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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 7 juillet 2003, n° 03-00889

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Faïencerie d'art breton (SARL)

Défendeur :

Faïencerie Croquet (Sté), Heurtebise

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Letouze

Conseillers :

Mmes Nivelle, Jeannesson

Avoués :

SCP Bazille & Génicon, SCP d'Aboville, de Moncuit & le Callonnec

Avocats :

Me Flochlay, Pomies.

TGI Quimper, du 27 mars 2001

27 mars 2001

Exposé des faits - procédure - objet du recours

La SARL Faïencerie d'art breton a régulièrement interjeté appel d'un jugement rendu le 27 mars 2001 par le Tribunal de grande instance de Quimper qui a:

- Prononcé la nullité du dépôt par la société Faïencerie Croquet en date du 19 février 1999, publié sous le n° 546 751 à titre de dessin et modèle du "Bouquet floral, Fleurs de Quimper",

- Débouté la SARL Faïencerie d'art breton de l'ensemble de ses autres demandes;

- Condamné la SARL Faïencerie d'art breton à payer à la société Faïencerie Croquet 20 000 F à titre de dommages et intérêts outre 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Elle demande à la cour, aux termes de ses conclusions récapitulatives signifiées le 20 septembre 2002 de:

- Prononcer la nullité, pour fraude, du dépôt par la société Faïencerie Croquet en date du 19 février 1999, publié sous le n° 546 751, à titre de dessins et modèle, du "Bouquet Floral, Fleurs de Quimper";

- Dire la société Faïencerie Croquet et Philippe Heurtebise auteurs d'actes de contrefaçon et leur faire interdiction de continuer à fabriquer et commercialiser le décor "Bouquet floral", contrefaisant le décor "Brocéliande" de la Faïencerie d'art breton;

- Condamner les mêmes au paiement des sommes de:

* 15 244,90 euros en réparation du droit moral;

* 4 % du chiffre d'affaires de la société Faïencerie Croquet réalisé depuis sa création et à parfaire, en réparation du droit patrimonial;

- Dire la SARL Faïencerie d'art breton et Philippe Heurtebise auteurs d'actes de concurrence déloyale et les condamner solidairement au paiement de la somme de 30 489,80 euros à titre de dommages et intérêts;

- Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir aux frais de la SARL Faïencerie d'art breton et de Philippe Heurtebise en page régionale des journaux Ouest France et Le Télégramme dans la limite d'un montant de 7 622,45 euros par jour de retard et par infraction constatée;

- Condamner la société Faïencerie Croquet et Philippe Heurtebise à exécuter les termes de l'arrêt dès sa signification et sous astreinte de 762,25 euros par jour de retard et par infraction constatée;

- Débouter la société Faïencerie Croquet de toutes ses demandes, fins et conclusions;

- Condamner la société Faïencerie Croquet et Philippe Heurtebise à payer à la SARL Faïencerie d'art breton la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

La société Faïencerie Croquet et Philippe Heurtebise concluent à la confirmation de la décision critiquée;

Ils demandent à la cour de condamner la SARL Faïencerie d'art breton à verser à la société Faïencerie Croquet la somme de 45 735 euros de dommages et intérêts pour préjudice commercial outre 7 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Moyens proposés par les parties:

Il est procédé à l'exposé des prétentions des parties et de leurs moyens par visa des conclusions déposées le:

- 20 septembre 2002 pour la SARL Faïencerie d'art breton appelante;

- 26 mai 2003 pour la société Faïencerie Croquet et Philippe Heurtebise, intimés;

Motifs de l'arrêt

Considérant que la SARL Faïencerie d'art breton a été créée en 1994 et qu'elle a pour objet la fabrication et la commercialisation de faïences de Quimper peintes à la main par des artisans qu'elle emploie;

Que du mois de février 1995 au mois de février 1998 elle a employé en qualité de salarié Philippe Heurtebise;

Que le 20 octobre 1998 la société Faïencerie Croquet était immatriculée au Registre du Commerce et des sociétés de Quimper avec comme gérante Madame Heurtebise;

