CA Lyon, 7e ch. corr. A, 13 septembre 2000
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
UFC des Pyrénées Orientales
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fournier
Substitut général :
M. Bazelaire
Conseillers :
M. Gouverneur, Mme Saleix
Avocats :
Mes Tchekhoff, Levy, Clement, Marechal
Par arrêt en date du 9 mars 1999 la chambre criminelle de la Cour de cassation, sur pourvoi du Procureur général près la Cour d'appel de Montpellier, a cassé et annulé l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier en date du 8 avril 1997 et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Lyon pour être statué à nouveau sur les appels interjetés d'un jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Perpignan le 5 février 1996.
Attendu que, lors d'un contrôle effectué le 27 mai 1994 sur le marché d'intérêt national de Rungis et portant sur les produits mis en vente par la société X, les agents de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, ont constaté que, parmi un lot de colis de pêches en provenance d'Espagne, une part importante des fruits (62,85 %) présentaient un calibre inférieur à celui indiqué sur l'emballage en application de la réglementation communautaire ; que 40 colis de pêches lui avaient été fournis le 26 mai 1994 par la société B, dont le responsable était Jean-Pierre B, directeur général, commissionnaire en fruits et légumes au marché international de Perpignan ; que ces 40 colis provenaient d'un lot de 880 colis qui avaient été livrés à la société B par la société Y à Séville;
Attendu que Jean-Pierre B a été poursuivi pour avoir trompé le consommateur sur les qualités substantielles de la marchandise en mettant sur le marché des pêches d'un calibre inférieur à celui annoncé ;
Attendu que par jugement en date du 5 février 1996, le Tribunal de grande instance de Perpignan a déclaré Jean-Pierre B coupable de ce délit de tromperie, l'a condamné à 30 000 F d'amende, a ordonné la publication par extraits de sa décision dans le journal "L'indépendant" et l'a condamné à payer à l'Union fédérale des consommateurs des Pyrénées-Orientales (UFC des PO), reçue en sa constitution de partie civile, la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 1 500 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'il a été régulièrement interjeté appel de ce jugement par le prévenu, par le Procureur de la République et par la partie civile ;
Attendu que par arrêt en date du 8 avril 1997, la Cour d'appel de Montpellier, infirmant le jugement du 5 février 1996, a renvoyé Jean-Pierre B des fins de la poursuite et débouté l'UFC des Pyrénées-Orientales de sa constitution de partie civile ;
Attendu que pour statuer ainsi la Cour d'appel de Montpellier a considéré que les fruits en cause ayant fait l'objet, en Espagne, d'un contrôle par un organisme agréé, Jean-Pierre B n'avait pas à pratiquer un autre contrôle systématique et qu'en lui reprochant le délit de tromperie pour avoir mis à la disposition des consommateurs français des marchandises non conformes à l'étiquetage européen mis en place par le producteur espagnol, la poursuite tend à imputer l'origine de la fraude au commissionnaire français qui n'en est pas responsable ; que la cour a énoncé que dès lors qu'une marchandise passe d'un Etat membre de l'Union européenne dans un autre Etat membre, le principe de la libre circulation des marchandises au sein du marché unique européen interdit de sanctionner l'un des acteurs économiques sur le fondement d'un texte qui aurait pour effet direct ou indirect d'être restrictif à ce principe communautaire ;
Attendu que, sur pourvoi formé par le Procureur général près la Cour d'appel de Montpellier, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier en date du 8 avril 1997 et a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Lyon ;
Sur l'action publique:
Attendu qu'aux termes de la citation qui lui a été délivrée le 27 octobre 1995, Jean-Pierre B est prévenu "d'avoir à Rungis (94), le 27 mai 1994, trompé le consommateur sur les qualités substantielles de la marchandise en mettant sur le marché des pêches d'un calibre inférieur à celui annoncé, faits prévus par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimés par les articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 dudit Code";
