Livv
Décisions

CA Bordeaux, 3e ch. corr., 13 janvier 1998, n° 97-000106

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Tisseraud, Association union des familles laïques

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Leotin

Substitut :

général: M. Dauffy

Conseillers :

Mmes Robert, Gounot

Avocats :

Mes Tremolet de Villers, Delthil.

TGI Bordeaux, ch. corr., du 28 nov. 1996

28 novembre 1996

Faits:

Par actes en date du 2 et 5 décembre 1996 reçus au Secrétariat-greffe du Tribunal de police de Bordeaux, le prévenu et le Ministère public ont relevé appel d'un jugement contradictoire rendu par ledit tribunal le 28 novembre 1996 à l'encontre de P Bruno poursuivi comme prévenu:

* d'avoir le 14 septembre 1995 à Salleboeuf (33) refusé à des consommateurs la vente de produits contraceptifs faisant l'objet de prescriptions médicales sans motif légitime.

Contravention prévue par l'article 33 al. 1 du décret 86-1309 du 29/12/1986, et par l'article L. 122-1 du Code de la consommation.

LE TRIBUNAL:

A déclaré Monsieur P Bruno Charles Marie coupable des faits qui lui sont reprochés.

Sur l'action publique:

En répression l'a condamné à une suspension de son permis de conduire pour une durée de 90 jours à titre de peine principale en application de l'article R. 266 et L. 14 du Code de la route et de l'article 131-18 du Code pénal.

Sur l'action civile:

A reçu Madame Tisseraud Patricia épouse Dupont et l'union des familles laïques en leur constitution de partie civile.

A condamné Monsieur P Bruno à verser à:

* Madame Tisseraud Patricia épouse Dupont la somme de 3 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 1 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

* L'union des familles laïques la somme de 3 000 F à titre de dommages et intérêts.

Sur quoi,

Madame le Président a informé les parties présentes que l'affaire était mise en délibéré à l'audience publique du 13 janvier 1997,

Et, à l'audience de ce jour, Madame le Président a donné lecture de la décision suivante:

Attendu que les appels successivement interjetés le 2 décembre 1996 par le prévenu et le 5 décembre 1996 par le Ministère public, à l'encontre du jugement rendu contradictoirement le 28 novembre 1996 par le Tribunal de police de Bordeaux, sont recevables pour avoir été déclarés dans les forme et délai légaux.

Attendu que le prévenu, assisté de son conseil, a sollicité la réformation du jugement déféré, sa relaxe des fins de la poursuite et le débouté des parties civiles, qu'il n'a pas contesté avoir refusé de vendre à Madame Dupont les contraceptifs qui lui avaient été prescrits par son médecin, mais a fait plaider la légitimité de son refus, en invoquant, d'une part, ses convictions religieuses, étant entendu qu'il considère pour acquis que tout contraceptif est susceptible de présenter des effets abortifs, convictions qui sont protégées par la Déclaration universelle des droits de l'Homme, par le Pacte relatif aux droits civils et politiques et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, d'autre part, le droit pour un pharmacien de ne pas détenir en stock de produits contraceptifs, et l'absence de toute obligation de commander le produit sollicité par le client, aucun texte n'imposant la vente de contraceptifs.

Attendu que le Ministère public a requis la confirmation du jugement en ce qui concerne la déclaration de culpabilité et sa réformation sur la sanction, en demandant de condamner Monsieur P à une peine d'amende de 10 000 F, que le Ministère public a fait valoir qu'aucun motif religieux n'est susceptible de légitimer le refus de vente opposé aux consommateurs dans la mesure où les pharmaciens disposent d'un monopole pour la distribution des médicaments, médicaments dont font partie les produits contraceptifs et où l'absence des produits en stock est délibérée.

Attendu que Madame Dupont, partie civile intimée représentée par son conseil, a demandé de confirmer le jugement déféré et de lui accorder, en cause d'appel, 3 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, en faisant observer que le prévenu ne peut se retrancher derrière l'article L. 645 du Code de la santé publique qui concerne les produits abortifs, la pilule contraceptive qui n'entre pas dans cette catégorie, étant un médicament pour la distribution duquel les pharmaciens disposent d'un monopole et que son préjudice est certain dans la mesure où elle habite Salleboeuf, commune dans laquelle il n'existe pas d'autre pharmacie.

Attendu que l'union des familles laïques de la Gironde, Association agréée pour exercer les droits reconnus aux associations de consommateurs partie civile intimée, représentée par sa présidente, a demandé de confirmer le jugement déféré.

Motivation

Attendu qu'il est constant que le 14 septembre 1995, Madame Dupont s'est présentée à la pharmacie de Salleboeuf, tenue par Monsieur P, où elle s'est vue refuser la délivrance de produits contraceptifs qui lui avaient été prescrits par son médecin, selon ordonnance dont la régularité n'a pas été mise en cause.