Considérant que depuis sa création la SARL Faïencerie d'art breton commercialise un modèle "Brocéliande", créé par son "peinteur" Ronan Gauthier, et figurant sur les tarifs de la Faïencerie d'art breton dès la fin de 1994 au côté d'autres modèles;

Que ce modèle consiste en un bouquet de fleurs disposées en une gerbe verticale au centre des assiettes et peintes dans des couleurs de bleu, rouge, vert et jaune, le bord des assiettes étant ornés de barbeaux (fleurs dans le style Quimper) dans les mêmes couleurs;

Considérant qu'au cours de l'année 2000 la société Faïencerie Croquet a mis en vente toute une série d'articles de vaisselle et de vases ornés d'un motif intitulé "Bouquet Floral" (ou Zéphir); que ces articles étaient présents dès le mois de septembre 2000 chez certains détaillants comme cela résulte d'un constat d'huissier effectué le 7 septembre 2000 chez un commerçant de Quimper; qu'un catalogue était en outre édité par la société Faïencerie Croquet présentant l'ensemble des produits portant le même décor;

Considérant que ce décor "Bouquet Floral" consiste en un assemblage de fleurs disposées en gerbe au milieu de l'assiette, dans des tons de bleu, rouge, vert et jaune, le bord des assiettes étant également bordé de barbeaux dans les mêmes tons;

Considérant que les fleurs sont exactement du même style et disposées de la même manière: une grosse fleur de chaque côté, (seules les couleurs ayant été inversées) d'une branche centrale, une petite fleur jaune à gauche de l'assiette, une branche palmée sur la droite;

Considérant que la contrefaçon s'apprécie par les ressemblances;

Que ce décor constitue incontestablement une contrefaçon du décor "Brocéliande" dans la mesure où il n'est pas possible pour un consommateur d'attention moyenne de faire la différence entre les deux décors, même mis côte-à-côte, et a fortiori proposés dans des magasins différents, étant toutefois observé que, quelle que soit l'origine du décor utilisé par la société Faïencerie Croquet, celle-ci n'a jamais prétendu produire des objets peints à la main;

Considérant par ailleurs que si les motifs floraux (et les "coups de pinceaux") font incontestablement partie du patrimoine commun du style Quimper et constituent des éléments de décor connus de tous, leur combinaison de formes et de couleurs peut donner lieu à une composition originale sur laquelle l'auteur peut revendiquer les droits définis au Livre Premier du Code de la propriété intellectuelle;

Considérant que l'examen d'autres pièces de faïence de Quimper communiquées permet ainsi de constater que d'autres compositions originales peuvent être réalisées à partir du même patrimoine commun de motifs floraux traditionnels; que tel est le cas par exemple de l'assiette n° 9 des Faïenceries Henriot ou du modèle représenté sur l'assiette n° 2, autre modèle de la Faïencerie Croquet;

Considérant qu'il est indifférent au présent litige que Philippe Heurtebise détienne pour une raison quelconque des originaux du modèle commercialisé par la Faïencerie d'art breton dont il n'avait pas à faire un usage commercial pour son propre profit, étant observé qu'en 1997 tant lui-même que le "peinteur" Ronan Gauthier qui serait l'auteur de ces originaux, étaient les salariés de la SARL Faïencerie d'art breton;

Sur la nullité du dépôt de dessin:

Considérant que Philippe Heurtebise a déposé le 14 mai 1998 à l'INPI un dessin enregistré sous le numéro 98 3062 dont la description est la suivante: "Fleurs de Quimper. Bouquet comprenant une composition de diverses fleurs, avec couleurs et coups de pinceaux traditionnels de Quimper";

Que ce dessin ne fait l'objet d'aucune contestation;

Considérant que le 19 février 1999 la société Faïencerie Croquet a déposé à l'INPI un dessin dont la description est la suivante:

"Bouquet floral fleurs de Quimper. Bouquet comprenant une composition de diverses fleurs avec couleurs et coups de pinceaux traditionnels de Quimper";

Qu'à aucun moment ces deux dépôts n'utilisent le mot "Zéphir" ;

Que l'examen de ce dessin permet de constater qu'il s'agit de la reproduction servile du modèle "Brocéliande" exploité par la SARL Faïencerie d'art breton depuis 1994 et apposé sur les produits fabriqués et commercialisés par la société Faïencerie Croquet depuis 2000;