Attendu que le contrôle auquel il a été procédé le 27 mai 1994, sur le MIN de Rungis, par les agents de la DCCRF, leur a permis de constater, selon les termes mêmes de leur procès-verbal du 17 octobre 1994, que 30 colis de pêches avaient été expédiés par la SA B sous la désignation "VALERITA MELOCOTON SPRINGCREST CAT I A 28"; que selon ces indications, ces pêches devaient satisfaire aux normes de qualité fixées par le règlement CEE n° 3596-90 du 12 décembre 1990 modifié par les règlements n° 1107-91 (JOCE du 01/5/1991) et 1169-93 (JOCE du 14/05/1993) et, notamment, présenter un diamètre compris entre 67 millimètres inclus et 73 millimètres exclus ; que les vérifications opérées ont révélé que sur dix plateaux contenant 28 fruits pris au hasard dans le lot, 62,85 % des pêches étaient d'un diamètre inférieur à 67 millimètres et ne relevaient donc pas du calibre A annoncé, alors que la tolérance admise est de 10 % en nombre ou en poids de pêches s'écartant du calibre mentionné sur le colis ;
Attendu que le calibre d'un fruit est une de ses qualités substantielles ;
Attendu que Jean-Pierre B a déclaré qu'un auto-contrôle systématique des arrivages était effectué et qu'il ne contestait pas que "sur une expédition de 15 tonnes de marchandises dans le même camion, quelques colis soient passés au travers des vérifications qui sont faites par sondage";
Attendu que l'élément matériel de l'infraction est donc établi ; que le prévenu qui ne conteste pas l'existence de cet élément, soutient en revanche que l'élément intentionnel du délit qui lui est reproché fait défaut dès lors qu'il avait fait procéder à des auto-contrôles par sondage selon une méthodologie admise par l'administration ;
Attendu que l'article L. 213-1 du Code de la consommation réprime "quiconque, qu'il soit ou non partie au contrat, aura trompé ou tenté de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers :
1°) soit sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises;
2°) soit sur la quantité des choses livrées ou sur leur identité pour la livraison d'une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l'objet d'un contrat ;
3°) soit sur l'aptitude à l'emploi, les risques inhérents à l'utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d'emploi, ou les précautions à prendre";
Attendu que ce texte est bien applicable à l'espèce qui est relative à la mise en vente de marchandises non conformes aux indications sur leurs qualités substantielles portées sur l'étiquetage ; qu'en effet, si, selon l'article L. 214-2 du Code de la consommation, constitue une contravention de la troisième classe le défaut de conformité du produit aux mentions de l'étiquetage prévu par un décret pris en application de l'article L. 214-1 du même Code, lorsque l'inexactitude de l'étiquetage porte sur une qualité substantielle de la marchandise, les faits sont constitutifs du délit de tromperie dont l'élément moral est caractérisé par le simple fait de ne pas avoir procédé à un contrôle suffisant de la conformité du produit aux prescriptions réglementaires ou à l'étiquetage ;
Attendu que la SA B, qui facture à son nom au tiers acheteur, la SA X, les marchandises fournies par son commettant, la société Y, a la qualité de commissionnaire à la vente et se trouve, comme telle, soumise à l'application de l'article L. 213-1 du Code de la consommation ; qu'en effet, le commissionnaire, que l'article 94 du Code de commerce définit comme étant celui qui agit en son propre nom ou sous un nom social pour le compte d'un commettant, se trouve personnellement et, en principe, seul engagé à l'égard des tiers avec lesquels il contracte et assume la responsabilité du vendeur en ce qui concerne la qualité des marchandises livrées dès lors qu'elles se sont trouvées entre ses mains avant la livraison ; qu'il est donc responsable, y compris pénalement, du contrôle de la qualité et de la conformité des produits ;
Attendu que la SA B comme tout intervenant économique dans le circuit de la distribution commerciale était donc bien tenue, en vertu de l'article L. 213-1 du Code de la consommation, de vérifier la conformité des fruits à leur étiquetage ;
