CA Lyon, 3e ch. civ., 15 janvier 2004, n° 02-03192
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Collet, Syndicat des détaillants en chaussures de Lyon et sa région la Loire et l'Ain
Défendeur :
Adidas Sarragan France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martin
Conseillers :
MM. Simon, Kerraudren
Avoués :
SCP Junillon-Wicky, Me Rahon
Avocats :
Mes Cievet, Vuillez
Exposé de l'affaire:
Par lettre recommandée reçue par Madame Liliane Collet le 19 janvier 2000, la société Adidas a proposé à celle-ci, commerçante à Montrevel-en-Bresse (Ain), qu'elle fournissait en articles de sport depuis plusieurs années, d'adhérer à une charte de distribution sélective comportant notamment une participation aux frais d'ouverture et de gestion annuelle d'un montant forfaitaire de 5 000 F, pour un chiffre d'affaires inférieur à 40 000 F, remboursable en cas de dépassement de ce montant. La même lettre précisait qu'à défaut de retour de la charte et du règlement des frais avant le 25 janvier 2000, le carnet de commande serait annulé. Madame Collet a manifesté son refus d'adhérer à la charte par la voie de son conseil, le 20 avril 2000, tout en réclamant la possibilité de continuer à distribuer les produits Adidas et la régularisation des livraisons d'articles commandés. Le fournisseur ayant maintenu sa proposition, par lettre du 26 mai 2000, Madame Collet l'a assigné devant le Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse, par exploit du 20 octobre 2000, pour violation des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986, à l'effet d'obtenir l'allocation de dommages et intérêts pour préjudice commercial et la reprise des livraisons. Le Syndicat des détaillants en chaussures de Lyon et sa région, la Loire et l'Ain, est intervenu à la procédure par le même acte et a aussi sollicité l'octroi de dommages et intérêts.
Par jugement du 17 mai 2002, le tribunal a:
- débouté Madame Collet de ses allégations fondées sur les articles L. 420-2 et L. 442-6 du Code de commerce,
- reconnu le caractère licite des clauses de la charte de distribution de la société Adidas,
- constaté que cette société avait néanmoins causé un préjudice à Madame Collet en n'honorant pas les commandes passées en septembre - octobre 1999, livrables en février - mars 2000,
- condamné, en conséquence, cette société à verser à Madame Collet, à titre de dédommagement, la somme de 763 euros, avec intérêts légaux à compter du jugement,
- déclaré l'action du Syndicat des détaillants en chaussures de Lyon et sa région, la Loire et l'Ain, irrecevable,
- rejeté la demande d'exécution provisoire,
- mis les dépens à la charge de Madame Collet et du syndicat solidairement.
Madame Collet et le syndicat ont relevé appel de ce jugement. Aux termes de leurs écritures, en date du 2 octobre 2002, ils prient la cour de réformer ledit jugement et de:
- dire recevable l'intervention accessoire du Syndicat des détaillants en chaussures de Lyon et sa région, la Loire et l'Ain,
- dire brusque et abusive la décision de rupture de la société Adidas,
- déclarer cette société coupable de pratiques discriminatoires,
- condamner la même à payer à Madame Collet, à titre de dommages et intérêts, avec intérêts de droit à compter de l'assignation:
* la somme de 15 000 euros à raison du caractère brusque de la rupture et de l'annulation de la commande,
* la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts à raison de la rupture de la collaboration entre les parties,
- condamner la société Adidas à payer à chacun d'eux 2 000 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'intimée, quant à elle, a conclu en réponse le 9 septembre 2003 en demandant à la cour de:
Avant dire droit:
- constater que les textes applicables aux fait objets de la présente sont les articles 8 et 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans leur rédaction antérieure à la loi du 15 mai 2001 et à leur codification sous les articles L. 420-2 et L. 442-6 du Code de commerce,
- en conséquence, en tant que de besoin, écarter toute demande et tout argument de Madame Collet et/ou du Syndicat, fondés sur les articles L. 420-2 et L. 442-6 du Code de commerce, issus de la loi du 15 mai 2001,
Sur l'irrecevabilité de l'action du syndicat:
- constater que le syndicat ne rapporte pas la preuve que Madame Collet serait l'un de ses membres,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré l'action du syndicat irrecevable faute de qualité et d'intérêt à agir et de rejeter sa demande en conséquence,
Sur les demandes de Madame Collet au titre de la rupture brutale (article L. 442-6 du Code de commerce):
