CA Paris, 12e ch. A, 25 février 1998, n° 97-07955
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Tranchant
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jacquinot (faisant fonction)
Avocat général :
M. Guirimand
Conseillers :
MM. Beraud, Richard
Avocats :
Mes Marsigny, Guidez.
Rappel de la procédure:
La prévention:
Par ordonnance en date du 12 décembre 1996, l'un des juges d'instruction du Tribunal de grande instance de Paris a renvoyé Guy H devant le tribunal correctionnel du même siège sous la prévention d'avoir, à Paris, en juin 1990 et depuis temps non prescrit, trompé le cocontractant en mettant en vente deux bronzes faussement attribués à Barye;
Faits prévus et réprimés par l'article 213-1 du Code de la consommation.
Par jugement en date du 13 octobre 1997, le tribunal l'a condamné, de ce chef, à 3 mois d'emprisonnement ainsi qu'à payer à M. Georges Tranchant partie civile, la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 5 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Les appels:
Appel a été interjeté par :
Monsieur H Guy, le 16 octobre 1997 contre Monsieur Tranchant Georges dont le recours porte sur les dispositions pénales et civiles du jugement.
M. le Procureur de la République, le 21 octobre 1997 contre Monsieur H Guy
Décision:
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
A l'audience de la cour du 14 janvier 1998 Guy H, assisté de son conseil, sollicite sa relaxe.
Il fait valoir que Barye était lui même éditeur et fondeur de ses œuvres, qu'il faisait travailler une vingtaine de fondeurs, et que l'on peut identifier un bronze réalisé du vivant de l'artiste et contrôlé par lui (en effet, il porte le poinçon de la fonderie suivi d'un numéro à la terrasse).
Il en déduit que Georges Tranchant, grand collectionneur de bronzes Barye, n'a pu être trompé, ce d'autant plus qu'un bronze ne portant pas de poinçon a été acheté un million lors de la même vente aux enchères, alors que la partie civile a acheté les deux bronzes litigieux à bas prix.
Il observe, par ailleurs que M. Tranchant s'est contredit en ce qu'il a dit d'abord avoir été trompé sur l'ancienneté des bronzes, puis sur leur authenticité.
Il fait valoir que, de toutes façons, ce n'est pas lui qui a rédigé ou édité le catalogue de la vente et qu'il n'a donné aucune indication à maître Gros, commissaire-priseur, ni sur le prix ni sur l'origine ou l'ancienneté des bronzes qu'il mettait en vente, qu'il maintient avoir acheté pour "Le Basset " au marché Serpette de Saint-Ouen, pour L'Amazone" à l'étude de Maître Blache.
M. Tranchant, partie civile, représenté par son conseil, demande à la cour, par voie de conclusions, de statuer ce que de droit sur les réquisitions du Ministère public, de débouter M. Guy H de son appel et de le condamner à lui payer outre les sommes allouées en première instance, la somme de 6 030 F, en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, au titre des frais irrépétibles qu'il a exposé en cause d'appel.
Il fait valoir que les bronzes qu'il a acquis, désignés sous la dénomination "Le Basset dos arrondi"et "L'Amazone" sont tous deux présentés sur le catalogue et sur le bordereau d'adjudication comme étant de la production de l'artiste Antoine Louis Barye, alors qu'ils ne sont que des surmoulages grossiers et très récents. Il observe, à cet égard, que selon les dispositions de l'article 3 du décret du 3 mars 1981 alors en vigueur, l'indication qu'une œuvre ou un objet porte la signature ou l'estampille d'un artiste entraîne la garantie que l'artiste mentionné en est effectivement l'auteur, et que l'article 8 du même texte précise que tout surmoulage doit porter de manière visible et indélébile la mention "reproduction".
Sur ce, LA COUR,
I.- Rappel des faits et de la procédure.
Le 10 septembre 1990, M. Georges Tranchant déposait une plainte avec constitution de partie civile, devant le doyen des juges d'instruction du Tribunal de grande instance de Paris, contre Maîtres Gros et Mathias et contre M. Tesler, expert, des chefs de publicité mensongère, tromperie, fraude en matière artistique, dénaturation dans un acte ;
Il exposait que le 28 mai 1990, il avait informé le groupe de commissaires-priseurs Arcole de son intention de participer par téléphone à la vente aux enchères qui se tiendrait à l'Hôtel Drouot le surlendemain, après avoir constaté, au vu du catalogue, que des bronzes de Barye seraient mis en vente.
La vente était dirigée par MM. Mathias et Gros, commissaires-priseurs, assistés d'un expert, M. Tesler, dont le nom figurait sur la couverture du catalogue ;
M. Tranchant expliquait qu'il avait ainsi acquis par téléphone, trois bronzes de Barye pour la somme globale de 281 203 F mais que, pris de doute, il avait fait ensuite examiner l'un d'eux, "L'Amazone en Costume", par deux experts, M. Richarme et Benamou.
