CA Bordeaux, 3e ch. corr., 5 novembre 1996, n° 95-001100
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Mezcal Ultramarino de CV (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Castagnede
Substitut :
général: M. Dauffy
Conseillers :
Mmes Carbonnier, Robert
Avocats :
Mes Habauzit de Tilleux, Mayaud.
Faits
Par actes en date du 17 octobre 1995 reçus au secrétariat-greffe du Tribunal de grande instance d'Angoulême, le prévenu et le Ministère public ont relevé appel d'un jugement contradictoire rendu par ledit tribunal le 10 octobre 1995 à l'encontre de M André poursuivi comme prévenu:
- d'avoir, à Cognac, en tout cas sur le territoire national, en 1990 et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, trompé les consommateurs sur les qualités substantielles de marchandises, en l'espèce sur des eaux de vie mexicaines.
Faits prévus et réprimés par les articles L. 213-1 du Code de la consommation et 1er de la loi du 1er août 1905 dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 1993.
Le tribunal,
- Sur l'action publique:
- A déclaré Monsieur M coupable de tromperie pour avoir commercialisé des eaux de vie mexicaines garantissant l'appellation "100 % pure agave" alors que le produit importé en vrac et mis en bouteille en France n'est que de la Tequila 51 % agave.
- L'a condamné à une peine d'amende de 50 000 F.
- Sur l'action civile:
- A reçu en la forme la SA Mezcal Ultramarino de CV en sa constitution de partie civile
- A sursis à statuer sur la demande de la partie civile
- A renvoyé la cause et les parties à l'audience sur intérêts civils du 9 janvier 1996 à 9 heures;
- A réservé les droits de la partie civile et les dépens.
Sur ces appels et selon citations de Monsieur le Procureur général, l'affaire a été appelée à l'audience publique du 7 mai 1996;
A ladite audience, la cour a renvoyé contradictoirement, l'affaire à l'audience publique du 24 septembre 1996, pour la partie civile et nouvelle citation pour le prévenu;
Sur quoi,
LA COUR a mis l'affaire en délibéré pour rendre son arrêt à l'audience du 5 novembre 1996;
Et, à l'audience de ce jour, Monsieur le Président a donné lecture de la décision suivante:
Attendu que les appels interjetés le 17 octobre 1995 par le prévenu, André M, tant sur les dispositions pénales que civiles du jugement précité, et par le Ministère public, sont recevables pour l'avoir été dans les formes et délais de la loi.
Attendu qu'André M a comparu, assisté de son conseil, a nié les faits qui lui sont reprochés, a argué de sa bonne foi et de sa méconnaissance, à l'époque des faits, de la réglementation relative au "Mezcal" et à la "Tequila", a déclaré qu'il avait également importé en vrac du Mezcal "100 % agave", a reconnu qu'il avait, indifféremment, embouteillé sous l'appellation "Mezcal" et "Tequila" la même eau de vie, importée du Mexique et ce "en fonction de ses besoins", et a affirmé qu'il n'avait jamais ajouté quoi que ce soit au produit importé avant de le commercialiser; que dans les conclusions qu'il a déposées et que son conseil a développées, il a sollicité sa relaxe et demandé à la cour de déclarer irrecevable la demande présentée par la société "Mezcal Ultramarino SA de CV", voire, en cas de condamnation, d'ordonner le renvoi de l'affaire devant le Tribunal de grande instance d'Angoulême pour qu'il soit statué sur la réparation du dommage; qu'il a fait soutenir, en substance, qu'il n'était nullement démontré que la Tequila vendue n'avait pas été élaborée à partir de 100 % d'agave et que la preuve de sa mauvaise foi n'était pas rapportée, tout en soulignant qu'avant de commercialiser la "Tequila", il avait pris soin d'interroger les services de la répression des fraudes, qui par lettre du 24 juin 1986, lui avaient répondu que le terme de "Tequila" n'était pas réglementé en France.
Attendu que le Ministère public a requis la confirmation du jugement précité.
Attendu que la société "Mezcal Ultramarino SA de CV" qui était représentée par son conseil, a, par voie de conclusions soutenues à la barre, sollicité la confirmation du jugement déféré et demandé à la cour d'évoquer sur les intérêts civils afin de condamner André M à lui verser, à titre de dommages et intérêts, une somme de 750 000 F, et d'ordonner la publication de la décision dans les journaux "Le Monde", "Libération" et "Le Canard Enchaîné"; qu'elle a également sollicité une somme de 25 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Sur l'action publique:
Attendu qu'aux termes de l'acte de poursuite c'est-à-dire l'ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel d'Angoulême en date du 3 mai 1994 d'André M, pris en sa qualité de gérant de la SARL X, il est reproché au prévenu d'avoir, avant que n'intervienne la prescription de l'action publique, et notamment en 1990, trompé les consommateurs sur les qualités substantielles de deux eaux de vie mexicaines, le "Mezcal" et la "Tequila".
Attendu qu'il résulte des éléments du dossier et notamment du procès-verbal établi le 30 novembre 1989 par les services de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, que la société X a commercialisé en 1989 une eau de vie qu'elle importait du Mexique en fûts sous la dénomination de "Tequila Blanche" et qu'elle embouteillait pour la vendre ensuite tantôt sous l'appellation de "Tequila", tantôt sous celle de "Mezcal".
