Livv
Décisions

Cass. crim., 4 septembre 2002, n° 01-83.143

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Samuel

Avocats :

SCP Monod, Colin, Me Foussard.

TGI Paris, ch. corr., du 15 déc. 2000

15 décembre 2000

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par : - X... Y... Philippe, - la société A, - la société B, contre l'ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Paris, en date du 15 décembre 2000, qui a autorisé l'administration des Impôts à effectuer des opérations de visite et saisie de documents, en vue de rechercher la preuve d'une fraude fiscale ; Joignant les pourvois en raison de la connexité ; Vu les mémoires produits en demande et en défense ; Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, L. 16 B du Livre des procédures fiscales ;

"en ce que l'ordonnance attaquée a autorisé différents agents des impôts à procéder à des visites domiciliaires prévues par l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales dans les locaux professionnels et dépendances susceptibles d'être occupés par la SARL A, par la société B, par la société C, par les époux X... Y... et par la SA F ;

"aux motifs que les pièces représentées à l'appui de la requête ont une origine licite ; que la totalité du chiffre d'affaires de la SARL A était constitué au titre de l'exercice clos le 31 décembre 1998 par des prestations de services à l'exportation ou intracommunautaires, qui n'avaient pas fait l'objet d'un encaissement à la clôture de l'exercice (pièce 5) ; que les déclarations souscrites par la SARL A au titre de l'année 1998, ne mentionnent aucun chiffre d'affaires réalisé (pièce 7) ; que la SARL A a agi en qualité de représentant fiscal de la société B (pièces 1, 6 bis et 7 bis) ; que les mentions portées sur les déclarations souscrites par la société B en TVA et les documents ou copie de factures au nom de B et C, obtenus dans le cadre du droit d'enquête réalisé le 21 octobre 1999, laissent présumer qu'il s'agit de la société B, (pièces 2A1 a 2D5, 6 bis et 7 bis) ; que, selon la note annexe à la déclaration de TVA du mois de juin 1999, la SARL A soumet à la TVA les prestations au profit de sa maison mère, dont le montant au titre de l'année 1998 est identique à celui de son chiffre d'affaires (pièce 6) ; que la déclaration d'impôt sur les sociétés souscrite par la SARL A au titre de l'exercice clos le 31 décembre 1999, fait apparaître un déficit fiscal de plus de 8,4 millions de francs pour un chiffre d'affaires de plus de 470 millions de francs, constitué uniquement des ventes de marchandises en France (pièce 4) ; que la société B a souscrit au titre de l'année 1998 des déclarations de TVA pour des acquisitions intracommunautaires dont des ventes à distance qui s'élèvent à un total de 315 600 276 (pièce 7 bis) ; que la SARL A a fait l'objet d'une procédure de droit d'enquête dans le cadre des dispositions des articles L. 80 F à L. 80 H du Livre des procédures fiscales (pièces 2A1 à 2D5) ; qu'à cette occasion, Arnaud Z... a précisé que le "showroom" était envisagé historiquement comme un lieu de démonstration et qu'il s'est progressivement transformé en lieu de vente, et qu'ainsi le personnel s' est transformé en vendeurs qui ont le pouvoir de faire souscrire aux clients un bon de commande (pièce 2A2) ; que, dans le cadre du droit d'enquête précité, il a été constaté que les salariés de la SARL A reçoivent des directives de la société C1 basée à Dublin (République d'Irlande) et/ou D (pièces 2A2 et 2D3) ; qu'à l'occasion du compte rendu d'audition d'Arnaud Z..., salarié de la SARL A, il a été déclaré aux agents de l'administration fiscale présents sur place que le personnel employé par la société pouvait contractuellement être amené à travailler pour la société C1 sise en Irlande (pièce 2A2) ; que selon les termes du compte rendu d'audition rédigé dans le cadre du droit d'enquête précité, la société C1 fixe les objectifs de ventes des salariés français de A, les interroge sur la politique des prix pratiqués en France, valide les offres promotionnelles et les recrutements de personnels effectués sur le territoire national (pièce 2A2) ; qu'ainsi, la SARL A apparaît subordonnée aux décisions prises par la société C1 basée à Dublin ; que, selon le compte rendu d'audition rédigé le 28 octobre 1999 dans le cadre du droit d'enquête précité, la SARL A 2000 possède un logiciel en réseau avec Dublin permettant l'enregistrement de la commande par le commercial en France qui détermine tous les éléments de la facturation à émettre par C1 (pièce 2A2) ; que, selon le compte rendu d'audition rédigé le 22 octobre 1999 dans le cadre du droit d'enquête précité, la société C1 conduit les négociations commerciales des vendeurs, se fait communiquer les informations commerciales puis