Cass. crim., 4 mai 2004, n° 03-83.787
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Palisse
Avocat général :
M. Davenas
Avocat :
Me Bouthors.
LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par X Jean-Maurice, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5e chambre, en date du 21 mai 2003, qui, pour tromperie et publicité de nature à induire en erreur, l'a condamné à 8 mois d'emprisonnement avec sursis, 3 ans d'interdiction d'exercer l'activité professionnelle de voyagiste, a ordonné une mesure de publication, et qui a prononcé sur les intérêts civils; - Vu le mémoire produit; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 66 de la Constitution, 551, 565, 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense;
"en ce que la cour a rejeté l'exception de nullité de la citation introductive d'instance du 24 octobre 2001 invitant le demandeur à comparaître le 7 novembre 2001;
"aux motifs que Jean-Maurice X développe trois moyens au soutien de son exception de nullité de la citation du 24 octobre 2001: - l'imprécision sur la croisière faisant l'objet des deux chefs de la prévention, la citation visant "plusieurs croisières thématiques" organisées "courant mai, juin et juillet 1998", d'une part, le fait que les victimes visées aient contracté en différentes occasions avec la société Y, d'autre part, et, enfin, la formulation elliptique de certains griefs - "valises égarées, excursions réduites, accueil, qualité des repas" -, n'ont pas permis au prévenu de connaître de manière effective et suffisante, la nature et la cause de la prévention, au mépris des exigences de l'article 6-3-a de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 551 du Code de procédure pénale; - la société Y étant seule partie aux contrats de voyage avec les différentes parties civiles, elle est seule concernée par les récriminations de celles-ci et aurait dû être mise en cause; - l'article L. 213-1 du Code de la consommation, visé dans le mandement de citation, ne concerne que la tromperie sur les marchandises et est inapplicable en la cause; mais attendu, en premier lieu, que la croisière intitulée "Le France, 51e Festival de Cannes", organisée du 23 au 25 mai 1998, est expressément visée dans la citation litigieuse, en ce qui concerne le premier chef de la prévention (tromperie); qu'en ce qui concerne le second chef (publicité trompeuse), la citation, qui se réfère aux mêmes circonstances de temps et de lieu, mentionne la présence de personnalités du Festival de Cannes et les projections de films, comme des prestations faussement promises aux clients; que, par ailleurs, si certains griefs sont justement critiqués par Jean-Maurice X comme étant énoncés de manière elliptique, d'autres sont formulés de manière précise: l'absence de dîner de gala auquel tous les passagers devaient pourtant être conviés lors de la clôture dudit Festival (le 24 mai 1998), l'annulation de projection de films qui devaient s'effectuer en présence de personnalités de monde du spectacle, la non-présence de personnalités du Festival de Cannes; que, dans ces conditions, Jean-Maurice X était à même de connaître, de manière effective et suffisante, la nature et la cause de la prévention et, comme l'ont retenu les premiers juges, en état de faire valoir ses moyens de défense; qu'en deuxième lieu, aux termes de l'article 121-2, alinéa 3, du Code pénal, la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celles des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits; qu'il résulte des propres écritures de Jean-Maurice X, qu'il est le gérant de la société à responsabilité limité Y; qu'il est, en sa qualité de chef d'entreprise, pénalement responsable des faits commis par celle-ci, en application de l'article 121-1 du même Code; que, de surcroît, en l'espèce, le principal document publicitaire et signé par la formule "Le Directeur Général, Jean-Maurice X", suivie de la reproduction de la propre signature manuscrite de l'intéressé; qu'ainsi, c'est à bon droit que les poursuites ont été dirigées contre lui; qu'en troisième lieu, il résulte de l'article L. 216-1 du Code de la consommation que les dispositions de l'article L. 213-1 dudit Code sont applicables aux prestations de service; que le visa du seul article L. 213-1 dans la citation litigieuse n'a pas eu pour effet de porter atteinte aux intérêts du prévenu - au demeurant professionnel dans le secteur des prestations de service -, au sens de l'article 802 du Code de procédure pénale; qu'il s'ensuit que l'exception de