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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 17 septembre 1998, n° 98-00026

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sauret

Avocat général :

Mme Auclaire

Conseillers :

Mmes Marie, Farina-Gerard

Avocats :

Mes Launois, Meimon Nisenbaum.

TGI Paris, 31e ch., du 25 nov. 1997

25 novembre 1997

Rappel de la procédure:

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire a déclaré :

- T Yvette Louise épouse P coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, jusqu'au 11 janvier 1996, à Paris, infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1 Code de la consommation,

- D Alain Jean-Marie coupable de complicité de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, jusqu'au 11 janvier 1996, à Paris, infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1 Code de la consommation, articles 1271-6 et 121-7 du Code pénal

Et par application de ces articles, a condamné

- T Yvette Louise épouse P à 20 000 F d'amende.

- D Alain Jean-Marie à 20 000 F d'amende.

Les appels:

Appel a été interjeté par:

Monsieur D Alain, le 27 novembre 1997

Madame T Yvette, le 3 décembre 1997

M. le Procureur de la République, le 3 décembre 1997 contre Madame T Yvette, Monsieur D Alain

Décision:

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels régulièrement interjetés par les prévenus et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour l'exposé de la prévention ;

D Alain sollicite sa relaxe et l'infirmation du jugement entrepris. Il demande, à cet effet, à la cour de constater l'absence d'élément matériel de l'infraction qui lui est reprochée, de constater l'absence d'élément intentionnel de l'infraction qui lui est reprochée, puis statuant à nouveau de le relaxer des fins de la poursuite et à titre subsidiaire si la cour confirmait sa culpabilité de réduire à de plus justes proportions le montant de l'amende pénale ordonnée.

Il expose, à cet effet, que président directeur général de la société Y, il distingue différentes catégories de dindes correspondant à un Code article différent, que les dindes fermières étant considérées comme un produit supérieur, elles portent forcément le Code article n° 568, qu'elles portent en outre la qualification de noires ou affiliées, qu'en effet lorsque la société Y acquiert les produits qu'elle met ensuite en vente, elle les référence dès leur acquisition sous le numéro de Code qui correspond aux caractéristiques de ces produits, qu'ensuite lorsque le produit est vendu le même Code article doit bien apparaître sur la facture de vente pour assurer une gestion saine et équilibrée du stock, que par conséquent la société ne peut nullement changer le numéro Code d'un produit, entre son acquisition et sa revente, faute de quoi toute la gestion de son stock et toute sa comptabilité seraient totalement erronées, que dans ces conditions, le colis de dindes noires vendu par la société Y à la rôtisserie X ne peut matériellement correspondre aux dindes noires de Challans fermières en cause, que par ailleurs le service vétérinaire de Rungis passe tous les jours dans les locaux de la société Y et il est impossible qu'il n'est pas remarqué la présence de ces produits litigieux, lesquels si ils avaient été mis en vente, auraient été forcément saisis.

A titre subsidiaire, il demande à la cour de réduire la montant de la peine à laquelle il a été condamné, que devant une telle disproportion non justifiée en l'espèce, il lui demande de faire preuve d'une plus grande indulgence à son égard et de réduire la sanction qui pourrait être ordonnée, à de plus justes proportions.

