CA Reims, ch. corr., 21 novembre 1991, n° 953
REIMS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Poul
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mahieux
Conseillers :
Mlle Gross, Mme Debuisson
Avocats :
Mes Leibvici, Dumont-Dacremont.
Substitut :
général: Mme Lafont
Statuant sur les appels, régulièrement interjetés en la forme par le prévenu Maurice L et par le Ministère public, d'un jugement du Tribunal correctionnel de Troyes en date du 22 janvier 1991 qui
Sur l'action publique,
- a déclaré Maurice L coupable d'avoir à Troyes, courant février 1989, trompé le contractant sur les qualités substantielles d'une marchandise, en vendant à Michel Poul un véhicule automobile décrit comme de millésime 1987 et de premier propriétaire, alors que ce véhicule était de l'année modèle 1986 et avait eu deux précédents propriétaires et plusieurs utilisateurs,
faits prévus et punis par les articles 1, 7 et 8 de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes,
- l'a condamné à une amende de 10 000 F,
Sur l'action civile,
- a reçu Michel Poul en sa constitution de partie civile,
- a évalué à 5 000 F le préjudice de Michel Poul,
- a jugé Maurice L entièrement responsable de ce préjudice directement causé par l'infraction en cause,
- l'a condamné à payer à Michel Poul les sommes de:
* 5 000 F à titre de dommages et intérêts,
* 1 000 F en indemnité de procédure;
Attendu que le prévenu Maurice L a conclu à sa relaxe;
Attendu que le Ministère public a requis l'application de la loi;
Attendu que par écritures déposées à l'audience, Michel Poul (partie civile intimée) a pour sa part demandé à la cour de:
- jugé que les tromperies lors de la vente du véhicule au profit de Monsieur Poul ont porté atteinte à l'appréciation des qualités substantielles de ce véhicule,
- dire que la mention portée sur le bon de commande du 19 février 1989 "millésime 1987" est inexacte, ainsi que celle "véhicule premier propriétaire",
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions civiles,
- condamner Maurice L à régler, à Michel Poul, une indemnité de 5 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;
Attendu en fait que suivant bon de commande daté du 2 février 1989 (D 23), le "X" (<adresse>à Pont Sainte Marie) représenté par Maurice L achetait pour 116 500 F (TTC) au "garage moderne" représenté par André Perrot, un "camping-car" d'occasion Challenger 340 monté sur châssis Peugeot - type 280 G 52, immatriculé sous le n° SW 71;
Qu'il était mentionné sur ce document:
- année modèle: 86
- première main: non;
Que selon bon de commande du 19 février 1989 (D 2), le même véhicule était revendu par le "Y" (<adresse>à Pont Sainte Marie) représenté également par Maurice L, à Michel Poul pour 130 000 F;
Qu'il était mentionné sur ce document:
- millésime: 1987
- premier propriétaire: oui;
Que par lettre du 8 novembre 1989 (D 1) Michel Poul déposait plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction de Troyes en faisant grief à Maurice L de l'avoir abusé sur les prétendus avantages du fourgon acquis;
Qu'ayant constaté de nombreux désordres auxquels le prévenu aurait refusé de remédier, Michel Poul avait découvert que le véhicule avait en réalité précédemment eu plusieurs utilisateurs et qu'il était du modèle 1986;
Sur l'action publique:
Vu les articles 427, 464, 509 et 515 du Code de procédure pénale;
Attendu d'une part que Maurice L fait valoir qu'il y a lieu de distinguer les notions d'année modèle et de millésime de l'année modèle;
Qu'en l'espèce, s'il admet que le véhicule cédé à Michel Poul était du modèle 1986, il affirme qu'immatriculé pour la première fois le 30 juillet 1986 (soit postérieurement au 1er juillet de ladite année) il pouvait prétendre au millésime de 1987;
Mais attendu en droit sur ce point qu'aux termes de l'article 2 du décret n° 78-993 du 4 octobre 1978 (pris pour l'application de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes en ce qui concerne les véhicules automobiles) tout véhicule automobile conforme au modèle dont le fabricant a fixé les caractéristiques pour une année déterminée est désigné par le millésime de ladite année, appelée "année modèle";
Que selon l'article 5 de l'arrêté du 2 mai 1979 (portant application du décret n° 78-993 précité) seuls peuvent porter le millésime d'une année modèle déterminée les véhicules vendus à partir du 1er juillet de l'année civile précédente;
Mais que cette possibilité, contrairement à ce que feint Maurice L, ne constitue pas une faculté laissée au constructeur ni à plus forte raison au revendeur d'un véhicule d'occasion de tromper l'utilisateur sur l'âge réel du véhicule considéré;
