CA Aix-en-Provence, 2e ch., 4 mars 2004, n° 2004-179
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Briois (SARL)
Défendeur :
SPA Salvatore Ferragamo Italia (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Thiolet
Conseillers :
MM. Fohlen, Jacquot
Avoués :
SCP Ermeneux-Champly-Levaique, SCP Jourdan-Wattecamps
Avocats :
Mes Rochas, Clément, Vignaud.
I) Objet du litige et prétentions des parties
En septembre 1996, madame Briois, gérante de la SARL Briois propriétaire d'un fonds de commerce d'articles de luxe situé 1 bis, rue Fabrot à Aix-en-Provence est entrée en relations d'affaires avec la société Salvatore Ferragamo Italia dans le but d'aménager mue boutique de luxe dans le domaine de l'habillement et des accessoires dans un local situé rue Marius Reinaud dans la ville d'Aix-en-Provence.
Avant même d'avoir obtenu les crédits bancaires qui lui étaient nécessaires pour mener à bien cette opération, elle acceptait pour rentrer dans le réseau de distribution des produits Ferragamo non seulement de passer une commande des collections, qu'elle confirmait par lettre en date du 10 mars 1997, pour un montant non discuté de 838 544 F, mais encore de se plier aux exigences de la société du même nom, en prenant à sa charge le coût de la moitié des présentoirs et ameublements imposés par cette société.
Ainsi elle apposait sur une lettre rédigée en anglais, reprenant dans le détail le matériel d'aménagement jugé nécessaire par la société Salvatore Ferragamo Italia et le coût de ce matériel, les mentions manuscrites " Aix le 27-05-97 ", "bon pour accord, sur la base de 50 % du montant total de 100 714 500 Lires Italiennes ".
Par lettre en date du 2 septembre 1997, Madame Briois informait la société Salvatore Ferragamo que les banques qu'elle avait contactées, lui refusant leur concours, elle ne pouvait, malgré tous ses efforts, réaliser le projet envisagé.
Le 4 septembre suivant elle faisait savoir à la société Salvatore Ferragamo qu'elle était toutefois désireuse de recevoir la collection commandée pour pouvoir la vendre dans son local de la rue Fabrot, dans les conditions de paiement que lui avait proposées cette société dans sa lettre du 25 juillet 1997.
Par lettre en date du 10 septembre suivant la société Salvatore Ferragamo devait refuser cette proposition aux motifs qu'il était initialement prévu que la boutique à créer devait être partagée uniquement entre ses produits et ceux de Dior avec un ameublement personnalisé à sa marque et que ses produits n'avaient pas à se retrouver dans une boutique multimarques sans indication Ferragamo.
Dans ce courrier, la société Salvatore Ferragamo rappelait qu'elle était cependant en situation de lui livrer pour 838 544 F de marchandises et qu'elle avait réalisé du mobilier sur mesure pour 359 694 F (pour son local de la rue Reinaud).
Par jugement en date du 2 mai 2000, le Tribunal de commerce de Marseille, saisi à l'initiative de la société Salvatore Ferragamo devait:
- Débouter cette société de sa demande tendant à entendre la SARL Briois condamnée à lui payer le prix des marchandises commandées par cette dernière, aux motifs que ces marchandises n'avaient pas été livrées;
- Reconnaître que la SARL Briois en n'ayant pas exécuter le devis prévu pour l'aménagement de sa boutique avait " indubitablement causé des tracas à cette société " ce qui justifiait, compte tenu toutefois de sa propre carence dans la livraison du matériel, que la SARL Briois soit condamnée à lui payer la somme de 100 000 F;
- Condamner la SARL Briois à payer en outre à la société Salvatore Ferragamo la somme de 5 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du NCPC;
- Débouter la SARL Briois de sa demande reconventionnelle tendant à obtenir la condamnation de la société Salvatore Ferragamo à lui payer la somme de 280 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du manque à gagner tenant au refus par cette société de lui livrer la marchandise commandée.
Par déclaration déposée au greffe le 20 juin 2000, la SARL Briois a relevé appel de cette décision.
Elle soutient que la société Salvatore Ferragamo ne rapporte pas la preuve des préjudices qu'elle invoque, qu'elle ne prouve pas qu'elle a payé les meubles à la société à laquelle elle dit les avoir commandés, ni même la preuve que ces meubles ont été fabriqués.
Il en serait de même pour le préjudice dont elle fait état et qui résulterait de la fabrication des marchandises commandées, d'une part car elle ne rapporterait pas la preuve d'avoir perdu de l'argent dans cette opération et d'autre part car elle a refusé de lui vendre ces marchandises pour son commerce de la rue Fabrot.
Elle conclut donc au débouté de toutes les demandes formées par la société Salvatore Ferragamo et donc à la réformation du jugement déféré.
Elle considère au contraire qu'en ayant refusé de lui vendre ces marchandises, la société Salvatore Ferragamo l'a privé d'un manque à gagner important dont elle demande la réparation à hauteur de la somme de 280 000 F.
