Cass. crim., 17 janvier 1996, n° 93-83.887
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
M. Carlioz
Avocat général :
M. Perfetti
Avocats :
SCP Nicolay, de Lanouvelle, SCP Waquet, Farge, Hazan.
LA COUR : Statuant sur le pourvoi formé par M René, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes, chambre correctionnelle, du 9 juillet 1993, qui l'a condamné, pour tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue, à une amende de 30 000 francs et a prononcé sur les réparations civiles. - Vu les mémoires produits en demande et en défense; - Attendu que René M, directeur général de société, qui a importé d'Italie et mis en vente en France, en mai 1988, des oignons sous l'appellation "d'échalotes rouges d'Italie", est poursuivi pour tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue;
En cet état; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1er, 7 et 12 de la loi du 1er août 1905, 24 et 25 du décret du 22 janvier 1919, 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale:
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré René M coupable de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue et l'a condamné à la peine d'amende de 30 000 francs ainsi qu'au versement de 25 000 francs à titre de dommages-intérêts au CERAFEL et à la FNLP;
"aux motifs que la demande de contre-expertise présentée par le prévenu sera rejetée, la nature du produit et notamment son mode de reproduction n'étant pas contestés mais seulement sa qualification ou non de variété d'échalote; que de plus, sur le fondement de la loi de 1905, les éléments de preuve sont recherchés selon le droit commun indépendamment des règles relatives à la constatation des fraudes;
"alors, d'une part, que la cour n'a pu déclarer que la nature du produit n'était pas contestée sans dénaturer les termes clairs et précis des conclusions d'appel de René M qui avait fait valoir "qu'aucun document n'établit que les échalotes importées (...) étaient des oignons" et qu'il "contest(ait) l'élément matériel de l'infraction";
"alors, d'autre part, que dans le cas où la présomption de fraude résulte de l'analyse faite au laboratoire, l'auteur présumé de la fraude est avisé par le Procureur de la République qu'il peut prendre communication du rapport du laboratoire et qu'un délai de 3 jours francs lui est imparti pour présenter ses observations et pour faire connaître s'il réclame l'expertise contradictoire prévue à l'article 12 de la loi du 1er août 1905; qu'en l'espèce où René M avait soutenu n'avoir pas été avisé par le Procureur de la République, et demandé l'expertise contradictoire, la cour n'a pu retenir la seule analyse non contradictoire du laboratoire et refuser l'expertise contradictoire sans violer les textes susvisés";
Attendu que, pour rejeter la demande d'expertise contradictoire présentée par le prévenu sur le fondement des articles 12 de la loi du 1er août 1905 et 25 du décret du 22 janvier 1919 alors applicables et devenus les articles L. 215-9 et L. 215-11 du Code de la consommation les juges du second degré énoncent que "la nature du produit et notamment son mode de reproduction n'est pas contesté, mais seulement sa qualification ou non de variété d'échalote; que, de plus, sur le fondement de la loi de 1905, les éléments de preuve sont recherchés selon le droit commun, indépendamment des règles relatives à la constatation des fraudes";
Attendu qu'en cet état, la cour d'appel a justifié sa décision dès lors que, comme ils en ont le droit les dispositions de l'article 1er du décret du 22 janvier 1919, toujours en vigueur, ne faisant pas obstacle à ce que la preuve des infractions à cette loi soit établie conformément aux voies du droit commun les juges, contrairement à ce qui est soutenu, s'ils ont fait état des résultats de l'analyse critiquée, ont fondé leur conviction sur la non-conformité des marchandises mises en vente avec les usages commerciaux en vigueur, qu'ils décrivent; d'où il suit que le moyen doit être écarté;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1er, 7, 12 et 13 de la loi du 1er août 1905, de l'article 24 du décret d'application du 22 janvier 1919, des articles 459, 485, 512, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale:
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré René M coupable de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue et l'a condamné à la peine d'amende de 30 000 francs ainsi qu'au versement de 25 000 francs à titre de dommages-intérêts au CERAFEL et à la FNPL;
"aux motifs qu'il n'est pas contesté que René M, directeur général de la société anonyme X, a importé d'Italie en 1988 (les 13 et 25 mai) 5 tonnes d'"échalotes d'Italie"; que des prélèvements ont été opérés par le Service de la Concurrence et de la Répression des Fraudes; que les analyses pratiquées ont conclu à ce que les bulbes appartenaient à la variété Allium Cepa et qu'il s'agissait donc d'oignons et non pas d'échalotes; que René M a fait valoir qu'il s'agissait d'un produit nouveau; qu'il n'existe pas actuellement de critère fiable de distinction entre l'oignon et l'échalote; qu'à la date des faits qui lui sont reprochés aucun texte réglementaire ne définissait ces produits; que la demande de contre-expertise présentée par le prévenu sera rejetée, la nature du produit et notamment son mode de reproduction n'étant pas contesté mais seulement sa qualification ou non de variété d'échalote; que, de