Ceux-ci avaient conclu que ce bronze était une reproduction toute récente, par surmoulage d'un modèle de Barye. Sommé par l'acheteur de reprendre ce bronze ainsi que "Le Basset dos arrondi ", acquis au cours de la même vente, Maître Gros indiquait que ces deux bronzes ne portaient pas la mention "fonte ancienne", dans le catalogue, comme d'autres œuvres, mais seulement "Bronze à patine brun noir signé sur le terrasse", ce qui signifiait qu'ils étaient relativement récents.
Une information était ouverte contre X..,
M. Tranchant produisait une seconde expertise, faite par M. Benamou, qui concluait que le bronze "Le Basset dos arrondi" était également un surmoulage récent ;
M. Henri Gros, mis en examen pour publicité trompeuse, précisait qu'il avait été mandaté par M. H pour vendre les deux bronzes litigieux. Il déclarait qu'il pensait pour sa part qu'il s'agissait de fontes de 30 à 50 ans d'âge mais pas des surmoulages récents, qu'il s'en était remis à l'expert, M. Tesler et que de toutes façons ces bronzes n'étaient pas présentés dans le catalogue comme des fontes anciennes, contrairement au troisième bronze acheté par M. Tranchant, dénommé" Le Duc d'Orléans à Cheval", acheté d'ailleurs beaucoup plus cher que les deux autres.
M. Alain Tesler, entendu comme témoin, déclarait qu'il avait réalisé avec Maître Mathias la partie du catalogue concernant les armes anciennes, mais que Maître Gros avait ensuite adjoint à la vente (qui avait pour thème la Chasse) des bronzes qu'il n'avait pas expertisés, n'étant pas spécialiste en la matière ;
M. Guy H, mis en examen pour tromperie, affirmait qu'il n'était pas à l'origine des mentions portées sur le catalogue et n'avait fourni aucun document à Maître Gros sur leur origine. Il disait avoir acheté "L'Amazone" à l'étude de Maître Blache, commissaire-priseur à Versailles, quelques années auparavant, pour la somme de 30 où 35 000 F, mais ne pouvait produire la facture ;
Il affirmait également qu'il avait acheté le " Basset dos arrondi " au marché Serpette, à Saint-Ouen, et que les deux bronzes étaient des fontes anciennes ;
Commis comme expert par le magistrat instructeur pour procéder à l'examen des deux bronzes M. Jean Michel André concluait, s'agissant de "l'Amazone", que c'était d'un surmoulage récent probablement réalisé à partir de "L'Amazone" achetée chez Maître Gros; s'agissant du "Basset dos arrondi", que c'était soit un surmoulage récent d'une œuvre de Barye, soit un faux intégral, car il n'était pas répertorié dans les catalogues de l'œuvre de l'artiste. Il estimait que les deux bronzes, fabriqués dans le même atelier, présentaient les mêmes caractéristiques et constituaient des fontes extrêmement grossières.
Par ordonnance en date du 12 décembre 1996, le juge d'instruction disait n'y avoir lieu à suivre contre Henri Gros du chef de publicité trompeuse et renvoyait Guy H devant le tribunal correctionnel du chef de tromperie.
La chambre d'accusation de la Cour d'appel de Paris, saisie d'un appel de M. Tranchant, partie civile, confirmait l'ordonnance entreprise par arrêt du 20 février 1997.
II - Discussion sur l'action publique :
Il convient tour d'abord de déterminer si M. Tranchant a été victime d'une tromperie.
Aux termes de la prévention, il est reproché au prévenu d'avoir trompé le cocontractant en mettant en vente deux bronzes faussement attribués à Barye. En fait, il résulte des expertises qu'a fait diligenter la partie civile et de l'expertise judiciaire que si ces deux bronzes sont bien (au moins pour L'Amazone) des reproductions de bronzes de Barye, il s'agit de surmoulages.
M. Jean-Michel André, expert désigné par le magistrat instructeur, indique dans son rapport que Barye (1796 - 1875), éditeur et fondeur de sa propre œuvre, n'éditait pas en nombre limité et qu'après sa mort d'autres fondeurs ont édité des bronzes à partir de "Chef modèles ", d'originaux en plâtre ou de moules bon-creux, mais que les surmoulages, reproductions de bronzes déjà édités, sont des copies de copies, des faux qui ne devraient être mis en vente qu'avec la mention "reproduction" gravée de façon visible et indélébile ;
Le décret n° 81-255 du 3 mars 1981 réglementant les informations qui doivent obligatoirement être délivrées en matière de transactions d'œuvres d'art et d'objets de collection, en vigueur au moment de la vente, indique d'ailleurs dans son article 9 " tout fac-similé, surmoulage, copie ou autre reproduction d'une œuvre d'art ou d'un objet de collection doit être désigné comme tel".
M. Tranchant aurait-il pu se douter qu'il s'agissait de surmoulages (au demeurant récents et de facture grossière)?.
Il convient de rappeler que, s'agissant " du Duc d'Orléans à Cheval ", il est mentionné dans le catalogue " fonte ancienne signée sur la terrasse " tandis que, pour " Le Basset dos arrondi" et "L'Amazone" il est indiqué simplement "Bronze à patine Brun noir. Signé sur la terrasse."
