CA Paris, 13e ch. B, 19 septembre 1996, n° 96-02536
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bertolini
Avocat général :
MMe Auclair
Conseillers :
Mmes Magnet, Marie
Avocat :
Me Simon.
Rappel de la procédure:
Le jugement:
Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré S Jean-Claude coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, jusqu'en 1994 à Perigny (94), le Bernard (85), infraction prévue et réprimée par l'article L. 213-1 du Code de la consommation,
et, en application de ces articles, l'a condamné à 1 amende de 20 000 F avec sursis,
a ordonné la confiscation des scellés,
a assujetti la décision à un droit fixe de procédure de 600 F;
L'appel:
Appel a été interjeté par :
M. le Procureur de la République, le 13 février 1996 contre Monsieur S Jean-Claude,
Décision:
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur le seul appel du Ministère public interjeté à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour les termes de la prévention.
Rappel des faits
Monsieur Jean-Claude S, président du conseil d'administration de la société "X', importait d'Asie des jeux et jouets nautiques.
Cette société possédait un établissement à Bernard dans le département de la Vendée, au sein duquel un contrôle était effectué le 7 juillet 1994 par des inspecteurs de la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes.
Une série de quatre prélèvements était opérée sur les objets suivants :
- Bouée siège de luxe, référence 7302, n° SA 77.
- Tortue gonflable, référence 7681, n° SA 78.
- Baleine gonflable, référence 7682, n° SA 79.
- Planche de surf gonflable, référence 114.10, n° SA 80.
Pour ces quatre objets, il était relevé un défaut de respect de l'obligation générale de sécurité, les essais démontraient que les objets se dégonflaient rapidement malgré la présence de valves de sécurité lorsque l'embout du système de gonflage était ôté. Le premier étant dépourvu du marquage CE imposé par le décret n° 89-662 du 12 septembre 1989.
En ce qui concerne la baleine gonflable, elle ne comportait pas de marquage en langue française.
Une deuxième série de prélèvement opérée le 12 juillet 1994 sur les objets suivants :
- Bouée tête d'animal, référence 7301, n° SA 81.
- Bouée siège, référence 7680, n° SA 82.
- Planche à vagues, référence 7318, n° SA 83.
L'essai démontrait que les deux premiers de ces objets étaient non conformes et dangereux, il était relevé par le rapport du Laboratoire interrégional de la Répression des Fraudes de Marseille, que le troisième à savoir la planche à vague, n'était pas visé par le décret sur la sécurité des jouets et était donc écarté de la procédure.
Compte tenu des résultats d'analyse des échantillons n° SA 81 et 82, il était procédé à leur saisie dans l'entrepôt de la société X à Bernard le 31 août 1994, conformément aux dispositions de l'article L. 215-5-4 du Code de la consommation.
Monsieur S remettait aux enquêteurs, deux "renseignements tarifaires contraignant" établis par la Communauté européenne, concernant des "jouets nautiques" en l'occurrence, une bouée et une planche de surf gonflable.
Ces documents établis le 3 février 1994 par l'administration des douanes belges et identifiant les produits comme n'étant pas des jeux ou des jouets, Monsieur S soutenait que la bouée siège luxe référence 7302, la bouée tête animal référence 7301, la bouée siège référence 7680 devaient être considérées comme des "équipements nautiques destinés à être utilisés en eau profonde", au sens de l'annexe 1 du décret du 12 septembre 1989.
Le prévenu estimait donc que les articles nautiques gonflables qu'il commercialise n'avaient pas à porter la mention "CE" et n'avaient pas à satisfaire à l'obligation faite, pour les jeux et jouets, de subir des analyses prouvant leur conformité aux normes de sécurité.
Les articles portaient les mentions suivantes :
"Attention à n'utiliser qu'en eau où l'enfant à pied et sous surveillance".
"Jouet, charge maximale... kg. A n'utiliser que sous surveillance".
"Attention aux vents et aux courants".
Il était noté dans le rapport du 22 août 1994 du laboratoire d'essai de Marseille, concernant la bouée siège, que le jouet muni de deux valves anti-retour inefficaces entraînant un dégonflement rapide après retrait des bouchons, qui le rendaient non conforme aux exigences de la norme française EN 71-1 mettant en danger l'utilisateur. L'absence de marquage CE contrevient aux dispositions du décret n° 89-662 du 12 septembre 1989 relatif à la prévention des risques résultants de l'usage des jouets.
La même observation était faite à propos de la bouée à tête d'animal dans le rapport du 17 août 1994.
Les 19 références sur lesquelles portaient les constatations de la Direction Générale de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes représentent la totalité de la gamme jeux et jouets nautiques gonflables de la société X disponibles dans l'entrepôt de Bernard.
Monsieur S qui s'est présenté assisté de son conseil, sollicite par voie de conclusions, la confirmation du jugement déféré.
A l'appui de sa demande, il fait valoir, soulignant qu'il n'a jamais été condamné depuis la création de la société :
En premier lieu, que la société "X " dont il est le président du conseil d'administration a été créée en 1969 possède un catalogue de 4 000 articles dont 10 % proviennent d'Extrême-Orient et que tous les articles sont systématiquement contrôlés dans des laboratoires agrées.