Attendu que Jean-Pierre B a déclaré devant les premiers juges : "On reçoit les marchandises d'Espagne. Nous faisons des auto-contrôles, en accord avec les Fraudes, par sondage. On sonde le maximum de marchandise... Le contrôle a été inefficace sur ces colis" ; que lors de son audition du 3 mars 1995, il avait indiqué: "Nous effectuons un auto-contrôle systématique de nos arrivages. Sur le compte de vente, vous pouvez constater que 40 colis présentaient un problème de calibre et nous avons avisé notre fournisseur";
Mais attendu que le problème de calibrage portant sur 40 colis n'a été signalé au fournisseur espagnol que postérieurement au contrôle opéré par la DCCRF ; que la fiche figurant à la cote 7 révèle que l'ensemble du lot 351 comprenant 880 colis reçus de la société Y avait été jugé conforme quant au calibre des fruits, lors de l'auto-contrôle effectué par la SA B ; que le contrôle de la DCCRF, qui a donc porté sur 10 des 40 colis expédiés à la SA X, lesquels provenaient du lot 351, a, lui, révélé que près de deux fruits sur trois ne présentaient pas le calibre annoncé ; qu'un défaut aussi patent pour un professionnel que l'insuffisance du calibrage de pêches affectant ces fruits dans une telle proportion voisine des deux tiers, n'aurait pas dû échapper à un contrôle sérieux ;
Attendu que Jean-Pierre B a reconnu qu'il réceptionnait quotidiennement quelques "100 000 kg de marchandises représentant une quantité de 125 000 à 135 000 colis (cagettes) dans son magasin"; qu'en n'affectant que deux salariés aux opérations de vérifications, ainsi qu'il l'a précisé devant la cour, Jean-Pierre B n'a pas organisé de manière suffisante pour être efficace le système de contrôle qu'il lui incombait, en tant que dirigeant social, de mettre en place ; qu'il n'a pas pu ne pas avoir conscience de l'insuffisance de l'affectation de deux personnes à des opérations de contrôle portant sur des quantités de marchandises aussi importantes que celles précisées ci-dessus ; que l'élément moral de l'infraction de tromperie est ainsi caractérisé à son encontre ;
Attendu que Jean-Pierre B fait encore plaider sa relaxe au motif que lui imposer un contrôle exhaustif de ces marchandises d'origine espagnole serait "une violation flagrante du droit communautaire" ; qu'après avoir effectué un rappel du "droit communautaire applicable", il soutient en avoir fait une application rigoureuse ; qu'à cet égard il expose qu'il a reçu de l'expéditeur communautaire espagnol, responsable de la première mise sur le marché, un lot homogène de 880 colis revêtus du "papillon communautaire" prévu par l'article 6-3 du règlement n° 2251-92, attestant de ce que cet expéditeur "présentait des garanties vérifiées telles qu'il était dispensé de présenter sa production à un organisme officiel aux fins de vérification de conformité" ; qu'il estime dès lors que l'obligation de vérification qui pesait sur lui "s'inscrivait, en réalité, à mi-distance entre la seule vérification de la présence du papillon communautaire sur les colis et le contrôle exhaustif de la marchandise" et qu'il pouvait s'en acquitter en procédant "par voie de sondages destinés à assurer le contrôle des contrôles intervenus en amont"; qu'il ajoute qu'une obligation de contrôle exhaustif ne saurait lui être imposée au regard du droit communautaire qui "n'admet une entrave à la libre circulation des marchandises introduites qu'à la condition que son application aux produits fabriqués dans un autre Etat membre ne soit pas assortie d'exigences qui dépassent ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé, compte tenu :
- d'une part, de l'importance de l'intérêt général en cause,
- d'autre part, des moyens de preuve normalement disponibles pour un importateur;
Que s'agissant, en particulier, de la vérification des informations sur la composition d'un produit, fournies au consommateur lors de la mise en vente de ce produit, l'importateur doit pouvoir se fier aux certificats délivrés par les autorités de l'Etat membre de production ou par un laboratoire reconnu à cet effet par ces autorités, ou, si la législation de cet Etat n'impose pas la production de tels certificats, à d'autres attestations présentant un degré de garantie analogue";