nullité de la citation doit être rejetée; "1°) alors que, d'une part, la personne poursuivie a le droit d'être informée de manière détaillée de la nature et de la cause de la prévention dans des conditions lui permettant de présenter une défense effective; que ne répond pas à cette exigence fondamentale la citation directe indéterminée quant aux faits qu'elle entend viser et comportant des mentions erronées sur les textes applicables; qu'eu égard au court délai de convocation, il a été ainsi porté atteinte aux droits de la défense; "2°) alors, en tout en état de cause, qu'en se déterminant comme elle l'a fait, la cour a délaissé les conclusions du demandeur faisant valoir que la présente citation, matériellement identiques à deux précédentes citations déclarées non avenues, devait elle-même être annulée par identité de motifs";
Attendu que, pour écarter l'exception régulièrement soulevée de nullité de la citation, l'arrêt attaqué prononce par les motifs exactement repris au moyen;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations procédant de ses constatations souveraines et dont il résulte qu'aucune atteinte n'a été portée aux intérêts du demandeur, la cour d'appel a justifié sa décision; d'où il suit que le moyen doit être écarté;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 121-1, 121-4, 121-5, 121-6, 213-1, 216-2 et 216-3 du Code de la consommation, 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation du principe non bis in idem;
"en ce que la cour d'appel a retenu le demandeur dans les liens de la prévention de publicité mensongère et de tromperie sur la qualité substantielle d'une prestation;
"aux motifs que la publicité diffusée par Y sous la signature de Jean-Maurice X, comme indiqué ci-dessus, sous format A4, en quadrichromie et sur fond de ciel ennuagé, était formulée dans les termes suivants: "le dimanche 24, les passagers seront invités à gravir les marches du Palais, avant d'assister, en avant-première, à la projection privée du film de clôture, qui, par tradition, est un "film-événement"; enfin, le dîner de clôture du Festival, réunissant plus de 800 personnalités, aura lieu à bord du France en présence du maire de Cannes et du président; oui, c'est vraiment un événement exceptionnel auquel vous êtes conviés ! pour être sûr d'y avoir votre place, envoyez-nous dès aujourd'hui votre bulletin d'inscription";
Attendu que les plaignants ont reproché à Jean-Maurice X: de ne leur avoir offert qu'alternativement la projection du film au palais des festivals et le dîner de clôture, alors que la publicité présentait ces prestations comme cumulatives, d'avoir organisé la projection du film de clôture à une heure tardive dans la soirée (23 heures 30), à laquelle le "gravissement des marches du palais", hors des projecteurs, de la presse et de toute personnalité du spectacle, se réduisait à monter dans la pénombre l'escalier de façade d'un bâtiment public, d'avoir organisé avec le Festival International du Film de Cannes (le FIF) un dîner de clôture réservé aux seuls festivaliers, auquel les croisiéristes n'étaient pas conviés; que, sur le premier point, le caractère alternatif des deux prestations, manifestement contraire au message publicitaire reproduit ci-dessus et que l'avocat du prévenu a cherché à relativiser à l'audience, résulte d'une note interne diffusée à bord du navire, le dimanche 24 juin, précisant: "vous pouvez, si vous le désirez, assister à ce dîner, mais dans ce cas, vous ne pourriez pas assister à la projection que nous avons préparée pour vous et vous en éprouveriez une grande déception rétrospective"; sur le deuxième point, qu'aucun dispositif n'était prévu pour donner le moindre éclat à la projection du film de clôture; que si le programme diffusé mentionne "tous les passagers sont invités à la projection du film de clôture Godzilla avec Jean Réno", il fallait comprendre que l'acteur tenait un rôle dans le film et non qu'il assisterait à la projection; quant au caractère élégant et presque cérémonial d'une telle manifestation, pour laquelle une tenue de soirée (voire de gala, selon les documents) était recommandée, une photographie du groupe, versée au débat par Patricia Y, montre les croisiéristes en train de monter les marches du palais en tenue de vacances ou d'excursion; que le "gravissement des marches du palais", présenté dans toute la documentation publicitaire de la société Y comme l'une des attractions principales, sinon comme l'attraction principale, de la croisière, s'est révélé comme un acte