Cass. crim., 2 février 1994, n° 92-83.790
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
Mme Ferrari
Avocat général :
M. Libouban
Avocat :
Me Ryziger.
LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par L Rémy, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes, chambre correctionnelle, du 28 février 1992 qui, pour tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue, l'a condamné à une amende de 2 000 francs; - Vu le mémoire ampliatif et le mémoire complémentaire produits; - Sur le second moyen de cassation rectifié, pris de la violation des articles 3f, 7, 30, 36, 85 et 86 du traité instituant la Communauté économique européenne, de l'article 8A du même traité introduit par l'acte unique, de l'article R. 26-15 du Code pénal, des articles 485, 593 du Code de procédure pénale;
"en ce que la décision attaquée a déclaré le demandeur coupable du délit prévu aux articles 1, 6 et 7 de la loi du 1er août 1905;
"aux motifs que si, à l'audience, le prévenu fait plaider que si le taux d'humidité de produit dégraissé relevé par la direction de répression des fraudes excède le taux maximum imposé par le Code des usages de la charcuterie applicable sur le territoire français, la réglementation nationale est plus sévère que celles des autres Etats membres de la CEE, et notamment, la réglementation belge; qu'il en résulte une discrimination entre les produits analogues vendus par des ressortissants de la CEE qui défavorise les fabricants français; qu'une telle discrimination est prohibée par les articles 3f, 7 et 30 du traité de Rome, de sorte qu'il doit être renvoyé des fins de la poursuite, que selon les articles 30 et 36 du traité instituant la Communauté économique européenne, toutes mesures d'effets équivalents à des restrictions quantitatives à l'importation sont interdites entre les Etats membres; que, d'autre part, l'article 7 du même traité prohibe les discriminations exercées en raison de la nationalité; qu'enfin, il se déduit de l'article 3f du traité que la mise en œuvre de ces règles doit se faire dans des conditions telles que sur toute l'étendue de l'espace communautaire le commerce des produits provenant des Etats membres, fussent-ils d'origine nationale, n'en soit pas faussé; que ces principes doivent être combinés avec l'article 1er de loi du 1er août 1905 dont l'application est écartée dans les seuls cas où elle serait de nature à entraîner des restrictions discriminatoires par rapport au régime applicable au commerce des produits concurrents, tant nationaux que provenant des Etats membres, lorsque ces produits présentent des caractéristiques comparables, étant observé qu'en l'absence de directives communautaires réprimant la fabrication d'un produit, ce qui est le cas pour l'épaule de porc, chaque Etat membre de la communauté demeure libre d'imposer des règles de production spécifiques; que si les produits présentés à la vente par Rémy L, l'épaule de porc, sont analogues à ceux qui peuvent être vendus sur le territoire national après avoir été fabriqués dans d'autres pays membres de la Communauté économique européenne, il n'en demeure pas moins que tous ces produits, sans exception, sont soumis à l'article 1er de la loi du 1er août 1905 et au Code des usages de la charcuterie et que, s'il apparaît que leur taux d'humidité est excessif par rapport aux exigences nationales, les personnes ayant, au mépris de ces exigences, de mauvaise foi mis en vente des produits, sont justiciables de poursuites sur le fondement de ces dispositions; qu'ainsi, aucune discrimination n'est introduite entre les agents économiques commercialisant sur le territoire national le produit concerné;
"alors, d'une part, que le marché commun est un marché présentant toutes les caractéristiques d'un marché unique; que la législation française ne peut imposer des mesures d'effets équivalents à des restrictions quantitatives à l'importation; que c'est donc à tort que la cour d'appel a affirmé que les produits importés d'un Etat membre seraient soumis aux règles du Code des usages de la charcuterie; qu'il ne pourrait en être ainsi que dans la mesure où les restrictions à l'importation résultant de ce texte seraient justifiées par des motifs intéressant la santé publique, au sens de l'article 36 du traité de Rome, qu'il ne résulte pas de la décision attaquée qu'il en soit ainsi, la cour d'appel s'étant contentée d'affirmer que chaque Etat membre demeurait libre d'imposer des règles de production spécifique;
"alors, d'autre part, que lorsque les changements de circonstances font qu'un texte administratif, légal à l'origine, est devenu illégal, l'autorité dont émane ce texte doit l'abroger; que l'illégalité du texte peut, d'autre part, être soulevée par voie d'exception; qu'un règlement qui désavantage des agents économiques du point de vue de la concurrence est manifestement illégal; que la cour d'appel ne pouvait donc l'appliquer même en l'absence de directives de la Communauté économique européenne;
