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Décisions

CA Rennes, 1re ch. B, 18 octobre 2001, n° 00-04241

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Média Plus (SARL)

Défendeur :

Banque de Bretagne (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boivin

Conseillers :

Mme Nivelle, M. Bohuon

Avoués :

SCP Leroyer-Barbarat Gauvain & Demidoff, SCP Chaudet & Brebion

Avocats :

Mes Le Roy, Marechal

T. com. rennes, du 7 avr. 1999

7 avril 1999

La SARL Média Plus, au capital de 50 000 F, a pour objet la vente d'appareils photo, vidéo, informatique et bureautique.

Elle a ouvert un compte courant auprès de l'agence de Brest de la Banque de Bretagne en juin 1997 et a adhéré à un système de paiement par carte bancaire.

Le 26 novembre 1999 elle a signé auprès de la Banque un bon de commande monétique portant sur un matériel VAD, permettant de réaliser des paiements à distance, et ce pour répondre à des commandes de matériel de téléphonie et d'informatique émanant de sociétés implantées à Abidjan (Côte d'ivoire), ces sociétés proposant un paiement à distance par carte bancaire,

Début décembre 1999 les premiers bons de commande sont arrivés par télécopie, avec indication des numéros de cartes bancaires à débiter, et date d'expiration des cartes; la société Média Plus, avant livraison du matériel, a introduit ces données dans le VAD connecté au réseau carte bleue.

Compte tenu des autorisations données, validant les paiements, la société Média Plus a procédé à l'expédition des marchandises commandées et adressé à la Banque de Bretagne un ordre de virement destiné au paiement des fournisseurs.

Le 30 décembre 1999 la Banque de Bretagne a alerté la société Média Plus sur un dysfonctionnement de son terminal point de vente électronique en raison du nombre important de sommes identiques sur une même carte, le même jour, depuis le 15 décembre, remises considérées comme doublons et en conséquence bloquées.

Par courrier du 5 janvier 1999 la Banque de Bretagne suspectait les règlements effectués par carte bancaire, dénonçait des violations graves et répétées des règles, du système de paiement, débitait le compte courant de la société Média Plus d'une somme de 1 164 763,50 F montant des remises postérieures au 20 décembre, ce qui rendait le compte débiteur à hauteur de 343 170,01 F.

Le montant total des remises par VAD télécollectées depuis le 7 décembre 1999 s'est élevé à la somme de 3 173 506,50 F portant au total sur 99 numéros de cartes étrangères utilisées en 337 opérations sur six sociétés étrangères, et le total des impayés, après régularisation de certaines opérations s'est élevé à la somme de 2 332,984 F.

La SARL Média Plus d'une part, la Banque de Bretagne d'autre part ont déposé plainte et se sont constituées partie civile contre X du chef d'escroqueries.

La société Média Plus a assigné le 20 janvier 2000 la Banque de Bretagne en responsabilité devant le Tribunal de commerce de Rennes qui par jugement du 7 avril 1999, a débouté la société Média Plus de toutes ses demandes, la Banque de Bretagne de sa demande de sursis à statuer, condamné la société Média Plus au paiement de la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Média Plus qui a interjeté appel dans le dernier état de ses écritures du 30 avril 2001 auxquelles il convient de se référer, sollicite la production par la Banque de Bretagne du dernier arrêté des comptes, sa condamnation au paiement de:

- 1 164 763,50 F montant des écritures contre-passées; et ce en application des articles 1135 et 1147 du Code civil,

- 1 077 100 F correspondant aux sommes qui n'ont pas été portées au crédit du compte courant de la société Média Plus.

- 180 932,67 F au titre des frais bancaires,

- 64 243 F au titre des pénalités pour retard de paiement auprès de l'Urssaf, Assedic, Igirs, Trésor Public, Fujifilm et Ilford Imagerie France,

- 15 069,10 F de pénalités facturées par le fournisseur Brevidex

- 50 000 F au titre du préjudice commercial.

