CA Paris, 13e ch. B, 11 septembre 1998, n° 97-03533
PARIS
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sauret
Avocat général :
Mme Auclair
Conseillers :
Mmes Marie, Farina Gérard
Avocat :
Me Poirier
Rappel de la procédure :
La prévention :
M Jacques a été poursuivi pour avoir à Charenton-Le-Pont, courant 1993, 1994 et en janvier 1995, en tout cas depuis temps non prescrit, trompé ou tenté de tromper le contractant sur la nature, les qualités substantielles et la composition d'une marchandise vendue, en l'espèce en distribuant environ 112 tonnes de mélange constitué de 80 % d'amandes, de 15 % de farine et de 5 % d'agent crémeux sous la dénomination d'amandes en poudre pure, d'amandes poudre Espagne ou d'amande poudre blanche faisant croire qu'il s'agissait d'un produit composé à 100 % d'amandes broyées, infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation
J Michel a été poursuivi pour avoir à Crosne, courant 1993, 1994 et en janvier 1995, en tout cas depuis temps non prescrit, été complice du délit de tromperie commis par M Jacques en l'aidant sciemment dans sa préparation, en l'espèce en lui livrant des produits sans étiquetage et en supprimant sur les documents commerciaux la mention précisant la composition partielle de ces produits, infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation, 121-6 et 121-7 du Code pénal,
Le jugement :
Le tribunal, par jugement contradictoire à signifier, a déclaré M Jacques et J Michel coupables des faits reprochés et a condamné :
- M Jacques à la peine d'amende de 100 000 F
- J Michel à la peine d'amende de 50 000 F
Les appels :
Appel a été interjeté par :
Monsieur M Jacques, le 19 septembre 1996,
M. le Procureur de la République, le 20 septembre 1996 contre Monsieur J Michel, Monsieur M Jacques,
Monsieur J Michel, le 27 octobre 1997,
La société X, le 27 octobre 1997,
Décision :
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels régulièrement interjetés par le prévenu et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour l'exposé de la prévention ;
M Jacques, gérant de la société Y demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et sollicite sa relaxe ; il expose que le délit pour lequel il est poursuivi suppose une intention qui en l'espèce fait défaut, que le dossier établi par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, ne démontre aucunement l'existence d'une intention coupable, qu'il a toujours soutenu qu'il n'était pas informé du fait que la poudre d'amande, acquise par la société Y auprès de la société X n'était pas composée uniquement d'amandes, qu'en effet la société Y avait été livrée par la société X sous la même appellation "amandes poudre blanche" de deux produits différents à savoir d'une part un produit que composé à 100 % d'amandes broyées et d'un produit qui n'était composé qu'à 80 % d'amandes broyées ; que M Jacques ni ses salariés, n'avaient la possibilité d'imaginer que ce changement de dénomination, entraînait un changement dans la composition du produit, qu'à l'issue d'une enquête très poussée, le rédacteur du procès-verbal n'avait aucune certitude sur le fait que M Jacques avait connaissance de la composition de la poudre d'amandes dont sa société se fournissait auprès de la société X.
Le Ministère public attire l'attention de la cour sur la quantité très importante de marchandises, passés en 1993, 1994 et 1995 de la société X à la société Y, 155 530 kilogrammes et sur les profits qu'il en a tirés, en achetant ce mélange à 80 % à la place de la poudre d'amandes pure, réalisant ainsi une économie que l'on peut chiffrer à 266 680 F avec un écart de prix de 2 F et à 466 690 F avec un écart de prix de 3,50 F en kilogramme; il réclame en conséquence une sanction exemplaire à l'encontre de M Jacques.
Exposé des faits
Le 30 janvier 1995, deux inspecteurs de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, se rendaient au siège de la société Y ayant pour activité la fabrication et la distribution de produits et ingrédients alimentaires pour les fabricants de pâtisserie pour contrôler la qualité de la poudre d'amande achetée et vendue par cette société.
Cette enquête faisait suite à plusieurs contrôles effectués l'année précédente concernant la nature de la poudre d'amande vendue par cette entreprise.