édite le devis destiné au client français (pièce 2A6) ; que, lors de l'audition de Philippe X... Y..., salarié de la SARL A, celui-ci a indiqué que la société avait mis en place sur le territoire national un réseau de revendeur baptisé "E", ainsi qu'un département dénommé "G Business Direct" (pièce 2A10) ; que les commandes des clients "E" s'effectuent directement auprès de C1 J Dublin 17 Irlande (pièces 2A10 et 2D5) ; que la brochure publicitaire de la société C1 à J Dublin 2, remise lors de l'audition Philippe X... Y..., fait apparaître que cette dernière a créé sur le territoire français une entité dénommée "E" (pièce 2D1) ; que les contrats signés dans le cadre de ce programme de réseau de revendeurs "E" sont souscrits entre les revendeurs agréés G et la société C1 et/ou D (pièces 2A10, 2D2 bis, et 2D3) ; que la certification des revendeurs agréés G sur le territoire français émane de C1 et/ou de D (pièces 2D3 et 2D2 bis) ; que D semble être une appellation destinée à établir une division géographique "Europe Moyen Orient Afrique" de l'entité C1 (pièces 21, 22A et 22B) ; qu'ainsi il peut être présumé que D est une dénomination de la société C1 (pièces 2D3, 4C, 21 et 22A) ; que, selon le compte rendu d'audition du 28 octobre 1999 rédigé dans le cadre du droit d'enquête précité, le département E a pour mission principale la constitution et l'animation d'un réseau de revendeurs sur le territoire français (pièce 2A10) ; que, selon le compte rendu d'audition du 28 octobre 1999 rédigé dans le cadre du droit d'enquête précité, l'équipe est constitué de quatre commerciaux dont un basé sur Paris chargé du recrutement et de l'animation des revendeurs sur l'Ile-de-France Paris, le nord et l'est de la France (pièce 2A10) ; que, selon ce même compte rendu d'audition les trois autres commerciaux sont basés en province : un à Cholet pour l'ouest de la France, un à Nîmes pour le sud et un à Lyon pour le centre Rhône-Alpes (pièce 2A10) ; que, selon ce même compte rendu d'audition, les revendeurs ont pour mission principale la commercialisation, la promotion et l'assistance technique des produits G (pièces 2A10 et 2D3) ; qu'ainsi il peut être présumé que le réseau français de revendeurs dénommés "E" est animé par la société C1 à partir de salariés établis en France et rémunérés par la SARL A ; qu'ainsi la société C1 et/ou D est ou était susceptible d'exercer à partir des locaux de la SARL A une activité professionnelle en France ; que les factures relatives aux commandes de la société Infodis à G sont émises par la société C1, J Dublin 17 Irlande (pièces 31 et 3K2) ; que les paiements de ces factures sont expressément acquittées à C1 sur un compte français (pièces 31, 3K2 et 11) ; que, par ailleurs, la SARL A prend en charge les rémunérations des époux X... Y... en 1998 et 1999 et Garreau en 1999 qui sont affectés à la division E créée et animée par la société B (pièces 2A10, 2D1, 2D2 bis, 2D3, 4 et 5) ; que, selon la déclaration d'impôt sur les sociétés n° 2065 souscrite au titre de l'exercice clos le 31 décembre 1999, la SARL A n'a déclaré aucune production de services au titre de l'exercice (pièce 4) ; que la déclaration d'impôt sur les sociétés souscrite par la SARL A au titre de l'exercice clos en 1999 présente un résultat d'exploitation déficitaire de 11 085 170 francs et un résultat fiscal déficitaire de 8 404 602 francs ; qu'en conséquence, la SARL A peut être présumée ne pas avoir refacturé à la société B les différentes prestations de services qu'elle réalise sous couvert de la division E s'agissant de l'animation du réseau de revendeurs G et avoir ainsi minoré ses recettes ou majoré ses charges au profit de la société B ; qu'enfin selon le compte rendu de l'audition du 21 octobre 1999 rédigé dans le cadre du droit d'enquête précité, la SARL A commerciale du matériel informatique à destination du continent africain (pièce 2A2) ; que les déclarations fiscales souscrites par la SARL A 2000 au titre de l'exercice clos le 31 décembre 1999 ne comportent aucune déclaration d'exportations (pièces 4, 6 et 6 bis) ; qu'ainsi il est présumé qu'une activité commerciale d'exportation à partir du territoire français et à destination du continent africain soumise à l'impôt sur les sociétés déployée sur le territoire national a été occultée par la société A 2000 ; que la SARL A dispose de locaux à Paris <adresse>à Paris 8e, <asdresse>à Paris 2e et <adresse>à Paris 17e ; que ces locaux sont ainsi susceptibles de contenir des documents ou supports d'informations relatifs aux fraudes présumées ; qu'en raison des fonctions exercées par Philippe X... Y... au sein de la SARL A, son domicile est susceptible de contenir des documents d'informations relatifs aux fraudes présumées (ordonnance, p. 11 à 17 et 19) ;