Qu'il conclut encore que le soumettre à une obligation de contrôle exhaustif reviendrait à exiger de lui qu'il prenne des mesures de contrôle longues et coûteuses qui ne seraient pas justifiées eu égard à l'objectif recherché par le dispositif de contrôle, à savoir assurer la garantie de la loyauté des transactions commerciales qu'il souligne que "le droit communautaire a instauré une procédure aboutissant à la délivrance de certificats de conformité et de papillons, lui garantissant en application du principe général de la confiance mutuelle entre les autorités des Etats membres que les marchandises en cause ont déjà fait l'objet de vérifications exhaustives de conformité par un conditionnement normalisé, étant précisé que la caractéristique en cause (le calibre) est immuable et n'a pu évoluer depuis la vérification opérée par les autorités espagnoles ou leur délégataire" ; qu'il considère qu'il était donc fondé à se fier aux certificats délivrés par les autorités de l'Etat membre de production ou par un laboratoire reconnu à cet effet par ces autorités, ou, si la législation de cet Etat n'impose pas la production de tels certificats, à d'autres attestations présentant un degré de garantie analogue;
Attendu que par arrêt en date du 11 mai 1989, la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit qu' "en l'état du droit communautaire applicable, une disposition imposant au responsable de la première mise sur le marché national d'un produit de vérifier, sous peine d'engager sa responsabilité pénale, la conformité de ce produit aux prescriptions en vigueur sur ledit marché et relatives à la sécurité et à la santé des personnes, à la loyauté des transactions commerciales et à la protection des consommateurs, est compatible avec les articles 30 et 36 du traité CEE, à la condition que son application aux produits fabriqués dans un Etat membre ne soit pas assortie d'exigences qui dépassent ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé, compte tenu, d'une part, de l'importance de l'intérêt général en cause, d'autre part des moyens de preuve normalement disponibles pour un importateur"; que "s'agissant, en particulier, de la vérification des informations sur la composition d'un produit, fournies aux consommateurs lors de la mise en vente de ce produit, l'importateur doit pouvoir se fier aux certificats délivrés par les autorités de l'Etat membre de production ou par un laboratoire reconnu à cet effet par ces autorités ou, si la législation de cet Etat n'impose pas la production de tels certificats, à d'autres attestations présentant un degré de garantie analogue";
Attendu que cette jurisprudence concerne les cas où la réglementation nationale (française) soumet les marchandises introduites à des normes particulières et spécifiques (en matière de santé et de sécurité des personnes ou visant à assurer la loyauté des transactions commerciales et la protection des consommateurs), pourvu qu'elles ne soient pas contraires aux articles 30 et 36 du traité de Rome, le responsable de la première mise sur le marché national restant tenu de l'obligation de vérifier la conformité desdites marchandises à ces normes ; que la présente espèce vise une situation différente puisqu'il ne s'agit pas de l'application de normes particulières mais de normes unifiées au niveau européen ; qu'en effet, les règles applicables au commerce des fruits et légumes au sein de l'Union européenne ont été harmonisées et que ce secteur spécifique a fait l'objet d'une organisation commune des marchés en vertu du règlement CEE n° 1035-72 du 18 mai 1972 ; qu'ont ainsi été fixées, sur cette base, les normes de qualité des fruits et légumes, ainsi que leur contrôle par sondage à tous les stades de la commercialisation et sur toute la filière à l'intérieur de l'Union ; que l'article 8 de ce règlement prévoit en effet : "Pour constater si les produits pour lesquels des normes de qualité ont été fixées répondent aux dispositions des articles 3 à 7, un contrôle de conformité est effectué par sondage, à tous les stades de commercialisation ainsi qu'au cours du transport, par les organismes désignés par chaque Etat membre. Ce contrôle doit s'effectuer de préférence avant le départ des zones de production lors du conditionnement ou du chargement de la marchandise";
