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Décisions

Cass. crim., 12 novembre 1997, n° 96-82.664

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Pansiot

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Culié

Rapporteur :

M. Mistral

Avocat général :

M. Le Foyer de Costil

Avocats :

SCP Defrenois, Levis.

Paris, 13e ch., du 20 mars 1996

20 mars 1996

LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par C Gilles, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, du 20 mars 1996, qui, pour tromperie, l'a condamné à 40 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils; - Vu le mémoire produit; - Attendu que Gilles C, antiquaire et gérant d'une galerie d'art, qui a vendu un poisson en pâte de verre comme étant du Nouvel Empire égyptien, a été poursuivi pour tromperie sur la nature, l'origine et les qualités substantielles de la marchandise vendue;

En cet état; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 486 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale;

"en ce que l'arrêt comporte une incertitude sur la date à laquelle il a été prononcé;

"alors que la cour ne pouvait, sans se contredire, affirmer, d'une part, que l'arrêt avait été prononcé publiquement le mercredi 20 mars 1996 (p. 1) et, d'autre part, que, le 15 mai 1996, il avait été procédé à la lecture de l'arrêt par l'un des magistrats ayant participé aux débats et au délibéré (p. 2)";

Attendu que l'incertitude sur la date de l'arrêt attaqué, résultant des mentions contradictoires de cette décision, dès lors qu'elle n'a pas été de nature à faire obstacle à la recevabilité du pourvoi, n'a pas eu pour effet de porter atteinte aux intérêts du demandeur; d'où il suit que, par application de l'article 802 du Code de procédure pénale, le moyen ne peut être admis;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article L. 213-1 du Code de la consommation, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué, statuant sur l'action publique, a confirmé le jugement condamnant Gilles C pour faux en matière artistique et tromperie sur la nature, l'origine et la qualité d'une marchandise;

"aux motifs que les premiers juges ont, à juste titre, par des motifs pertinents que la cour adopte, déclaré Gilles C coupable de tromperie sur la nature, l'origine ou la qualité d'une marchandise; qu'à son tour, la cour observe que les trois expertises concluent dans le même sens: le poisson en pâte de verre litigieux n'est pas du Nouvel Empire ni de fabrication égyptienne; que l'expertise judiciaire, contrairement aux affirmations du conseil du prévenu, a été diligentée par des experts compétents, l'un étant ingénieur principal expert en laboratoire de police scientifique qui s'est adjoint un expert certes spécialiste en arts primitifs mais aussi spécialiste en archéologie ainsi que cela résulte de la liste des experts près la Cour d'appel de Paris; qu'au surplus, la conclusion de ce rapport d'expertise repose sur des considérations d'ordre technique justement relevées par le tribunal et qui ne peuvent pas mettre à mal les notes émanant du docteur Cécile Maguet (conservatoire analytique par la recherche appliquée) et de Mme Nenna (chargée de recherches au CNRS) qui, à la demande du prévenu, donnaient leur avis sur l'expertise judiciaire sans avoir pu examiner l'objet et la seconde n'ayant même pas disposé de photographies de celui-ci; considérant qu'aucune contre-expertise n'a été sollicitée par le prévenu tant au cours de l'instruction qu'à l'audience du tribunal; que, dans ces conditions, le délit de tromperie est établi dans sa matérialité; considérant que la cour fait siennes les observations du tribunal quant à l'élément moral de l'infraction, relevant que Gilles C est un professionnel, très informé sur l'archéologie, "responsable d'une galerie d'art depuis de nombreuses années; qu'alors, il avait acquis ledit poisson pour un prix très modique comme étant la dernière époque romaine, n'a pas hésité à lui attribuer une origine beaucoup plus rare sans faire la moindre réserve, sans s'entourer d'un minimum de garanties ni solliciter l'avis d'autres professionnels et en dissimulant à l' acheteur l'origine qui lui avait été donnée initialement lors de son acquisition auprès de la galerie Bonhams, ce qui permettait de le revendre à un prix bien supérieur sans atteindre celui d'un poisson de l'époque du Nouvel Empire"; qu'il convient, dans ces conditions, de confirmer le jugement attaqué tant sur la déclaration de culpabilité de Gilles C que sur la peine prononcée à son encontre, laquelle est équitable;