Ils constataient que sur 23 sacs contenant chacun 25 kilos de poudre d'amande une étiquette mentionnait "amande poudre blanche" tandis que sur 50 cartons, contenant chacun 10 kilos de poudre d'amande aucun étiquetage ne figurait.
Des prélèvements étaient opérés sur deux des sacs et sur les cartons de 10 kilos.
Selon le résultat des analyses effectuées par le Laboratoire interrégional de la Répression des Fraudes de Massy, le produit prélevé dans les sacs de 25 kilos n'était pas de l'amande en poudre pure alors que celui prélevé dans les cartons était de l'amande râpée pure.
Au terme de l'enquête effectuée également auprès de l'entreprise X fournisseur de la société Y, un procès-verbal était dressé à l'encontre des deux prévenus et transmis au Procureur de la République le 11 septembre 1995.
M Jacques assisté de son conseil, par voie de conclusions, sollicite sa relaxe ; il soutient qu'il croyait acheter de la poudre d'amande pure aux établissements X et assure n'avoir découvert qu'en janvier 1995 qu'il s'agissait d'un mélange.
Il est établi tant par les déclarations du prévenu que par les analyses que le produit contenu dans les 23 sacs de 25 kilos était constitué à 80 % de poudre d'amande, à 15 % de farine de froment ainsi que d'huile de palme hydrogénée, de sirop de glucose et de casenate de sodium. Il est également établi que le prévenu achetait ce mélange depuis 1993 et non pour la première fois en janvier 1995 contrairement à ce qu'il a déclaré.
En effet, l'enquête des inspecteurs de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes auprès de l'entreprise X démontre que cette dernière a d'abord vendu un mélange composé de "80 % de poudre d'amande et de 20 % de poudre d'amidon d'abricot et qu'à la suite des interventions de la direction nationale des enquêtes, elle a remplacé vers la fin de l'année 92 les 20 % d'amidon d'abricot par 20 % d'un mélange constitué de farine de blé et d'un agent crémeux.
Il est enfin établi que M Jacques savait qu'il achetait la poudre d'amande à 80 %.
Cette connaissance ressort :
- d'une part des documents produits par la société X dénommés "contrats" concernant les achats de la société Y(code 12 des annexes du procès-verbal de la DGCCRF) sur lesquels figure la dénomination "amandes râpées blanches" de juin à septembre 93 et celle "d'amandes poudre blanche 80 % à compter de février 94 et jusqu'en octobre 1994;
- d'autre part, des échanges de correspondance entre les deux entreprises notamment un fax en date du 2 mai 1994(cote des annexes du procès-verbal) émis par la société Y faisant référence aux prix pratiqués par une autre société concernant l'amande poudre à 80 % et demandant à la société X "de faire un effort" et la réponse transmise également par fax émanant de la société X le même jour (cote 24) "décidant d'effectuer un geste commercial sur les contrats précédemment conclus et restant à terminer" et proposant de fixer le prix de l'amande poudre 80 % à 33 F le kilo.
Le 31 janvier 1995, M Jacques, en apposant en toute connaissance de cause sur des sacs de poudre d'amande destinés à la vente, des étiquettes ne mentionnant pas la composition exacte du produit, le prévenu s'est rendu coupable de l'infraction de tromperie sur la composition et les qualités substantielles de ce produit, il y a lieu de le sanctionner par une peine d'amende de nature contraventionnelle.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement à l'égard de M Jacques et de la société Y, par défaut à l'égard de J Michel et de la société X. Renvoie l'affaire au vendredi 29 janvier 1999 pour citation de J Michel et de la société X au <adresse>, Reçoit les appels du prévenu M Jacques et du Ministère public, Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné M Jacques pour le délit de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, Condamne M Jacques pour avoir détenu cinquante cartons dépourvus d'étiquetage le 31 janvier 1995, à cinquante amendes de 1 000 F, faits prévus et réprimés par l'article L. 214-2 du Code de la consommation; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.