T Yvette épouse P demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de prononcer sa relaxe, elle expose à cet effet, qu'elle n'avait pas l'intention de vendre les six dindes litigieuses sous le label "Dindes de Challans" que son mari qui s'était porté acquéreur de ces dindes, savait que la date limite de leur consommation était dépassée au regard du label "Dindes de Challans" que c'est la raison pour laquelle il a acheté ces dindes à un prix moindre, qu'il n'est pas contesté que ces dindes pouvaient être vendues hors label bien que la date de consommation au regard du label "Dindes de Challans" était dépassée, ces dindes pouvaient être vendues puisque le service vétérinaire de Rungis les avait déclarées bonne à la consommation, qu'elle ne voulait les vendre sous le label "Dindes de Challans" mais simplement sans label après les avoir cuisinées dans sa rôtisserie, que son époux P Christian a précisé que son mandataire lui a proposé des "Dindes de Challans" à un prix dérisoire, car la date de péremption était dépassé, mais sous le couvert des services vétérinaires de Rungis, ces dindes étaient déclarées bonnes à la consommation que ces dindes étaient destinées à être cuites et donc ne présentaient aucun danger au niveau vétérinaire, que l'affichage intérieur ne mentionne nullement que ces dindes seraient vendues sous le label "Dindes de Challans", condition de la tentative de tromperie sur la marchandise vendue sous ce label, en conséquence la preuve des éléments constitutifs de la tromperie est nullement rapportée et le doute concernant la mise en vente des dindes litigieuses doit induire la cour à prononcer la relaxe de T Yvette épouse P, et cela d'autant plus qu'elle se présente devant les juridictions pénales pour la première fois et que sa bonne foi ne fait pas de doute.

Le Ministère public s'en tient aux constatations effectuées le 11 janvier 1996 par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de la région 11e de France, mentionnant la présence dans une vitrine à l'intérieur du magasin de six dindes de Challans exposées en vue de leur vente à la clientèle et aux renseignements recueillis auprès de l'Association Qualité France, indiquant que ces volailles abattues le 21 décembre 1995, auraient dû être retirées de la vente le 5 janvier 1996, il demande en conséquence la confirmation du jugement entrepris et la publication de l'arrêt dans tel journal qu'il appartiendra à la cour de désigner.

La réglementation des dindes sous label prévoit que de tels produits doivent être mis en vente munis d'une étiquette indiquant la date limite de consommation.

En effet, la présence d'une date limite de consommation sur ce type de produit participe, avec les caractéristiques spécifiques de production, à la garantie d'un niveau de qualité qui justifie un prix de vente plus élevé.

Il s'agit d'une règle essentielle qui atteste de l'état de fraîcheur du produit.C'est une des caractéristiques fondamentales des volailles labellisées qui les distinguent des produits courants, pour lesquels une telle garantie de fraîcheur n'est pas exigée. Aussi, dès lors que la date limite de consommation figurant sur l'étiquette individuelle d'une volaille sous label est dépassée, la volaille doit être retirée de la vente.

De plus, la date limite de consommation faisant partie intégrante de l'étiquetage du label, celui-ci n'a plus aucune signification si l'étiquetage a été arraché,

Le fait de commercialiser des dindes sous label dont les dates limite de consommation sont dépassées constitue un délit de tromperie ou de tentative de tromperie sur les qualités substantielles au sens de l'article L. 21 3-1 du Code de la consommation qui stipule: " Sera puni d'un emprisonnement de trois mois au moins, deux ans au plus, et d'une amende de 1 000 F au moins à 250 000 F au plus, ou de l'une de ces deux peines seulement, quiconque... aura trompé ou tenté de tromper le contractant, par quelque moyen que ce soit... sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles... de toutes marchandises ".

Le fait de commercialiser cinq dindes sous label dont la date limite de consommation a été altérée constitue un délit à l'article L. 217-3 du Code de la consommation qui prévoit que : " seront punis... ceux qui, sciemment, seront exposé, mis en vente, vendu les marchandises ainsi altérées ou qui en seront trouvés détenteurs dans leurs locaux commerciaux ".

Invité à s'expliquer sur l'arrachage de la date limite de consommation sur trois dindes et sur la mise en vente le 11 janvier 1996 d'une dinde comportant la date limite de consommation du 4 janvier 1996, M. P a déclaré qu'il avait reçu, en l'état, ces trois dindes et qu'il n'avait pas vu que la date limite de consommation était dépassée.

Il a déclaré que le prix de vente de la dinde PAC (prête à cuire) était d'environ 50 F le kg (procès-verbal de déclaration cote 9).

En leur qualité de professionnels de la volaille, commercialisant de manière habituelle des produits haut de gamme, M. et Mme P savaient pertinemment qu'un revendeur ne peut s'approvisionner en dindes de Challans labellisées au prix de 5 F hors taxe le kilogramme. Un achat aussi particulier ne pouvait ainsi intervenir qu'après accord, sur le choix et sur le prix, des parties intéressées, savoir d'une part le client, d'autre part le fournisseur, la SA Y dont les dirigeants font également l'objet d'une procédure.