Attendu que le règlement CEE n° 2251-92 de la Commission du 29 juillet 1992 qui organise ces contrôles de conformité précise que "quelle que soit la filière suivie par les fruits et légumes produits dans la Communauté et soumis au contrôle de conformité, une seule méthode de contrôle dont les éléments sont définis doit leur être applicable tout au long de la filière; que potentiellement chaque lot de marchandise concerné peut se voir contrôler..." ; que l'article 6 de ce règlement prévoit que "les opérateurs peuvent être exemptés des opérations de contrôle à l'expédition par l'organisme de l'Etat membre concerné qui leur délivre un certificat d'exemption lorsqu'ils offrent des garanties permettant d'assurer une qualité constante de la production qu'ils commercialisent" et lorsque certaines conditions qu'il énumère sont réunies ; que cet article précise que "l'opérateur exempté du contrôle appose sur chaque colis expédié un papillon dont le modèle figure à l'annexe III et mentionnant son numéro d'immatriculation au registre visé à l'article 11 paragraphe 3" ;
Attendu que l'apposition du papillon prévu par la réglementation communautaire et portant la mention: "contrôle agréé n° 1120" ne signifie donc pas que la marchandise a fait l'objet d'un contrôle par un organisme agréé en Espagne mais seulement que l'opérateur espagnol a été exempté d'un tel contrôle ;
Attendu que le fait que les pêches en cause avaient été conditionnées par un fournisseur dont un organisme officiel avait pu vérifier qu'il présentait toutes garanties pour assurer une "qualité constante" à sa production, ne dispensait donc pas le commissionnaire introducteur en France de ces produits d'en vérifier la conformité aux normes européennes;
Attendu que l'article 3-1 du règlement n° 1035-72 du 18 mai 1972 prévoit en effet que lorsque des normes de qualité ont été fixées, les produits auxquels elles s'appliquent ne peuvent être exposés en vue de la vente, mis en vente, vendus, livrés ou commercialisés de toute autre manière, à l'intérieur de la Communauté, que s'ils sont conformes auxdites normes ;
Attendu que la SA B a bien introduit en France des pêches au calibre insuffisant, les a détenues, vendues et livrées à la SA X qu'il importe peu que la SA B n'ait plus été détentrice de ces fruits au moment où en a été effectué le contrôle qui en a révélé la défectuosité ; qu'elle avait l'obligation de vérifier la conformité des produits aux prescriptions relatives notamment à la loyauté des transactions commerciales, prescriptions dont font partie les normes communes applicables aux fruits et légumes commercialisés à l'intérieur de l'Union et dont le règlement précité du 18 mai 1972 précise que l'application "devrait avoir pour effet d'éliminer du marché les produits de qualité non satisfaisante";
Attendu qu'il appartient à chaque Etat membre de sanctionner les manquements aux obligations de respect des normes européennes de qualité des fruits et légumes ; que loin de constituer la "violation flagrante du droit communautaire" qu'évoque le prévenu, les dispositions de l'article L. 213-1 du Code de la consommation, sur lequel est fondée la poursuite, tendent au contraire à en assurer indirectement l'application ; que ce texte, visant à assurer la loyauté des transactions commerciales et la protection des consommateurs qui constituent des exigences impératives pouvant justifier une mesure de nature à entraver le commerce intracommunautaire, est applicable sans discrimination aux produits nationaux et aux produits importés ; qu'en effet, tout opérateur économique du circuit de distribution peut voir sa responsabilité pénale engagée, notamment pour fraude portant aussi bien sur un produit national que sur un produit introduit, dès lors qu'il est intervenu dans le processus de commercialisation et a commis une faute personnelle en ne procédant pas aux contrôles exigés ;