plus, sur le fondement de la loi de 1905, des éléments de preuve sont recherchés selon le droit commun indépendamment des règles relatives à la constatation des fraudes; qu'un accord interprofessionnel sur la norme échalote était intervenu le 1er janvier 1985 et définissait l'échalote comme Allium Ascalonicum L., variété à multiplication par bulbes; que cet accord était renouvelable par tacite reconduction par période triennale sauf dénonciation en conseil d'administration de la majorité statutaire d'Interfel; qu'il n'y a pas eu dénonciation de ce texte; que, cependant, à la suite de divergences entre les professionnels, une nouvelle définition a été recherchée; que le 17 mai 1990 a été pris un arrêté aux termes duquel le nom échalote est réservé aux variétés de Allium Cepa L. variété Ascalonicum à multiplication végétale par bulbes présentant les caractéristiques suivantes: de nombreux bourgeons axillaires, une cicatrice du plateau de la touffe, une asymétrie par rapport à l'axe de la touffe et à la coupe transversale du bulbe; qu'il existe des divergences d'interprétation au sein des milieux scientifiques, les normes définies en 1985 et 1990 reprenant les mêmes caractéristiques; que si la lettre adressée le 20 octobre 1988 par la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes semble attester de la non-reconduction de l'accord de 1985, en l'absence de texte il appartient à la cour de se référer aux usages; que les textes successifs intervenus après consultation des professionnels permettent de retenir qu'à la date des faits les usages commerciaux n'admettaient comme échalotes que les bulbes à multiplication par bulbes à l'exclusion des reproductions par semis; que la marchandise importée sous la qualification d'échalotes d'Italie n'était pas conforme à cette définition; qu'en sa qualité d'importateur, René M devait s'assurer de la conformité des marchandises importées aux règlements et usages commerciaux français; qu'il n'a procédé à aucun contrôle alors que le prix d'achat particulièrement modique aurait dû attirer son attention; que l'infraction visée à l'ordonnance de renvoi est constituée à savoir le délit de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue;
"alors que, d'une part, en matière de tromperie, l'inexactitude du fait allégué doit être établie avec certitude au regard de la réglementation, ou, à défaut, des usages constants et loyaux de la profession en vigueur au moment des faits; qu'en l'espèce la cour d'appel, pour fonder sa décision, a cru pouvoir retenir des usages nécessaires pour que leur constance et leur loyauté soient caractérisées; que dès lors elle a privé sa décision de base légale;
"alors que, d'autre part, en retenant pour seule preuve de l'infraction reprochée, et malgré la constatation des divergences scientifiques quant à la définition d'une norme "échalotes", un rapport d'analyses particulièrement laconique qui n'avait fait l'objet d'aucune expertise contradictoire, la cour d'appel n'a pas pu caractériser l'élément matériel de la tromperie et a privé sa décision de base légale;
"alors qu'enfin la tromperie est un délit intentionnel; qu'en ayant constaté qu'au moment des faits aucun texte n'était intervenu pour réglementer les conditions de la commercialisation de l'échalote, et que les divergences séparaient les professionnels sur ce point, les juges ne pouvaient reprocher au prévenu de s'être abstenu de vérifier la conformité du produit vendu aux normes françaises et considérer qu'ainsi l'élément intentionnel de l'infraction était caractérisé; que, dès lors, leur décision manque de base légale";
Attendu que, pour déclarer René M coupable de l'infraction reprochée, les juges du second degré énoncent qu'en l'absence de texte résultant de la non-reconduction, selon la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, de l'accord interprofessionnel sur la norme échalote ayant pris effet le 1er janvier 1985 et venu à expiration le 31 décembre 1987 et compte tenu des divergences d'interprétation des milieux scientifiques quant à la dénomination du produit il y a lieu de retenir qu'à la date des faits, les usages commerciaux, qu'ils analysent, n'admettaient comme échalotes que les variétés à multiplication par bulbes, à l'exclusion de celles se reproduisant par semis, et que "la marchandise importée sous la qualification d'échalotes d'Italie n'était pas conforme à cette définition"; qu'ils ajoutent "qu'en sa qualité d'importateur, René M devait s'assurer de la conformité des marchandises importées aux règlements et usages commerciaux français; qu'il n'a procédé à aucun contrôle, alors que le prix d'achat particulièrement modique aurait dû attirer son attention";
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, contrairement aux griefs allégués, a caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, le délit de tromperie mis à la charge du prévenu; qu'en effet, d'une part, en matière de fraude commerciale portant sur un produit non réglementé, les juges du fond ont tout pouvoir pour reconnaître ou dénoncer l'existence d'un usage; que, d'autre part, la mauvaise foi de l'importateur se déduit du fait que celui-ci n'a pas, avant la mise sur le marché des marchandises importées, vérifié leur conformité avec les usages commerciaux en vigueur; Que, dès lors, le moyen ne saurait être accueilli;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;
Rejette le pourvoi.