Maître Gros commissaire-priseur, a affirmé que ces indications étaient conformes aux usages de la profession et ne pouvaient tromper un amateur averti, l'absence de mention " fonte ancienne " signifiant qu'il s'agissait d'un bronze récent ;
Mais en l'espèce, ce n'est pas tant l'ancienneté des bronzes litigieux qui est en cause que le procédé de reproduction ;
Par ailleurs, le fait que M. Tranchant grand collectionneur des bronzes Barye, ait payé "Le Duc d'Orléans " 192 000 F, " L'Amazone" 60 000 F et le "Basset dos arrondi" 9 500 F ne signifie pas qu'il se soit douté que les deux derniers bronzes étaient des surmoulages, compte tenu du fait qu'il n'a pas vu les bronzes avant la vente, que ce n'est pas lui qui a déterminé le prix, s'agissant d'une vente aux enchères, et que plusieurs facteurs peuvent influer sur les prix (ancienneté, facture, rareté des bronzes.
Enfin, le commissaire-priseur lui même a déclaré au magistrat instructeur que, s'il ne pensait pas qu'il s'agissait de fontes très anciennes, mais de bronzes de 30 à 50 ans d'âge, il était loin de se douter qu'il s'agissait de surmoulages récents.
L'expert souligne d'ailleurs, en conclusion, qu'il y a une différence considérable entre vendre une fonte récente, légalement réalisée d'après un original, et un surmoulage éclatant de médiocrité ou un objet tellement déformé qu'il est impossible d'en trouver la référence dans les catalogues raisonnés de l'œuvre de Barye.
Dès lors, le fait d'avoir mis en vente ces deux surmoulages (ou, selon l'autre hypothèse de l'expert, un surmoulage et un faux intégral) sans en faire mention constitue l'élément matériel d'une tromperie sur l'origine (l'acheteur était en droit de penser qu'il s'agissait d'un moulage réalisé d'après un original) et les qualités substantielles (il s'agit de faux particulièrement grossiers) des objets achetés ;
Cette tromperie est matériellement imputable au prévenu, quand bien même il est passé par un intermédiaire, car c'est lui qui a mis en vente les deux surmoulages.
S'agissant de l'élément intentionnel du délit, il convient de rappeler que Guy H a menti sur l'origine des deux bronzes puisque, selon l'expert, "L'Amazone" n'est pas celle qui a été achetée chez Maître Blache en 1977, laquelle était une épreuve ancienne de patine noire-verte, mais pourrait être un surmoulage de ce bronze. Quant au "Basset", introuvable dans les catalogues, il pourrait être un faux intégral.
L'expert conclut formellement, au demeurant que les bronzes litigieux ont été fabriqués dans la même fonderie et le même atelier de finition. Au surplus, Guy H, éditeur de bronzes, se disant expert en la matière et grand connaisseur des œuvres de Barye ne pouvait ignorer qu'il s'agissait de reproductions grossières et récentes obtenues par surmoulage, et non de bronzes de 30 à 50 ans d'âge comme il l'a déclaré au juge d'instruction ;
Il convient dès lors de confirmer le jugement déféré tant sur la déclaration de culpabilité du prévenu que sur la peine d'emprisonnement prononcée à son égard, eu égard à ses antécédents judiciaires. Il convient dès lors de confirmer le jugement déféré tant sur la déclaration de culpabilité du prévenu que sur la peine d'emprisonnement prononcée à son égard, eu égard à ses antécédents judiciaires.
Il y a lieu, compte tenu de l'ancienneté des faits, d'ordonner la confusion de cette peine avec celle de 18 mois d'emprisonnement avec sursis mise à l'épreuve pour une durée de 3 ans prononcée le 27 janvier 1994 par la Cour d'appel de Paris (13e chambre) pour des faits de même nature ;
III - Sur l'action civile
Les faits reprochés au prévenu ont causé à M. Tranchant, partie civile, un préjudice certain, direct et personnel. Il n'a demandé réparation que de son préjudice moral, que les premiers juges ont évalué justement à 5 000 F. La cour confirmera le jugement tant sur le montant des dommages-intérêts que sur la somme octroyée à la partie civile en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, qui est équitable. Y ajoutant, elle condamnera M. H à verser à M. Tranchant la somme supplémentaire de 5 000 F au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;
Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement Reçoit les appels du prévenu et du Ministère public; Confirme le jugement déféré tant sur la déclaration de culpabilité du prévenu que sur la peine de trois mois d'emprisonnement prononcée à son encontre. Ordonne la confusion de cette peine avec celle de 18 mois d'emprisonnement avec sursis mise à l'épreuve pour une durée de trois ans prononcée le 27 janvier 1994 par la 13e chambre de la Cour d'appel de Paris. Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions civiles ; Y ajoutant: Condamne M. Guy H à payer à M. Georges Tranchant, partie civile, la somme supplémentaire de 5 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; Condamne M. Guy H aux dépens de l'action civile.