Par ailleurs, bien qu'achetées à prix "symbolique" on toute connaissance de cause, ces volailles ont néanmoins été proposées à la vente par M. et Mme P à un prix "normal" ce qui est un élément supplémentaire de leur intention frauduleuse.

Motifs

Le 11 janvier 1996, des agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes(DGCCRF) se sont présenté à la rôtisserie X située <adresse>à Paris 16e dont Yvette P est la gérante.

Ils ont constaté dans une vitrine à l'intérieur du magasin que six dindes étaient proposées à la vente ;que chaque volaille comportait un étiquetage du label rouge que, cependant, une des dindes avait une étiquette mentionnant "à consommer jusqu'au 04/01/1996" deux ne comportaient aucune indication de leur date limite de consommation et trois portaient des traces d'arrachage d'étiquettes ayant pu avoir cette date limite de consommation.

Les renseignements recueillis auprès de l'association Qualité France "organisme de contrôle des labels, ont permis de savoir que ces volailles avaient été abattues le 21 décembre 1995, la date limite de consommation étant fixée 15 jours après abattage, elles auraient dû être retirées de la vente le 5 janvier 1996.

La facture d'achat du 11 janvier 1996 faisait apparaître un prix d'achat hors taxe de 5 F le kg alors que la cotation de la dinde fermière à Rungis, du 18 au 23 décembre était de 32,80 F le kg.

Christian P a déclaré que son mandataire lui avait proposé des dindes de Challans à un prix dérisoire car la date de péremption était dépassée mais que sous le couvert du service sanitaire de Rungis, elles étaient déclarées bonnes à la consommation ; que ces dindes qui étaient destinées à être cuites ne présentaient aucun danger sur le plan sanitaire qu'il avait enlevé quelques étiquette pour faciliter l'aération de ces dindes qui allaient être cuites et vendues au prix normal.

A l'audience T Yvette épouse P a confirmé les déclarations de son époux.

La réglementation des dindes sous label prévoit que de tels produits doivent être mis en vente munis d'une étiquette indiquant la date limite de consommation, ce qui garantit avec les caractéristiques de production, un niveau de qualité qui justifie un prix de vente plus élevé.

Le fait de proposer à la vente des dindes sous label dont les dates limites de consommation sont dépassées constitue le délit de tentative de tromperie reproché à T Yvette épouse P.

Ces dindes avaient été achetées à la société Y située <adresse>à Rungis dont Alain D est le président directeur général.

Laurent G, directeur général de la société Y, a indiqué que la marchandise vendue était déclassée mais non périmée.

A l'audience, Alain D a indiqué qu'il existait une délégation de fait de ses pouvoirs au profit de Jean-Luc B chargé dans la nuit du contrôle de la marchandise ; qu'en toute hypothèse, les dindes litigieuses ne provenaient pas de sa société.

Cependant, aucune délégation de pouvoir n'est établie et la facture produite par T Yvette épouse P justifie de l'achat des dindes à la société Y.

Ainsi, la différence significative entre le prix de vente facturé et le cours plancher est révélatrice d'une volonté délibérée d'écouler à vil prix une marchandise ne répondant plus aux caractéristiques de qualité exigées par la réglementation des volailles sous label.

En vendant de tels produits, Alain D s'est rendu complice du délit commis par T Yvette épouse P, il sera toutefois relaxé au bénéfice du doute, compte tenu de ce qu'il a vendu de la marchandise déclassée mais non périmée.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels des prévenus et du Ministère public, Infirme le jugement déféré en ce qui concerne D Alain, Le relaxe au bénéfice du doute, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré en ce qui concerne T Yvette épouse P, Y ajoutant, Ordonne la publication du présent arrêt dans le journal Le Figaro, Edition parisienne du samedi. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable la condamnée T Yvette épouse P.