Cass. crim., 25 février 2004, n° 99-30.076
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Champagne Taittinger (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Soulard
Avocats :
Peignot, Garreau, Me Ricard.
LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par la société Champagne Taittinger, contre l'ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Reims, en date du 22 mars 1999, qui a autorisé l'administration de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes à effectuer des opérations de visite et de saisie de documents en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles; - Vu les mémoires produits en demande et en défense; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 48 de l'ordonnance du 1er septembre 1986, codifié à l'article L. 141 du Code de la consommation;
"en ce que l'ordonnance attaquée a autorisé, sur le fondement du règlement n° 17-62 du Conseil du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité des communautés européennes, et d'une décision en date du 17 mars 1999, des agents de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, et des agents mandatés par la Commission, à perquisitionner dans les locaux de la société Taittinger;
"aux motifs que "dans ses décisions du 17 mars 1999 susvisées, la Commission prévoit que les sociétés Taittinger SA et Geci Cavavin ainsi que leurs filiales, soient soumises à une vérification; que ces décisions doivent être respectivement notifiées aux entreprises Taittinger SA, située 9, place Saint-Nicaise (51100) Reims, et Geci Cavavin, située 18, avenue du Marché (44501) La Baule cedex, en application de leur article 3; que les entreprises sont tenues de permettre aux agents mandatés par la Commission et aux agents de l'autorité compétente de l'Etat membre, qui les assistent, d'accéder à tous les locaux, terrains et moyens de transport, pendant les heures normales des bureaux; qu'elles présenteront tous les livres et autres documents professionnels requis par lesdits agents et permettront qu'ils soient contrôlés sur place et que des copies ou extraits en soient pris; qu'elles fourniront également sur place, toutes les explications orales que lesdits agents pourraient demander en relation avec l'objet de la vérification; que celle-ci a pour but d'apporter les preuve d'accords et/ou de pratiques concertées dans le domaine de la vente de vins de champagne de la société Taittinger; que, dès lors que la Commission met en œuvre, avec le concours des autorités nationales, des mesures de vérification non fondées sur la collaboration de l'entreprise concernée, elle est tenue de respecter les garanties procédurales prévues à cet effet et par le droit national (CJCE du 21 septembre 1989 "Z"); que les Etats membres sont tenus d'assurer l'efficacité de l'action de la Commission (CJCE du 21 septembre 1989 "Z"); que le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a demandé le 19 mars 1999, au directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, de prendre toutes mesures nécessaires à la réalisation de l'enquête définie par la Commission dans sa décision susvisée; qu'il a chargé la brigade interrégionale d'enquêtes Lorraine, Alsace, Champagne-Ardenne de réaliser, avec la brigade interrégionale d'enquêtes Bretagne, Centre, Pays-de-Loire, Poitou-Charentes et la Direction départementale de la Marne, l'assistance aux agents mandatés par la Commission pour rechercher la preuve de pratiques prohibées par l'article 85-1 du traité instituant la Communauté économique européenne; que l'assistance doit être réalisée sous l'autorité d'Hubert A, directeur régional à Metz, chef de la brigade interrégionale d'enquêtes Lorraine, Alsace, Champagne-Ardennes, de Jean-Claude Le B, directeur régional à Nantes, chef de la brigade interrégionale Bretagne, Centre, Pays de Loire, Poitou-Charentes et de Jean-Marc C, chef de service régional à Châlons-en-Champagne; qu'il a désigné Hubert A ou tout fonctionnaire de catégorie A ayant reçu mandat par celui-ci de nous présenter la requête susvisée; que la demande du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie est, en conséquence, l'une des demandes d'enquêtes prévues par l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1948 susvisée; que la requête qui nous est présentée s'inscrit dans l'enquête demandée par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie; qu'Hubert A, auteur de la requête, est titulaire de l'un des grades repris à l'article 3 du décret du 31 janvier 1979 et prévus à l'article 1er du décret du 2 août 1995 et qu'en tant que fonctionnaire de catégorie A, il est habilité au sens de l'article 2 de l'arrêté du 22 janvier 1993; qu'Hubert A a désigné Christine D, inspecteur de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, titulaire de l'un des grades prévus à l'article 1er du décret du 2 août 1995, et habilitée au sens de l'article 2 de l'arrêté du 22 janvier 1993, pour le représenter; que, dans ces conditions, la présente requête est recevable; que sont joints à la requête, outre la demande d'enquête susvisée, les décisions de la Commission, les courriers envoyés respectivement les 8 et 10 mars 1999 par télécopie par la Commission à la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, le mandat d'Hubert A à Christine D, l'arrêt du 21 septembre 1989 "Z", l'arrêt du 7 novembre 1985 E"; que ces documents sont soit communiqués par la Commission des communautés européennes soit accessibles au public; qu'ainsi, l'origine de ces document, nous apparaît licite; que les décisions de la Commission susvisées ont été prises dans les conditions prévues à l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17-62 susvisé; qu'ainsi, l'authenticité de ces décisions ne nous apparaît pas contestable; que celles-ci sont fondées sur des motifs de fait et de droit relatifs à la présomption de pratiques prohibées par l'article 85-1 du traité instituant la Communauté économique européenne mettant en cause les entreprises Taittinger SA et Geci Cavavin précitées, qu'il ne nous appartient pas d'apprécier; qu'en effet, une telle appréciation relève de la compétence du tribunal de première instance des communautés européennes à Luxembourg; qu'en conséquence, les décisions de la Commission susvisées doivent être jointes à la présente ordonnance et en faire partie intégrante; que les éléments contenus dans les décisions de la Commission sont de nature à constituer la motivation définie à l'article 48 de l'ordonnance précitée; que, par ailleurs, ces décisions sont d'exécution immédiate; que les décisions de la Commission et les courriers transmis par télécopie les 8 et 10 mars 1999 à la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes doivent être décrits; que le courrier adressé à la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes le 8 mars 1999 mentionne notamment que, selon les informations à la disposition de la Commission, plusieurs entreprises auraient conclu une entente visant à protéger certains marchés nationaux et à entraver le commerce parallèle d'un produit agro-alimentaire au sein de l'Union européenne; qu'une telle entente, si elle était confirmée, constituerait une infraction grave à l'article 85 du traité, il y a donc lieu d'effectuer des vérifications auprès des entreprises concernées conformément à l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, sans que celles-ci soient informées; que les décisions de la Commission mentionnent que la société Taittinger est une entreprise active dans la production et la commercialisation des vins de Champagne, dont une partie importante de la production est exportée vers les autres états membres de l'Union européenne; que la société Geci Cavavin est une entreprise qui négocie les achats de vins d'une centaine de caves, sa liste de produits comprenant plus de 400 vins français, dont les champagnes produits par la société Taittinger SA; qu'elles précisent que, selon les éléments mis à la disposition de la Commission, il existerait, entre la société Taittinger SA et quelques uns de ses distributeurs, parmi lesquels la Geci Cavavin, ou agents, des accords ou pratiques concertées; que la Commission dispose d'informations laissant à penser que, d'une part, ces accords et/ou pratiques concertées visent à protéger certains marchés nationaux et à entraver le commerce parallèle des vins de champagne de la société Taittinger et que, d'autre part, ces accords et/ou pratiques concertées auraient consisté en la fixation de quotas de vente aux distributeurs nationaux et/ou en refus de livraison aux opérateurs tentant de s'approvisionner auprès d'agents autres que ceux situés dans leurs marchés nationaux respectifs, si l'existence de tels accords et/ou pratiques concertées était établie, ceux-ci pourraient constituer une infraction grave à l'article 85-1 du traité instituant la Communauté européenne; que le courrier adressé par télécopie à la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes le 10 mars 1999, mentionne l'impossibilité pour la Commission d'ajouter d'autres informations à celles reprises dans la lettre du 8 mars 1999 de M. X à Mme Y et dans le texte des deux décisions de la Commission; que les informations dont dispose la Commission et qui permettent de présumer l'existence des accords contraires à l'article 85 du traité instituant la communauté économique européenne conclus par les entreprises visées par les décisions, sont confidentielles; que l'article 20, paragraphe 2, du règlement n° 17 ainsi que l'article 14 du traité prévoient une obligation pour les fonctionnaires et agents de la communauté, de ne pas divulguer les informations qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel, cette obligation couvre tout élément qui puisse permettre aux entreprises visées de connaître la source des informations détenues par la Commission lors d'un éventuel accès au dossier, auprès de la juridiction française, par lesdites entreprises; que ce principe est repris à l'article 34 d'un arrêt du 7 novembre 1985 de la Cour "E c/ Commission", en ces termes: "pour ce qui est de l'existence d'une obligation de secret, il convient de rappeler que l'article 214 du traité prévoit une obligation, notamment pour les membres et les agents des institutions de la communauté, de ne pas divulguer des informations qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel, et notamment les renseignements relatifs aux entreprises et concernant leurs relations commerciales ou les éléments de leur prix de revient; que, si cette disposition vise surtout les renseignements recueillis auprès d'entreprises, l'expression "notamment" montre qu'il s'agit d'un principe général qui s'applique aussi bien à des informations fournies par des personnes physiques, si ces informations sont par "leur nature" confidentielles; que, tel est surtout le cas, des informations fournies à titre purement volontaire, mais assorties d'une demande de confidentialité en vue de protéger l'anonymat de l'information; que l'institution qui accepte de recevoir ces informations, est tenue de respecter une telle condition"; que, pour permettre à la Commission d' apprécier, en toute connaissance de cause, ce qui peut être reproché aux entreprises Taittinger et Geci Cavavin et d'avoir une vue d'ensemble des parties pouvant être concernées, il est nécessaire de procéder à une vérification sur la base de l'article 14 du règlement n° 17, que l'objectif ne peut être atteint que si les sociétés Taittinger SA et Geci Cavavin ne sont pas informées au préalable; qu'il est donc nécessaire de contraindre, par voie de décision, conformément à l'article 14 3 du règlement n° 17 et de soumettre les entreprises Taittinger SA et Geci Cavavin à la vérification; que les autorités nationales, dès lors qu'elles assistent les agents mandatés par la Commission, sont tenues de garantir l'efficacité des opérations; que l'utilisation des pouvoirs définis à l'article 41 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 nous paraît insuffisante pour garantir l'obligation à laquelle est tenue l'autorité nationale française dans les circonstances présentes; qu'en effet, les accords et/ou pratiques concertées, sont présentés comme étant établis selon des modalités secrètes; que, par ailleurs, les informations recueillies par la Commission, sont d'origine non précisées; qu'elles sont, par nature, confidentielles et doivent être protégées par là-même par la Commission (Cf. CJCE, arrêt du 7 novembre 1985, E c/ Commission des communautés européennes); que ces raisons justifient l'utilisation des pouvoirs définis à l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; que ces pouvoirs nous apparaissent de nature à atteindre les objectifs recherchés tout en garantissant les droits de la défense, dès lors que ces pouvoirs sont utilisés sous notre contrôle; que, dans ces conditions, dès lors que les entreprises Taittinger SA et Geci Cavavin sont présumées impliquées dans des pratiques prohibées par l'article 85-1 du traité instituant la Communauté économique européenne et que l'usage de l'article 48 de l'ordonnance susvisée n'est pas disproportionné par rapport aux mesures envisagées à condition que les documents originaux soient restitués à la personne visitée, dès lors que la Commission a demandé la communication de la seule copie des documents, qu'il convient, en conséquence, d'autoriser l'assistance aux agents mandatés par la Commission dans les locaux des entreprises telles qu'elles figurent à l'article 3 des deux décisions; que, dès lors, nous avons autorisé la visite dans les locaux de plusieurs entreprises; qu'il est, en conséquence, nécessaire de permettre aux enquêteurs d'intervenir simultanément dans les locaux afin d'éviter la disparition ou la dissimulation