Attendu que faire supporter à la personne qui introduit en France un produit en provenance d'un autre Etat de l'Union la responsabilité de la vérification de sa conformité aux normes communes en vigueur ne constitue pas une mesure disproportionnée compte tenu de l'intérêt général qu'elle vise à sauvegarder à travers le respect de la loyauté des échanges commerciaux et la protection des consommateurs; que dispenser une telle personne de toute obligation de contrôle reviendrait à créer une discrimination au détriment des producteurs français, puisque, en cas d'infraction constatée sur des marchandises originaires d'un autre Etat membre, la loi française ne permettrait pas d'engager des poursuites à l'encontre du producteur ou fournisseur étranger et que, de plus, il n'existe aucune obligation pour un Etat membre d'exécuter une condamnation pénale prononcée par une juridiction d'un autre Etat membre;
Attendu que Jean-Pierre B ne saurait invoquer le principe général de confiance mutuelle entre les autorités des Etats membres qui veut qu'une marchandise introduite d'un Etat dans un autre n'a pas à être soumise dans l'Etat destinataire à des contrôles qui auraient déjà été opérés dans l'Etat d'origine et dont les résultats pourraient être utilisés par l'importateur, qu'il s'agisse de certificats officiels ou de documents présentant un degré de garantie analogue ; qu'en effet, le prévenu ne pouvait déduire de l'existence des papillons prévus par l'article 6 du règlement 2251-92, comme il l'écrit dans ses conclusions, que "les marchandises en cause avaient déjà fait l'objet de vérifications exhaustives de conformité par un conditionnement normalisé"; que l'exemption des opérations de contrôle à l'expédition par l'organisme d'Etat espagnol concerné accordée, au vu des garanties qu'elle présentait, à la société Y, productrice des pêches litigieuses, n'implique pas qu'elle ait procédé au contrôle du calibrage de ces fruits ; que l'assurance d'une "qualité constante" de sa production, que laisse présumer ladite exemption, ne saurait garantir la conformité du calibre des pêches; que la SA B ne pouvait valablement se fier aux seules indications en provenance de la société productrice elle-même ; qu'il lui appartenait bien de mettre en œuvre un contrôle efficace ; qu'encore une fois, en se contentant de n'affecter aux opérations de contrôle que deux salariés qui avaient la charge de vérifier quotidiennement quelques 135 000 cagettes de fruits et de légumes pour s'assurer non seulement de leur calibre mais aussi de l'ensemble des autres éléments entrant en considération dans leur classification selon les normes communes définies auxquelles ces produits devaient répondre, Jean-Pierre B, professionnel de la distribution, n'a pas pu ne pas avoir conscience de l'insuffisance manifeste du système de contrôle mis en place et a donc volontairement pris le risque de mettre sur le marché des marchandises aux qualités essentielles non conformes à leur étiquetage ; que sans aller jusqu'à déduire de l'affirmation, contenue dans les conclusions du prévenu, du caractère "homogène" du lot des 880 colis reçus du producteur espagnol que la proportion de fruits défectueux (62,85 %) relevée dans le lot contrôlé se retrouvait nécessairement dans l'ensemble du lot, il doit être retenu qu'un défaut de calibrage aussi important que celui constaté sur les pêches exposées à Rungis ne pouvait passer inaperçu aux yeux de professionnels normalement avisés et organisés, et tenus, en quelque sorte, dans l'appréciation de la validation des contrôles leur incombant, non pas d'une obligation de résultat mais au moins d'une obligation de moyens renforcée;
Attendu, pour répondre complètement aux autres moyens de défense, qu'il convient d'observer que la poursuite ne porte que sur les fruits mis sur le marché de Rungis ; que l'exception de nullité de la procédure présentée par Jean-Pierre B et tirée de ce que le délit de tromperie qui lui est imputé n'aurait pas été constaté conformément aux prescriptions des règlements communautaires n° 1035-72 et 2251-92 est irrecevable par application de l'article 385 du Code de procédure pénale dès lors qu'elle n'a pas été invoquée avant toute défense au fond ;
Attendu enfin que Jean-Pierre B demande que soit posée, en application de l'article 177 du traité instituant les Communautés européennes la question préjudicielle suivante :
"Les stipulations du traité CEE, notamment ses articles 30 et 36, et:
- le règlement CEE n° 1035-72 du Conseil, du 18 mai 1972, portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes, en vigueur à l'époque des faits reprochés au prévenu ;