exempt de toute la symbolique dont il était paré, accompli dans l'anonymat et l'indifférence générale; que, sur le troisième point, il résulte d'une lettre circonstanciée adressée le 7 mars 2001 à la police judiciaire par François Z, secrétaire général du FIF, qu'il n'a jamais été question de voir les croisiéristes du Norway participer aux réceptions (cocktails + dîner) données à bord pour les festivaliers; que le fait que cette lettre soit postérieure à un premier jugement intervenu dans cette affaire le 13 septembre 2000, ayant annulé une citation du parquet, ne diminue en rien la valeur probante de ce document, versé avant le jugement déféré au dossier de la procédure; que la note interne, diffusée par la société Y le 24 mai 1998, précisait que le dîner de clôture concernait "exclusivement les invités du Festival de Cannes", la contradiction existant entre cette mention et celle, citée plus haut, prévoyant la possibilité pour les croisiéristes "d'assister à ce dîner" manifestant seulement l'embarras de la société organisatrice à assumer des engagements inconciliables; qu'enfin, le "Journal de Bord" édité par la société Y et représentant sur quatre pages le programme de la journée du dimanche 24 mai 1998, ne fait aucune référence à un dîner de gala quel qu'il soit, en particulier avec les festivaliers; qu'il convient, par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, de confirmer le jugement déféré, en ce qu'il a retenu la culpabilité de Jean-Maurice X du chef de la publicité trompeuse; "que, cependant, le tribunal, après avoir retenu que la non-réalisation du dîner annoncé est bien constitutive d'une tromperie, a décidé que cette absence ne pouvait, à elle seule, caractériser le délit de tromperie; mais qu'en l'état de la présentation par la société Y de la croisière litigieuse, le dîner de clôture du Festival de Cannes, dans lequel les croisiéristes devaient se mêler aux festivaliers - acteurs, metteurs en scène, producteurs et autres célébrités du cinéma -, a été l'un des éléments ayant déterminé les victimes à contracter avec le voyagiste; que la non-réalisation de ce dîner est bien constitutive du délit de tromperie sur les qualités substantielles ou la composition de la prestation de service vendue; qu'enfin, Jean-Maurice X ne peut invoquer les incidents survenus dans l'après-midi du 24 mai 1998 pour faire valoir la force majeure et son absence d'intention dolosive; qu'en effet, le "Journal de Bord" du 24 mai 1998, de même que la note interne diffusée ce jour-là avant les incidents, démontrent clairement que, si des accords avaient été passés avec le FIF pour organiser un dîner de gala à bord du France à l'intention des festivaliers, il n'était pas prévu d'y associer les croisiéristes; qu'il s'ensuit qu'en organisant dans les conditions ci-dessus rappelées la croisière intitulée "Le France, 51e Festival de Cannes" du 23 au 25 mai 1998, Jean-Maurice X a commis les délits de publicité trompeuse et de tromperie qui lui sont reprochés; "1°) alors que, d'une part, les mêmes faits ne peuvent donner lieu à une double déclaration de culpabilité; qu'eu égard à leur nature respective, les qualifications de publicité mensongère et de tromperie sur les qualités substantielles d'une prestation sont exclusives l'une de l'autre; "2°) alors que, d'autre part, il n'existe pas de délit sans intention; que la publicité mensongère ne peut en aucun cas être réputée constituée au préjudice de seuls plaignants dont l'interprétation restrictive prive la qualification de toute base légale quand la publicité incriminée ne révélait aucune tromperie et que seuls des événements extérieurs et imprévisibles avaient affecté le cours de la croisière; "3°) alors que, de troisième part, en l'absence de référence aux documents contractuels liant chacun des plaignants avec la société Y, la cour s'est déterminée à la faveur de motifs inopérants sur la tromperie relative aux qualités substantielles d'une prestation de voyages";