"alors, d'une part, que le droit de visite et de saisie prévu par l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales est une procédure exceptionnelle qui doit se justifier par l'impossibilité d'utiliser les voies de droit commun ; qu'en l'espèce, l'ordonnance attaquée constate que l'administration fiscale avait mis en œuvre à l'encontre des sociétés exposantes le droit d'enquête prévu aux articles L. 80 F à L. 80 I du Livre des procédures fiscales ; que, pour faire droit à la demande de l'Administration, le délégué du président s'est essentiellement fondé sur les éléments recueillis lors de l'exercice de ce droit d'enquête (pièces 2A1 à 3L2) ; qu'en ne recherchant cependant pas si, compte tenu de ces éléments, l'Administration n'était pas déjà en mesure de poursuivre, si elle l'estimait utile pour administrer la preuve de la fraude alléguée, la procédure de contrôle fiscal de droit commun déjà engagée sans recourir à des visites domiciliaires, le délégué du président, qui n'a pas fait ressortir la nécessité de mettre en œuvre la procédure exceptionnelle et attentatoire aux libertés publiques prévue par l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, a privé sa décision de base légale ;

"alors, d'autre part, que le président du tribunal de grande instance, saisi d'une demande d'autorisation de visite domiciliaire sur le fondement de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, doit s'assurer, par un contrôle concret et précis des éléments d'information fournis par l'Administration, du bien-fondé de la demande ; qu'en l'espèce, en se bornant à affirmer (p. 16), pour accorder l'autorisation de visite sollicitée, que la société A 2000 aurait occulté une activité commerciale d'exportation à destination du continent africain sans se référer à d'éventuels éléments d'information sur lesquels il fonde son appréciation à cet égard, le délégué du président a encore privé sa décision de base légale au regard des dispositions susvisées" ;

Attendu que, la procédure tendant à la répression des fraudes fiscales étant distincte de celle tendant à la recherche des manquements aux règles de facturation auxquelles sont soumis les assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée, l'usage du droit d'enquête prévu par les articles L. 80 F et suivants du Livre des procédures fiscales n'interdit pas à l'Administration de solliciter l'application de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales ; d'où il suit que le moyen, qui se borne dans sa seconde branche à contester l'appréciation souveraine du juge, ne peut qu'être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, L. 16 B du Livre des procédures fiscales, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'ordonnance attaquée a autorisé sur le fondement des dispositions de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales une visite et saisie au domicile de Philippe David X... Y... demeurant <adresse>à Paris (75014) ;

"aux motifs que Philippe David X... Y... est employé par la SARL A en qualité de directeur des ventes ; qu'en raison des fonctions exercées par Philippe X... Y... au sein de la SARL A, son domicile est susceptible de contenir des documents ou supports d'information relatifs aux fraudes présumées (p. 19) ;

"alors que les visites domiciliaires prévues par l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales ne peuvent être autorisées que dans les lieux où sont susceptibles d'être détenus des documents se rapportant aux agissements pris en considération par le juge ; qu'en l'espèce, en se référant, pour autoriser une visite et une saisie au domicile personnel de Philippe X... Y..., à sa seule qualité de directeur des ventes de la SARL A sans indiquer en quoi ce domicile serait susceptible de contenir des documents permettant d'apprécier l'existence de présomptions d'agissements frauduleux à l'encontre de la société A, le délégué du président du tribunal n'a pas légalement justifié sa décision au regard du texte précité" ;

Attendu que le juge énonce que Philippe X... Y... est employé par la société A en qualité de directeur des ventes et qu'en raison de ces fonctions, son domicile est susceptible de contenir des documents ou supports d'informations relatifs aux fraudes présumées commises par cette société ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, l'ordonnance attaquée n'encourt pas le grief allégué ; qu'ainsi le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;

Rejette les pourvois.