CA Bordeaux, 3e ch. corr., 29 mai 1996, n° 94001116
BORDEAUX
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Philippeau
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Castagnede
Conseillers :
M. Esperben, Mme Robert
Avocat :
Me Puybaraud.
Faits
Par acte en date du 15 novembre 1994, reçu au secrétariat-greffe du Tribunal de grande instance de Bordeaux, la partie civile a relevé appel d'un jugement rendu contradictoirement le 7 novembre 1994 par ledit tribunal relaxant A Jacques du chef de tromperie sur les qualités substantielles d'un véhicule vendu et déclarant irrecevable la constitution de partie civile de Monsieur Philippeau.
Sur quoi,
La cour a mis l'affaire en délibéré pour rendre son arrêt publiquement à l'audience du 29 mai 1996.
A ladite audience, Monsieur le Président a donné lecture de la décision suivante:
L'appel interjeté le 15 novembre 1994 par Monsieur Philippeau, partie civile, à l'encontre d'un jugement rendu contradictoirement le 7 novembre 1994 par le Tribunal de grande instance de Bordeaux est recevable pour avoir été déclaré dans les forme et délai de la loi,
Ce jugement a relaxé Jacques A du chef du délit de tromperie sur les qualités substantielles d'un véhicule vendu et a déclaré la partie civile irrecevable en sa constitution.
La partie civile sollicite la réformation du jugement déféré et l'allocation d'une somme de 12 000 F à titre de dommages et intérêts, correspondant au remboursement du prix du véhicule.
Le Ministère public s'en rapporte à l'appréciation de la cour.
Le prévenu, assisté de son conseil, sollicite la confirmation du jugement entrepris.
Motivation
Aucun appel n'ayant été interjeté à l'encontre des dispositions pénales du jugement du 7 novembre 1994, celles-ci sont passées en force de chose jugée. Mais il appartient à la cour de rechercher, compte tenu de l'appel de la partie civile, si les éléments constitutifs de l'infraction qui était reprochée au prévenu sont réunis en l'espèce.
Il résulte des éléments du dossier que le 27 mai 1993, Monsieur Philippeau a déposé plainte pour tromperie à l'encontre de Jacques A auprès de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes en exposant qu'il avait acheté à ce dernier, à la fin du mois de mars précédent, pour un prix de 12 000 F, un véhicule de marque Audi, suite à une annonce parue dans le journal "Le Petit Arcachonnais", libellée comme suit : "AV Audi 100 diesel, 7 ch., 1981, très bon état général, moteur 15 000 Jans, prix 15 000 F" et que, peu de temps après, au mois de mai 1993, ce véhicule était tombé en panne en raison d'une rupture de la courroie de distribution;
Lors de son audition par le Service de la Répression des Fraudes, le 2 septembre 1993, le prévenu a déclaré que le véhicule litigieux avait environ 193 000 kms lorsqu'il l'a vendu à Monsieur Philippeau et que lui-même l'avait acquis en décembre 1992; qu'il avait procédé sur ce véhicule à quelques réparations courantes et qu'en revissant un injecteur de gazole, il avait endommagé le filetage de la culasse; qu'il avait acheté une culasse d'occasion pour 3 000 F, son vendeur lui certifiant que la pièce avait 15 000 kms; qu' il avait remonté cette culasse avec un ami garagiste, Monsieur Decamps, lequel, après vérification des éléments internes du moteur, avait estimé que celui-ci était en bon état. Le prévenu a enfin précisé qu'il s'agissait des seuls travaux qu'il avait effectués sur son véhicule.
Toutefois, par lettre adressée le 14 septembre 1993 à l'administration, Jacques A a indiqué qu'il avait changé le bloc moteur., expliquant que lors du démontage de la culasse endommagée, Monsieur Decamps avait constaté que celui-ci était usé et qu'il l'avait remplacé par un moteur reconditionné provenant d'un échange standard.
Monsieur Decamps a déclaré au cours de l'enquête qu'il avait remonté sur le véhicule de Jacques A d'une part un bloc moteur d'origine échange standard Racan dont la culasse avait été détériorée et d'autre part une culasse de récupération fournie par son client. Il e précisé que le bloc moteur ne présentait aucune usure mais qu'il lui était impossible d'en déterminer le kilométrage.
Au vu de ces éléments, il apparaît que le moteur du véhicule vendu par le prévenu à Monsieur Philippeau était constitué de deux pièces d'origine différente, à savoir un bloc moteur moins sa culasse dont le kilométrage n'a pu être chiffré par le garagiste qui l'a fourni et installé et une culasse de récupération qui selon le prévenu aurait eu 15 000 kms.
L'allégation par Jacques A que le véhicule litigieux était équipé d'un moteur n'ayant parcouru que 15 000 kms est en conséquence contraire à la réalité, ce qu'il ne pouvait ignorer dans la mesure où le garagiste ne pouvait lui fournir aucune précision sur le kilométrage.
Or la mention "moteur 15 000 kms" était de nature à valoriser le véhicule proposé à la vente et a été déterminant pour Monsieur Philippeau au moment où il a pris la décision de l'acquérir,
Il apparaît ainsi que les éléments constitutifs du délit de tromperie qui était reproché au prévenu sont caractérisés à son encontre et c'est à tort que le tribunal a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de Monsieur Philippeau.
Compte tenu du prix d'achat du véhicule et de sa valeur résiduelle, la cour estime avoir les éléments suffisants d'appréciation pour fixer à 8 000 F le montant des dommages et intérêts qui seront alloués à la partie civile en réparation de son préjudice.
Par ces motifs: LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement et par arrêt contradictoire; Déclare recevable l'appel de la partie civile; Réforme le jugement déféré en ses dispositions civiles et statuant à nouveau, Dit que les éléments constitutifs du délit de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue reproché au prévenu sont réunis à son encontre; Déclare Monsieur Philippeau recevable en sa constitution de partie civile; Condamne Jacques A à lui payer la somme de 8 000 F à titre de dommages et intérêts; Condamne le prévenu aux dépens de l'action civile.