En deuxième lieu, que les procès-verbaux du Laboratoire interrégional de la Répression des Fraudes de Marseille du 17 août 1994 ont estimé que les matériaux aux moyens desquels étaient réalisés les objets soumis à examen étaient conformes aux normes, mais avaient retenu que le jouet se dégonflait rapidement lorsque le bouchon des valves de sécurité était retiré.
Le prévenu fait observer que ces valves constituent en fait des crans de sécurité supplémentaires qui ne remettent pas en cause la flottabilité de la bouée, mais qui entraînent le dégonflement de celle-ci rapidement dans la seule hypothèse où le bouchon est retiré.
En troisième lieu, que le délit de tromperie suppose, d'une part, la tromperie du cocontractant sur les qualités substantielles du produit.
Il fait observer qu'en l'espèce les qualités substantielles d'un jouet nautique résident dans sa capacité à flotter et qu'en l'espèce les produits qu'il vendait répondaient à ce critère.
Que, si les deux produits objets des tests se sont révélés avoir des "valves anti-retour" imparfaites, c'est-à-dire entraînant un dégonflage rapide une fois le bouchon retiré, il convient de noter que pour réduire le danger, il est nécessaire de dégonfler une bouée une fois qu'elle est à terre.
Que, s'il n'a pas fait procéder à des contrôles sur les bouées, c'est parce qu'il avait cru que ces objets n'étaient pas soumis à l'obligation de contrôle, s'agissant d'équipements sportifs.
D'autre part, le concluant n'avait pas la conscience que les produits n'étaient pas conformes aux règles en vigueur.
Il fait observer sur ce point que les dispositions du décret du 12 septembre 1989 ne sont pas claires et qu'aucune circulaire n'a précisé quel était son champ d'application.
En quatrième lieu, que si la cour venait à décider que les bouées, malgré leur caractère utilitaire relevaient du décret susvisé, sa méconnaissance est punie d'une contravention de la 5e classe et que les faits entrent par conséquent dans le champ d'application de la loi d'amnistie du 3 août 1995.
Oralement, Monsieur S fait remarquer que tenant compte du contrôle opéré par la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes il fait désormais procéder systématiquement au contrôle des articles du même type que ceux objets du présent litige.
Sur ce,
Considérant que selon l'article L. 213-1 3° du Code de la consommation est coupable du délit de tromperie celui qui aura trompé ou tenté de tromper le cocontractant sur l'aptitude à l'emploi, les risques inhérents à l'utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d'emploi ou les précautions à prendre;
Considérant que Monsieur S n'avait pas fait procéder à des analyses destinées à vérifier si les jouets qu'il importait étaient conformes aux normes de sécurité;
Que cette omission est volontaire, Monsieur S ayant soutenudevant les enquêteurs de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, que ces objets n'avaient pas à subir les dites analyses se fondant pour cela sur deux "Renseignements tarifaires contraignants" qui selon lui permettaient de considérer qu'il s'agissait d'équipements nautiques destinés à être utilisés en eau profonde ;
Qu'il ne pouvait ignorer la norme NF EN 71-1 qui précise que, par jouets nautiques, on entend les articles gonflables ou non, conçus pour être utilisés par les enfants en tant qu'instruments de jeu et en principe sous la surveillance des adultes, en eau peu profonde;
Qu'il ne peut sérieusement soutenir que des bouées à tête d'animal ou des animaux gonflables pouvaient être considérés comme des équipements sportifs, leur destination à des enfants étant évidente ;
Considérant qu'il est reproché à Monsieur S le délit de tromperie et non un simple défaut de marquage ;
Qu'en effet, en mettant sur le marché des objets, sans faire procéder à des essais il a commis le délit de tromperie ;qu'en effet, ces objets se révélaient dangereux pour l'usage auquel ils étaient destinés à savoir l'utilisation par des enfants qui sont susceptibles d'ôter la valve anti-retour;
Que, les faits ne sauraient être requalifiés en défaut de marquage de jouets infraction prévue à l'article 7 du décret n° 89-662 du 12 septembre 1989 et réprimée par une amende prévue pour les contraventions de la 5e classe ;
Que, par conséquent les conclusions de Monsieur S tendant à ce qu'il soit constaté qu'il bénéficie de la loi d'amnistie du 3 août 1995 doivent être écartées ;
Considérant que l'infraction visée à la prévention est caractérisée dans tous ses éléments et qu'il convient de confirmer le jugement sur la déclaration de culpabilité ;
Que, toutefois, il convient de faire au prévenu une application plus sévère de la loi pénale, l'amende prononcée n'étant pas assortie du sursis comme l'avaient décidé les premiers juges;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel du Ministère public, Rejette les conclusions de Jean-Claude S en ce qu'elles tendent à la requalification de la prévention de tromperie en défaut de marquage et à ce qu'il soit constaté que les faits constituent une contravention entrant dans le champ d'application de la loi d'amnistie du 3 août 1995, Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité, l'infirme en répression, condamne Jean-Claude S au paiement d'une amende de 20 000 F sans sursis, la présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.