CA Bourges, 1re ch., 23 février 2000, n° 199801206
BOURGES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cavia (SA)
Défendeur :
Estival
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
Mme Trochain, M. Baudron
Avocat général :
M. Violette
Conseillers :
MM. Gautier, Gouilhers, Mme Gaudet
Avoués :
Mes Le Roy des Barres, Rahon
Avocats :
Mes de Laguerenne, Dischamp.
Exposé du litige
Suivant contrat du 20 décembre 1991, la société Cavia a consenti à M. Estival la location avec promesse de vente d'un véhicule BMW. Le 25 janvier 1995, le véhicule a été volé. L'assurance souscrite par M. Estival a permis d'indemniser la société Cavia de la valeur vénale du véhicule.
Par acte du 16 juin 1994, la société Cavia a fait assigner M. Estival en paiement de la somme principale de 57 923,38 F en invoquant l'article 4 du contrat ainsi rédigé: " le locataire a la garde du véhicule. Il supporte donc la totalité des risques encourus par le véhicule, les tiers et le bailleur. Il souscrit toutes assurances nécessaires à cet effet. Pour la part non couverte des risques, le locataire est considéré comme son propre assureur vis-à-vis du bailleur ".
Par jugement du 31 janvier 1995, le Tribunal d'instance de Clermont-Ferrand a débouté la société Cavia de l'ensemble de ses demandes, aux motifs que le vol du véhicule était un cas de force majeure, et que la clause qui faisait supporter au preneur la totalité des risques de perte de la chose louée, même dus à un événement constitutif de la force majeure et en l'absence de faute du preneur, était abusive, conférant au bailleur un avantage excessif.
Sur appel de la société Cavia, la Cour d'appel de Riom a réformé ce jugement par arrêt du 28 novembre 1995, et condamné M. Estival à payer 57 923,38 F à la société Cavia retenant d'une part que la clause litigieuse ne donnait pas d'avantage excessif au bailleur, dès lors que le preneur était tenu de s'assurer contre la totalité des risques encourus du fait du véhicule, et ne réglait que la différence, sans indemnité de résiliation, d'autre part que le vol d'une BMW dans le département des Bouches-du-Rhône ne saurait être considéré comme étant imprévisible et irrésistible.
Par arrêt du 17 mars 1998, la Cour de cassation a cassé et annulé cette décision, renvoyant les parties devant la présente cour d'appel, au motif que la clause litigieuse, dont la cour avait relevé qu'elle mettait à la charge du preneur le risque de perte ou de détérioration de la chose louée, même par cas fortuit ou de force majeure, conférait au bailleur un avantage excessif.
Visas
Vu le jugement du Tribunal d'instance de Clermont-Ferrand en date du 31 janvier 1995;
Vu l'arrêt rendu le 17 mars 1998 par la Cour de cassation;
Vu les dernières écritures en date du 25 octobre 1999 de la société Cavia, demanderesse sur renvoi de la Cour de cassation et appelante, demandant l'infirmation du jugement du Tribunal d'instance de Clermont-Ferrand, et la condamnation de M. Estival à lui payer la somme principale de 44 572,77 F avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 16 juin 1994;
Vu les conclusions de M. Estival en date du 19 avril 1999, sollicitant la confirmation du jugement frappé d'appel, le débouté de toutes les demandes de la société Cavia, et la condamnation de cette dernière à lui payer 30 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Sur quoi, LA COUR
Attendu que la société Cavia soutient que c'est par suite d'une transcription erronée de la clause litigieuse que cette dernière a été qualifiée d'abusive par l'arrêt de renvoi; que la clause figurant dans le contrat ne mentionne nullement que le locataire serait tenu même en cas de force majeure ou de cas fortuit, de sorte qu'en réalité M. Estival conservait le droit d'opposer la force majeure au bailleur;
Mais attendu qu'en prévoyant que le locataire supportait "la totalité des risques" courus par le véhicule, et que pour la part non couverte des risques, il était son propre assureur vis-à-vis du bailleur, la clause permet à ce dernier de faire supporter à M. Estival la perte du véhicule même en cas de force majeure;qu'elle confère ainsi un avantage excessif au bailleur et doit être qualifiée d'abusive;qu'aux termes de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, elle est réputée non écrite et ne peut donc servir de fondement à l'action de la société Cavia;que dès lors, la discussion élevée par cette dernière sur l'existence prouvée ou non de la force majeure est inopérante;
Attendu qu'en effet, en l'absence de clause contractuelle valable, les rapports de M. Estival et de la société Cavia sont régis par l'article 1732 du Code civil, qui prévoit que le locataire répond des dégradations et pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute;
Attendu qu'en démontrant par sa déclaration faite aux services de gendarmerie, dont la véracité n'est pas contestée, que lors du vol, le véhicule était stationné sur un parking, en plein jour, avec son anti-vol verrouillé, M. Estival établit qu'il n'a pas commis de faute; que cette faute ne peut être constituée par le fait qu'il ait laissé les papiers du véhicule dans ce dernier, ce fait n'ayant aucun rapport avec la commission du vol; que dès lors que le véhicule était équipé d'un anti-vol verrouillé lors des faits, l'absence d'une alarme, que le bailleur ni l'assureur n'avaient d'ailleurs imposée, n'est pas fautive; qu'il ne peut être reproché à M. Estival d'avoir laissé son véhicule entre 11 heures 30 et 14 heures 30 sur un parking, dont rien ne démontre qu'il présentait un risque particulier, ce dernier ne pouvant résulter du seul fait que l'aire de stationnement se situait dans le département des Bouches-du-Rhône;
Attendu que c'est à bon droit que le premier juge a débouté la société Cavia de ses demandes; que le jugement frappé d'appel doit être confirmé;
Attendu que la société Cavia qui succombe dans ses prétentions doit supporter les dépens des procédures tant devant la Cour d'appel de Riom que devant celle de Bourges; que par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, elle doit payer à M. Estival la somme de 10 000 F pour les frais irrépétibles exposés en appel;
Par ces motifs, Vu l'arrêt de cassation et de renvoi en date du 17 mars 1998; Au fond, dit injustifié l'appel formé par la société Cavia; Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 31 janvier 1995 par le Tribunal d'instance de Clermont-Ferrand; Condamne la société Cavia à payer à M. Estival la somme supplémentaire de 10 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Cavia aux dépens des procédures tant devant la Cour d'appel de Riom que devant celle de Bourges et alloue à Maître Rahon, Avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.