CA Paris, 13e ch. B, 23 avril 1998, n° 97-06614
PARIS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sauret
Avocat général :
Mme Auclair
Conseillers :
Mmes Verleene-Thomas, Marie
Avocat :
Me Poyet.
Rappel de la procédure :
Le jugement :
Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré J Gérard coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise le 26 juillet 1995 à Fresnes, infraction prévue et réprimée par l'article L. 213-1 Code de la consommation,
et, en application de ces articles, l'a condamné à 3 mois d'emprisonnement avec sursis, 50 000 F d'amende.
L'appel :
Appel a été interjeté par :
Monsieur J Gérard, le 23 juin 1997
Décision :
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur l'appel régulièrement interjeté par le prévenu à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour l'exposé de la prévention;
J Gérard demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamné en qualité de gérant de divers établissements de restauration faute d'avoir porté les mentions prescrites par la loi, de constater l'absence de preuve des faits reprochés, de constater à titre subsidiaire la délégation de M. D, tant dans le fond que dans la forme, de constater à défaut son absence d'intention frauduleuse et le relaxer purement et simplement des faits de la poursuite.
Il expose à cet effet qu'il avait donné délégation, pleine et entière, à D Thierry, le 1er janvier 1994, en matière d'hygiène alimentaire, qu'il exerçait la fonction de directeur de la centrale d'achats, qu'il bénéficiait en tant que directeur de la société et chef d'établissement, de manière effective et permanente de tout pouvoir pour assurer de la façon la plus efficace qui soit, la sécurité alimentaire, qu'il disposait, à cet effet, de tous les moyens matériels, techniques et financiers nécessaires pour l'accomplissement de sa mission, qu'il avait accepté cette délégation de pouvoirs, par mention spécifique ainsi que l'engagement de sa responsabilité pénale, qu'il assumait seul, sous son entière responsabilité la direction de l'établissement de Fresnes et la société X, qu'il avait tout particulièrement connaissance de la méthode de conservation et des méthodes de traitement des denrées alimentaires dont il devait assumer la responsabilité, qu'il a seul comparu durant l'enquête de même que lors de la mise en conformité vis-à-vis des infractions poursuivies, que la jurisprudence de la Chambre criminelle a désormais admis le principe de la délégation en matière de délit de tromperie et de publicité trompeuse, que les présentes poursuites omettent totalement de considérer la nécessité d'une intention frauduleuse à l'encontre de lui-même, qu'il résulte de toute évidence qu'il n'a nullement été informé des qualités des viandes livrées dans les différents restaurants de la chaîne Y, qu'ainsi il ne s'est pas soustrait aux obligations qui lui imposaient, puisqu'il a obtenu le bénéfice de la norme européenne, brevet délivré par le bureau Veritas International après avoir satisfait à un cahier des charges d'une certaine rigueur en matière de préparation, distribution et livraison de produits de négoce en produits transformés, pâtisserie, viandes, poissons, légumes et plats cuisinés " destinés à la restauration " c'est pourquoi il demande sa relaxe.
Le Ministère public, quoique non-appelant, demande à la cour la confirmation du jugement entrepris, en raison de la gravité des faits et du nombre de restaurants ainsi livrés, avec de la viande appelée chevillard et destinées à la grillade sans indiquer qu'elle avait été attendrie.
Sur ce, LA COUR
Le 26 juillet 1995 les inspecteurs de la Direction Générale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes se présentaient à la société X, SARL, située <adresse>à Fresnes. L'activité de cette société est l'achat, la préparation et la transformation de tout produits alimentaires solides ou liquides, et la distribution de plats cuisinés dans tous types d'établissements industriels ou commerciaux, essentiellement des restaurants.
Ils constataient dans le laboratoire boucherie de l'établissement, la présence d'un attendrisseur de viande de marque Coupax ; ce type de machine est destiné à rendre plus tendre des morceaux de viande en la faisant transpercer par un grand nombre de lames d'acier, pratique qui peut être autorisée en suivant les prescriptions réglementaires déterminées par l'arrêté du 12 novembre 1985 réglementant l'hygiène de la préparation des viandes attendries destinées à la consommation, selon les dispositions prévues par le Décret du 2 juillet 1971.
Lors du contrôle l'appareil était en cours d'utilisation, le responsable de l'atelier boucherie a indiqué que les morceaux objets de l'attendrissage étaient du tendron de tranche.
Ils ont constaté dans la chambre froide attenante la présence de 148 paquets préemballés de viande attendrie selon ce procédé, conditionnés et stockés en vue de leur vente, d'un poids variant entre 2 kilos 30 et 2 kilos 50.
Cet appareil acheté par la société X le 1er décembre 1994 n'a pas fait l'objet d'une déclaration à la Direction Départementale des Services Vétérinaires, selon les dispositions de l'arrêté ministériel du 18 juillet 1977 relatif à l'hygiène et à la préparation des viandes découpées, désossées ou non ; ils doivent en outre comporter un local nécessaire à l'attendrissage des viandes.
L'article 16 du Décret du 12 novembre 1985 prévoit qu'en aucun cas les viandes attendries, découpées et conditionnées ne peuvent être commercialisées dans un délai supérieur à quarante huit heures. En outre, toutes les opérations subies par ces viandes, après attendrissage, doivent répondre aux prescriptions de l'arrêté du 18 juillet 1977. Tout autre procédé de préparation et de conservation doit faire l'objet d'une autorisation du ministère de l'Agriculture.
Le délai de consommation indiqué sur les viandes portant la marque X est de 20 jours, sans que cette durée résulte d'une demande d'autorisation particulière. La société X ne disposait d'aucune étude bactériologique effectuée sur le produit, pouvant prouver que ce produit restait propre à la consommation humaine, jusqu'à la date limite de consommation. Le délai de 20 jours indiqué sur des viandes attendries est particulièrement important et risqué d'un point de vue hygiénique or aucune mention de "viande attendrie" ne figurait sur les étiquetages des 148 unités de viande attendrie lors du contrôle du 26 juillet 1995.
La dénomination de vente mentionnée sur les unités de vente, comme sur les documents commerciaux était "Chevillard" ; cette dénomination de vente ne permet pas de décrire la denrée de façon explicite, puisqu'elle ne précise pas de quel type de viande il s'agit, ni de quel morceau ; elle aurait dû préciser qu'il s'agissait de "Tendre de tranche".
Gérard J expose que si des infractions à l'arrêté du 12 novembre 1985 ont été commises, elles ne lui sont pas imputables, ayant délégué ses pouvoirs dans ce domaine à son co-prévenu par acte du 1er janvier 1994. Il fait plaider par ailleurs qu'en toute hypothèse, de par sa position, il n'a fait preuve d'aucune intention coupable, ignorant les infractions commises au sein de sa société.
Sur ce, LA COUR
Au vu des constatations effectuées par la Direction de la Répression des Fraudes dans son procès-verbal du 23 janvier 1996, constate qu'il y a connexité au sens de l'article 203 du Code de procédure pénale, en ce que la commission des infractions reprochées à Thierry D a permis la consommation du délit de tromperie reproché à Gérard J. La prévention est établie à l'égard de Gérard J, peu importe qu'il ait valablement ou non délégué ses pouvoirs en matière d'hygiène et de sécurité alimentaire puisqu'en toute hypothèse une telle délégation ne pouvait l'exonérer de sa responsabilité de gérant telle qu'encourue en mettant en vente, comme il l'a fait, par le biais des restaurants qu'il approvisionne de la viande appelée "chevillard" et destinée à la grillade, sans indiquer qu'elle a été attendrie. Sa responsabilité personnelle de gérant apparaît devoir d'autant plus être retenue que cette tromperie dangereuse pour la santé dans les circonstances où elle était commise, comme il a été dit plus haut, paraît être ancienne au sein de ses établissements.
Il y a lieu par suite d'infliger au prévenu la sanction qui figure au dispositif.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel du prévenu, Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité. L'infirme en répression, Condamne Gérard J à 50 000 F d'amende. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.