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Décisions

CA Aix-en-Provence, 5e ch. corr., 27 septembre 1995, n° 628-95

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Fédération nationale du négoce de l'ameublement, Chambre syndicale de l'ameublement de Provence, Meubles Bouisson (SA), Alpes Salon (SARL), Top Salon (SARL), Meubles, Donadieu, JRK Ameublement (SARL), Balp Mobiclub (Sté), Association pour l'information et la défense des consommateurs salariés, UFC des Alpes de Haute Provence, Union féminine civique et sociale

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

M. Ellul, Conseillers : Mmes Coux, Zentar-Drillon

Avocats :

Mes Genest, Roubach Blum, Magnan, Verschueren.

TGI Digne, du 3 nov. 1994

3 novembre 1994

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Par jugement contradictoire n° 803-94 du 3 novembre 1994, le Tribunal correctionnel de Digne a déclaré Philippe V, gérant de la SARL X, coupable d'avoir à Sisteron (04) et sur le territoire national, depuis le mois de mars 1994 :

- trompé les clients du magasin contractant sur les qualités substantielles des meubles vendus,

Infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation,

- effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur le caractère exceptionnel de l'ouverture du magasin, le nombre de meubles en vente, la qualité des meubles, le caractère réservé aux professionnels du magasin, l'origine de la marchandise, l'existence d'un prix de référence d'un bien ou d'un service,

Infraction prévue et réprimée par les articles L. 121-1, L. 121-3, L. 121-6, L. 1216 alinéa 1, L. 213-1 et L. 121-4 du Code de la consommation.

- omis d'afficher à la vue du public les tarifs de livraison,

Infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-3 du Code de la consommation et 33 du décret 86-1309 du 29 décembre 1986,

- omis de faire figurer les mentions obligatoires sur les notices de présentation,

Infraction prévue et réprimée par les articles L. 214-1, L. 214-2 du Code de la consommation et par le décret du 14 mars 1986,

- effectué de la publicité dans une langue étrangère employant le mot "SHOWROOM'

Infraction prévue et réprimée par la loi 75-1389 du 31 décembre 1975 et par les articles L. 214-1 et L. 214-2 du Code de la consommation.

En répression, le tribunal a :

Condamné P. V à 2 mois d'emprisonnement avec sursis et 100 000 F d'amende pour les délits,

Ordonné la publication du jugement par extraits, dans les journaux suivants : Le Provençal, Le Méridional, Nice Matin, Le 04, édition Alpes de Haute Provence, le coût de chaque insertion, à la charge du prévenu ne pouvant excéder la somme de 2 000 F.

Condamné Philippe V au paiement d'une amende de 1 000 F pour la contravention relative à l'emploi d'une expression en langue étrangère, d'une amende de 3 000 F pour l'absence des mentions obligatoires sur les notices de présentation et d'une amende de 5 000 F pour la contravention relative à l'affichage des tarifs de livraison.

Statuant sur l'action civile, le tribunal a, recevant les constitutions de parties civiles :

Déclaré Philippe V responsable du préjudice subi par celles-ci et condamné P. V à payer :

1) pour la réparation de l'intégralité du préjudice subi par les parties civiles, les sommes suivantes :

- Fédération nationale du négoce de l'ameublement : 5 000 F,

- Chambre syndicale de l'ameublement de Provence : 5 000 F,

- société Meubles Bouisson située à Sisteron : 20 000 F,

- SARL JRK Ameublement à Manosque : 10 000 F,

- société Mobiclub-Balp à Digne 10 000 F,

- société Top Salon à Manosque 10 000 F,

- société Alpes Salon à Volx : 10 000 F,

- M. Donadieu-M. Meuble à Gap : 10 000 F,

- Union fédérale des consommateurs : 3 000 F.

- Indecosa CGT 04 : 3 000 F,

- Union féminine civique et sociale : 3 000 F,

2) en application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, les sommes suivantes :

- Fédération nationale du négoce de l'ameublement : 1 500 F,

- Chambre syndicale de l'ameublement de Provence : 1 500 F,

- société Meubles Bouisson située à Sisteron : 2 500 F,

- SARL JRK Ameublement à Manosque : 500 F,

- société Mobiclub-Balp à Digne : 500 F,

- société TOP Salon à Manosque : 500 F,

- société Alpes Salon à Volx : 500 F,

- M. Donadieu-M. Meuble à Gap : 500 F,

- Union féminine civique et sociale : 200 F,

P. V a interjeté appel le 3 novembre 1994 de toutes les dispositions du jugement.

Le Ministère public a exercé cette même voie de recours le 7 novembre 1994.