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable d'avoir commis le délit de publicité de nature à induire en erreur, ainsi que celui de tromperie, l'arrêt retient que, la société Y ayant organisé une croisière maritime intitulée "Le France, 51e Festival de Cannes", Jean-Maurice X, dirigeant de cette société, a fait diffuser une plaquette publicitaire d'où il ressortait que les croisiéristes assisteraient à la projection du film de clôture, après avoir gravi les marches du festival, et qu'ils participeraient, au milieu des festivaliers, au dîner de gala prévu à bord du navire, alors que l'assistance à la projection du film excluait la participation au dîner et qu'aucun décorum n'était prévu pour entourer la montée des marches; que les juges ajoutent que l'offre de se mêler aux célébrités est un des éléments qui a déterminé les parties civiles à contracter avec le voyagiste et que celui-ci savait qu'il ne pourrait leur donner satisfaction, les accords passés avec les organisateurs du festival ne prévoyant pas d'y associer les croisiéristes;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte, d'une part, que le prévenu a fait diffuser, lors de la prospection de la clientèle, une publicité comportant des allégations fausses ou de nature à induire en erreur et, d'autre part, qu'il a volontairement trompé les contractants sur la nature des prestations fournies, la cour d'appel a justifié sa décision; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli;
Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 66 de la Constitution, 23 de la loi n° 95-884 du 3 août 1995 portant amnistie, ensemble la loi du 6 août 2002, de l'article 133-11 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale;
"en ce que la cour a condamné pénalement le demandeur à une peine d'emprisonnement avec sursis assortie d'une interdiction d'exercice professionnel, outre la publication par extrait de l'arrêt de condamnation;
"aux motifs que le bulletin n° 1 du casier judiciaire de Jean-Maurice X, édité le 11 mars 2003, fait apparaître une condamnation, en date du 20 septembre 1995, à une peine d'amende de 50 000 francs, dont 20 000 francs avec sursis, pour des faits de publicité trompeuse, commis en 1989; que cette mention au casier judiciaire, malgré les lois d'amnistie de 1995 et 2002 indique que l'amende n'a pas été payée; que les circonstances de l'espèce, ainsi que les récriminations de nombreux clients de la société Y concernant des prestations non visées par la prévention, montrent que le comportement de Jean-Maurice X, loin d'être accidentel, participe à sa pratique commerciale; qu'il convient de condamner Jean-Maurice X à une peine principale d'emprisonnement avec sursis et à une peine complémentaire d'interdiction professionnelle, ainsi qu'à la mesure de publication, prévue par l'article L. 121-4 du Code de la consommation, déjà prononcée par les premiers juges; "1°) alors que, d'une part, le rappel interdit d'une condamnation amnistiée expressément prise en considération par la cour pour aggraver la peine, motif pris du comportement habituel prêté pour cette raison au prévenu, affecte directement la légalité de la présente condamnation; "2°) alors que, d'autre part, seul un texte spécial permet aux juges répressifs de prononcer une interdiction professionnelle, laquelle, en outre, doit être spécialement motivée eu égard à l'atteinte qu'elle est de nature à porter à une liberté fondamentale; qu'à défaut de texte spécial, la sanction ainsi prononcée est illégale; qu'elle est en tout état de cause dépourvue de la moindre motivation permettant d'en mesurer la proportionnalité; "3°) alors, en tout état de cause, que pareille interdiction, prononcée au titre de peine complémentaire, ne saurait se cumuler avec le prononcé d'une peine principale d'emprisonnement avec sursis";
Vu les articles 131-9 et 131-10 du Code pénal; - Attendu que, selon ces textes, l'emprisonnement ne peut être prononcé cumulativement avec une des peines privatives ou restrictives de droit, prévues par l'article 131-6 du Code susvisé, sauf si la loi le prévoit expressément;
Attendu qu'après avoir déclaré Jean-Maurice X coupable de publicité de nature à induire en erreur et de tromperie, l'arrêt prononce contre lui, outre une peine d'emprisonnement de huit mois avec sursis, celle de trois ans d'interdiction d'exercer l'activité professionnelle de voyagiste;
Attendu qu'en prononçant ainsi, alors que les articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation ne prévoient pas le cumul d'une peine d'emprisonnement avec une interdiction professionnelle, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé; d'où il suit que la cassation est encourue de ce chef; qu'elle sera limitée à la peine, dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure;
Par ces motifs, casse et annule l'arrêt susvisé de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 21 mai 2003, en ses seules dispositions relatives à la peine, toutes autres dispositions étant expressément maintenues; Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.