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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 20 mars 1996, n° 95-07540

PARIS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Pansiot

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bertoloni

Avocat général :

M. Bartoli

Conseillers :

Mmes Magnet, Marie

Avocat :

Me Teani.

TGI Paris, 31e ch. corr., du 20 oct. 199…

20 octobre 1995

Rappel de la procédure:

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré C Gilles, Robert

Coupable de faux en matière artistique, infraction prévue par la loi du 09-02-1895

Coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, infraction prévue et réprimée par l'article L. 213-1 du Code de la consommation

Pour avoir à Paris courant 1992 trompé M. Pansiot, contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit sur la nature, l'origine et les qualités substantielles d'une marchandise, en l'espèce un poisson en pâte de verre comme étant faussement du Nouvel Empire d'Egypte,

Et, en application de ces articles, l'a condamné à 40 000 F d'amende

A condamné C Cilles à payer à M. Pansiot la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts toutes causes de préjudices confondues et 5 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

A dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable le condamné.

Les appels:

Appel a été interjeté par:

- M. C Gilles le 27 octobre 1995 contre M. Pansiot Jean-Pierre

- M. le Procureur de la République, le 27 octobre 1995 contre M C Gilles

Décision:

Rendue contradictoirement en application de l'article 410 du CPP à l'égard de C Gilles, contradictoirement à l'égard de la partie civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels régulièrement interjetés tant par le prévenu C Gilles, (lequel a fait porter son recours sur les dispositions pénales et civiles de la décision) que par le Ministère public à l'encontre du jugement prononcé le 20 octobre 1995 par le Tribunal de Paris (31e chambre) et dont le dispositif est rappelé ci-dessus;

S'y référant pour les termes de la prévention et l'exposé des faits;

Régulièrement cité à la mairie de son domicile le 12 janvier 1996, C Gilles ne comparait pas à l'audience de la cour du 14 février 1996 à 9 heures. Il résulte cependant de l'avis constatant remise de la lettre recommandée qui lui a été adressée par l'huissier dans les meilleurs délais, conformément aux dispositions de l'article 558 du Code de procédure pénale que le prévenu a eu personnellement connaissance de la citation le 16 janvier 1996. Il sera, dès lors, statué contradictoirement à son égard en application des dispositions de l'article 410 du même Code.

C Gilles a fait connaître dans l'après-midi même par son conseil, qu'il s'était trompé d'heure, croyant que l'affaire devait être appelée à 13 h 30.

Son conseil a déposé une note en délibéré dans laquelle il fait les observations suivantes:

- ce n'est pas M. Pansiot qui a acquis le poisson en pâte de verre litigieux mais un allemand qui l'accompagnait; l'action civile du premier nommé aurait dû être déclarée irrecevable, faute de préjudice personnel et direct,

- l'un des experts dont M. Pansiot s'était entouré de l'avis officieux, M. Slitine était dans de tels rapports conflictuels avec le prévenu qu'il est permis de suspecter son impartialité,

- l'attestation de Mme Nolte, expert mondialement reconnu, n'affirme aucunement que M C ait trompé la partie civile sur l'origine du poisson vendu, "mais simplement que ce dernier n'avait pas celle que celui-là avait certifiée" (sic) et que d'ailleurs cet expert n'opposait pas une fin de non-recevoir à M. C Gilles quand il lui demandait de réexaminer la question,

- l'expertise judiciaire contradictoire diligentée par M. Clement et M. Guy Montbardon n'a pas été sérieuse, l'un et l'autre n'étant pas des spécialistes en égyptologie. M. Montbardon étant classé dans la nomenclature du cabinet de commissaires-priseurs Ader-Trajan comme expert d'art africain alors que M. Clement n'étant qu'expert en laboratoire de police scientifique,

- le juge d'instruction n'a pas cru faire droit à la demande du conseil de C Gilles qui, en demandant de bien vouloir procéder à des investigations complémentaires sollicitait par là une contre-expertise,

- faute d'intention coupable, C Gilles étant expert lui-même en verrerie antique, le jugement dont appel doit être infirmé en son entier dans le sens d'une relaxe du prévenu et du débouté de la partie civile.

Assisté par son conseil, Jean-Pierre Pansiot, partie civile, demande à la cour, par voie de conclusions, de:

"- statuer ce que de droit sur l'action pénale

"- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. C Gilles à verser la somme de 200 000 F à M. Pansiot au titre de préjudice subi;

"- une somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts

et y ajoutant,

"- condamner M. C Gilles à (lui) verser une somme de 15 000 F sur la base de l'article 475-1 du Code de procédure pénale".

I.- Sur les faits

Le 16 mars 1994, Jean-Pierre Pansiot déposait plainte avec constitution de partie civile contre C Gilles pour tromperie sur la qualité substantielle de la marchandise et vente de faux par marchand.

Il exposait que le 23 février 1992, il avait acquis dans une galerie d'art " X " <adresse>à Paris 6e, SARL dont le gérant était C Gilles, un poisson en pâte de verre. Il le payait 195 000 F. C Gilles rédigeait un certificat d'authenticité rédigé ainsi "poisson en pâte de verre blanche et noire avec des nageoires turquoises comme étant du Nouvel Empire provenant d'Egypte, d'autre part, il a été signalé des restaurations sur un des flancs ainsi qu'à la tête".