Le 9 novembre 1994, les parties civiles suivantes ont interjeté appel :

- la Fédération nationale du négoce de l'ameublement,

- la Chambre syndicale de l'ameublement de Provence,

- la SARL JRK Ameublement,

- la société Balp-Mobiclub,

- la SARL Top Salon,

- La SARL Alpes Salon,

- M. Donadieu-M. Meuble.

Le 16 novembre 1994, la SA Bouisson a interjeté appel.

P. V cité à personne le 17 mars 1995, a comparu.

Les parties civiles suivantes : la Fédération nationale du négoce de l'ameublement, la Chambre syndicale de l'ameublement de Provence, la SA Meubles Bouisson, la société JRK Ameublement, Balp-Mobiclub, Top Salon, Alpes Salon, M. Donadieu-M.Meuble, l'Association pour l'information et la défense des consommateurs salariés, régulièrement citées, ont été représentées à l'audience par leur avocat.

L'Union féminine civique et sociale, citée le 10 avril 1995, et l'Union fédérale des consommateurs des Alpes de Haute-Provence, citée le 18 mars 1995, n'ont pas comparu.

L'avocat de P. V a déposé des conclusions pour demander à la cour de le relaxer, de débouter les parties civiles de l'ensemble de leurs demandes et de les condamner, chacune, à lui payer la somme de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

A l'appui de son recours, il fait valoir que :

- le procès-verbal signé par Hélène Courtin, Christian Pastorel et Jean Clair n'est pas daté, de plus C. Pastorel serait une connaissance amicale d'un concurrent direct de P. V, JRK Meubles,

- le rapport de l'expert Julien dément les conclusions du procès-verbal de la Direction de la Concurrence et des prix, dont les agents n'ont pas la compétence nécessaire pour statuer sur les qualités des meubles, leur confort, leur degré de technicité et leur persévérance dans le temps. Il n'y a pas de tromperie sur les qualités substantielles des meubles vendus,

- il n'y a pas de publicité mensongère : la mention suite annulation et impayées correspond à la réalité comme le confirment les attestations émanant des fournisseurs de P. V. Les magasins ne sont ouverts que 3 jours par mois, ce qui permet de vendre à des prix très compétitifs ; Les meubles mis à la disposition du public sont ceux qui se trouvent dans tous les magasins Euro Distribution, et la livraison se fait sous 48 heures à l'exception des meubles dont la couleur et la nature seraient différentes de ceux mis en exposition. Les mentions "Valeur...Vendu..." ont été remplacées par les mentions "Estimation... Vendu...".

- l'expression SCHOWROOM a été supprimée.

L'avocat de la Fédération nationale du négoce de l'ameublement et la Chambre syndicale de l'ameublement de Provence a déposé des conclusions pour demander à la cour de condamner P. V à payer à chacune d'entre elles les sommes de 25 000 F à titre de dommages et intérêts et de 8 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et d'ordonner la publication de l'arrêt aux frais de M. V.

Il fait valoir que leur action est recevable par application de l'article 411-11 du Code du travail, que les infractions commises par P. V ont causé un préjudice important à l'ensemble des négociants en meubles qu'elles représentent, que les faits commis ont porté atteinte à la loyauté commerciale, trompé la clientèle au détriment de négociants respectueux de la loi et donc porté atteinte à la profession qu'elles représentent.

L'avocat de la SA Meubles Bouisson a déposé des conclusions pour demander à la cour de condamner A. V à lui payer 300 000 F à titre de dommages et intérêts et 3 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale en faisant valoir que son chiffre d'affaires a baissé de façon importante depuis le mois de septembre 1993, c'est-à-dire depuis le début des opérations publicitaires d'X,

L'avocat de la SARL JRK Ameublement, de Mobiclub Balp, de la SARL Top Salon, de la SARL Alpes Salon et de M. Donnadieu-M. Meuble a déposé des conclusions contenant ses demandes dans le dispositif suivant :

" - confirmer les jugements dont appel en ce qu'ils ont condamné M. V coupable :

* du délit de publicité mensongère,

* du délit de tromperie sur les qualités substantielles,

* du délit prévu et réprimé par l'article 121-15 du Code de la consommation,

* de la contravention au titre de l'article R. 262-1 du Code du travail,

* de la contravention portant sur l'absence des mentions obligatoires sur les notices de présentation des meubles,

* de la contravention portant sur l'absence d'affichage du tarif de livraison à la vue des clients,

