CA Agen, ch. corr., 10 décembre 1998, n° 98-00163
AGEN
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lebreuil
Substitut :
général: M. Aldige
Conseillers :
Mme Grimaud, M. Louiset
Avocat :
Me Tabart.
Rappel de la procédure:
Le jugement:
Le Tribunal de grande instance de Cahors, par jugement en date du 7 mai 1998 a déclaré C Christian Bernard:
coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, le 16 juin 1997 à Cahors (46) sur le territoire national, infraction prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation
Et par application de ces articles, a condamné C Christian Bernard à une amende de 20 000 F, ordonné la publication dans les journaux "La dépêche du midi" et "La semaine du Lot", dit que le coût des publications sera à sa charge et ne devra pas dépasser 3 000 F par insertion.
Les appels:
Appel a été interjeté par:
Monsieur C Christian Bernard, le 18 mai 1998
M. le Procureur de la République le 19 mai 1998 contre Monsieur C Christian Bernard
Sur citation à comparaître, l'affaire a été appelée à l'audience du 12 novembre 1998.
Décision:
Vu les appels interjetés à l'encontre de la décision susmentionnée par C Christian Bernard et par le Ministère public, lesdits appels formalisés suivant déclarations reçues au greffe du Tribunal de grande instance de Cahors les 18 et 19 mai 1998;
Attendu que ces appels sont réguliers en la forme et qu'ils ont été interjetés dans le délai de la loi; qu'il convient, en conséquence, de les déclarer recevables;
Attendu qu'il résulte des pièces de la procédure et des débats d'audience les faits suivants:
Le lundi 16 juin 1997 à 7 heures 15, un contrôleur des Services extérieures de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) du Lot et un préposé sanitaire des services vétérinaires du même département se présentaient à l'hypermarché X situé <adresse>à Cahors (46), dans le cadre d'une enquête nationale relative aux pratiques de reconditionnement des pré-emballages de viande en grandes surfaces.
Cet hypermarché était dirigé par C Christian Bernard et exploité par la SA Y dont le siège était à Bayonne.
Les deux agents susvisé étaient reçus par Marcel B, responsable de la boucherie, en l'absence de Christian C.
Ils constataient que, dans une vitrine réfrigérée, étaient mis en vente quatre types de brochettes (d'abats, de porc, de boeuf et d'agneau) renfermées dans des barquettes, de poids nets différents, sur lesquelles était apposée une étiquette avec, en particulier, les mentions:
- date de conditionnement: 16.6.97,
- date limite de consommation: 21.6.97,
ces brochettes avaient été:
- achetées auprès du groupe Bigard, dont le siège était à Quimperlé,
- livrées par le centre d'Agen, selon bon de livraison en date du 14 juin 1997,
- réceptionnées déjà conditionnées dans des barquettes de 2 500 kg environ sous film plastique, étiquetées, et portant des mentions relatives à:
* la date de fabrication: 13.6.97
* à consommer jusqu'au (DLC): 18.6.97.
Selon B, ces brochettes étaient systématiquement reconditionnées dans l'atelier du magasin X de Cahors dans des barquettes plus petites.
Celles trouvées par les enquêteurs venaient en fait d'être reconditionnées, le matin même, peu de temps avant leur arrivée. Les emballages initiaux de ces différentes brochettes étaient retrouvées dans une poubelle.
Après rapprochement de ces étiquettes avec celles relevées sur les barquettes exposées à la vente dans la vitrine réfrigérée du magasin, les deux agents constataient un changement de la date limite de consommation (DLC), la date initiale du 18 juin 1997 prévue comme DLC pour le fournisseur étant reportée à 3 jours, puisque sur les nouvelles étiquettes elle était passée au 21 juin 1997.
Sous cette modification, lesdites brochettes se seraient trouvées impropres à la consommation en l'état dès le 19 juin 1997.
Entendu le 22 juillet 1993, Marcel B déclarait en particulier que:
- l'ensemble du personnel du rayon boucherie avait pour tâche, dès sa prise de fonction le matin à 5 heures de retirer des rayons en libre-service les produits pré-emballés par le magasin X dont la date d'emballage correspondait à la date du jour moins 2,
- cette pratique était habituelle, systématique et justifiée par:
* la charte Z qui précise que seuls doivent être mis en vente aux consommateurs des produits étiquetés avec une date d'emballage correspondant soit au jour même ou soit au jour antérieur,
* la vérification de la qualité de la viande mise en vente (exsudation, couleur ou autres),
- les produits étaient défilmés, retirés de la barquette d'origine, examinés, refilmés et étiquetés avec mention de la date du jour du contrôle et d'une date de péremption correspondant à ce jour plus 5 jours,
- ce délai de 5 jours avait été fixé au moment de la mise en place de l'étiqueteuse,
- par expérience, le délai de vie du produit était limité à 4 jours qui correspondaient à deux rotations, c'est-à-dire deux pré-emballages,
- il avait été constaté que le consommateur n'achetait pas le produit ayant une date de péremption inférieure à deux jours par rapport au jour de l'achat,
- il était impossible, eu égard à la qualité des produits mis en vente, que ceux-ci subissent trois rotations (trois emballages successifs), ces produits virant avant la troisième rotation et ne pouvant être alors exposés à la vente, n'étant pas présentables,
- des contrôles bactériologiques étaient effectués systématiquement tous les mois par un laboratoire,
- les abats sont systématiquement jetés et ne subissent pas de réemballage.
