CA Paris, 13e ch. A, 5 mai 1997, n° 96-06982
PARIS
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Megardon
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Petit
Avocat général :
M. Blanc
Conseillers :
MM. Guilbaud, Paris
Avocat :
Me Djian.
Rappel de la procédure:
La prévention:
G Robert est poursuivi pour avoir, à Orly et sur le territoire national, courant décembre 1993 et 1994, en qualité de PDG de la SA X, trompé ou tenté de tromper l'acheteur ou contractant sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de la marchandise, sur l'aptitude à l'emploi, les risques inhérents à l'utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d'emploi ou les précautions à prendre en mettant sur le marché des jouets " premier lecteur de cassettes " de marque A destinés aux enfants de moins de 36 mois non conformes à la norme électrique NF C 73 622 (écoulement d'électrolyte et risque de brûlures) et présentant un danger pour l'utilisateur.
Le jugement:
Le tribunal, par jugement contradictoire, a:
Déclaré G Robert coupable de tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, faits commis courant décembre 1993 et 1994, à Orly et territoire national
Infraction prévue et réprimée par l'article L. 213-1 du Code de la consommation
et, en application de cet article,
L'a condamné à 100 000 F d'amende,
Ordonné l'affichage du dispositif du jugement sur la porte du siège de l'entreprise pendant une durée d'un mois sur une affiche de 21 x 29,7 caractères minimum 0,5 centimètres, et la publication du jugement dans le Monde aux frais du condamné, sans que le coût de cette publication ne puisse excéder 10 000 F,
Ordonné la confiscation des jouets saisis en vue de leur destruction,
Dit que la décision était assujettie à un droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable chaque condamné,
Dit que la contrainte par corps s'exercerait, s'il y a lieu, à l'encontre du condamné, selon les dispositions des articles 749 et suivants du Code de procédure pénale.
Statuant sur l'action civile,
Reçu M. et Mme Megardon Daniel en leur constitution de partie civile
condamné Robert G à lui payer la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts,
L'a condamné aux dépens de l'action civile.
Les appels:
Appel a été interjeté par:
Monsieur G Robert, le 1er juillet 1996, sur les dispositions pénales et civiles contre Monsieur Megardon Daniel, Madame Megardon Patricia, Monsieur le Procureur de la République, le 1er juillet 1996 contre Monsieur G Robert
Décision:
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels relevés par le prévenu et le Ministère public à l'encontre du jugement précité auquel il convient de se référer pour l'exposé des faits et de la prévention;
Par voie de conclusions Robert G sollicite de la cour, par infirmation, son renvoi des fins de la poursuite;
Il fait essentiellement valoir que si la matérialité des faits n'est pas contestée, leur imputabilité à sa personne l'est par contre totalement dans la mesure où en effet:
- le lecteur de cassette A, à l'origine du litige, a été acheté par Madame Megardon le 19 décembre 1993,
- l'accident a eu lieu le 28 mars 1994, non d'ailleurs du fait du lecteur de cassettes mais parce que les piles se sont mises à couler,
- le procès-verbal de déclaration de Madame Megardon est du 30 mars 1994,
- alors que la fusion de Y et X dont il est le PDG, a eu lieu le 29 avril 1994 et non le 1er décembre 1993 comme indiqué par erreur dans le procès-verbal de délit du 6 janvier 1995;
Il souligne qu'il n'a jamais assuré les fonctions de dirigeant de fait ou de droit de la société Y avant le 1er mai 1994;
Il expose qu'il ressort clairement de la circulaire du 20 juin 1994 que dès la réalisation de cette fusion X s'est préoccupée de la sécurité et de la conformité des produits que Y mettait sur le marché et qu'ayant eu connaissance du problème que présentait la présence sur le marché de certains jouets non conformes livrés en 1993 par Y, il a pris toutes les dispositions utiles en demandant le retour des produits litigieux;
Il affirme qu'aucun produit présentant un risque quelconque n'a jamais été livré par X ni avant, ni après la fusion;
Il soutient enfin que le fait pour une société de reprendre les obligations d'une autre société après une fusion, n'implique en aucune manière la reprise de la responsabilité pénale éventuelle du fait des produits fabriqués et livrés avant la fusion, car il est de principe acquis que la responsabilité pénale est personnelle et ne peut être rétroactive;
Monsieur l'Avocat général requiert pour sa part de la cour la confirmation de la décision critiquée. Il fait en effet observer que:
- le procès-verbal de délit du 6 janvier 1995 situe au 1er décembre 1993 le rachat de Y par X,
- les jouets litigieux ont été livrés postérieurement à cette date notamment à la centrale d'achat Z par les établissements Y suivant facture du 15 décembre 1993,
- 432 jouets litigieux ont été saisis le 28 juillet 1994 dans l'entrepôt X où ils se trouvaient encore,