- voir la cour constater que ces infractions continuent de perdurer,

- réformer le jugement du Tribunal de grande instance de Digne en date du 3 novembre 1994,

- en ce qu'il n'a pas accueilli les demande des parties civiles pourtant constituées à l'audience,

- déclarer recevable, en ce qui concerne l'infraction de repos hebdomadaire les constitutions des parties civiles suivantes :

* la SARL JRK Ameublement,

* la SA Balp Mobiclub,

* la SARL Alpes Salon,

* M, Donnadieu-M. Meuble, Gap,

- réformer les deux jugements rendus en ce qui concerne les indemnisations des parties civiles,

- condamner dus lors M. V à payer à chacune d'elles la somme de :

* réparation du préjudice commercial : 500 000 F,

* réparation du préjudice moral : 1 F,

* article 475-1 du NCPC : 100 000 F,

* frais et dépens : PM,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans "Le Provençal, Le Méridionale, le 04 et le 05" et tous les autres journaux d'annonces distribués gratuitement, aux formats habituellement utilisés, aux frais du détenu,

- ordonner l'affichage pour une durée d'un an et à l'intérieur de tous les magasins exploités par le prévenu, ès qualité de gérant de la SARL X,

- ordonner l'exécution provisoire de l'arrêt à intervenir ".

Il se réfère à un jugement n° 803-04 rendu le 3 novembre 1994, autre que le jugement déféré, par lequel P. V a été reconnu coupable du délit prévu et réprimé par l'article L. 121-15 du Code de la consommation et R. 262-1 du Code du travail, pour avoir employé du personnel salarié dans son magasin le dimanche en faisant valoir que l'ouverture du magasin d'X le dimanche leur a causé un préjudice commercial et financier.

Il invoque le fait que la publicité menée par P. V consiste en un dénigrement ou tentative de dénigrement des professionnels du meuble qui vendent de la marchandise de qualité à un prix normal, qu'elle leur a causé un préjudice commercial se manifestant par : une baisse du budget prévisionnel pour la SARL JRK, une perte de chiffre d'affaires pour Mobiclub, un manque à gagner, conséquence du détournement de clientèle.

L'Association pour l'information et la défense des consommateurs salariés, qui a déposé des documents justifiant de sa qualité pour agir, a demandé la confirmation du jugement.

Motifs de la décision :

Attendu que l'arrêt sera rendu par défaut à l'égard de l'Union féminine civique et sociale et de l'Union fédérale des consommateurs des Alpes de Haute-Provence, parties civiles non comparantes et contradictoirement à l'égard de toutes les autres parties, lesquelles ont comparu ;

Attendu que les appels interjetés dans les formes et délais sont recevables ;

Sur l'action publique :

Attendu que la cour se réfère à l'exposé des faits contenu dans le jugement dont elle adopte les motifs, ajoutant seulement, pour répondre aux conclusions déposées, devant la cour, que :

- l'absence de date du rapport signé par M. Courtin, C. Pastorel, J. Clair, qualifié à tort de procès-verbal dans les conclusions déposées pour P. V, et les liens amicaux qui existeraient entre l'un des agents de la Direction Régionale de la Concurrence et Consommation ayant signé ce rapport, liens qui ne sont pas prouvés par celui qui les allègue, n'enlèvent en rien à la valeur des constatations et investigations effectuées par les OPJ de la gendarmerie, relatés dans des procès-verbaux réguliers, ayant et servi de fondement aux poursuites,

- les faits de publicité mensongère poursuivis et dont P. V a été déclaré coupable, ne sont pas constitués par la mention "suite annulation et impayé" ; dès lors, la production de justificatifs établissant la réalité de cette mention est inopérante,

- la tromperie sur la qualité des meubles vendus et la publicité de nature à induire en erreur sur la qualité des meubles ne s'entend pas d'un défaut de qualité des meubles vendus, mais d'une discordance entre leurs caractéristiques et celles annoncées dans les étiquettes descriptives et publicité, comme par exemple la présence d'éléments en plastiques ou de panneaux de particules dans des meubles présentés comme en bois massif,

- P. V produit des attestations de Denise R, Muriel R, Jacqueline T, datées du 14 juin 1995, suivant lesquelles les magasins ne sont ouverts, depuis le mois de janvier 1985 qu'une à deux fois par mois ; ces attestations ne valent que pour une période postérieure à celle de la commission des faits tout comme le remplacement de la mention valeur par estimation ou la suppression de la mention SHOWROOM.

Elles ne sauraient justifier une relaxe, les infractions ayant bien été commises au moment visé dans l'acte de poursuite ;

Attendu que le jugement sera confirmé en ce que P. V a été déclaré coupable des délits qui lui sont reprochés et sur les peines prononcées en répression de ces délits, justement appréciés ;

Attendu que la loi d'amnistie n° 95-884 du 3 août 1995, prévoit en son article 1er que sont amnistiées toutes les contraventions de police commises avant le 18 mai 1995; que les contraventions poursuivies commises courant 1994 entrant dans le cadre de cette loi, l'action publique doit être déclarée éteinte en ce qui les concerne, par application de l'article 6 du Code de procédure pénale ;

II. Sur l'action civile :

Attendu que les trois associations de consommateurs, qui justifient de leur qualité à agir et dont l'objet est la défense des intérêts des consommateurs sont recevables à agir ;qu'il est manifeste que les pratiques de publicités mensongères et tromperie sur la qualité des marchandises vendues causent un préjudice à l'ensemble des consommateurs, qui doit être réparé ;que le jugement sera confirmé en ce qui concerne les sommes allouées à ces trois parties civiles ;

Attendu que les faits commis par P. V ont causé un préjudice direct à l'ensemble de la profession dont il fait partie et représentée par la Fédération nationale des négoces de l'ameublement et la Chambre syndicale de l'ameublement de Provence, recevables à agir ;que le jugement sera confirmé en ce qui concerne les sommes allouées à ces deux parties civiles, le préjudice étant constitué par l'atteinte aux intérêts de la profession qu'elles représentent (laquelle voit discréditer son image et sa crédibilité) et suffisamment réparé par les sommes allouées par le tribunal ;

Attendu que les autres parties civiles, commerçants concurrents directs de P. V, sont recevables à agir ; qu'en effet, la publicité mensongère n'est pas réprimée dans I'intérêt exclusif des consommateurs mais pour assurer la loyauté de la concurrence, élément fondamental dans un système d'économie libérale ; que les méthodes publicitaires de P. V destinées à emporter des ventes, en trompant les consommateurs pour les convaincre d'acquérir de préférence dans son magasin, causant directement un préjudice à ses concurrents qui ont vu leur chiffre d'affaires baisser de façon importante alors que le sien croissait dans des proportions inverses ;

Attendu que le jugement sera confirmé sur les dommages et intérêts alloués aux parties civiles, lesquelles ne démontrent pas, documents probants à l'appui, que ceux-ci sont insuffisants ; que d'autre part certaines allèguent l'existence d'un préjudice causé par des infractions dont la cour n'est pas saisie, comme l'ouverture du magasin X le dimanche, comme fondement d'une partie de leurs demandes ;

Attendu que le jugement sera confirmé sur les sommes allouées au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale par le tribunal ; qu'il sera ajouté au jugement en condamnant P. V à payer à chacune des parties civiles à l'exception des associations de consommateurs, la somme de 2 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour les frais irrépétibles d'appel ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de P. V, de la Fédération nationale du négoce de l'ameublement, la Chambre syndicale de l'ameublement de Provence, la société anonyme Meubles Bouisson, la SARL JRK Ameublement, la société Balp-Mobiclub, la SARL Top Salon, LA SARL Alpes-Salon, M. Donadieu-M. Meuble, l'Association pour la défense des consommateurs salariés, par défaut à l'égard de l'Union féminine civique et sociale et de l'Union fédérale des consommateurs des Alpes de Haute-Provence, en matière correctionnelle, En la forme, reçoit les appels, Au fond, Sur l'action publique 1) pour les délits Confirme le jugement en toutes ses dispositions 2) pour les contraventions Constate que l'action publique est éteinte par l'amnistie, Sur l'action civile Confirme le jugement et y ajoutant condamne P. V à payer à chacune des parties civiles suivantes : - la Fédération nationale du négoce de l'ameublement, - la Chambre syndicale de l'ameublement de Provence, - la société anonyme des Meubles Bouisson, - la SARL JRK Ameublement, - la société Balp Mobiclub, - la SARL Tousalon, - la SARL Alpes Salon, - M. Donadieu-M. Meuble, la somme de 2 000 F pour les frais irrépétibles d'appel par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, dit qu'en application des dispositions de l'article 473 du Code de procédure pénale modifié par la loi 93-2 du 4 janvier 1993, la contrainte par corps s'exercera conformément aux dispositions des articles 749 et suivants du Code de procédure pénale. Le tout conformément aux articles visés au jugement, au présent arrêt et aux articles 512 et suivants du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné.