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Décisions

Cass. crim., 18 septembre 1997, n° 93-80.109

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Culié

Rapporteur :

M. de Mordant de Massiac

Avocat général :

M. de Gouttes

Avocats :

SCP Ancel, Couturier-Heller.

Toulouse, ch. corr., du 10 déc. 1992

10 décembre 1992

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par X, contre l'arrêt n° 1205 de la Cour d'appel de Toulouse, chambre correctionnelle, en date du 10 décembre 1992, qui, pour étiquetage de nature à induire le consommateur en erreur sur la qualité ou la provenance d'un produit, l'a condamné à 87 amendes de 30 francs. - Vu le mémoire ampliatif produit; - Vu l'arrêt de la chambre criminelle du 3 octobre 1994, sursoyant à statuer sur le pourvoi et renvoyant l'affaire devant la Cour de justice des Communautés européennes en interprétation du traité; - Vu l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 7 mai 1997 statuant sur la question préjudicielle posée; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 3, 5 et 30 du traité de Rome, de l'article 2, paragraphe 3-5, de la directive 70-50-CEE du 22 décembre 1969, de l'article 5 du décret n° 88-194 du 26 février 1988, pris en application de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985, des articles 11 et 13 de la loi du 1er août 1905 et 3 du décret n° 84-1147 du 7 décembre 1984, défaut de motifs et manque de base légale:

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné X à 87 amendes de 30 francs chacune;

"aux motifs que les dispositions de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 et du décret n° 88-194 du 26 février 1988 ne sauraient être considérées comme des mesures d'effet équivalent aux restrictions quantitatives à l'importation prohibées par l'article 30 du traité de Rome; que cet article a pour objet d'éliminer les entraves à l'importation des marchandises et non d'assurer un traitement égal aux marchandises nationales et importées; que l'article 2, paragraphe 3-5, de la directive 70-50-CEE du 22 décembre 1969 de la Commission considère comme des mesures interdites, au sens des articles 30 et suivants du traité, celles qui "réservent aux seuls produits nationaux des dénominations ne constituant pas des appellations d'origine ou des indications de provenance"; que tel n'est pas le cas en l'espèce où les produits nationaux en provenance d'une zone géographique déterminée afin d'assurer non seulement la sauvegarde des intérêts des producteurs contre la concurrence déloyale mais aussi celle des consommateurs contre les indications susceptibles de les induire en erreur; qu'une telle différence de traitement entre marchandises nationales et importées n'est pas susceptible d'entraver l'importation ou de favoriser la commercialisation des marchandises importées, nonobstant l'invocation d'une discrimination à rebours;

"alors, d'une part, que constitue une mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives au commerce entre les Etats membres toute disposition ayant pour effet de subordonner la mise en vente d'un produit à une autorisation administrative, dès lors que cette autorisation n'est pas justifiée par des raisons de santé, de sécurité ou de morale publique; que tel est le cas de la réglementation soumettant l'utilisation du terme "montagne" à l'obtention d'une autorisation préalable délivrée par arrêté conjoint du ministre de l'Agriculture et du ministre chargé de la Consommation, après avis de la Commission régionale des produits alimentaires de qualité, et ce dans le but de protéger les produits répondant à la classification française; qu'en retenant, dès lors, à l'encontre de X l'absence d'autorisation pour utiliser dans l'étiquetage de ses produits des termes faisant référence à la montagne, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen;

"alors, d'autre part, que l'interdiction d'importer certains produits dans un Etat membre est contraire à l'article 30 du traité de Rome lorsque le but poursuivi par une telle interdiction peut être également atteint par un étiquetage du produit en cause qui serait susceptible de fournir les renseignements nécessaires au consommateur et de lui permettre ainsi de fixer son choix en toute connaissance; qu'en estimant que le fait de soumettre l'utilisation de la mention "montagne" à une autorisation préalable n'était pas contraire aux dispositions du traité de Rome dès lors que la réglementation française avait pour objet "d'assurer non seulement la sauvegarde des intérêts des producteurs contre la concurrence déloyale mais aussi celle des consommateurs contre les indications susceptibles de les induire en erreur" (p. 4, alinéa 1er), sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si cet objectif ne pouvait pas être atteint par un contrôle judiciaire sur la sincérité de l'étiquetage, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des textes visés au moyen;

"alors, enfin, que les dispositions du traité de Rome interdisent aux Etats membres d'élaborer des réglementations discriminatoires à l'égard des produits importés; qu'en estimant que l'article 30 du traité de Rome n'avait pas pour objet "d'assurer un traitement égal aux marchandises nationales et importées" (p. 3, in fine), en sorte que la "différence de traitement", introduite en l'espèce par la réglementation française, "entre marchandises nationales et importées" n'était pas contraire aux objectifs du traité, "nonobstant l'invocation d'une discrimination à rebours" (p. 4, alinéa 1er), la cour d'appel, qui admet expressément que la réglementation française introduit une discrimination entre Etats membres de la CEE, sans tirer les conséquences qui s'évincent d'un tel constat a violé les textes visés au moyen";

Vu lesdits articles, - Attendu qu'il appartient au juge répressif d'écarter l'application d'un texte d'incrimination de droit interne lorsque ce dernier méconnaît une disposition du traité des Communautés européennes ou un texte pris pour l'application de celui-ci;

Attendu que, selon les dispositions combinées des articles 30 et 36 du traité des Communautés européennes, sauf à être justifiées par un des motifs énumérés à ce dernier texte et notamment la protection de la propriété industrielle, les restrictions quantitatives à l'importation, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent sont interdites entre les Etats membres;

Attendu que X a été cité devant le tribunal de police, sur le fondement des articles 11 et 13 de la loi du 1er août 1905, 3 du décret du 7 décembre 1984, ainsi que des dispositions de la loi du 9 janvier 1985 et du décret du 26 février 1988, pour avoir commercialisé de la charcuterie sous un étiquetage faisant mention d'une indication de qualité "montagne" ou "monts de Lacaune", sans en avoir, au préalable, reçu l'autorisation;

Attendu que, pour écarter les conclusions du prévenu, invoquant l'incompatibilité de la réglementation nationale avec les dispositions de l'article 30 du Traité des Communautés européennes, et infirmer, sur l'appel du ministère public, le jugement portant relaxe de l'intéressé, la cour d'appel énonce que les dispositions de la loi du 9 janvier 1985 et du décret du 26 février 1988, pris pour son application, ne sauraient être regardées comme des mesures d'effet équivalent aux restrictions quantitatives à l'importation, prohibées par l'article 30 invoqué;

Mais attendu qu'en s'abstenant d'écarter les dispositions critiquées servant de base aux poursuites, alors que ces textes, en réservant l'utilisation de la dénomination "montagne" aux seuls produits fabriqués en France à partir de matières premières françaises, instituent une discrimination entre produits nationaux et non nationaux constitutive, au sens de l'article 30 du traité, d'une entrave actuelle ou potentielle aux échanges intracommunautaires, et alors qu'en l'absence d'un droit à protection des dénominations de fantaisie reconnu par la réglementation communautaire, une telle discrimination n'est justifiée par aucun des motifs que l'article 36 de ce traité autorise à invoquer, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes et principes susvisés; Que dès lors la cassation est encourue;

Par ces motifs, casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Toulouse, en date du 10 décembre 1992, et attendu qu'il ne reste plus rien à juger; Dit n'y avoir lieu à renvoi.