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Décisions

Cass. crim., 6 octobre 1999, n° 98-82.769

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

M. Sassoust

Avocat général :

M. Lucas

Avocats :

SCP Guiguet, Bachellier, de la Varde.

Paris, 12e ch., du 25 févr. 1998

25 février 1998

LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par H Guy, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 12e chambre, en date du 25 février 1998, qui, pour tromperie, l'a condamné à 3 mois d'emprisonnement et qui a statué sur les intérêts civils; - Vu les mémoires personnels et ampliatifs produits; - Sur le moyen unique de cassation, proposé pour le demandeur et pris de la violation des articles L. 213-1 du Code de la consommation et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Guy H coupable de tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise et l'a condamné à 3 mois d'emprisonnement;

"aux motifs qu'il convient tout d'abord de déterminer si Georges Tranchant a été victime d'une tromperie; qu'aux termes de la prévention, il est reproché au prévenu d'avoir trompé le cocontractant en mettant en vente deux bronzes faussement attribués à Barye; qu'en fait, il résulte des expertises qu'a fait diligenter la partie civile et de l'expertise judiciaire que si ces deux bronzes sont bien (au moins pour L'Amazone) des reproductions de bronzes de Barye, il s'agit de surmoulages; que le décret n° 81-255 du 31 mars 1981 réglementant les informations qui doivent obligatoirement être délivrées en matière de transactions d'œuvres d'art et d'objets de collection, en vigueur au moment de la vente, indique dans son article 9 "tout fac-similé, surmoulage, copie ou autre reproduction d'une œuvre d'art ou d'un objet de collection doit être désigné comme tel"; que se pose la question de savoir si Georges Tranchant aurait pu se douter qu'il s'agissait de surmoulages (au demeurant récents et de facture grossière); qu'il convient de rappeler que, s'agissant du "Duc d'Orléans à Cheval", il est mentionné dans le catalogue "fonte ancienne signée sur la terrasse" tandis que, pour "Le Basset dos arrondi" et "L'Amazone", il est indiqué simplement "Bronze à patine brun noir. Signé sur la terrasse"; que Me Gros, commissaire-priseur, a affirmé que ces indications étaient conformes aux usages de la profession et ne pouvaient tromper un amateur averti, l'absence de mention "fonte ancienne" signifiant qu'il s'agissait d'un bronze récent; que, par ailleurs, le fait que Georges Tranchant, grand collectionneur des bronzes Barye ait payé "Le Duc d'Orléans" 192 000 francs, "L'amazone" 60 000 francs et "Le Basset dos arrondi" 9 500 francs, ne signifie pas qu'il se soit douté que les deux derniers bronzes étaient des surmoulages, compte tenu du fait qu'il n'a pas vu les bronzes avant la vente; que ce n'est pas lui qui a déterminé le prix, s'agissant d'une vente aux enchères et que plusieurs facteurs peuvent influer sur les prix (ancienneté, facture, rareté des bronzes); qu'enfin, le commissaire-priseur lui-même a déclaré au magistrat instructeur que, s'il ne pensait pas qu'il s'agissait de fontes très anciennes, mais de bronzes de 30 à 50 ans d'âge, il était loin de se douter qu'il s'agissait de surmoulages récents; que l'expert souligne d'ailleurs, en conclusions, qu'il y a une différence considérable entre vendre une fonte récente, légalement réalisée d'après un original, et un surmoulage éclatant de médiocrité ou un objet tellement déformé qu'il est impossible d'en trouver la référence dans les catalogues raisonnés de l'œuvre de Barye; que, dès lors, le fait d'avoir mis en vente ces deux surmoulages sans en faire mention constitue l'élément matériel d'une tromperie sur l'origine et les qualités substantielles des objets achetés; que cette tromperie est matériellement imputable au prévenu, quand bien même il est passé par un intermédiaire, car c'est lui qui a mis en vente les deux surmoulages; que, s'agissant de l'élément intentionnel du délit, il convient de rappeler que Guy H a menti sur l'origine des deux bronzes; qu'au surplus, Guy H, éditeur de bronzes, se disant expert en la matière et grand connaisseur des œuvres de Barye, ne pouvait ignorer qu'il s'agissait de reproductions grossières et récentes obtenues par surmoulage et non de bronzes de 30 à 50 ans d'âge comme il l'a déclaré au juge d'instruction;

"alors, d'une part, que l'élément matériel du délit de tromperie suppose que le contractant ait été légitimement induit en erreur; que, dès lors, en déclarant que Georges Tranchant avait été trompé sur les qualités substantielles des bronzes mis en vente par Guy H, après avoir constaté que Georges Tranchant était un grand collectionneur des bronzes de Barye, que le catalogue de la vente mentionnait simplement, pour les bronzes litigieux, "Bronze à patine brun noir" tandis que, pour un troisième, il précisait "fonte ancienne", que le commissaire-priseur avait affirmé que ces indications ne pouvaient tromper un amateur averti, qu'il avait payé ces trois bronzes respectivement 9 500, 60 000 et 192 000 francs, que l'expert avait souligné qu'il s'agissait de surmoulages éclatant de médiocrité ou d'un objet tellement déformé qu'il était impossible d'en retrouver la référence dans les catalogues raisonnés de l'œuvre de Barye, et encore que Guy H, expert en matière de bronzes et grand connaisseur des œuvres de Barye, ne pouvait ignorer qu'il avait vendu des reproductions grossières et récentes, toutes énonciations dont il ressortait que Georges Tranchant n'aurait jamais dû être trompé sur les qualités substantielles des objets vendus, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a ainsi violé l'article L. 213-1 du Code de la consommation;

"et alors, d'autre part, que le délit de tromperie suppose l'existence d'une intention frauduleuse; qu'en se bornant à constater, pour retenir le caractère intentionnel de la tromperie, que Guy H aurait menti à l'expert judiciaire sur l'origine des bronzes et qu'il ne pouvait ignorer qu'il s'agissait de reproductions grossières et récentes, contrairement à ce qu'il avait affirmé au juge d'instruction, sans avoir recherché si le fait que Guy H ait mis les bronzes litigieux en vente par l'intermédiaire d'un commissaire-priseur, professionnel averti qui a lui-même établi son catalogue et auquel il n'avait donné aucune indication particulière quant au prix, à l'origine ou à l'ancienneté des objets ou aux mentions du catalogue, n'excluait pas toute intention frauduleuse de sa part, la cour d'appel n'a pas suffisamment caractérisé l'élément intentionnel du délit retenu et n'a donc pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 213-1 du Code de la consommation";

Sur le moyen unique de cassation, proposé par le demandeur et pris de la violation des articles L. 213-1 du Code de la consommation, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale, L. 121-1, L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle, 8, 9, 10 du décret du 3 mars 1981 sur les fraudes artistiques et de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes artistiques; - Les moyens étant réunis; - Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, a caractérisé, en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable; d'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être accueillis;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;

Rejette le pourvoi.