CA Rennes, 3e ch. corr., 28 novembre 1996, n° 95-01754
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Union départementale de la confédération syndicale du cadre de vie, Union fédérale des consommateurs de Brest
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Segondat
Avocat général :
M. Drouet
Conseillers :
MM. Debons, Le Corre
Avocats :
Mes Chevallier, Lévita, Gloaguen.
Rappel de la procédure :
Le jugement :
Le Tribunal correctionnel de Brest, par jugement contradictoire en date du 26 septembre 1995, pour :
B Jean-Michel
- tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise
- publicité mensongère ou de nature à induire en erreur
C Jean Pierre
- publicité mensongère ou de nature à induire en erreur
J André
- tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise
- publicité mensongère ou de nature à induire en erreur
L Michel
- tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise
- publicité mensongère ou de nature à induire en erreur
P Michel
- tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise
- publicité mensongère ou de nature à induire en erreur
Sur l'action publique :
- a renvoyé MM. B, L et J des fins de la poursuite.
- a condamné MM. P et C à une amende de 12 000 F, chacun.
Sur l'action civile :
- a condamné solidairement MM. P et C à payer :
* à l'association "Union départementale du cadre de vie" (CSCV) 4 000 F à titre de dommages-intérêts pour les frais non répétibles
* à l'Union fédérale des consommateurs de Brest (UFC) 4 000 F à titre de dommages-intérêts et 2 000 F au titre des frais non répétibles.
Les appels :
Appel a été interjeté par :
L' Union départementale de la confédération syndicale du cadre de vie et l'Union fédérale des consommateurs de Brest, parties civiles, le 6 octobre 1995, à titre principal, contre l'ensemble des prévenus
M. le Procureur de la République, le 6 octobre 1995, à titre incident, contre MM. P et C
Monsieur Penn Michel, prévenu, le 11 octobre 1995, à titre incident, sur les dispositions pénales et civiles
La prévention :
Considérant qu'il est fait grief au prévenu L Michel :
- d'avoir sur le territoire national, courant 1991, trompé le consommateur, contractant sur les qualités substantielles de spiritueux.
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation.
- d'avoir à Gouesnou, courant 1991, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur la nature des spiritueux offerts à la vente d'un bien ou d'un service ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, L. 121-6 al. 1, L. 213-1 et L. 121-4 du Code de la consommation.
Considérant qu'il est fait grief au prévenu C Jean-Pierre :
- d'avoir à Gouesnou, courant 1991, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur la nature de spiritueux offerts à la vente d'un bien ou d'un service ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, L. 121-6 al. 1, L. 213-1 et L. 121-4 du Code de la consommation.
Considérant qu'il est fait grief au prévenu J André
- d'avoir sur le territoire national, courant 1991, trompé le consommateur, contractant, sur les qualités substantielles de spiritueux ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation.
- d'avoir sur le territoire national, courant 1991, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur la nature de spiritueux offerts à la vente d'un bien ou d'un service ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, L. 121-6 al. 1, L. 213-1 et L. 121-4 du Code de la consommation.
Considérant qu'il est fait grief au prévenu B Jean-Michel :
- d'avoir sur le territoire national, courant 1991, trompé le consommateur, contractant sur les qualités substantielles de spiritueux ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du, Code de la consommation.
- d'avoir à Gouesnou, courant 1991, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur la nature des spiritueux offerts à la vente d'un bien ou d'un service ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, L. 121-6 al. 1, L. 213-1 et L. 121-4 du Code de la consommation.
Considérant qu'il est fait grief au prévenu P Michel :
- d'avoir sur le territoire national, courant 1991, trompé le consommateur, contractant sur les qualités substantielles de spiritueux ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation.
- d'avoir à Gouesnou, courant 1991, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur la nature des spiritueux offerts à la vente d'un bien ou d'un service ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, L. 121-6 al. 1, L. 213-1 et L. 121-4 du Code de la consommation.
En la forme :
Considérant que les appels sont réguliers et recevables en la forme ;
Au fond :
Expose des faits et des demandes
Le 30 avril 1991, le groupement Edouard X, dont le président du conseil d'administration est M. André J et le responsable des achats M. Michel L, adressait à la Direction Départementale du service de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du Finistère une lettre lui demandant son avis sur deux étiquettes de spiritueux à base de Gin et de Vodka qu'il envisageait d'apposer sur des bouteilles vendues sous ses marques de distribution : "1" et "2" (D 11). Par lettre du 16 mai suivant, cette administration lui répondait que ces deux boissons alcoolisées ayant un titre alcoolémique inférieur au minimum de 37,5 % fixé par le règlement CEE du 29/05/1989 n'avaient pas le droit à l'appellation Gin ou Vodka figurant en gros caractère sur les étiquettes alors que les mentions "spiritueux au Gin ou à la Vodka" n'étaient portées qu'en petits caractères au bas de l'étiquette (D 10).
Courant septembre 1991, la société Y, centrale d'achat des magasins à l'enseigne X pour la Bretagne, diffusait à 668 553 exemplaires un dépliant publicitaire où figuraient les alcools sus-désignés sous les mentions
- "Gin 1" 30°
- "Vodka 2" 30°
De plus, sur la même publicité, se trouvait également une boisson alcoolisée ainsi désignée
- "Whisky 3" 40° (D 43).
Le 19 septembre suivant, des agents du service précité se rendaient au magasin à l'enseigne X de Guilers (Finistère) où ils constataient que ces trois produits étaient mis en rayon avec des écriteaux de couleur fluorescente mentionnant, outre leur prix, les dénominations de : "Vodka 2" - "Gin 1" et "Whisky 3 " (D 33 - D 40).
Les étiquettes apposées sur les bouteilles contenant les deux premiers produits étaient identiques à celles ayant fait l'objet de remarques critiques des services compétents en juin de la même année (D 34 - D 41). Celle apposée sur les bouteilles de "Whisky" portait en lettres de couleur brune la mention "spiritueux a base de" et en caractères de couleur blanche la mention "Whisky" (D 34).
L'enquête permettait d'apprendre que les produits vendus sous l'appellation "Gin 1" et "Vodka 2" avaient été fabriquées, embouteillées et étiquetées par la société anonyme Z : "M", sise à Charenton, dirigée par Jean-Pierre C et référencés, par la centrale G, suivant un contrat de "coopération commerciale" en date du 2 juillet 1990 dont l'article 7 laissait au seul fournisseur la responsabilité du conditionnement du produit, notamment de son étiquetage (D 20/3). M. V, directeur d'exploitation de la société "M" déclarait que si les étiquettes de ces produits qui avaient été vendus à la S comme spiritueux à base de Gin ou de Vodka étaient "conformes", elles n'en étaient pas moins "ambiguës" (D 70). Par ailleurs, le "Whisky" avait été acheté par la S à la société "W" qui avait procédé à l'étiquetage (D 31).
M. Michel P, responsable du groupe de travail "liquides" à la S, titulaire d'une délégation de pouvoir et responsabilité de son dirigeant Jean-Michel B (D 33), déclarait que l'erreur commise sur le dépliant publicitaire était due à ce que l'agence de publicité avait mal repris les indications données (D 6). Michel L, responsable du groupe de travail "liquides" au sein de la société G, se référait à l'article 7 du contrat susvisé pour exclure toute responsabilité de la centrale de référencement dirigée par M. André J (D.21).
Considérant que l'UFC de Brest et la CSCV du Finistère, parties civiles, associations titulaires de l'agrément prévu par l'article 46 de la loi du 27/12/1973, demandent à la cour de réformer le jugement et de :
- déclarer les cinq prévenus coupables des faits visés à la prévention
- de les condamner à payer 100 000 F, à titre de dommages-intérêts, à chacune, outre 5 000 F pour les frais non répétibles d'appel.
Considérant que Jean-Pierre C demande sa relaxe en faisant valoir :
- que les étiquettes apposées sur la bouteille de spiritueux au Gin et à la Vodka n'étaient pas susceptibles de laisser penser au consommateur qu'il s'agissait de Gin ou de Vodka véritable dans la mesure où elles portaient la mention "spiritueux au Gin et à la Vodka" et également celle de "SPIRIT", suivie pour la boisson au Gin de l'indication "SPECIAL COCKTAIL" qui avertissait clairement l'acheteur qu'il s'agissait d'un mélange.
De plus, contrairement au Gin ou à la Vodka véritable, les bouteilles ne portaient pas les étiquettes "tour de goulot" caractéristiques de l'embouteillage de ces alcools. Enfin, le spiritueux au Gin était embouteillé dans un récipient à base circulaire et non rectangulaire comme les bouteilles de Gin,
- qu'il s'est conformé à la législation applicable à l'époque des faits. En effet, les règlements CEE du 14 décembre 1989 et du 19 décembre 1990 ont autorisé la commercialisation jusqu'au 14 décembre 1991 des produits mis en élaboration avant le 15 juin 1990 et dont l'élaboration était achevée avant le 15 décembre 1990 sous une présentation conforme aux dispositions préexistantes à celles instituées par le règlement CEE du 29 mai 1989 ; ces dispositions antérieures autorisant la commercialisation sous les dénominations de Gin ou de Vodka de produits contenant, comme en l'espèce, moins des 37,5 % d'alcool volumique fixé par l'article 3 du règlement du 29 mai 1989,
- qu'enfin, l'article 9-1 du même règlement qui interdit la mention dans leur présentation du terme générique de l'alcool lorsque celui-ci est additionné d'alcool éthylique d'origine agricole ne vise ni le Gin, ni la Vodka.
Considérant que Michel P, outre les moyens développés par Jean-Pierre C, sur les étiquettes des bouteilles de spiritueux au Gin et à la Vodka, fait valoir sur ce point que l'article 7 du contrat de coopération commerciale signé entre "LA M" et le "G" laissait au premier la responsabilité de la conformité de l'étiquetage ;
Que, dès lors, en achetant ces produits, il était fondé à considérer qu'ils étaient conformes à la réglementation applicable ;
Qu'en ce qui concerne le dépliant publicitaire, il soutient que l'erreur commise résulte d'une mauvaise exécution des instructions données par la Y au publicitaire et qu'en tout état de cause, elles ne pouvaient induire en erreur le consommateur qui pouvait se référer, avant l'achat, aux étiquettes apposées sur les bouteilles ;
Considérant qu'à titre subsidiaire, il indique qu'il exerce à titre bénévole les fonctions de responsable "liquides" au sein de la S.
DISCUSSION
Sur la tromperie :
Considérant que, suivant, l'article 3 du règlement CEE n° 1576-89 du 29 mai 1989, pour pouvoir être vendus sous la dénomination de Gin ou de Vodka, les boissons spiritueuses ainsi dénommées doivent avoir un titre en alcool de 37,5 % ;
Qu'en l'espèce, les boissons fabriquées et vendues par la société "M" à la SA S ne titrait que 30 % d'alcool;
Qu'elles n'avaient donc pas le droit à l'appellation "Gin" ou "Vodka" ;
Qu'en effet, pour bénéficier des dérogations instituées par les règlements des 14 décembre 1989 et 19 décembre 1990, ces boissons auraient dues être entièrement élaborées, c'est à dire embouteillées et étiquetées dans le meilleur des cas avant le 31 mars 1991, or les étiquettes, établies par le G n'ont pu être apposées par la société "M" qu'après le 30 avril 1991, date à laquelle elles avaient été soumises pour avis au service de la concurrence et de la consommation;
Considérant que ces étiquettes par l'emploi des termes "Gin" et "Original Vodka", en gros caractères, au milieu de l'étiquette, alors que les expressions spiritueux au Gin ou à la Vodka étaient mentionnées en petits caractères, au bas de l'étiquette, trompaient le consommateur moyen en lui laissant croire qu'il s'agissait de boissons correspondant au terme générique de Gin ou de Vodka;
Qu'à cet égard, peu importe la forme de la bouteille ou l'absence d'étiquette "tour de goulot" qui n'ont de signification que pour un connaisseur ou la mention "spécial cocktail" ce terme désignant certes un mélange mais aussi une forme de réception où Gin ou Vodka sont couramment servis;
Que cette infraction est donc bien constituée à la charge des responsables de la S qui ne sauraient valablement se retrancher derrière l'article 7 du contrat de coopération passé entre la société "M" et le "G" dans la mesure d'une part où la société S, acheteuse des produits, n' y était pas partie et où d'autre part il leur appartenait aussi de vérifier, avant sa mise en vente au consommateur final, la conformité de l'étiquette au contenu des bouteilles ;
