés dans les formes et délais légaux sont recevables.

Par jugement contradictoire du 18 octobre 1994, le Tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence a déclaré Eric B coupable des faits qui lui étaient reprochés,

Sur l'action publique :

- l'a condamné à la peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis,

Sur l'action civile :

- a reçu la constitution de partie civile de la société V,

- a déclaré Eric B entièrement responsable du préjudice subi,

- l'a condamné conjointement et solidairement avec Dominique B, Erick L, Eslève F, Alain C, Joseph B à payer à la partie civile la somme de 1 425 967 F en réparation du préjudice matériel subi ainsi que la somme de 3 000 F en vertu des dispositions de l'article 475-1 du CPP,

- a débouté la partie civile de sa demande au titre du préjudice moral.

Le prévenu a fait appel de l'ensemble des dispositions du jugement le 19 octobre 1994, le Ministère public a fait appel incident le 19 octobre 1994 également.

Les appels interjetés dans la forme et les délais légaux sont recevables.

Il convient dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice de joindre les deux instances.

Dominique B a fait plaider la réformation des dispositions civiles du jugement au motif que le lien de cause à effets entre les actes qu'il a commis et reconnaît et le préjudice allégué n'est pas établi par la partie civile, notamment dans son montant.

Erick L et Eslève F ont fait plaider la modération de la peine au pénal et la réformation des dispositions civiles.

Joseph B, Alain C, Eric B ont fait plaider la relaxe au motif que les infractions qui leur étaient reprochées n'étaient pas constituées et la réformation des dispositions civiles.

Le Ministère public a requis la confirmation du jugement déféré sur la culpabilité, la confirmation de la peine concernant Eric B, une aggravation conséquente de la sanction pour les autres prévenus.

La partie civile a sollicité la confirmation du jugement déféré sur l'indemnisation du préjudice matériel, la condamnation conjointe et solidaires des prévenus à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant des faits de tromperie, et y ajoutant la condamnation conjointe et solidaire des prévenus à lui payer la somme de 10 000 F en application des dispositions de l'article 475-1 du CPP.

Sur ce, LA COUR

1) Sur le délit de tromperie

Le 21 février 1989 Gérard D, président directeur général de la société V portait plainte auprès de la brigade de gendarmerie de Marignane pour le détournement de pièces détachées au magasin R, à la suite de l'inventaire réalisé en décembre 1988 établissant l'existence d'un déséquilibre entre l'inventaire physique et le stock théorique comptable.

L'enquête réalisée par les militaires de la gendarmerie permettait d'établir l'existence d'une pratique courante au sein du magasin R qualifié de pratique du " plus et du moins ".

Lors de la réception d'un véhicule accidenté ou en panne, l'expert ou le chef d'atelier établissaient la liste des pièces mécaniques à changer. Dans la pratique, certains organes mécaniques ou de carrosseries jugés réparables par le chef d'équipe ou le mécanicien n'étaient pas remplacés mais néanmoins facturés comme pièces neuves aux clients. Le matériel neuf récupéré était conservé par les ateliers et servait de monnaie d'échange auprès du magasin.

Le même système était utilisé dans le cadre des contrats entretiens. La société commandait une pièce à la demande d'un client dans le cadre d'un contrat entretien mais le client ne revenant pas faire réaliser le remplacement de la pièce pour diverses raisons et celle-ci étant réglée dans le cadre du contrat entretien, la pièce neuve était conservée et utilisée comme monnaie d'échange. Cette façon de procéder entraînait nécessairement une distorsion entre le stock réel et le stock comptable.

Joseph B et Alain C respectivement chef d'atelier et chef magasinier faisaient des déclarations concordantes (D 32 - D 34) d'où il ressortait que cette pratique existait lorsqu'ils étaient entrés dans l'entreprise en 1984 et 1986, qu'ils avaient exigés que leurs subordonnés leur en réfèrent et que les échanges de pièces limités à 3 ou 4 par mois étaient réalisé par eux-mêmes.

Au cours des débats devant la cour, ils précisaient que ces échanges donnaient lieu à l'établissement d'un document écrit remis au service comptable et que la direction avait donc nécessairement connaissance de cette pratique. Cela leur permettait de disposer d'un volant de pièces détachées supplémentaires et de répondre de façon satisfaisante à la demande de certains clients pressés sans avoir à commander la pièce.

Il n'excluait pas que d'autres échanges aient été pratiqués par les employés en dehors de leur utilisation.

L'étude du dossier révèle qu'effectivement un certain nombre d'employés pratiquaient ce système de façon importante dont Dominique B magasinier chargé des relations avec l'atelier et se trouvant donc à une place privilégiée.

Dominique B dans son audition (D24) s'expliquait sans difficulté sur les échanges de pièces détachées, pratiqués couramment.

Eslève F, Erick L et Eric B reconnaissaient également avoir utilisé cette pratique (D 23 - D 27 - D 29).

La tromperie suppose l'affirmation expresse ou implicite d'un fait totalement ou partiellement inexact de nature à provoquer une erreur dans l'esprit du contractant.

En l'espèce, la tromperie est constituée par le fait de s'engager contractuellement à réparer un véhicule en y apposant un certain nombre de pièces neuves et au lieu d'exécuter ce contrat de se borner à réparer des pièces usagées et à conserver par devers soi les pièces détachées neuves et payées par la compagnie d'assurance, le client ou par le biais du contrat d'entretien sans bien entendu en informer le client. L'intention délictueuse résulte du caractère délibéré de la tromperie accomplie par des professionnels de l'automobile même si pour certains il s'agit de modestes employés.

Le délit de tromperie est dès lors parfaitement constitué et la décision déférée doit être confirmée sur la culpabilité.

2) Sur le délit de vol

Dominique B admettait avoir vendu moitié prix des pièces détachées provenant d'après ses déclarations du système de l'échange.

Eslève F, Erick L et Eric B (D 23, D 27, D 29) reconnaissaient avoir acquis auprès de Dominique B des pièces détachées, à moitié prix de leur valeur, payées en espèce.

L'enquête a établi qu'Eslève F et Erick L en ont fait profité certains de leurs amis. Ils n'ignoraient pas la provenance frauduleuse des pièces détachées ainsi acquises.

Ces faits sont constitutifs du délit de recel et non du délit de vol et il convient dès lors de procéder à une requalification en ce sens en ce qui concerne les prévenus F, L et B par application de l'article 321-1 du Code pénal.

Concernant Joseph B et Alain C aucun élément du dossier n'établit de leur part une soustraction frauduleuse de pièces détachées.

Le dossier révèle par contre qu'ils se sont inquiétés des agissements de Dominique B, Erick L et Eslève F en février 1989, qu'ils ont mené une enquête personnelle sur ces actes, que le président directeur général en a été informé et en a fait part aux militaires de gendarmerie dans sa plainte (D 18, D 32). La complicité ne peut donc être retenue à leur égard et il convient de les relaxer des fins de la poursuite.

3) Sur la répression

Les faits bien qu'anciens sont graves. La tromperie a été accomplie délibérément par des professionnels au détriment de consommateurs et sans aucun égard pour les engagements contractuels. Les soustractions frauduleuses sont le fait d'employés qui ont abusé de la confiance de leur employeur.

Réformant sur la répression, la cour estime en conséquence devoir prononcer les condamnations suivantes :

- Alain C : 1 an avec sursis 20 000 F d'amende.

- Joseph B : 1 an avec sursis 20 000 F d'amende (avec dispense d'inscription sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire).

- Eslève F : 6 mois avec sursis.

- Erick L : 6 mois avec sursis.

- Eric B : 4 mois avec sursis.

4) Sur les intérêts civils

La société V chiffre son préjudice matériel à la somme de 1 425 967 F.

Elle fonde sa demande sur l'attestation d'un commissaire aux comptes figurant aux dossier d'instruction, d'où il ressort que le préjudice total de l'entreprise se décompose comme suit :

- prélèvement direct de pièces détachées pour une somme de 734 000 F constaté lors de l'inventaire physique de fin d'année.

- Manipulation sur les pièces détachées ayant entraîné une mise en rebut constatée par huissier de justice s'élevant à la somme de 691 967 F

- En ce qui concerne cette seconde partie du préjudice, il est constant que les pièces détachées neuves provenant du délit de tromperie ont été payées par le consommateur de sorte que si la société V a du les détruire pour des raisons comptables ou fiscales, elle n'a subi personnellement aucun préjudice dont elle puisse demander réparation.

En ce qui concerne la différence entre l'inventaire physique et le stock comptable chiffrée par la partie civile à la somme de 734 000 F, les éléments du dossier ne permettent pas de l'imputer dans sa totalité aux prévenus ni même d'en connaître les causes précises ; il est manifeste que la gestion des stocks et la gestion comptable de la société étaient défectueuse mais les employés fussent-ils fautifs, n'ont pas à en supporter les conséquences.

La cour trouve dans le dossier et les débats des éléments suffisant pour évaluer le montant des vols commis par Dominique B à la somme de 50 000 F.

Les receleurs seront tenus solidairement avec Dominique B à hauteur de leur participation, soit 15 000 F pour F Eslève et L Erick, 5 000 F pour Eric B puisque Dominique B n'a pas caché que de nombreux autres employés de la société avaient bénéficié du système à des degrés divers.

La partie civile n'étant pas appelante de la décision de première instance n'est pas fondée à solliciter en appel l'indemnisation du préjudice moral résultant des faits de tromperie.

Par contre, elle a dû engager en cause d'appel des frais irrépétibles qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge ; il convient de lui allouer à ce titre 2 000 F.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, en matière correctionnelle, En la forme, Ordonne la jonction des instances, Reçoit les appels, Au fond, Au pénal : Confirme le jugement déféré sur la culpabilité des prévenus concernant le délit de tromperie, Réformant pour le surplus, Requalifie les faits de vol reprochés à Eslève F, Erick L, Eric B en faits de recel, les en déclare coupables ; Relaxe Alain C et Joseph B des fins de la poursuite en ce qui concerne le délit de vol, Condamne les prévenus aux peines suivantes : Alain C : 1 an d'emprisonnement avec sursis, 20 000 F d'amende. Joseph B : 1 an d'emprisonnement avec sursis, 20 000 F d'amende (avec dispense d'inscription sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire). Eslève F : 6 mois d'emprisonnement avec sursis. Erick L : 6 mois d'emprisonnement avec sursis. Eric B : 4 mois d'emprisonnement avec sursis. Sur l'action civile : Confirme le jugement déféré sur la recevabilité de la constitution de partie civile de la société V et la somme allouée au titre de l'article 475-1 du CPP ; Condamne Eslève F, Erick L, Eric B, solidairement avec Dominique B, à concurrence de 15 000 F pour Eslève F et Erick L, 5 000 F pour Eric B ; Déboute la partie civile de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre d'Alain C et Joseph B ; Constate que la partie civile n'est pas appelante du jugement déféré l'ayant débouté de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral résultant du délit de tromperie ; La déboute de sa demande en cause d'appel ; Y ajoutant, condamne solidairement les prévenus à payer à la partie civile la somme de 2 000 F en vertu des dispositions de l'article 475-1 du CPP, Le tout conformément aux articles visés au jugement, au présent arrêt et aux articles 512 et suivants, 749 et suivant du Code de procédure pénale.