"et aux motifs adoptés que Gilles C déclarait qu'après examen attentif du poisson, il avait acquis la certitude que celui-ci n'était pas de la dernière époque romaine mais du Nouvel Empire et de fabrication égyptienne; que sa conviction reposait sur son expérience professionnelle, la consultation d'ouvrages spécialisés - il en possédait 250 sur la verrerie antique - une comparaison avec des fragments de verrerie du Nouvel Empire qu'il détient et le rapport de Mme Dupin, restaurateur à laquelle il avait confié l'objet pour effectuer plusieurs interventions qui confirmait outre une restauration antérieure la présence de traces de terre caractéristiques de l'époque du Nouvel Empire; qu'en fait, Mme Dupin a fait une description de l'objet et s'était bornée à indiquer que la surface interne présentait des traces d'argile faisant penser à un noyau de terre pour la mise en œuvre (sand-core); qu'en outre, Gilles C reconnaissait n'avoir sollicité l'avis d'aucun expert ni consulté la galerie Bonhams à ce sujet ni recherché à contacter les premiers propriétaires de l'objet, qu'il est incontesté qu'il ne subsiste qu'un très petit nombre de poissons égyptiens du Nouvel Empire et que selon le prévenu lui-même, un tel objet altéré a été vendu récemment 700 000 francs à Londres; que, si le prix auquel Gilles C a revendu ledit poisson est considérable par rapport au prix d'achat, il ne correspond pas à celui d'un véritable objet de cette époque; que toutes les expertises (3) concluent dans le même sens: l'objet n'est pas du Nouvel Empire ni de fabrication égyptienne; qu'ainsi, il résulte de l'expertise judiciaire contradictoire, confortée par deux expertises effectuées à la diligence de la partie civile, et qui n'a été remise en cause par aucun élément sérieux - aucune contre-expertise n'ayant été sollicitée - que le poisson litigieux n'est ni du Nouvel Empire ni de fabrication égyptienne alors qu'il a été vendu accompagné d'un certificat d'authenticité attestant de cette nature et de cette origine; qu'ainsi, le délit de tromperie est établi dans sa matérialité;

"alors que, d'une part, la cour, qui s'est fondée sur le fait que les trois expertises auraient conclu dans le même sens, n'a pas répondu aux conclusions du prévenu qui énonçaient que M. Clément et M. Montbardon n'étaient pas des spécialistes en égyptologie;

"alors que, d'autre part, en ne recherchant pas si Jean-Pierre Pansiot avait la qualité d'acheteur, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 231-1 du Code de la consommation;

"alors, enfin, que la cour, en affirmant qu'aucune contre-expertise n'ayant été sollicitée par le prévenu, le délit de tromperie était établi dans sa matérialité, s'est prononcée par un motif inopérant au regard de l'article L. 213-1 du Code de la consommation, privant ainsi son arrêt des conditions essentielles de son existence légale";

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme, en partie reproduites au moyen, mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable; d'où il suit que le moyen, qui remet en discussion l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que de la valeur et de la portée des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale;

"en ce que l'arrêt, statuant sur l'action civile, a confirmé le jugement condamnant Gilles C à 40 000 francs d'amende et à payer à Jean-Pierre Pansiot, 200 000 francs au titre des dommages et intérêts;

"aux motifs qu'il n'est pas établi, comme le soutient le prévenu, que la partie civile n'ait servi que de courtier pour un acheteur de nationalité allemande, la détention par elle du reçu et du certificat d'authenticité prouvant qu'elle avait agi de son propre chef; que c'est donc à juste titre que le tribunal l'a reçu dans sa constitution de partie civile; que les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice résultant directement pour Jean-Pierre Pansiot, partie civile, des agissements répréhensibles de Gilles C; qu'il convient, dans ces conditions, de confirmer sur ce point, le jugement entrepris étant observé que le préjudice a été évalué à 200 000 francs toutes causes confondues et non à 250 000 francs comme le laisse entendre la partie civile dans ses conclusions; qu'il y a lieu de confirmer le jugement attaqué sur le montant des frais irrépétibles retenus en première instance; que la demande d'une somme de 15 000 francs formulée par Jean-Pierre Pansiot, partie civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, est justifiée en son principe mais doit être limitée à 10 000 francs;

"alors que, d'une part, la cour n'a pas répondu aux conclusions du prévenu relatives au fait que Jean-Pierre Pansiot n'était pas l'acquéreur du poisson en verre et, par conséquent, qu'il n'avait subi aucun préjudice personnel;

"alors que, d'autre part, en affirmant que la détention par la partie civile du reçu et du certificat d'authenticité prouvait qu'elle avait agi de son propre chef, et qu'ainsi, le tribunal l'avait reçue à juste titre en sa constitution de partie civile, la cour a énoncé un motif inopérant au regard de l'article 2 du Code de procédure pénale";

Attendu que, pour écarter l'argumentation du prévenu, qui soutenait que Jean-Pierre Pansiot n'est pas l'acheteur et que son action civile est irrecevable faute de préjudice personnel et direct, les juges relèvent qu'il n'est pas établi que celui-ci a servi de courtier pour un acheteur de nationalité allemande et que la détention du reçu et du certificat d'authenticité prouve qu'il a agi pour son propre compte; Qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance ou de contradiction, la cour d'appel a justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice découlant de l'infraction;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;

Rejette le pourvoi.