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Conseil Conc., 19 mai 2004, n° 04-D-19

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques imputées à Electricité de France (EDF)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport oral de Mme Wibaux, par M. Jenny, vice-président, présidant la séance, M. Nasse, vice-président ainsi que M. Robin, membre.

Conseil Conc. n° 04-D-19

19 mai 2004

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la décision du 30 juin 1999, enregistrée sous le numéro F 1156, par laquelle le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office de pratiques mises en œuvre par Electricité de France; - Vu le livre IV du Code de commerce et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002, fixant ses conditions d'application; - Vu les articles 87-1 et 82 du traité; - Vu les autres pièces du dossier; - Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement; - La rapporteure, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 2 mars 2004,

I. Constatations

A. - LA SAISINE

1. La saisine d'office du Conseil vise des pratiques d'EDF, ayant consisté à verser des aides financières à des papeteries, pour l'acquisition de séchoirs à infrarouge électriques, ainsi qu'une subvention à un fabricant de séchoirs électriques.

2. Ces aides ont été versées en avril 1995 pour la première, en mars et avril 1996 pour la deuxième et la troisième, et ont concerné:

- la papeterie de Condat;

- la papeterie de Lancey;

- la papeterie de Sibille.

3. A ces aides accordées à des papeteries, il faut ajouter la subvention octroyée à la société IRS, fabricant de séchoir à infrarouge versée en 1996 par EDF.

4. Ces pratiques, imputées à EDF, ont fait parallèlement l'objet d'un examen par la Commission européenne dans le cadre d'une saisine de la société Solaronics, en juin 1996, sur le fondement de l'article 87-1 et de l'article 82 du traité.

5. Cet examen a conduit, d'une part, au rejet de la qualification d'aide d'Etat, dans une décision du 11 février 2000, et, d'autre part, au rejet de la plainte que la société Solaronics avait déposé pour abus de position dominante à l'encontre d'EDF, rejet qui a été notifié au plaignant par lettre datée du 15 mars 2002.

B. - L'ANALYSE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

6. Compte tenu de l'identité des pratiques visées dans la saisine d'office et de celles qui ont été examinées par la Commission européenne, il y lieu de rappeler l'analyse de la Commission sur les pratiques incriminées.

1. SUR LA QUALIFICATION D'AIDE D'ETAT AUX AIDES FINANCIÈRES ACCORDÉES PAR EDF

7. Aux termes de l'article 87-1 du traité, une aide est incompatible avec le marché commun, dans la mesure où elle affecte les échanges entre les Etats membres, si elle est accordée par l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat -sous quelque forme que ce soit- et qu'elle fausse ou menace de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

8. Or, en ce qui concerne l'aide accordée aux papeteries, examinée par la Commission, il est constaté que si cette aide a été effectivement octroyée par l'Etat français, qui détient 100 % du capital d'EDF, elle n'a pas faussé la concurrence puisqu'elle n'a pas réellement favorisé certaines entreprises ou certaines productions, au détriment d'autres entreprises ou d'autres productions. En effet, l'avantage, qualifié par le saisissant de discriminatoire, aurait pu consister en l'octroi, de la part d'EDF, d'un tarif préférentiel de vente de l'électricité, à certaines papeteries.

9. La Commission considère cependant, dans l'affaire en cause, que la mise en œuvre d'un tel tarif préférentiel n'est pas anticoncurrentielle, puisqu'il est toujours loisible à une entreprise, privée ou publique, de faire une distinction dans ses tarifs selon ses catégories de clients. Les discriminations dans les tarifs ne sont illicites que lorsqu'elles aboutissent à des prix prédateurs. Au contraire, il apparaît que dans l'affaire examinée, les prix de vente de l'électricité aux papetiers ont couvert les coûts variables et une part importante des coûts fixes d'EDF (de 37 à 57 % de ces coûts). Les prix de vente de l'électricité aux papetiers n'ont donc pas été prédateurs. Par ailleurs, ces tarifs préférentiels ont été justifiés par des raisons commerciales: à l'époque des faits, EDF disposait depuis au moins 10 ans d'une surcapacité importante. Il est normal que l'établissement public ait cherché à écouler sa production excédentaire d'électricité en proposant aux papetiers des tarifs attractifs, d'autant plus que ce type d'énergie ne se stocke pas. Il en résulte qu'EDF a pu accorder, à des papetiers, des aides commerciales équivalant à des tarifs préférentiels sur l'électricité, accompagnant le choix d'un équipement infrarouge à l'électricité, car ces tarifs ont ainsi assuré ainsi un débouché à sa production excédentaire.