"alors, de troisième part, qu'à supposer que les dispositions du traité de Rome aient permis un Etat membre d'imposer à ses nationaux, ou aux marchandises fabriquées par les agents économiques nationaux des sujétions qui n'auraient été imposées aux nationaux des autres Etats membres, cette faculté aurait cessé du fait de l'entrée en vigueur de l'acte unique européen qui établit définitivement à partir du 1er janvier 1993 un marché intérieur, de telle sorte que tous les textes ayant établi une discrimination au préjudice des nationaux se trouve nécessairement abrogés à partir du 1er janvier 1993; que, dès lors, une loi plus douce étant réputée être entrée immédiatement en vigueur, une décision prononçant une sanction sur le fondement de textes réputés abrogés, doit être annulée;
"alors, enfin, que lorsque les changements de circonstances font qu'un texte administratif, légal à l'origine, est devenu illégal, l'autorité dont émane ce texte doit l'abroger; que l'illégalité du texte peut, d'autre part, être soulevée par voie d'exception; qu'un règlement qui désavantage des agents économiques du point de vue de la concurrence est manifestement illégal du point de vue du droit interne; que la cour d'appel ne pouvait donc, même en l'absence de directives de la Communauté économique européenne, appliquer le décret du 15 avril 1912 portant règlement d'administration publique sur la répression des fraudes et des falsifications en ce qui concerne les denrées alimentaires et plus spécialement les viandes, produits de charcuterie, fruits, légumes et poissons dont est issu le Code de la charcuterie";
Attendu qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la société X a fabriqué, en vue de la vente, et commercialisé de "l'épaule de porc choix" présentant un taux d'humidité de produit dégraissé (HPD) excédant celui admis par le Code des usages des produits de la charcuterie; que Rémy L, directeur de l'usine de salaisons, est poursuivi pour tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue;
Attendu qu'il ne résulte ni des énonciations de l'arrêt attaqué, ni d'aucunes conclusions que le prévenu ait présenté avant toute défense au fond une exception d'illégalité tirée de l'incompatibilité prétendue du Code des usages des produits de la charcuterie avec l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence; que le moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches, n'est donc pas recevable;
Attendu, par ailleurs, que, pour rejeter les conclusions du prévenu qui excipait de l'illégalité des poursuites au regard du droit communautaire, l'arrêt attaqué énonce que, contrairement à ce qui est soutenu, la réglementation française n'entraîne pas un régime discriminatoire défavorisant la production nationale par rapport aux produits concurrents importés d'autres Etats membres, tous les produits commercialisés en France étant soumis aux règles de droit interne sans distinction de leur origine;
Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors que la réglementation française est nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives tenant à la loyauté des transactions commerciales et la protection des consommateurs, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli;
Et sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1, 6 et 7 de la loi du 1er août 1905;
"en ce que la décision attaquée a déclaré le demandeur, en tant que directeur général d'une usine de salaisons exploitée par la société X, responsable d'un délit de tromperie sur la marchandise;
"aux motifs qu'un taux d'humidité exagéré aurait été constaté à l'occasion de prélèvements effectués par la direction de la répression des fraudes du département du Morbihan dans un "jambon choix" fabriqué par la société X et par la direction départementale de la Gironde dans une "épaule choix"; que ces prélèvements auraient révélé un taux d'humidité supérieur à celui permis par le Code des usages de la charcuterie applicable sur le territoire français; que L était directeur de l'usine de salaisons;
"alors que le délit prévu et réprimé par l'article 1er de la loi du 1er août 1905 suppose que le prévenu ait trompé ou tenté de tromper son contractant, notamment sur une qualité substantielle de la marchandise vendue; que l'arrêt attaqué, qui ne précise pas comment L, en tant que directeur de la production de la société X, aurait trompé des contractants, ne caractérise pas légalement l'infraction reprochée au demandeur";
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué, incomplètement reprises au moyen, mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, le délit de tromperie dont elle a déclaré le prévenu coupable; d'où il suit que le moyen doit être rejeté;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;
Rejette le pourvoi.