Attendu que le prévenu n'a pas repris en cause d'appel le moyen tiré de la provocation résultant de campagne de dénigrement menée à son encontre par Madame Dupont;

Attendu que selon ses conclusions d'appelant, le prévenu fait valoir en premier lieu pour sa défense qu'il est légitimement fondé à refuser de vendre un produit contraceptif dont la délivrance heurte ses convictions religieuses. Qu'il invoque à l'appui de ce moyen l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, l'article 18 du Pacte relatif aux droits civils et politiques et l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

Mais attendu que si ces textes protègent la liberté de conscience et de religion, ainsi que le droit pour l'individu de manifester ses convictions tant en public, qu'en privé, ils prévoient également les limites au principe énoncé, en précisant que la liberté de conscience ne peut faire l'objet que des seules restrictions édictées par la loi, qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre, de la santé, de la morale et des droits fondamentaux d'autrui.

Attendu qu'en l'espèce, le refus de vendre des contraceptifs oraux, opposé par Monsieur P à Madame Dupont, en vertu de ses convictions religieuses, se heurte aux dispositions légales en matière de santé, qui viennent protéger la liberté fondamentale des femmes à maîtriser leur fécondité, reconnu par la loi du 28 décembre 1967 sur la régulation des naissances.

Qu'en effet aux termes de l'article L. 511 du Code de la santé publique, les contraceptifs oraux sont des médicaments dont la délivrance est réservée aux pharmaciens, conformément aux dispositions combinées des articles L. 512 et L. 568 du Code de la santé publique, ainsi que de l'article 3 alinéa 2 de la loi du 28 décembre 1967. Que le monopole institué en faveur des pharmaciens interdisait en conséquence à Monsieur P de refuser la vente de contraceptifs oraux régulièrement prescrits, en vertu d'une clause de conscience qui aboutirait tant à sélectionner les clients selon des critères religieux qu'à priver une partie de la population de l'accès à un traitement autorisé par la loi et régulièrement prescrit par un médecin.

Attendu qu'en second lieu, le prévenu fait valoir qu'il est légitimement fondé à ne pas vendre un produit non détenu en stock dans son officine.

Mais attendu que cette objection manque également de pertinence et sera écartée, dans la mesure où le refus de vente poursuivi ne procéda nullement d'une impossibilité matérielle de satisfaire à la prescription médicale dont l'exécution lui était demandée, en raison d'un manque d'approvisionnement ponctuel, auquel il aurait pu être remédié par une commande sur la demande de la cliente, mais d'un refus de principe de dispenser des produits contraceptifs - qu'en outre, Monsieur P prétend vainement qu'il n'avait aucune obligation de vendre les produits contraceptifs demandés, le prévenu ne pouvant exciper de l'interdiction de vendre des produits abortifs édictée par l'article L. 645 du Code de la santé publique et des termes utilisés par l'article R. 5242, qui permet seulement aux pharmaciens, sans le leur imposer, de délivrer des préparations à bases d'hormones, alors que les contraceptifs prescrits à Madame Dupont n'étaient pas des produits abortifs, ni des préparations à réaliser en officine, mais des médicaments fabriqués en laboratoires pharmaceutiques, dont le pharmacien a le monopole de la distribution, monopole qui lui impose une obligation de vente des médicaments.

Attendu que dès lors, Monsieur P ne justifiant pas d'un motif légitime au sens de l'article L. 122-1 du Code de la consommation, c'est à juste titre que le tribunal a déclaré le prévenu coupable de la contravention poursuivie.

Attendu que la peine de suspension du permis de conduire prononcée par le premier juge, en application de l'article 131-14 du Code pénal est proportionnée au trouble causé par les faits dans une commune pourvue d'une seule pharmacie et de nature à dissuader le prévenu de réitérer l'infraction - que cependant, compte-tenu de l'absence d'antécédent judiciaire au casier de Monsieur P, la précédente condamnation dont il a fait l'objet n'étant pas à ce jour définitive, il y a lieu d'assortir la condamnation à 90 jours de suspension du permis de conduire, du sursis à hauteur de 60 jours.

* Sur l'action civile

Attendu qu'eu égard aux éléments du débat, il apparaît que le premier juge a fait une exacte appréciation du préjudice subi par les parties civiles, résultant directement de la contravention poursuivie. Que les dispositions civiles du jugement déféré seront donc confirmées. Qu'il est en outre équitable d'allouer à Madame Dupont 1 500 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, au titre des frais demeurés à sa charge pour faire valoir ses droits devant la cour.

Par ces motifs, LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement par arrêt contradictoire, Déclare les appels recevables * Sur l'action publique Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la culpabilité de Monsieur P. Réformant sur la sanction et statuant à nouveau Prononce une peine de 90 jours de suspension du permis de conduire de Monsieur P. Dit qu'il sera sursis à l'exécution de cette peine à hauteur de 60 jours de suspension. Constate que l'avertissement prévu par l'article 132-29 du Code pénal a pu être donné au prévenu absent lors du prononcé de l'arrêt. * Sur l'action civile Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions Y ajoutant; Condamne Monsieur P à payer à Madame Dupont mille cinq cent francs sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de huit cents francs dont est redevable chaque condamné par application de l'article 1018 A du Code général des impôts.