10. S'agissant de l'aide à la société IRS, elle a été accordée par EDF dans les mêmes conditions que celles qui auraient prévalu s'il s'était agi d'un investisseur privé. EDF a raisonné de manière identique et le prêt ne peut, en conséquence, être considéré comme une aide d'Etat.

2. SUR L'ÉVENTUEL ABUS DE POSITION DOMINANTE D'EDF

11. Selon les allégations du saisissant, EDF, en position dominante sur le marché de l'électricité, aurait mis en œuvre une politique de prix discriminatoires entre ses acheteurs d'électricité ainsi que des prix prédateurs destinés à nuire aux autres fournisseurs d'énergie, notamment de gaz naturel, et aux entreprises fournissant des appareils de séchage fonctionnant avec le gaz naturel aux entreprises papetières.

12. La Commission constate que, pendant la période des faits, EDF était en position dominante sur le marché de la fourniture de l'électricité mais rejette la plainte en raison de l'absence d'effet sur les différents marchés concernés:

- sur le marché de la fourniture de l'électricité: les prix de vente de l'électricité n'ont pas été des prix prédateurs, comme l'indique l'analyse effectuée à l'occasion de la l'examen de la plainte sous la qualification d'aide d'Etat et présentée dans la décision du 11 février 2000. EDF a couvert ses coûts variables et une part importante de ses coûts fixes;

- sur le marché du papier, les effets anticoncurrentiels n'ont pu qu'être insignifiants puisque l'énergie consommée pour sécher le papier ne représente qu'environ 0,7 % du prix de revient usine du papier;

- sur le marché des séchoirs de papier, la tarification préférentielle n'a été proposée qu'à un petit nombre d'entreprises papetières. Par ailleurs, la durée des contrats prévoyant cette tarification a été limitée à 6 ans. Ces contrats sont désormais terminés.

13. Sur la base de l'analyse de la Commission, telle qu'elle est exposée dans les constatations qui précèdent, le rapporteur a proposé au Conseil de prononcer un non-lieu à poursuivre la procédure

II. Discussion

14. L'article L. 464-6 du Code de commerce précise que "Lorsque aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu à poursuivre la procédure".

15. Le champ de la saisine d'office du Conseil recouvre les mêmes pratiques que celles qui ont déjà été examinées par la Commission européenne sous l'angle de l'aide d'Etat ainsi que sur le fondement de l'abus de position dominante.

16. Conformément au principe de primauté du droit communautaire, établi par l'article 3 f du traité et rappelé par la Cour de Justice des Communautés européennes, notamment dans l'arrêt "Simmenthal", 9 mars 1978, 106/77: "tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a l'obligation d'appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant inappliquée toute disposition éventuellement contraire à la loi nationale" et l'arrêt "Banques espagnoles" (1992) "une application parallèle du droit national de la concurrence ne saurait être admise que pour autant qu'elle ne porte pas préjudice à l'application uniforme du droit communautaire" et dans l'arrêt "Murphy" du 4 février 1988 157/86, obligeant à une interprétation conforme du droit national, le Conseil de la Concurrence doit avoir une interprétation conforme à celle des autorités communautaires dans l'examen des faits qui lui sont soumis.

17. Or, les pratiques, visées dans la saisine d'office, font partie des pratiques examinées par la Commission et qui ont donné lieu, d'une part, à la décision du 11 février 2002 et, d'autre part, à la décision de rejet de la plainte, notifié au plaignant par lettre du 15 mars 2002.

18. Comme l'indiquent les décisions susvisées, l'examen des pratiques effectué par la Commission en ces deux occasions n'a pas révélé d'atteinte à la concurrence. Il n'a pas été constaté de prix prédateurs sur l'électricité, qui auraient pu résulter de la tarification préférentielle accordée par EDF aux papeteries en cause et qui auraient faussé le marché de la fourniture d'électricité. Sur les autres marchés, aucun objet ou effet anticoncurrentiel des pratiques en cause n'a été relevé par la Commission européenne.

19. Il résulte de ce qui précède, qu'il n'est pas établi que la société Electricité de France a commis un abus de position dominante et il y a lieu en conséquence de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce;

DÉCISION

Article unique: Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.