- dire que Madame Collet est seule et entièrement responsable de la rupture de ses relations commerciales avec la société Adidas,
Et tout état de cause:
- constater que Madame Collet n'a subi aucun préjudice du fait de la rupture prétendument brutale,
A titre subsidiaire:
- dire que le préjudice que Madame Collet prétend avoir subi du fait de la rupture ne saurait être supérieur à 331 euros,
A titre infiniment subsidiaire:
- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu que le préjudice de Madame Liliane Collet du fait de la rupture était égal à 763 euros,
Sur les demandes de Madame Collet au titre du prétendu abus d'une position dominante (article L. 420-2 du Code de commerce):
- constater que Madame Collet ne définit pas le marché sur lequel la prétendue position dominante de la société Adidas serait exploitée,
- constater que Madame Collet ne rapporte pas plus la preuve que la société Adidas serait en position dominante au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce sur un quelconque marché pertinent,
- constater qu'en tout état de cause, la société Adidas ne s'est rendue coupable d'aucun abus d'une prétendue position dominante qui serait susceptible d'affecter le marché pertinent,
En conséquence:
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Madame Collet de ses demandes au titre de l'article L. 420-2 du Code de commerce,
Sur les prétendues pratiques discriminatoires (article L. 442-6 du Code de commerce):
- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté la validité de la charte et de la clause d'avance sur frais de gestion contenues dans les conditions générales de la société Adidas et débouté Madame Collet de ses demandes à cet égard,
- constater que Madame Collet ne conteste plus, à hauteur de cour, la validité de la charte de distribution sélective mise en place par la société Adidas ni le droit pour la société Adidas de mettre en place un tel système de distribution,
- constater que Madame Collet ne conteste pas le bien-fondé des motifs de la rupture des relations,
- dire que les demandes de Madame Collet au titre du prétendu refus de vente tel que prévu aux termes de l'article L. 442-1 du Code de commerce sont irrecevables en tant que demandes nouvelles et en tout état de cause irrecevables et mal fondées s'agissant de rapports entre professionnels,
En tant que de besoin:
- dire que la clause d'avance sur frais de gestion contenue dans les conditions générales de la société Adidas est valable et est justifiée par une contrepartie réelle,
- condamner solidairement Madame Collet et le syndicat au paiement de la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles liés à la procédure d'appel, conformément aux dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La cour renvoie, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, à leurs écritures précitées.
Motifs:
Sur la recevabilité de l'intervention du Syndicat:
Attendu qu'il résulte des statuts de ce syndicat, dont une copie certifiée conforme et signée a été versée aux débats, qu'il a notamment pour objet de défendre les intérêts professionnels de ses adhérents sur le plan départemental et régional et qu'il a tous pouvoirs pour mener auprès des tribunaux toute action nécessaire à la préservation des intérêts de ses membres (article 3);
Attendu que selon une attestation de la présidente dudit syndicat, non discutée, en date du 3 octobre 2003, Madame Liliane Collet était adhérente depuis 1995 et elle y adhère toujours;
Attendu qu'il importe peu que le syndicat ne développe pas une argumentation autonome par rapport à celle de Madame Collet puisqu'il est intervenu à la procédure volontairement, à titre accessoire, pour appuyer les prétentions de son adhérente, dont les intérêts professionnels sont en litige;
Attendu que le syndicat justifie d'un intérêt collectif pour intervenir dans la mesure où se trouve notamment débattue la question de la position prétendument dominante de la société Adidas et de ses pratiques qualifiées de discriminatoires, susceptibles de concerner l'ensemble des professionnels exerçant dans le même secteur d'activité;
Attendu, en conséquence, que l'intervention du syndicat est recevable et que le jugement sera réformé de ce chef;
Sur l'exploitation abusive d'une position dominante:
Attendu que l'intimée fait valoir à bon droit que les dispositions législatives applicables en la cause sont celles dans leur rédaction antérieure aux modifications issues de la loi du 15 mai 2001, compte tenu de la date des faits litigieux, soit l'article L. 420-2 du Code de commerce reprenant l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Attendu que Madame Collet prétend que la société Adidas occupe une "position de leader ", qu'elle est souvent choisie par ses clients et qu'elle ne peut leur proposer des produits substituables;
Attendu cependant que les appelants se bornent à émettre des affirmations, alors qu'il leur appartient de justifier, outre l'abus de ce que la société Adidas, sur un marché défini, occupe une place prépondérante lui permettant de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective ou au moins de se comporter sans en tenir compte;
Attendu que Madame Collet et le syndicat ne définissent pas le marché en cause par des données techniques, économiques et commerciales ; qu'ils ne fournissent aucun élément de nature à déterminer la puissance économique réelle de leur adversaire, laquelle ne peut se déduire de la seule notoriété de sa marque;
Attendu qu'il résulte des documents versés aux débats par Madame Collet et notamment d'une lettre d'association sportive, en date du 20 février 2001, qu'elle a fourni à celle-ci des vêtements et accessoires de sports d'autres marques qu'Adidas et que cette association demandait les tarifs applicables pour la saison 2001-2002, quelle que fut la marque, sans exiger des produits Adidas;
Attendu que le tribunal a aussi, par des motifs que ne critiquent pas les appelants, relevé que de nombreux fabricants de vêtements de sports et accessoires étaient en concurrence et qu'il ne pouvait être soutenu qu'ils seraient contraints de se conformer au comportement d'Adidas;
Attendu en conséquence que le jugement doit être approuvé en ce qu'il a écarté le grief susvisé, sans même qu'il y ait lieu de rechercher l'abus qui aurait pu être commis par la société intimée ;
Sur les pratiques discriminatoires:
Attendu que les appelants soutiennent que le système imposé par la société Adidas est discriminatoire au motif qu'elle demande à Madame Collet, avant toute commande, une espèce de taxe forfaitaire de 5 000 F (762,25 euros) en sus des acquisitions effectuées jusqu'à 40 000 F (6 097,96 euros) ; qu'ils invoquent ici l'article L. 442-6 du Code de commerce, ajoutant que les frais de gestion allégués sont inexistants;
Attendu que l'article 11 des conditions générales de vente de la société Adidas prévoit la participation précitée aux frais d'ouverture et de gestion annuelle, restituable des lors que le chiffre d'affaires net hors taxes effectivement réalisé au cours de l'année civile concernée est supérieur à 40 000 F sur la base des articles facturés et payés;
Attendu que cette clause repose sur un critère quantitatif précis et objectif, indépendant de la personne même du distributeur et applicable à tous les partenaires économiques de la société Adidas ; qu'en outre, comme l'a relevé le tribunal, elle s'accompagne d'une contrepartie précise;
Attendu, en effet, qu'il n'est pas sérieusement discutable que, même si le compte de Madame Collet est ouvert depuis longtemps et ne génèrera pas de frais initiaux en cas d'adhésion, il donne lieu à une gestion courante et que, comme l'ont souligné les premiers juges, Madame Collet bénéficie de publicités à l'échelon national, de l'envoi de catalogues et de l'organisation de " show-rooms ", de nature à justifier la réclamation d'une somme de 5 000 F par an;
Attendu que la société Adidas fait justement valoir que la clause de participation aux frais de gestion a un objectif légitime en ce qu'elle vise à compenser des coûts de gestion et en ce qu'elle incite le distributeur à consacrer ses efforts à la vente des produits de la marque Adidas; que l'intimée indique aussi, sans être contredite, qu'elle distribue ses produits dans un nombre considérable de petits points de vente en France et que le consommateur bénéficie de ce système de distribution;
Attendu que Madame Collet invoque aussi le refus de vente prévu par l'article L. 122-1 du Code de la consommation, auquel se réfère expressément l'article L. 442-1 du Code de commerce ; qu'il s'agit d'un moyen nouveau, recevable en cause d'appel, et non d'une demande nouvelle;
Attendu que l'intimée oppose à bon droit à ses adversaires l'inapplicabilité de ces textes puisque, en sa qualité de professionnel, Madame Collet n'est pas un consommateur, seule catégorie visée par la protection édictée par cette législation;
Attendu qu'en toute hypothèse le refus de vente, pour donner lieu à allocation de dommages et intérêts, doit être fautif; ce qui n'est pas le cas en l'espèce, pour les motifs exposés précédemment dès lors que la validité du système de distribution sélective proposé par la société Adidas n'est expressément pas contestée;
Attendu qu'il suit de l'ensemble de ces éléments que le jugement n'encourt pas la censure en ce qu'il a aussi écarté les demandes fondées sur les dispositions précitées;
Sur la rupture brutale des relations commerciales;
Attendu que les appelants se prévalent ici de l'article L. 442-6 du Code de commerce, qu'il convient d'appliquer dans sa rédaction antérieure à la loi du 15 mai 2001, ce qui exclut notamment le doublement du délai de préavis auquel ils se réfèrent puisque celui-ci résulte de ladite loi;
Attendu que Madame Liliane Collet ne discute pas la validité de la charte qui lui a été proposée mais reproche à la société Adidas d'avoir rompu brusquement des relations commerciales anciennes;
Attendu que, si la société Adidas avait la faculté de réorganiser son réseau de distribution, elle n'avait pas pour autant celle de s'affranchir des obligations posées par le texte susvisé, alors qu'elle indique elle-même qu'elle avait entrepris une application progressive de la charte;
Attendu que Madame Collet a passé commande de divers articles à la société Adidas, le 12 octobre 1999, pour un montant de 6 201 F, ainsi qu'il résulte de la situation établie par le fournisseur lui-même à cette date; que ces commandes ont bien été acceptées par la société Adidas, sauf à priver de tout sens l'envoi à Madame Collet de la situation précitée et de la mention d'un carnet de commande dans la lettre du 14 janvier 2000;
Attendu que dans cette missive, reçue par Madame Collet le 19 janvier 2000, la société Adidas conditionnait la livraison des produits à la signature de la charte avant le 25 janvier 2000, faute de quoi le carnet de commande serait annulé;
Attendu qu'il est constant que les produits commandés n'ont pas été livrés à Madame Collet, celle-ci ayant refusé d'adhérer à la charte;
Attendu que la société Adidas a donc annulé la commande en ne prévenant Madame Collet que six jours à l'avance, alors que les parties étaient en relations commerciales depuis plusieurs années et que la commande était antérieure à la mise en place de son réseau de distribution; qu'elle est donc bien à l'origine de la rupture brutale, contrairement à ce qu'elle prétend;
Attendu, sur le préjudice, qu'il est certain que les relations commerciales entre les parties devaient en toute hypothèse prendre fin, par suite du refus d'adhésion de Madame Collet au système de distribution mis en place par la société Adidas;
Attendu que Madame Collet ne peut donc arguer d'un préjudice correspondant à la perte de bénéfice d'une année, que le recours à des grossistes, pour les mêmes produits que ceux commandés, entraîne une majoration de prix de 35 % ; qu'en outre, Madame Collet n'a disposé que d'un délai très court pour réorganiser son approvisionnement; que, toutefois, son chiffre d'affaires avec la société Adidas ne représentait qu'une proportion de 4 % environ de ses commandes en 1999, soit un montant de 34 493 F HT;
Attendu qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, le préjudice de Madame Liliane Collet doit être fixé à la somme de 1 500 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, et le jugement réformé de ce chef;
Sur les frais:
Attendu enfin qu'il est équitable d'indemniser les appelants pour leurs frais irrépétibles de procédure en allouant la somme de 1 000 euros à chacun d'eux ; qu'au contraire l'intimée, qui succombe, sera déboutée de ce chef de réclamation;
Par ces motifs et ceux non contraires du tribunal : LA COUR, Réformant partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau, Déclare le Syndicat des détaillants en chaussures de Lyon et sa région, la Loire et l'Ain, recevable en son intervention, Dit que la société Adidas Sarragan France est responsable de la rupture brutale de relations commerciales établies avec Madame Liliane Collet, Condamne, en conséquence, la société Adidas Sarragan France à payer : * à Madame Liliane Collet la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ainsi que la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, * au Syndicat des détaillants en chaussures de Lyon et sa région, la Loire et l'Ain, la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Confirme la décision déférée en ce qu'elle a débouté Madame Liliane Collet du surplus de ses demandes, Rejette toutes prétentions contraires des parties, Condamne la société Adidas Sarragan France aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct pour ces derniers, au profit de la SCP Junillon-Wicky, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.