d'éléments matériels; que les décisions annexées à notre ordonnance disposent que les enquêteurs mandatés par la Commission ne peuvent intervenir que pendant les heures normales des bureaux, ainsi, la durée d'intervention pendant une journée nous paraît insuffisante pour permettre l'accomplissement de la mission définie par la commission et que la visite nous apparaît devoir se dérouler sur deux jours; que l'un des locaux est implanté hors du territoire de la brigade interrégionale d'enquêtes Lorraine, Alsace, Champagne-Ardenne, dans celui de la brigade interrégionale d'enquêtes Bretagne, Centre, Pays-de-Loire, Poitou-Charentes placée sous l'autorité de Jean-Claude Le B, directeur régional, chef de la brigade interrégionale d'enquêtes Bretagne, Centre, Pays-de-Loire, Poitou-Charentes; que l'assistance dans le local situé à Reims nécessite le concours de la Direction départementale de la Marne, placée sous l'autorité de Jean-Marc C, chef de service régional; que Jean-Claude Le B, directeur régional à Nantes, et Jean-Marc C, chef de service régional à Châlon-en-Champagne, sont, par application des décrets du 31 janvier 1979 et du 2 août 1995, fonctionnaires de catégorie A et, en conséquence, habilités au sens de l'article 2 de l'arrêté du 22 janvier 1993; "alors, d'une part, que le juge des requêtes qui autorise des visites domiciliaires sur le fondement de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 afin de rechercher la preuve de pratiques prohibées, doit vérifier de manière concrète, que la demande d'autorisation est fondée, en relevant les faits constitutifs de présomptions de fraude, de sorte qu'en énonçant qu'il ne lui appartenait pas de rechercher les motifs de fait et de droit à l'origine de la demande d'autorisation en se retranchant derrière la décision prise par la Commission des communautés européennes et la nécessaire coopération des Etats membres afin d'assurer l'efficacité de son action, l'ordonnance a violé l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, codifié à l'article L. 141 du Code de la consommation; "alors, d'autre part, que le juge des requêtes qui autorise des visites domiciliaires sur le fondement de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, doit vérifier que la demande d'autorisation comporte tous les éléments d'information, soit les pièces de nature à justifier la visite, si bien qu'en se retranchant encore derrière les informations détenues par la Commission des communautés européennes sans procéder à l'analyse de celles-ci, ne serait-ce que succinctement, le juge a encore violé l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 48 de l'ordonnance du 1er septembre 1986, codifié à l'article L. 141 du Code de la consommation; "alors enfin, que des éléments d'information confidentiels ou anonymes ne peuvent caractériser des présomptions de fraude prévues par l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, si bien qu'en se fondant, pour autoriser des visites domiciliaires sur des éléments d'information confidentiels à la disposition de la Commission des communautés européennes, soit sur des éléments dont l'origine licite ne résultait pas des mentions de l'ordonnance, le président du tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du texte précité"; Attendu que, pour autoriser des agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes à user des pouvoirs de visite et de saisie prévus par l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 450-4 du Code de commerce, en vue de prêter assistance aux agents mandatés par la Commission européenne dans l'exécution de leur mission de vérification de pratiques anticoncurrentielles, l'ordonnance prononce par les motifs repris au moyen;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, le président du tribunal, qui a procédé au contrôle qui lui incombait en vertu des articles 14, paragraphe 6, du règlement 17-62-CEE du Conseil, du 6 février 1962 et 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a justifié sa décision; Qu'en effet, le juge saisi d'une demande tendant à autoriser des agents de l'Administration à user de mesures coercitives en vue d'apporter leur concours aux agents mandatés par la Commission européenne pour rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles, ne peut contrôler l'origine des éléments et des indices figurant au dossier de la Commission et sur lesquels reposent les soupçons de cette dernière; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli;
Et attendu que l'ordonnance attaquée est régulière en la forme;
Rejette le pourvoi.