Ce serait d'ailleurs de manière particulièrement abusive que cette société aurait mis en œuvre la présente procédure judiciaire de sorte qu'elle serait en droit de lui réclamer la somme de 50 000 F à titre de dommage et intérêts et la somme de 20 000 F au titre des frais non-répétibles.
De son coté la société Salvatore Ferragamo a conclu à la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Briois à lui payer la somme de 100 000 F pour avoir refusé de lui régler les meubles et la somme de 5 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du NCPC.
Elle sollicite cependant sur appel incident la réformation du jugement attaqué, en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnisation au titre des collections commandées et non reclassées et réclame à ce titre la condamnation de la société Briois à lui payer la somme de 146 296 F.
Elle demande enfin la condamnation de la société Briois à lui payer la somme de 20 000 F sur la base des dispositions de l'article 700 du NCPC et la condamnation de cette société aux dépens.
II) Motifs
Les parties ne discutant pas de la recevabilité de l'appel et la cour ne relevant aucun élément pouvant constituer une fin de non-recevoir susceptible d'être soulevée d'office, l'appel sera déclaré recevable.
En droit, il appartient à la partie qui sollicite la réparation d'un préjudice sur la base de la responsabilité de son cocontractant, non seulement de rapporter la preuve de la faute commise par ce dernier, mais encore celle du préjudice invoqué et celle du lien de causalité entre la faute et le préjudice.
Or si eu l'espèce la société Salvatore Ferragamo rapporte la preuve de ce que la société Briois n'a réglé ni les aménagements mobiliers qu'elle avait sollicités, ni les marchandises qu'elle avait commandées, elle n'a nullement rapporté la preuve d'avoir subi un préjudice autre que celui, d'avoir elle même passé commande auprès d'une entreprise tiers pour la confection des meubles, d'avoir perdu la possibilité d'agrandir son réseau de distribution et d'avoir inutilement perdu du temps, tout en ayant du supporter des frais de déplacement;
Ce préjudice bien réel, imputable au non-respect par la société Briois de ses engagements non conditionnés par une clause suspensive relative à l'obtention des crédits qui lui auraient été nécessaires pour le parfait aboutissement de son projet d'installation d'une nouvelle boutique réservée pour la moitié de sa superficie aux produits Ferragamo, que les premiers juges ont qualifié improprement comme "résultant des tracas occasionnés à la société Salvatore Ferragamo du fait de la non-exécution du devis accepté pour la confection des meubles", mais qui résulte en réalité du non-aboutissement de l'ensemble des commandes, a cependant parfaitement été indemnisé par le jugement querellé qui a chiffré ce préjudice à la somme de 100 000 F.
En effet la société Salvatore Ferragamo ne rapporte pas la preuve d'avoir perdu l'ensemble des marchandises qu'elle dit avoir fait reclasser,
De même, cette société, qui n'a pas encore payé elle même les meubles qu'elle aurait commandés auprès d'une entreprise tiers, ne rapporte pas la preuve que ces meubles ne seraient pas utilisables dans leur majeure partie dans une autre boutique de sa marque.
De son coté la société Briois qui n'a pas été en mesure de respecter ses engagements et mal venue à soutenir que la société Ferragamo aurait commis une faute en ne lui ayant pas livré les marchandises commandées dans sa boutique de la rue Fabrot, alors que toute l'opération envisagée avait pour objectif, d'une part l'ouverture, à Aix-en-Provence rue Reinaud, d'une boutique réservée, à raison de 50 % de sa surface, aux produits Ferragamo (les 50 % restant devant revenir aux produits Dior) et d'autre part à l'installation de cette boutique, selon les prescriptions de la maison de confection Ferragamo, avantages que ne pouvait lui offrir la boutique multimarques de la rue Fabrot.
C'est donc pour de justes raisons tenant à son image de marque et aux conditions découlant de sa politique commerciale que la société Salvatore Ferragamo a refusé de livrer à la société Briois pour sa boutique de la rue Fabrot des produits qu'elle ne distribue que dans un réseau de boutiques aménagées dans des conditions bien précises que n'offrait pas le fonds de commerce existant de la SARL Briois.
Si l'appel de la société Briois ne peut être jugé abusif, et ne justifie l'allocation d'aucune somme supplémentaire à titre de dommages et intérêts au profit de la société Salvatore Ferragamo Italia, l'équité commande toutefois de faire application, à son avantage, en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du NCPC à concurrence de la somme de 2 000 euros.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement Reçoit l'appel formé par la société Briois, comme régulier en la forme; Confirme pour les motifs sus-visés, la décision déférée en ce qu'elle a condamné la société Briois à payer à la société Salvatore Ferragamo Italia, la somme de 100 000 F (toutes causes de préjudice confondues) et la somme de 5 000 F au titre des frais non-répétibles de première instance; Confirme, pour les motifs susvisés, la décision déférée en ce qu'elle a débouté la société Briois de ses demandes; Y ajoutant, Condamne la société Briois à payer à la société Salvatore Ferragamo Italia, la somme de 2 000 euros en remboursement de ses frais non-répétibles d'appel; Condamne la société Briois aux entiers dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP d'avoués Jourdan-Wattecamps.