A la suite de cet achat, la partie civile faisait examiner l'objet par le docteur Birgit Scwlick Nolte, spécialiste allemand, qui affirmait que le poisson n'était pas du Nouvel Empire ni de fabrication égyptienne. Elle consultait un autre expert, M. Chebib Slitine qui indiquait que l'objet ne correspondait pas à l'époque alléguée.

C Gilles indiquait avoir acquis ce poisson lors d'une vente aux enchères à Londres chez Bonhams pour la somme de 20 000 F. Sur le catalogue, il était présenté comme étant de l'époque romaine tardive. Après avoir compulsé des documents et consulté des experts, il avait acquis la certitude que ce verre était du Nouvel Empire d'origine égyptienne. Il ne l'avait pas à proprement fait expertiser car il s'estimait lui-même expert en verrerie antique. Il ne contestait pas avoir fait une bonne affaire en le vendant, compte tenu du prix auquel il l'avait acheté.

Le magistrat instructeur ordonnait une expertise du poisson confiée à Jean-Louis Clement assisté de Guy Montbardon. L'expert concluait que l'objet était de fabrication très largement postérieure à l'époque du Nouvel Empire égyptien et que rien n'indiquait qu'il provenait d'Egypte;

Qu'aucune contre-expertise n'était sollicitée par le prévenu, son conseil se bornant à demander au juge d'instruction des investigations complémentaires sans préciser lesquelles;

Par ordonnance en date du 30 juin 1995, le juge d'instruction prononçait un non-lieu partiel et renvoyait C Gilles devant le tribunal correctionnel sous la prévention rappelée supra;

Considérant que les premiers juges ont, à juste titre, par des motifs pertinents que la cour adopte déclaré C Gilles coupable de tromperie sur la nature, l'origine ou la qualité d'une marchandise;

Qu'à son tour, la cour observe que les trois expertises concluent dans le même sens le poisson en pâte de verre litigieux n'est pas du Nouvel Empire ni de fabrication égyptienne;

Que l'expertise judiciaire, contrairement aux affirmations du conseil du prévenu a été diligentée par des experts compétents, l'un étant ingénieur principal expert en laboratoire de police scientifique qui s'est adjoint un expert certes spécialiste en arts primitifs mais aussi spécialiste en archéologie ainsi que cela résulte de la liste des experts près la Cour d'appel de Paris;

Qu'au surplus, la conclusion de ce rapport d'expertise repose sur des considérations d'ordre technique, justement relevées par le tribunal et qui ne peuvent pas mettre à mal les notes émanant du docteur Cécile Maguet (Conservation analytique par la recherche appliquée) et de Madame Nenna (chargée de recherches au CNRS) qui, à la demande du prévenu donnaient leur avis sur l'expertise judiciaire sans avoir pu examiner l'objet et la seconde n'ayant même pas disposé de photographies de celui-ci;

Considérant qu'aucune contre-expertise n'a été sollicitée par le prévenu tant au cours de l'instruction qu'à l'audience du tribunal; que dans ces conditions, le délit de tromperie est établi dans sa matérialité;

Considérant que la cour fait siennes les observations du tribunal quant à l'élément moral de l'infraction, relevant que M. C est un professionnel, très informé sur l'archéologie, responsable d'une galerie d'art depuis de nombreuses années qu'alors qu'il avait acquis ledit poisson pour un prix très modique comme étant de la dernière époque romaine, n'a pas hésité à lui attribuer une origine beaucoup plus rare sans faire la moindre réserve, sans s'entourer d'un minimum de garanties ni solliciter l'avis d'autres professionnels et en dissimulant à l'acheteur l'origine qui lui avait été donnée initialement lors de son acquisition auprès de la galerie Bonhams, ce qui permettait de le revendre à un prix bien supérieur sans atteindre celui d'un poisson de l'époque du Nouvel Empire";

Qu'il convient dans ces conditions, de confirmer le jugement attaqué tant sur la déclaration de culpabilité de C Gilles que sur la peine prononcée à son encontre, laquelle est équitable.

III.- Sur l'action civile

Considérant qu'il n'est pas établi, comme le soutient le prévenu, que la partie civile n'ait servi que de courtier pour un acheteur de nationalité allemande, la détention par elle du reçu et du certificat d'authenticité prouvant qu'elle avait agi de son propre chef; que c'est donc à juste titre que le tribunal l'a reçu dans sa constitution de partie civile;

Considérant que les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice résultant directement pour Jean-Pierre Pansiot, partie civile, des agissements répréhensibles de C Gilles; qu'il convient, dans ces conditions, de confirmer sur ce point le jugement entrepris étant observé que le préjudice a été évalué à 200 000 F toutes causes confondues et non à 250 000 F comme le laisse entendre la partie civile dans ses conclusions;

Qu'il y a lieu de confirmer le jugement attaqué sur le montant des frais irrépétibles retenus en première instance;

Considérant que la demande d'une somme de 15 000 F formulée par Jean-Pierre Pansiot, partie civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, est justifiée en son principe mais doit être limitée à dix mille (10 000) francs;

Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement par application des dispositions de l'article 410 du Code de procédure pénale à l'égard de C Gilles, contradictoirement à l'égard de Jean-Pierre Pansiot, partie civile, reçoit les appels du prévenu et du Ministère public confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions pénales et civiles, y ajoutant, condamne C Gilles à verser à Jean-Pierre Pansiot, partie civile, la somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. Dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné. Le tout par application des articles 1er de la loi du 1er août 1905 repris par l'article L. 213-1 du Code de la consommation, 512, 514 du Code de procédure pénale.