Monsieur et Madame Daniel Megardon, parties civiles intimées, demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner en outre le prévenu à leur verser à chacun la somme de 2 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;
Sur l'action publique
Considérant que le 30 mars 1994 la Direction Départementale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes de l'Eure entendait par procès-verbal de déclaration Madame Patricia Megardon sur un accident causé par le jouet "premier lecteur de cassettes" de marque A, acheté au magasin Carrefour d'Evreux le 19 décembre 1993;
Qu'il s'avérait en effet que le jeune Kevin, né le 10 août 1993, avait été, le 28 mars 1994, brûlé aux jambes par le liquide contenu dans les piles qui avait coulé à la suite d'un mauvais fonctionnement de l'appareil;
Que le 6 mai 1994 un agent de la Direction Générale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes pratiquait au magasin B de Thiais un prélèvement en 3 échantillons pris au hasard parmi les 13 jouets "premier lecteur de cassettes" A détenus en rayon, aux fins d'analyses, étant précisé que ces jouets avaient été livrés à la centrale d'achat Z par les établissements "Y" suivant facture du 15 décembre 1993;
Que par bulletin d'analyse notifié le 6 juin 1994, le Laboratoire interrégional de la Répression des Fraudes de Paris-Massy concluait à la non-conformité et à la dangerosité du jouet pour non-respect du point 22 - 52 de la norme NF C 73-622, comportement au cours de l'essai d'inversion des piles non satisfaisant;
Qu'il était an effet possible de mettre une pile à l'envers tout en faisant fonctionner l'appareil ce qui provoquait un échauffement et un écoulement d'électrolyte de la pile montée en inverse pouvant engendrer des brûlures;
Que le 10 juin 1994 les agents de l'administration se rendaient au point de vente C zone Senia et pratiquaient trois autres prélèvements aux fins d'analyses, la facture d'achat des jouets concernés étant la même que celle des jouets prélevés le 6 mai 1994;
Que par bulletins d'analyses notifiés le 6 juillet 1994, le Laboratoire interrégional de Paris-Massy concluait à la non conformité et à la dangerosité des jouets "premier lecteur de cassettes" prélevés le 10 juin 1994;
Qu'étaient saisis lors de l'enquête:
- 16 jouets A le 7 juillet 1994 au magasin Z de Thiais,
- 432 jouets A le 28 juillet 1994 dans l'entrepôt X à Orly;
Considérant que la matérialité des faits n'est aucunement contestée;
Considérant qu'à tort cependant les premiers juges ont retenu Robert G dans les liens de la prévention;
Qu'il ressort en effet clairement des pièces versées aux débats que la fusion de X et Y, dont le prévenu est le PDG, a eu lieu le 29 avril 1994, et non le 1er décembre 1993, donc postérieurement à la vente consentie le 19 décembre 1993 aux époux Megardon, à l'accident survenu le 28 mars 1994 au jeune Kevin et aux livraisons de jouets litigieux opérées par Y à Z suivant facture du 15 décembre 1993;
Considérant que la cour observe par ailleurs que s'il est effectivement mentionné au traité de fusion du 29 avril 1994 que "les opérations de fusion prendront effet rétroactivement au 1er janvier 1994 ...." il n'en demeure pas moins que le fait pour une personne morale de reprendre les obligations d'une autre société après une fusion n'implique en aucune manière la reprise d'une responsabilité pénale éventuelle du fait des produits fabriqués et livrés avant la fusion, la responsabilité pénale étant personnelle et non rétroactive;
Considérant d'autre part qu'il n'est nullement démontré ou même allégué que Robert G ait été le dirigeant de droit ou de fait de la société Y avant le 29 avril 1994;
Considérant qu'il n'est pas davantage établi qu'un produit présentant un risque quelconque ait été livré à des consommateurs par X avant ou après la fusion;
Qu'il apparaît au contraire que le 20 juin 1994 X a demandé par lettre circulaire à l'ensemble des magasins ayant commandé en 1993 des jouets "premier lecteur de cassettes A " le retour le plus rapide possible et en port payé des produits susceptibles de présenter un risque d'anomalie;
Que les produits saisis par l'administration le 28 juillet 1994 dans les entrepôts de "X " n'étaient donc pas destinés à être mis sur le marché et commercialisés;
Considérant que dès lors la cour infirmera le jugement déféré en ce qu'il a retenu Robert G dans les liens de la prévention et renverra le prévenu des fins de la poursuite;
Que toutefois, malgré la décision de relaxe à intervenir, la cour ordonnera, à titre de mesure de sûreté, la confiscation des jouets saisis en raison de leur dangerosité intrinsèque;
Sur l'action civile
Considérant qu'en raison de la décision de relaxe à intervenir la cour infirmera la décision attaquée sur les intérêts civils et déboutera les époux Megardon de leurs demandes;
Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement Infirme le jugement dont appel sur la déclaration de culpabilité et les intérêts civils, Relaxe Robert G des fins de la poursuite, Ordonne, à titre de mesure de sûreté, la confiscation des jouets saisis, Déboute les parties civiles de leurs demandes, Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires.