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Décisions

CA Nancy, 2e ch. com., 18 février 2004, n° 02-01034

NANCY

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Joly

Défendeur :

Vacher (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Moureu

Conseillers :

MM. Jobert, Ruff

Avoués :

SCP Bonet-Leinster Wisniewski, SCP Merlingue Bach-Wassermann

Avocats :

Mes Gundermann, Grandhaye

T. com. Nancy, du 18 mars 2002

18 mars 2002

Bases contractuelles du litige

Faits constants et procédure

M. Joly exploite les Etablissements Nicolas Joly à Heillecourt qui commercialisent des pièces détachées de débroussailleuses.

Il sous-traitait l'équilibrage des rotors de débroussailleuses successivement auprès de la société Sicard puis de Auto Industrie de l'Est (AIE) qui sont, l'une après l'autre, passées sous le contrôle de la SA Vacher.

Vu la demande introduite contre M. Joly, exploitant les Etablissements Nicolas Joly, par la SA Vacher selon assignation du 10 février 2000 tendant, dans le dernier état de ses conclusions, au paiement de 29 594,89 F (4 511,71 euro) représentant les factures de prestations de septembre à novembre 1999, 5 000 F de dommages-intérêts et 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Vu les conclusions de la partie défenderesse se reconnaissant redevable de 16 039,80 F (2 245,25 euro) et tendant, sur demande reconventionnelle au paiement de 31 685,18 F (4 830,37 euro) pour arrêt des opérations d'équilibrage pendant un mois, de 150 000 F (22 867,35 euro) de dommages-intérêts pour brusque rupture des relations commerciales, à la compensation des créances réciproques des parties et à l'allocation de 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Nancy le 18 mars 2002, à la suite des débats du 14 mai 2001, exécutoire par provision, qui a condamné M. Nicolas Joly à payer à la SA Vacher 4 511,71 euro en principal et 400 euro de dommages-intérêts pour résistance abusive et 610 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, déboutant M. Nicolas Joly de sa demande reconventionnelle,

Vu l'appel de ce jugement interjeté par M. Nicolas Joly le 9 avril 2002,

Vu les moyens et prétentions de l'appelant exposés dans ses dernières conclusions signifiées le 10 septembre 2003 tendant aux mêmes fins que ses conclusions de première instance et à l'allocation de 1 220 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Vu les moyens et prétentions de la partie intimée exposés dans ses dernières conclusions signifiées le 5 mai 2003 tendant à la confirmation du jugement déféré et à l'allocation de 500 euro de dommages-intérêts pour appel abusif et de 800 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Moyens des parties

Au soutien de son appel, M. Nicolas Joly fait valoir que:

- les factures de septembre et octobre 1999 sont reconnues,

- les 20 filtres livrés en novembre 1999 justifiaient le paiement de 2 001,96 F qui a été effectué par chèque du 5 avril 2000,

- les marchandises objet des factures 305446 et 305732 n'ont pas été livrées et la SA Vacher n'en prouve pas la livraison,

- le prétendu défaut de contestation des factures à réception est inopérant car M. Nicolas Joly n'a pris connaissance des factures qu'à la suite de la procédure judiciaire,

- en février et octobre 1999 les délais mensuels d'équilibrage des rotors n'ont pas été tenus,

- M. Nicolas Joly ayant fait part de son mécontentement, la SA Vacher répondit par fax du 29 octobre 1999 qu'elle cesserait de travailler avec son entreprise,

- la SA Vacher ne peut se prévaloir d'un cas de force majeure,

- le défaut de paiement des factures de septembre et octobre 1999 n'est pas allégué comme motif de rupture dans le fax du 29 octobre 1999,

- la SA Vacher était la seule entreprise pouvant fournir la prestation d'équilibrage de rotors dans la région,

- profitant de sa situation de monopole, la SA Vacher a pratiqué des tarifs exorbitants,

- pour des raisons pratiques, M. Nicolas Joly ne pouvait donner suite à la proposition de vente de l'équilibreuse,

- le préjudice matériel s'élève à 31 685,18 F,

- la brusque rupture des relations commerciales a nécessité le recours à une entreprise de Saint-Dizier.

La SA Vacher réplique que:

- l'absence de protestation à la réception de la facture fait présumer la réalité de la créance,

- les bordereaux de livraison ont été signés et non contestés,

- M. Nicolas Joly a choisi volontairement de ne pas poursuivre ses relations commerciales avec la SA Vacher,

- la SA Vacher a proposé à M. Nicolas Joly de lui vendre son équilibreuse,

- la SA Vacher ne jouit pas d'une position de monopole,

- les relations pouvaient être rompues sans préavis pour cause étrangère et à la suite de l'inexécution de ses obligations par M. Nicolas Joly,

- M. Nicolas Joly ne justifie d'aucun préjudice certain.

Motifs

Sur la demande principale en paiement des factures de septembre, octobre et novembre 1999,

Attendu que les premiers juges ont fait une application erronée de l'article 1315 du Code civil en affirmant qu' " il appartient à celui qui se prévaut de l'inexécution d'une obligation d'en rapporter la preuve " ;

Qu'en effet, l'article 1315 du Code civil, énonce le principe contraire:

"Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement [...]"

Attendu que les factures et bons de commande produits par la SA Vacher ne font l'objet d'aucune discussion;

Qu'en revanche, la SA Vacher s'est abstenue de verser aux débats la seule facture contestée qui est celle du 30 novembre 1999;

Que la SA Vacher se prévaut de "bordereaux de livraison [qui] ont bien été signés mais non contestés" (conclusions, p. 4) mais n'en produit aucun qui se rapporte aux livraisons de novembre 1999;

Que la SA Vacher ne justifie pas de la date d'expédition de la facture du 30 novembre 1999;

Que, dans un courrier du 10 février 2000, M. Nicolas Joly conteste avoir reçu ladite facture en soulignant que la SA Vacher n'a plus fourni aucune prestation depuis le 29 octobre 1999, ce qui est conforme au contenu du fax adressé par la SA Vacher le 29 octobre 1999 ainsi libellé: "le ton et les menaces de ce courrier m'oblige [sic] à ne plus travailler pour vous" (pièce n° 4 de la SA Vacher);

Qu'il convient, en conséquence, de limiter la condamnation de la SA Vacher au montant reconnu, soit 2 445,25 euro;

Sur la demande reconventionnelle en réparation de la rupture des relations commerciales,

Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats que, par fax adressé le 29 octobre 1999, la SA Vacher a informé M. Nicolas Joly de sa décision de "ne plus travailler" pour lui (pièce n° 4 de la SA Vacher, citée ci-dessus);

Que ce message faisait suite à une lettre recommandée adressée le 28 octobre 1999 par M. Nicolas Joly faisant, notamment, grief à la SA Vacher d'avoir interrompu ses prestations pour un mois, sans avertissement préalable (pièce n° 1 de la SA Vacher);

Qu'à cette époque, la SA Vacher n'a nullement justifié la cessation de ses prestations par un retard de paiement des Etablissements Joly;

Qu'à la date du 29 octobre 1999, aucune échéance n'était impayée;

Attendu que l'intimée ne conteste pas l'existence de relations commerciales établies avec les Etablissements Joly;

Qu'elle se borne à souligner que ces relations étaient récentes;

Maisattendu qu'en réalité, dans ses rapports avec les Etablissements Joly, la SA Vacher ne faisait que succéder à la SA AIE qu'elle avait rachetée en février 1999 et qui travaillait pour les Etablissements Joly depuis 1985, comme en témoigne une facture de l'époque (pièce n° 31 de l'appelant);

Que, même si M. Joly n'a pas indiqué le montant annuel des prestations confiées à la SA AIE puis à la SA Vacher, il est constant que l'équilibrage des rotors de débroussailleuses constituait une activité régulière et importante des Etablissements Joly dont l'en-tête du papier à lettre mentionne: "pièces pour débroussailleuses";

Qu'en considération de ces éléments, la brusque rupture des relations commerciales, sans préavis, à titre de représailles pour "le ton et les menaces" contenues dans le courrier sus-visé, engage la responsabilité de la SA Vacher en application de l'article L. 442-6 du Code de commerce (ancien article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986);

Que la SA Vacher ne saurait se retrancher derrière les aménagements et changements consécutifs au rachat de AIE par Vacher en février 1999 pour justifier l'interruption des prestations à partir de la semaine 42/99 (mi-octobre 1999), sans aviser sa cliente;

Attendu que M. Nicolas Joly a mis en compte 4 830,37 euro (31 685,18 F) au titre du préjudice matériel consécutif à l'arrêt des prestations de la SA Vacher et justifie ce montant en soutenant qu'à défaut de pouvoir faire équilibrer dans le délai d'un mois les rotors des machines confiées par des clients, il a dû procéder à 9 échanges standard (soit 1 500 F x 9 = 13 500 F), fournir 4 rotors neufs (soit 3 500 x 4 = 14 000 F) et exposer des frais de transport;

Qu'en outre, il aurait perdu des embouts spéciaux réalisés par AIDE de 1985 à 1989, facturés environ 3 200 F HT, non restitués (lettre de M. Nicolas Joly du 10 décembre 1999, pièce n° 7 de M. Nicolas Joly);

Attendu, toutefois, que ces frais supplémentaires - qui sont plausibles - ne sont justifiés que par des factures établies par les Etablissements Joly sur lesquelles les suppléments imputables à la SA Vacher sont notés à la main;

Que les attestations produites par M. Nicolas Joly, qui émanent de ses salariés, ne confirment pas l'évaluation du préjudice résultant de l'obligation de procéder à des échanges standard de rotors ou d'acheter du matériel neuf ;

Que la facture GEFCO, dont la date est illisible, n'établit nullement que les Etablissements Joly aient été obligés de procéder à des transports supplémentaires concernant 6 rotors, ce qui ne correspond ni au nombre d'échanges standard ni au nombre de rotors prétendument achetés neufs;

Que la disparition d'embouts spécifiques résulte des seules affirmations de M. Nicolas Joly;

Qu'au surplus, se rapportant à du matériel fabriqué 14 ans avant l'arrêt des prestations, la valeur facturée à l'époque - à la supposer établie - ne pourrait qu'être retenue symboliquement, compte tenu de l'amortissement;

Que l'appelant n'a versé aux débats aucune lettre de réclamation de ses clients ni aucune pièce faisant ressortir qu'il aurait perdu des clients ou que son image commerciale aurait été atteinte;

Attendu que la cour dispose d'éléments suffisants pour fixer à 700 euro le préjudice causé aux Etablissements Joly qui ont dû, dans l'urgence, trouver des solutions techniques pour donner satisfaction à leurs clients dans les délais convenus;

Qu'il y aura compensation entre les créances réciproques;

Mais attendu que l'abus de position dominante prévu par l'article L. 420-2 du Code de commerce n'est pas caractérisé en l'espèce à l'égard de la SA Vacher;

Que, de ce chef, M. Nicolas Joly n'a présenté en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué, lequel repose sur des motifs pertinents résultant d'une analyse correcte des éléments de la procédure et de la juste application de la loi et des principes régissant la matière;

Qu'il suffit de préciser que la SA Vacher ne peut pas être rendue responsable du contentieux qui a opposé la SA Noremat à M. Nicolas Joly pour concurrence déloyale et qui empêche ce dernier de confier des travaux à cette société;

Qu'après la rupture litigieuse, M. Nicolas Joly a pu faire équilibrer les rotors de débroussailleuses par la SNTR à Saint-Dizier au prix unitaire de 320 F, soit à un prix inférieur à celui pratiqué en février 1999;

Attendu que l'issue du litige démontre que l'appel de M. Joly est exempt d'abus ouvrant droit à des dommages-intérêts;

Attendu que l'équité justifie de laisser à chaque partie la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel et d'écarter l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs, Et, adoptant ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné M. Nicolas Joly à payer à la SA Vacher quatre mille cinq cent onze euro et soixante et onze centimes (4 511,71 euro) en principal, quatre cents euro (400 euro) de dommages-intérêts et débouté M. Nicolas Joly de sa demande reconventionnelle en réparation de la rupture des relations commerciales sans préavis, et, statuant à nouveau dans cette limite, donne acte à M. Nicolas Joly de ce qu'il reconnaît devoir à la SA Vacher la somme de deux mille quatre cent quarante-cinq euro et vingt-cinq centimes (2 445,25 euro) au titre des factures de septembre et octobre 1999 et, au besoin, le condamne à payer cette somme à la SA Vacher, Condamne la SA Vacher à payer à M. Nicolas Joly la somme de sept cents euro (700 euro) en réparation du préjudice résultant de la rupture des relations commerciales sans préavis, Ordonne la compensation de ces deux sommes, Déboute les parties de leurs plus amples conclusions, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. Nicolas Joly de sa demande pour abus de position dominante, Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Dit que chaque partie supportera ses propres dépens de première instance et d'appel.