Considérant que si l'auteur de l'enregistrement est regardé comme le bénéficiaire de la protection accordée par l'article L. 511-9 du Code de la propriété intellectuelle, cet enregistrement peut être annulé s'il porte atteinte aux droits d'auteur d'un tiers;

Considérant en l'espèce que Philippe Heurtebise, qui avait été employé par la SARL Faïencerie d'art breton en qualité de coordinateur de production ne pouvait ignorer que la SARL Faïencerie d'art breton utilisait ce dessin sur ses articles depuis plusieurs années; qu'il ne peut au surplus à la fois arguer de la banalité du motif pour échapper aux accusations de contrefaçon dont il est l'objet et prétendre en obtenir l'exclusivité par le biais d'un dépôt à l'INPI;

Que la décision critiquée sera confirmée sur ce point mais par substitution de motifs;

Sur la concurrence déloyale :

Considérant que pour être recevable l'action en concurrence déloyale doit se fonder sur des faits différents de ceux fondant l'action en contrefaçon;

Qu'en l'espèce la preuve de tels faits n'est pas rapportée;

Considérant en effet qu'en vertu du principe de la liberté du commerce la concurrence est libre et rien ne permet, en l'état actuel de la législation, d'interdire à quiconque de fabriquer et de vendre des faïences de Quimper, y compris dans les lieux fréquentés par les touristes, fut-ce à des prix inférieurs à ceux pratiqués par la Faïencerie d'art breton alors d'une part que la société Faïencerie Croquet n'a jamais prétendu que ses produits étaient peints à la main et que d'autre part il n'est pas démontré que la Faïencerie Croquet ait détourné à son profit les artistes travaillant pour la Faïencerie d'art breton;

Considérant que la SARL Faïencerie d'art breton sera déboutée de sa demande de ce chef;

Sur la réparation du préjudice :

Considérant qu'il s'infère obligatoirement des actes de contrefaçon retenus ci-dessus un préjudice; que la cour possède les éléments pour chiffrer ce préjudice à la somme de 15 000 euros étant observé que le chiffre d'affaires de la société Faïencerie Croquet sur lequel s'appuie la SARL Faïencerie d'art breton pour estimer son préjudice ne peut être considéré comme réalisé uniquement avec le modèle contrefaisant;

Qu'il sera fait droit en outre à la demande de publication présentée par la SARL Faïencerie d'art breton;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la SARL Faïencerie d'art breton l'intégralité des frais irrépétibles engagés à l'occasion de la procédure d'appel; qu'il convient de lui accorder la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Que succombant devant la cour la société Faïencerie Croquet supportera les dépens de première instance et d'appel;

Décision

Par ces motifs, LA COUR, Confirme mais par substitution de motifs le jugement attaqué en ce qu'il a annulé le dépôt par la société Faïencerie Croquet en date du 19 février 1999, publié sous le n° 546 751 à titre de dessin et modèle, du motif "Bouquet floral, Fleurs de Quimper"; Le réformant pour le surplus ; Dit qu'en apposant sur ses produits le modèle "Bouquet Floral", vendu sous le nom Zéphir, la société Faïencerie Croquet et Philippe Heurtebise se sont rendus coupables d'actes de contrefaçon du modèle "Brocéliande" utilisé par la SARL Faïencerie d'art breton; Fait interdiction à la société Faïencerie Croquet et à Philippe Heurtebise de fabriquer et commercialiser le modèle "Bouquet Floral" (Zéphir) sous astreinte de 700 euros par jour de retard et par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt; Ordonne la publication du présent arrêt aux frais de la société Faïencerie Croquet et de Philippe Heurtebise dans la limite de 7 000 euros HT dans les pages régionales des journaux Ouest France et Le Télégramme; Condamne la société Faïencerie Croquet et Philippe Heurtebise à payer à la SARL Faïencerie d'art breton la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts et 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile; Déboute la SARL Faïencerie d'art breton de ses demandes plus amples et contraires; Condamne la société Faïencerie Croquet et Philippe Heurtebise aux dépens de première instance et d'appel, ceux-ci pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.