CA Angers, ch. corr., 29 novembre 1990, n° 838
ANGERS
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cadenat
Substitut :
général: M. Bruneau
Conseillers :
MM. Chauvel, Andrault
Avocats :
Me Dubois,
LA COUR:
Le Ministère public a interjeté appel du jugement contradictoirement rendu par le Tribunal correctionnel d'Angers le 16 mai 1990 qui a renvoyé des fins de la poursuite pour tromperie sur la qualité d'une marchandise (délit prévu par l'article 1 de la loi du 1er août 1905, T Joseph et P Daniel).
Les prévenus régulièrement cités comparaissent assistés de leur conseil.
Le Ministère public requiert pour chacun une peine d'amende de 15 000 F.
P Daniel et T Joseph sont prévenus d'avoir sur le territoire national, entre le 1er janvier 1986 et le 31 juillet 1986, trompé sept contractants sur les qualités substantielles de blés commercialisés comme "blés de qualité biologique" alors qu'ils avaient été traités au phosphure d'aluminium, produit toxique interdit en agrobiologie.
Motifs de la décision
Les deux prévenus reconnaissent avoir fait traiter, début 1986, plusieurs tonnes de blé ensilé avec du phosphure de magnésium, pour le débarrasser des charençons et sylvains, avant de le vendre à sept clients sous la dénomination "blé de qualité biologique".
Le 21 décembre 1988, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes dressait procès-verbal pour infraction à l'article 1er de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes concernant les activités de la X et de la SARL Y:
- la X et la SARL Y (Y):
(Monsieur P Daniel est le directeur général de la X) regroupent des exploitants agricole qui se sont engagés à respecter les conditions de production de l'agriculture n'utilisant pas de produits chimiques de synthèse.
La X a pour objet:
- la promotion et la défense de la qualité des produits issus de l'agriculture biologique,
- la mise en œuvre du contrôle et de la certification qualitative de la production agrobiologique de ses adhérents,
- d'assurer la défense des principes moraux et des idéaux qui sous-tendent la notion d'agriculture biologique et les méthodes qui en découlent.
La X a créé une société de service auxiliaire dont elle est actionnaire majoritaire, la SARL "Y". Elle lui a confié une participation à la promotion des ventes et Monsieur T Joseph en est le gérant.
La X et la SARL Y sont installées dans des bureaux communs et les dirigeants de fait de ces deux organismes, sont Messieurs P Daniel et Vincent.
Il résulte de l'enquête réalisée que la société Y a effectué auprès des établissements Agro-Techno-Hygiène les 27 janvier, 1er et 21 avril 1986 des achats de produits dénommés "Detia Exb" et "Detia Gas Ext".
Ces produits homologués sous les n° 8400024 et 8400025 par le ministère de l'Agriculture contiennent 70 % de phosphore d'aluminium, qui dégage en présence de l'humidité de l'air de l'hydrogène phosphoré ou phosphure d'hydrogène (PH 3).
Classé au tableau A (substances toxiques) ces substances vénéneuses ne peuvent être utilisées que par des équipes spécialisées agréées par le service de la Protection des végétaux pour la désinfection des graines entreposées.
De plus, Vincent P, technicien de la SARL Y, à son initiative et celle de Monsieur Daniel P, directeur général de la X, a en janvier 1986 à la Minoterie Boirson et 23 avril 1986 à la coopérative de Bassoues traité respectivement 2 500 et 3 000 quintaux de blé issu de culture biologique.
Enfin, ces blés traités à l'hydrogène phosphoré ont été commercialisés comme "blés de qualité biologique garantie par la X" notamment aux clients Devert Jean-Luc, badin Michel, Compain, Frech, Davert Mulhe, Rainer Weike, Minoterie Couturier, Terra natural foods BV.
Dans sa déclaration du 30 septembre 1988, Monsieur Vincent P reconnaît les traitements effectués et la commercialisation comme "blé de qualité biologique garantie par la X" des grains traités.
Les prévenus contestent l'infraction de tromperie sur les qualités substantielles, en soutenant:
- que le magnésium n'est pas un produit chimique de synthèse et que son utilisation correspond aux exigences de l'agrobiologie,
- que l'arrêté du 18 septembre 1985 ne vise que les produits utilisables en agrobiologie au stade de la production, et non au stade de la conservation et du stockage qui ne sont pas encore réglementés,
- que les faits ne peuvent tomber sous le coup de la loi du 4 juillet 1980 qui a été complété par la loi du 4 juillet 1980 qui a été complétée par la loi du 30 décembre 1988, et postérieurement à la période de la prévention,
- qu'ils sont de bonne foi.
Il est constant que la loi d'orientation agricole du 4 juillet 1980 a prévu dans son article 14 que "les cahiers des charges définissant les conditions de production de l'agriculture n'utilisant pas de produits chimiques de synthèse peuvent être homologués par arrêté du ministre de l'Agriculture"; qu'il s'agissait d'une simple possibilité offerte aux "organismes personnalisés sans but lucratif" selon le décret d'application du 10 mars 1981.
De plus l'arrêté du 18 septembre 1985 énumérant les listes des matières et produits n'utilisant pas de produits chimiques de synthèse a été pris en application du décret du 10 mars 1981.
Enfin, la loi du 30 décembre 1988 a modifié l'article 14 de la loi du 4 juillet 1980 en ce sens que "la qualité des produits de l'agriculture n'utilisant pas de produits chimiques de synthèse dite "agriculture biologique" ne peut sous quelque formulation que ce soit, être attribuée qu'aux produits agricoles transformés ou non, répondant aux conditions de production, de transformation et de commercialisation fixées par les cahiers de charges homologués par arrêtés interministériel.
Les prévenus ont réalisé le traitement de lots de blé issu de culture biologique au moyen d'un produit chimique de synthèse, classé "toxique", le phosphure d'aluminium, alors que la liste des seuls produits autorisés en agriculture n'utilisant pas de produits chimiques de synthèse, a été fixée par arrêté du 18 septembre 1985.
De plus ils ont commercialisé les blés traités sous la dénomination "blé de qualité biologique garantie par la X" et laissé croire à leurs clients qu'aucun produit chimique de synthèse n'avait été utilisé.
En l'espèce, "le seul fait de mettre en vente des denrées alimentaires ayant subi un traitement non spécifiquement autorisé et au surplus ignoré de la clientèle, constitue le délit de tromperie", au sens de la loi du 1er août 1905.
De plus l'exclusion de tout traitement est en l'espèce une qualité substantielle des blés dont s'agit et l'abstention d'indiquer aux consommateurs la présence, fût-ce à une faible dose, d'un produit chimique, suffit pour caractériser à la charge des prévenus les éléments matériels et intentionnels de l'infraction précitée,fondement des poursuites, sans même qu'il soit nécessaire d'apprécier la licéité dudit produit au regard de la législation contemporaine des faits de la cause.
Les prévenus seront déclarés coupables des faits qui leur sont reprochés.
Le jugement sera infirmé sur la culpabilité et la peine qui sera appréciée au vu de la gravité des faits, des renseignements fournis sur les prévenus et les circonstances atténuantes.
Par ces motifs: Statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Déclare les prévenus coupables des faits qui leur sont reprochés, Condamne les prévenus à une amende de cinq mille francs (5 000 F), Condamne P Daniel et T Joseph aux dépens, Ainsi jugé et prononcé par application des articles 1er de la loi du 1er août 1905, 473 du Code de procédure pénale.