Que Michel P, acheteur de la S dans le domaine des "liquides", délégataire de pouvoirs et responsabilités notamment en matière d'étiquetage depuis le 13/10/1988, est bien pénalement responsable de cette infraction ;
Qu'en revanche, Jean-Michel B également visé par l'appel des parties civiles, ayant valablement délégué ses pouvoirs à son subordonné a été à juste titre renvoyé des fins de la poursuite par les premiers juges ;
Considérant, pour ce qui est de la responsabilité d'André J et Michel L, respectivement président du conseil d'administration de la SA "G" et responsable des achats de cette centrale de référencement des magasins L, également visés par l'appel des parties civiles, qu'elle peut également être retenue de ce chef dans la mesure où d'une part il résulte clairement du courrier adressé le 30 avril 1991 aux services compétents de la DCCRF du Finistère que cette société a conçu l'étiquette apposée sur les bouteilles de spiritueux au Gin et à la Vodka, sans tenir compte des observations que cette administration lui avait adressée le 16 mai 1991 et d'autre part que cette société est propriétaire des marques 2 et 1 sous lesquelles ces produits étaient distribués ;
Que la décharge de responsabilité en matière d'étiquetage figurant à l'article 7 du contrat de coopération commerciale passé avec la société "M" n'est d'aucun effet devant la juridiction répressive compte tenu notamment de leur implication dans l'élaboration des étiquettes litigieuses ;
Sur la publicité mensongère :
Considérant que Jean-Pierre C, dirigeant de la SA "LA M" ayant apposé les étiquettes mensongères sur les spiritueux au Gin ou à la Vodka qu'il fabriquait puis vendait à la société S, s'est bien rendu coupable de publicité mensongère ;
Qu'il en va de même pour les raisons ci-dessus exposées, en ce qui concerne Michel P;
Que la culpabilité de ce chef de Michel P, André J et Michel L sera également retenue, et celle de Jean-Michel B exclue, pour les motifs exposés plus haut en ce qui concerne le délit de tromperie ; l'étiquette étant un vecteur de publicité ;
Considérant, enfin, que Michel P s'est également rendu coupable de publicité mensongère en présentant sur le dépliant publicitaire édicté par la société S en vue de l'opération promotionnelle du 11 au 21 septembre 1991, les spiritueux au Whisky, au Gin ou à la Vodka comme des boissons ayant droit à l'appellation générique de Whisky, Gin ou Vodka;
Considérant, sur la peine, qu'il convient de lui infliger une amende de 50 000 F ;
Que le montant de l'amende infligée à Jean-Pierre C sera de 30 000 F, celui-ci ayant déjà été condamné pour des faits similaires ;
Que la publication de l'arrêt sera ordonnée.
Considérant que les associations, parties civiles, qui ont pour objet la défense des consommateurs, ont subi du fait des agissements de Michel P, André J, Michel L et Jean-Pierre C un préjudice moral qu'ils seront solidairement condamnés à réparer par le versement d'une indemnité de 10 000 F, à chacune, outre la somme de 3 000 F au titre des frais non répétibles d'appel ; ceux alloués en première instance étant confirmés ;
Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement et contradictoirement, en la forme, Reçoit les appels, au fond, Sur l'action publique, Confirme le jugement du Tribunal correctionnel de Brest sur la qualification des faits et la déclaration de culpabilité de Michel P et Jean-Pierre C, Le réformant sur la peine, Condamne Michel P à une amende de 50 000 F et Jean-Pierre C à une amende de 30 000 F, Ordonne la publication, par extraits, comprenant les noms des prévenus, leur adresse, la prévention et le dispositif, aux frais des condamnés Michel P et Jean-Pierre C, dans la limite de 4 000 F par insertion, dans les journaux "Le Télégramme de Brest" et "Ouest-France", éditions de Brest ; Sur l'action civile, Réformant le jugement, sauf sur les frais non répétibles, Condamne solidairement Michel P, Jean-Pierre C, André J et Michel L à payer à la CSCV du Finistère et à l'UFC de Brest dix mille francs (10 000 F) à titre de dommages-intérêts, à chacune, outre trois mille francs (3 000 F) au titre des frais non répétibles d'appel. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chacun des condamnés, Michel P et Jean-Pierre C, Prononce la contrainte par corps, Le tout par application des articles susvisés, 800-1, 749 et 750 du Code de procédure pénale.