- la directive 89-397-CEE du Conseil, du 14 juin 1989, relative au contrôle officiel des denrées alimentaires ;
- le règlement CEE n° 2251-92 de la Commission du 29 juillet 1992 concernant les contrôles de la qualité des fruits et légumes frais doivent-ils s'interpréter en ce sens qu'il est permis à un Etat membre d'imposer à un introducteur de fruits et légumes, sous peine d'engager sa responsabilité pénale, de s'assurer personnellement, et de manière exhaustive, de la conformité des produits aux normes communautaires en vigueur relatives au calibrage, alors même que les colis en cause présenteraient le marquage prévu par le règlement CEE n° 2251-92 ?";
Attendu qu'une demande d'interprétation fondée sur l'article 177 du traité n'est pas soumise aux règles prévues par l'article 386 du Code de procédure pénale ; qu'elle est recevable même si elle n'a pas été formulée avant toute défense au fond et peut être présentée pour la première fois en cause d'appel;
Mais attendu que par les motifs ci-dessus énoncés il a été répondu aux interrogations que comporte la question soumise par le prévenu ; que dès lors cette question ne sera pas posée ;
Attendu, en conséquence, qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que doit être confirmée la déclaration de culpabilité prononcée par le Tribunal de grande instance de Perpignan;
Attendu que les premiers juges, en prononçant les sanctions ci-dessus rappelées, ont fait à Jean-Pierre B une application de la loi pénale qui tient un juste compte des circonstances de l'infraction et qui est adaptée à la personnalité de son auteur ; que le jugement sera également confirmé sur ce point ;
Sur l'action civile:
Attendu que l'Union fédérale des consommateurs des Pyrénées-Orientales, partie civile appelante, conclut à la confirmation des dispositions civiles du jugement déféré mais demande en outre, en application de l'article L. 421-9 du Code de la consommation, pour l'information du public, que soient ordonnés, aux frais du condamné, l'affichage aux portes de l'entreprise et la publication dans un journal d'annonces légales du jugement (sic) à intervenir ;
Mais attendu que de l'indication selon laquelle elle a statué sur le pourvoi formé par le Procureur général près la Cour d'appel de Montpellier contre l'arrêt de cette Cour d'appel, 3e chambre, du 8 avril 1997 qui a relaxé Jean-Pierre B du chef de tromperie et a débouté la partie civile de sa demande et de la disposition selon laquelle elle a cassé et annulé cet arrêt "en toutes ses dispositions", il ne saurait être déduit que la Cour de cassation a entendu étendre les effets de sa décision aux dispositions civiles dudit arrêt dont la connaissance n'a pu lui être déférée par le seul recours exercé par le Ministère public; que la Cour de cassation n'ayant pas expressément fait application des dispositions de l'article 612-1 du Code de procédure pénale, et en l'absence de pourvoi formé par la partie civile elle-même, l'intervention, en cette qualité, de l'Union fédérale des consommateurs des Pyrénées-Orientales devant la cour de renvoi, saisie de la seule action publique, est irrecevable ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, Vu l'arrêt du 9 mars 1999 de la chambre criminelle de la Cour de cassation, Confirme en toutes ses dispositions pénales le jugement déféré du Tribunal de grande instance de Perpignan en date du 5 février 1996 qui a déclaré Jean-Pierre B coupable du délit de tromperie et l'a condamné à la peine de trente mille francs d'amende, Précise que la mesure de publication ordonnée dans le journal "L'indépendant" portera sur le dispositif ci-dessus du présent arrêt et qu'elle sera exécutée aux frais du condamné sans que ces frais puissent dépasser le maximum de l'amende encourue, soit la somme de deux cent cinquante mille francs, Le tout par application des articles L. 213-1 et L. 216-3 du Code de la consommation, Prononce à l'encontre de Jean-Pierre B la contrainte par corps qui sera exécutée conformément aux dispositions des articles 479, 750, 752 à 762 du Code de procédure pénale, Met à la charge du condamné le paiement du droit fixe de procédure, Déclare irrecevable la constitution de partie civile de l'Union fédérale des consommateurs des Pyrénées-Orientales et laisse à sa charge les frais de son action devant la cour.