Attendu que chacune de ces deux boissons alcoolisées n'en obéit pas moins à des normes officielles spécifiques, la "Tequila" jouissant en outre d'une protection d'appellation d'origine contrôlée résultant de la norme mexicaine NOM.V.7.1978, étendue à la France en sa qualité de pays signataire des accords de Lisbonne du 31 octobre 1958, lesquels prévoient le protection des appellations d'origine;qu'il y a lieu de préciser que le "Mezcal" est obtenu à partir exclusivement de sucres d'agaves de différentes variétés, alors que la "Tequila" (qui est un type de "Mezcal") est élaborée à partir d'une seule variété d'agave (l'espèce "Tequilana Weber", variété bleue), cultivée sur une aire géographique étroitement délimitée, et avec possibilité d'ajouter au moût de sucres fermentés, extraits des agaves précités, et dans la limite de 49 %, d'autres sucres, provenant par exemple de la canne à sucre;que tant le "Mezcal" que la "Tequila" issue des moûts d'agaves "Tequilana Weber", ne peuvent être commercialisés qu'après avoir été embouteillés sur les lieux de production.
Attendu que pour retenir André M dans les liens de la prévention, le tribunal a admis, suivant en cela une affirmation contenue dans la lettre adressée par la partie civile au magistrat instructeur, le 16 décembre 1992, comme établi que la "Tequila" qu'il importait en vrac du Mexique ne renfermait que 51 % d'alcool provenant de la distillation d'agaves, alors pourtant, comme le relève très justement dans ses écritures le conseil du prévenu, que rien ne permettait de fonder une telle certitude quant au taux; qu'il n'en demeure pas moins, André M n'ayant jamais produit le moindre document qui viendrait attester du contraire et n'ayant, d'ailleurs, jamais soutenu une telle position, et en l'absence également au dossier de tout élément qui permettrait de penser que de la "Tequila" produite exclusivement à partir de moûts d'agaves ait pu être livrée autrement qu'en bouteilles, qu'il se déduit du mode de conditionnement de la "Tequila Blanche" que la SARL "X" importait en fûts du Mexique, qu'il ne pouvait s'agir que d'une eau de vie obtenue par distillation à la fois de moûts d'agaves et de moûts d'autres plantes, dans une proportion qui reste ignorée de la courqu'en ce qui concerne le "Mezcal", par définition composé uniquement à partir d'agaves, force est de constater qu'André M, même s'il prétend le contraire, n'a jamais justifié de ce qu'il avait pu importer, durant la période pour laquelle il est poursuivi, cette eau de vie en fûts; qu'ainsi, en faisant figurer sur des bagues apposées sur le col des bouteilles de "Tequila" "100 % puro maguey" (maguey étant en l'espèce synonyme d'agave), et sur les étiquettes desdites bouteilles l'inscription "100 % eau de vie d'agave", et sur les étiquettes des bouteilles de "Mezcal" "100 % puro maguey", alors qu'il ne s'agissait pas d'une eau de vie produite exclusivement à partir de moûts d'agaves, ce qu'il ne pouvait ignorer puisqu'il a lui-même reconnu, lors de son audition du 25 mai 1989 par les agents de Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes, qu'il s'était livré à "une étude approfondie de la réglementation mexicaine",(datant pour le "Mezcal de 1949, et pour la "Tequila" de 1978) et sa qualité d'importateur lui faisant, en outre, obligation de s'assurer avec un soin particulier de la nature exacte de la marchandise qu'il entendait commercialiser en France, André M a bien trompé ses contractants, au nombre desquels les consommateurs, sur les qualités substantielles et la composition de l'eau de vie qu'il vendait tantôt sous la dénomination de "Mezcal", tantôt sous celle de "Tequila";que la décision du tribunal qui l'a reconnu coupable du délit qui lui est reproché mérite donc d'être approuvée;qu'il convient également de confirmer la peine d'amende qui lui a été infligée, cette sanction n'apparaissant pas excessive en regard des circonstances de la cause, et étant adaptée à la personnalité du prévenu.
Sur l'action civile:
Attendu que le jugement déféré sera également confirmé en ses dispositions civiles, le tribunal ayant très justement déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la SARL "Ultramarine Europa", reçu celle de la SA "Mezcal Ultramarino de CV", et faute d'éléments suffisants d'appréciation pour déterminer le préjudice qu'elle avait subi, ce qui est également le cas pour la cour, renvoyé ce débat à une audience ultérieure; qu'André M sera, toutefois, condamné à verser à la partie civile une somme de deux mille francs pour compenser les frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel, et qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge.
Par ces motifs: LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi statuant publiquement par arrêt contradictoire; Reçoit les appels, réguliers en la forme; Sur l'action publique, Confirme, par substitution de motifs, le jugement déféré; Sur l'action civile: Confirme en toutes ses dispositions civiles le jugement déféré; Condamne André M aux frais de l'instance civile; Dit que la contrainte par corps s'appliquera dans les conditions prévues aux articles 749 et 750 du Code de procédure pénale; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de huit cents francs dont est redevable chaque condamné par application de l'article 1018 A du Code général des impôts.