En toute hypothèse si les opérations de contre-passation et d'encaissement sur compte bloqué lui étaient reconnues opposables, il conviendrait d'évaluer son préjudice à la somme de 2 590 104 F. Elle sollicite en outre 30 000 F au titre des frais irrépétibles.

Elle objecte que les conditions générales de vente à distance ne lui ont été remises que postérieurement à la commission de la fraude, et ne peuvent générer des obligations juridiques à sa charge, et qu'en toute hypothèse les conditions générales du système de paiement par carte sont inaptes à empêcher la fraude ; qu'ainsi la Banque de Bretagne qui n'ignorait pas ce risque a failli dans l'exécution de ses devoirs professionnels d'information et de conseil envers la société Média Plus, engageant sa responsabilité sur le fondement des articles 1134 alinéa 3, 1135 et 1147 du Code civil.

Elle conteste la position de la Banque de Bretagne qui invoque à son encontre le contrat dit de proximité, lequel permet l'authentification de l'utilisateur de la carte, ce qui n'est pas possible dans le paiement à distance, puisqu'il ne repose que sur le défaut de contestation du titulaire de la carte dont le compte sera débité, système qui insécurise les opérations; dans tous les cas d'espèce la Banque, que ce soit celle du titulaire de la carte, ou celle de l'adhérent au système de vente à distance, échappe à tout risque.

Elle précise que la fraude est parfaitement réalisable indépendamment de tout fractionnement des paiements et sans que la signature du bon de commande ne puisse assurer la bonne fin de l'opération, la signature ne permettant qu'un contrôle a posteriori, en cas de contestation ultérieure du titulaire de la carte; elle ajoute que ce n'est d'ailleurs, de l'aveu même de la Banque, que la pratique massive des paiements fractionnés, alors que les autorisations du centre de traitement des cartes bancaires étaient accordées, qui a alerté le contrôle général de la Banque de Bretagne quant à la possibilité de fraude.

Elle dénonce les faiblesses du système de paiement à distance par carte bancaire qui a permis une fraude identique concernant plus de 200 entreprises françaises, fraude connue de la Banque de Bretagne qui n'a pas su informer sa cliente des risques encourus.

La Banque de Bretagne conclut à la confirmation du jugement, s'en rapporte à la décision de la cour sur la décision de recréditer le compte courant de Média Plus des sommes encaissées, qui n'ont pas été réclamées et correspondent à de réelles fournitures.

A titre très subsidiaire, au cas où sa responsabilité serait retenue, il conviendrait de constater qu'elle a minimisé les conséquences de la fraude et ordonner la compensation de toute somme mise à sa charge, avec la créance résultant du solde débiteur du compte courant de Média Plus ; elle sollicite 50 000 F au titre des frais irrépétibles.

Elle fait valoir que dans son assignation la société Média Plus avait fondé son action sur l'exécution du contrat de vente à distance (VAD); que dans le cadre de ce contrat, la société Média Plus n'avait pas respecté les obligations contractuelles mises à sa charge (signature du bon de commande, signature du titulaire de la carte sur support papier pour toute transaction supérieure à 5 000 F); en cause d'appel la société Média Plus ayant abandonné ce moyen, il convient de se placer sur le terrain du contrat de proximité, étant observé que le contrat de VAD ne fait qu'adapter à la vente à distance les règles du contrat de proximité;

Elle fait grief à la société Média Plus d'avoir méconnu deux règles fondamentales du contrat de proximité, reprises dans le VAD, savoir l'obligation de signature nécessaire pour identifier la personne avec laquelle la transaction par carte est effectuée, l'interdiction du fractionnement, c'est-à-dire de diviser le montant de la transaction, alors que dès la première facturation du 7 décembre 1999 d'un montant de 59 970 F (7 factures sur deux cartes bancaires), toutes les remises ont été fractionnées, chaque commande étant payée par plusieurs cartes et chaque carte utilisée pour plusieurs remises.

Compte tenu de son comportement la société Média Plus qui a opéré plusieurs transactions sur une seule carte le même jour, sur le même point de vente, alors que les opérations sur une même carte doivent être regroupées en une seule demande d'autorisation, a favorisé la fraude, ce qui autorisait la Banque, par application du principe de non-exécution du contrat, à isoler les encaissements litigieux pour attendre le paiement effectif; étant exposé que les inscriptions au crédit du compte résultent de la télécollecte automatique des enregistrements du TPE du commerçant avant contrôle des opérations par la Banque, ce qui justifie qu'en cas d'anomalies flagrantes elle puisse revenir sur ces opérations de crédit.

La Banque de Bretagne dénonce le comportement fautif de la société Média Plus qui s'est engagée dans une opération commerciale avec des clients étrangers, pour des sommes très importantes, sans obtenir un minimum de renseignements commerciaux d'usage, sans mettre en œuvre les systèmes de paiement usuels pour les transactions internationales pour obtenir les garanties sur le paiement ; elle conteste avoir été informée par la société Média Plus de ses transactions avec la Côte d'Ivoire.

Elle met en relief le comportement de la société Média Plus, qui a manifesté un appât inconsidéré du gain, lui ayant fait perdre tout sens des responsabilités, sa seule préoccupation étant d'obtenir des numéros de carte et de passer les opérations, recherchant en cas de rejet de cartes de nouveaux numéros de carte pour solder ses factures : comportement exclusif de toute bonne foi, directement à l'origine du préjudice subi.

La Banque de Bretagne expose que par sa rapidité d'intervention elle a permis d'éviter que la fraude se perpétue et ne se développe au-delà de la fin décembre 1999, nonobstant les démarches de la société Média Plus qui insistait pour que les virements aux fournisseurs soient exécutés afin d'honorer les nouvelles commandes de ces clients ivoiriens.

Après rejet des paiements par les banques étrangères, il s'avère qu'à l'intérieur des sommes globales de 1 164 763,50 F et 1 077 100 F, sommes portées au crédit d'un compte d'encaissement, des opérations n'ont pas été rejetées à hauteur de 541 635,50 F, qu'à cette dernière somme s'ajoute des paiements, dans un premier temps rejetés par les banques étrangères puis acceptés ultérieurement à hauteur de 125 422,24 F, somme globale de 667 057,34 F, qui pourrait revenir à Média Plus, ce qui laisserait néanmoins le compte de la société Média Plus, débiteur de 435 370,64 F, sous réserves des agios depuis le 30 juin 2000.

Discussion

- Sur l'exécution du contrat:

Attendu qu'il n'est plus discuté que le contrat de vente à distance (VAD) n'avait pas fait l'objet d'un avenant entre les parties, lesquelles restent tenues par les termes du contrat de paiement de proximité, qui en son article 5-1 dispose expressément que les opérations de paiement sont garanties sous réserve du respect de l'ensemble des mesures de sécurité à la charge de l'accepteur, étant ajouté, article 2, que toutes les mesures de sécurité sont indépendantes les unes des autres et qu'ainsi l'autorisation donnée par le système d'autorisation ne vaut garantie que sous réserve du respect des autres mesures de sécurité et notamment le contrôle du Code confidentiel, et en cas de non-respect d'une seule de ces mesures les enregistrements ne sont réglés que sous réserve de bonne fin d'encaissement.

Attendu qu'au titre des opérations de sécurité le commerçant s'engage notamment à faire composer par le client son Code confidentiel, preuve qui doit figurer sur le ticket TPE, à faire signer le client lorsque le montant de la transaction est supérieur à 5 000 F et dans le cas où le contrôle Code confidentiel n'est pas requis (cartes étrangères), dispositions qui sont reprises lors de la vente à distance sous la forme d'un bon de commande signé et exigence d'une signature du titulaire sur support papier.