Réentendu le 18 novembre 1997, ledit B précisait que:
- il reconnaissait que cette pratique constituait une infraction au Code de la consommation,
- cette pratique avait cessé dans l'établissement le jour même du contrôle sanitaire,
- c'est lui-même qui avait pris l'initiative de modifier la DLC,
- il était le seul habilité à modifier les mentions portées sur des étiquettes de produits boucherie et à programmer la machine de conditionnement, laquelle délivre automatiquement la DLC telle que programmée par lui,
- il n'avait pas reçu d'instruction en ce sens de sa hiérarchie, laquelle ignorait cette pratique.
Lors de son audition le 12 décembre 1997, Christian C affirmait que:
- cette pratique n'était pas une pratique courante,
- il pensait que B, le jour du contrôle, avait été "un petit peu pris de court au niveau des délais DLC fournisseur",
- lui-même n'avait jamais donné d'instructions permanentes ou ponctuelles pour modifier la DLC,
- B, en tant que chef boucher, avait toute latitude pour organiser son travail sans que la hiérarchie soit derrière lui,
- depuis cet incident, il avait personnellement donné de nouvelles instructions pour interdire formellement la modification de la DLC fournisseur,
- il se reconnaissait pénalement responsable des agissements de son personnel;
Attendu que Christian C est poursuivi pour "avoir, à Cahors (Lot), le 16 juin 1997, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, trompé les consommateurs, contractant, sur les qualités substantielles de brochettes d'abats, de porc, de boeuf et d'agneau.
- en l'espèce en modifiant sciemment la date limite de consommation initiale prévue pour le 18.06.97 et en la prolongeant au 21.06.97";
Attendu que le prévenu a sollicité l'indulgence de la cour, en se prévalant de sa bonne foi;
Mais attendu que C ne pouvait ignorer la pratique du personnel du rayon boucherie relative à cette modification;
Qu'en effet, Magali P, adjointe du chef de ce rayon, a déclaré que "cette pratique était habituelle";
Qu'en outre, Guy D, boucher aux établissements X de Cahors, a notamment déclaré:
"... Avant ce contrôle, ce genre de pratique était courante. Après le contrôle, nous avons cessé de changer la date limite de consommation.
... Lorsque nous réceptionnons des colis "vrac" de viande ou de produits carnés, nous ne changeons plus la DLC.
... Je travaille chez X depuis presque dix ans. Personne chez nous ne savait que ce changement de date de limite de consommation était une pratique interdite par la loi.
... C'est Monsieur B qui s'occupait de cela; notamment au niveau de la manipulation de la machine de conditionnement et de la programmation des DLC.
... Si: Monsieur B agissait de sa propre initiative. Il n'avait pas de consignes particulières de la part de Monsieur C notre directeur; lequel était pourtant au courant de ces pratiques...";
Attendu que, directeur de cet hypermarché depuis 1996, C ne pouvait avoir ignoré que cet établissement avait déjà fait l'objet d'un procès-verbal du service des Fraudes le 22 septembre 1993 pour des faits de même nature, alors que B était déjà responsable du rayon boucherie;
Attendu qu'en tout état de cause, le prévenu devait, en sa qualité de responsable de l'établissement, prendre les mesures pour éviter que les employés relevant de son autorité effectuent sur la viande mise en vente des manipulations portant directement atteinte aux qualités loyales et marchandes de ce produit;qu'en ne sanctionnant pas le responsable du rayon boucherie à la suite du contrôle du 16 juin 1997, il a confirmé le peu de cas qu'il faisait de l'information et de la santé des consommateurs, s'agissant de denrées microbiologiquement très périssables susceptibles, après une courte période, de présenter un danger immédiat pour la santé humaine;
Attendu que C s'est bien rendu coupable des faits qui lui sont reprochés; qu'en le retenant dans les liens de la prévention, les premiers juges ont fait une exacte application des dispositions de la loi pénale; qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement dont appel sur la qualification des faits et la déclaration de culpabilité;
Attendu, quant au prononcé de la peine que commandent de tels agissements, que la cour, prenant en considération tant la nature et la gravité des faits que la personnalité de C, confirmera le jugement quant à la peine d'amende de 20 000 F qui lui a été infligée et ajoutera la peine de 2 mois d'emprisonnement avec sursis, susceptible de constituer un avertissement approprié aux circonstances de la cause;
Attendu qu'il convient enfin d'ordonner la publication par extraits, aux frais du condamné, du présent arrêt dans deux quotidiens régionaux;
Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort, En la forme, reçoit en leurs appels Christian C et le Ministère public, Au fond, Confirme le jugement déféré sur la qualification des faits, la déclaration de culpabilité et le prononcé de la peine de 20 000 F d'amende, Y ajoutant, Condamne Christian C à la peine de 2 mois d'emprisonnement avec sursis. Dit que l'avertissement prévu par les dispositions de l'article 132-29 du Code pénal n'a pu être donné au condamné absent par le président, Ordonne aux frais du condamné la publication par extraits du présent arrêt dans les journaux "La dépêche du midi" et "La semaine du Lot". Le tout en application des articles susvisés, 512 et suivants du Code de procédure pénale, Ainsi fait et jugé les jour, mois et an susdits.