Que bien au contraire l'article 5 de l'arrêté du 2 mai 1979 détermine une exigence supplémentaire de nature à éviter la fraude;
Qu'en l'espèce, le fourgon litigieux, quoique fabriqué en 1986, aurait pu légitimement porter le millésime 1987 si les deux conditions fixées au décret de 1978 et à l'arrêté de 1979 précités avaient été cumulativement réunies, à savoir: que le véhicule eût été mis en circulation pour la première fois après le 1er juillet 1986 (ce qui était effectivement le cas) mais aussi qu'il eût été du nouveau modèle de l'année 1987, ce qui n'est pas établi;
Qu'en effet si le prévenu prétend qu'à partir du n° de châssis 227 501 les véhicules Peugeot du type du fourgon en cause (portant lui-même le n° 245 513) répondaient aux normes du modèle 1987, il n'en justifie pas;
Qu'au contraire, selon une lettre de la société Challenger en date du 25 avril 1989 (D 3) et une attestation de la SA des Automobiles Peugeot elle-même (D 54) le véhicule litigieux présentait les caractéristiques du "modèle 86" et a été commercialisé sous cette appellation de référence;
Attendu d'autre part que le prévenu fait observer qu'il n'a pas garanti à Michel Poul, lors de la transaction, que le "camping-car" était de première main en indiquant de façon captieuse sur le bon de commande "premier propriétaire: oui";
Que quoi qu'il en fût de son ignorance alléguée des précédents utilisateurs du véhicule (André Perrot, auquel il l'avait lui-même acheté, ayant pourtant déclaré (D 20) que Maurice L et lui se connaissaient depuis une vingtaine d'années) le prévenu ne pouvait de bonne foi prétendre que le fourgon d'occasion vendu à Michel Poul n'avait eu qu'un seul propriétaire, alors que le certificat d'immatriculation remis par le "garage moderne" (D 5) établi au nom de Fernand Renaud portait trace de deux ventes (en date des 12 juillet 1988 et 2 février 1989 respectivement) et en laissait présumer une troisième les ayant précédées (à défaut de mention "neuf" sous la rubrique "n° certificat précédent";
Attendu dans ces conditions que les paralogismes spécieux, derrière lesquels tente de se retrancher Maurice L, ne permettent pas de le disculper, alors qu'il est établi qu'il a trompé Michel Poul sur deux qualités essentielles du fourgon vendu;
Qu'en effet si la valeur d'un "camping-car" d'occasion dépend de son âge et du kilométrage parcouru, elle se fonde aussi dans l'esprit de l'acheteur sur ses caractéristiques techniques et sur l'usage qui a pu en être fait antérieurement;
Que si le prévenu a délibérément démarqué les mentions "année modèle 86" et "première main: non" figurant sur le précédent bon de commande pour les remplacer respectivement par "millésime 1987" et "premier propriétaire: oui" sur le bon signé par Michel Poul, il est impossible de considérer qu'il l'eût fait dans le dessein louable de rétablir la vérité et non de séduire abusivement son cocontractant;
Attendu qu'à l'issue des débats devant la cour, les faits demeurent donc tels qu'ils ont été exposés, analysés et qualifiés par les premiers juges qui, par des motifs non contraires que la cour fait siens, ont retenu à bon droit Maurice L dans les liens de la prévention;
Attendu que la peine prononcée est équitable et doit être maintenue eu égard aux circonstances atténuantes qui existent en la cause;
Sur l'action civile:
Vu l'article 2 du Code de procédure pénale;
Attendu que c'est également par des motifs que la cour prend à son compte que le tribunal a exactement évalué le préjudice subi ainsi que les frais irrépétibles exposés par la partie civile, dont le montant n'est d'ailleurs pas spécialement contesté par Maurice L;
Attendu qu'il convient, par suite, de confirmer en toutes ses dispositions tant pénales que civiles la décision entreprise;
Vu l'article 475-1 du Code de procédure pénale;
Attendu qu'il serait inéquitable, en l'espèce, de laisser à la charge de la partie civile les frais de procédure, non inclus dans les dépens, qu'elle a dû exposer pour faire valoir ses droits en appel et qui s'élèvent à 3 000 F;
Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement. Reçoit en leurs appels respectifs le prévenu Maurice L et le Ministère public. Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 22 janvier 1991 par le Tribunal correctionnel de Troyes. Y ajoutant, condamne Maurice L à payer à Michel Poul (partie civile intimée) la somme de 3 000 F (trois mille francs) en indemnisation des frais irrépétibles de la procédure d'appel.