Attendu que la société Média Plus n'a nullement respecté ces obligations essentielles pour sécuriser les paiements, la validation des opérations était indispensable pour garantir le paiement ; qu'ainsi certaines commandes n'étaient pas signées, les numéros de carte n'étaient pas toujours identifiés, non accompagnées de la signature du titulaire alors qu'elles portaient sur des opérations supérieures à 5 000 F; qu'ainsi nombreuses opérations qui ont été autorisées par le groupement des cartes bancaires, ont ensuite été rejetées par les banques étrangères comme correspondant à des opérations frauduleuses.

Attendu qu'outre le non-respect de l'obligation de signature, qui permet d'identifier la personne avec laquelle la transaction par carte est effectuée, la société Média Plus n'a pas respecté l'interdiction de fractionnement en divisant le montant de la transaction effectuée en plusieurs opérations sur la même carte ou sur des cartes différentes le même jour ; qu'ainsi il a été relevé 337 opérations sur 99 numéros de carte, et à titre d'exemple le 17 décembre la même carte a été utilisée six fois pour le même montant dans la même journée.

Attendu que par application des dispositions du contrat, les opérations passées, dans la mesure où l'une ou l'autre ou les deux mesures de sécurité n'ont pas été respectées, n'ont été réglées que sous réserve de bonne fin d'encaissement; que la Banque de Bretagne alors informée des suspicions relatives au règlement final des factures qui ne respectaient pas les obligations du contrat, a dans un premier temps, à titre conservatoire, isolé sur un compte spécial d'encaissement la somme de 1 164 763,50 F que c'est également, à bon droit qu'elle a refusé de porter au crédit du compte la somme de 1 077 100 F, pour l'inscrire au crédit d'un compte d'encaissement ;

Que dans la mesure où ces opérations correspondent à des transactions qui se sont révélées frauduleuses il n'y a pas lieu de faire droit à la demande en paiement de la société Média Plus sauf à créditer son compte sur les livres de la Banque de Bretagne à hauteur de 667 057,94 F, sommes correspondant aux paiements effectifs par les banques étrangères.

Que par voie de conséquence les frais bancaires sont justifiés et les pénalités de retard restent à la charge de la société Média Plus.

- Sur la responsabilité de la Banque de Bretagne:

Attendu que la Banque de Bretagne en qualité de professionnelle est tenue à une obligation de conseil vis-à-vis de ses clients ; qu'elle est tenue d'informer son client sur les obligations imposées en l'espèce par le fonctionnement d'un VAD, obligations contractuelles qui s'imposent à l'accepteur;

Qu'en l'espèce il n'est pas démontré que la société Média Plus ait spécialement informé sa banque de son intention de commerce avec des clients de la Côte d'Ivoire et se faire payer par cartes; qu'au contraire n'étant pas informée des modalités de transaction envisagée avec ces clients étrangers la Banque ne pouvait mettre en garde son client contre les risques encourus; que bien au contraire il appartenait à la société Média Plus confrontée à une nouvelle clientèle étrangère, de s'informer des modalités de vente à l'export, de recueillir les informations commerciales indispensables sur la solvabilité, les modes de paiement de sa nouvelle clientèle et au besoin de solliciter les conseils et informations nécessaires auprès de sa banque, informations qu'elle n'a communiquées à la Banque de Bretagne que le 17 décembre 1999, à raison du blocage des règlements fournisseurs consécutivement aux défauts de règlements opposés par les banques étrangères.

Que la responsabilité de la Banque ne saurait être retenue.

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la Banque de Bretagne les frais irrépétibles qui seront indemnisés par la somme de 10 000 F.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement du 7 avril 1999 en ce qu'il a débouté la société Média Plus de ses demandes. Dit que la Banque de Bretagne devra recréditer le compte courant de la société Média Plus de la somme de 667 057,94 F (101 692,33 euros), lequel restera débiteur de la somme de 435 970,64 F (66 463,30 euros). Déboute la société Média Plus du surplus de ses demandes. Condamne la société Média Plus à payer à la Banque de Bretagne la somme de 10 000 F (1 524,49 euros) au titre des frais irrépétibles. La condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.